Le juge dans les films de sorcières : discours et représentations
Publié en
Cet article fait partie de « Droit et culture pop »
Cette contribution est dédiée à Régine Beauthier qui, alors que j'étais assistant de son cours d'Histoire du droit, m'a initié à l'analyse critique du phénomène historique de la chasse aux sorcières.
§1 Durant toute l’Époque moderne (15e-18e siècles), l’Europe (et dans une certaine mesure l’Amérique) a conduit au bûcher des milliers de personnes1, accusées de s’être rendues coupables du crime de sorcellerie. C’est sous l’impulsion de l’Inquisition que ce crime a été défini de manière spécifique, à la fin du 15e siècle, en particulier dans des traités démonologiques rédigés par des juges ou des théologiens2, dont le plus célèbre est resté le Marteau des sorcières (Henri Institoris et Jacques Sprenger, 1487). Trois éléments caractéristiques le composent : l’existence d’un pacte conclu avec Satan, la participation au Sabbat, assemblée au cours de laquelle on procède à des sacrifices et on fornique avec les démons, et la pratique de sortilèges maléfiques, susceptibles de causer des maux à autrui (pertes de récoltes, tempêtes, épidémies, morts de nouveaux nés,…)3. Si c’est l’Église qui a conçu le crime de sorcellerie, dans le prolongement de la lutte contre l’hérésie, c’est principalement le pouvoir séculier qui le mettra en application4, les poursuites se prolongeant jusqu’à la fin du 18e siècle5. La répression a visé très principalement des femmes (environ 80% des accusées), ce qui explique la figure prédominante de la « sorcière » 6, terme que nous privilégierons dans cette contribution.
§2 La chasse aux sorcières a donné lieu à une historiographie très abondante, dont il n’est pas possible de rendre compte de manière approfondie, même si nous y ferons référence à diverses occasions dans cette contribution. Elle a également largement inspiré le cinéma, puisque l’on trouve un important nombre de films, que, par commodité de langage, nous réunirons sous l’appellation « films de sorcières », sans que cela ne puisse à proprement parler être considéré comme un genre en soi, les styles représentés (drame, horreur, comédie…) étant très divers. Le personnage de la sorcière possède comme particularité, au regard d’autres figures classiques du récit fantastique, comme le vampire, le zombie ou le loup-garou, de renvoyer à une réalité historique, qui l’investit d’un sens et d’une symbolique spécifiques.
§3 Nous avons limité le champ de notre étude aux productions renvoyant, au moins implicitement, à l’histoire de la répression de la sorcellerie, ou se référant au besoin social de réprimer les sorcières, quels que soient les moyens envisagés. Il en a résulté un matériau de « films de sorcières » composé d’une centaine de films et séries TV, des plus anciens aux plus récents.
Le fil de notre analyse a consisté à déterminer les types de discours se dégageant de l’évocation de la chasse aux sorcières à l’écran, conçue comme support allégorique, en particulier concernant l’administration de la justice et la condition des femmes. Nous avons particulièrement porté notre attention sur les relations dialectiques entre le juge et la sorcière, figures interdépendantes de la répression de la sorcellerie. L’analyse met en évidence trois principales catégories de discours, qui peuvent s’avérer antagonistes.
§4 Le premier fait de la « chasse aux sorcières » l’archétype de l’obscurantisme et de l’arbitraire judiciaire, frappant des personnes innocentes, victimes d’un juge cruel et expéditif. Le second discours s’inscrit au contraire dans une logique de validation de la répression, dans la perspective de justification de la défense de l’ordre établi contre la subversion, personnifiée par la sorcière. Enfin, le troisième type de discours se place dans le cadre des débats relatifs au statut des femmes au sein de la société. A cet égard, on constate que la figure de la sorcière est utilisée tant pour développer un propos féministe que pour en faire la critique radicale. Quel que soit le discours, il s’agit toujours de délivrer un propos allégorique portant sur des débats contemporains, auxquels la référence à la « chasse aux sorcières » entend apporte un éclairage particulier.
Une dénonciation de l’obscurantisme et de l’arbitraire
§5 La répression de la sorcellerie, telle qu’elle s’est déroulée du 15 au 18e siècle, est aujourd’hui très généralement considérée comme une pratique ayant consisté à concevoir un crime imaginaire, dont ont été accusées des dizaines de milliers de personnes innocentes, principalement des femmes. Selon les travaux des historiens, plusieurs évolutions permettent d’expliquer le développement de la chasse aux sorcières, durant trois siècles. Tout d’abord, l’apparition d’une définition spécifique du crime de sorcellerie par l’Église et l’Inquisition, qui s’autonomise de la notion plus générale d’hérésie, et dont l’élément central devient le pacte avec Satan7. Cette définition est rapidement reprise par les autorités séculières. Ensuite, l’adoption par les systèmes juridiques séculiers de la procédure inquisitoriale8, qui permet aux juges de mener d’initiative des poursuites, sur la base d’un régime de preuves rationnel, fondé sur l’aveu et le témoignage. Enfin, l’intégration de la torture dans la procédure judiciaire, qui est censée faciliter l’obtention des aveux de l’accusé9. Dans un contexte de montée de l’intolérance religieuse (Réforme/contre Réforme), de volonté des pouvoirs séculiers d’affirmer leur autorité, de persistance des superstitions, se produisent des épidémies de répression visant des personnes suspectées de pratiquer des maléfices10. Ces poursuites marquent la rencontre de deux conceptions de la sorcellerie : celle des élites, qui comme on l’a indiqué, y voit la manifestation d’une secte satanique, et celle de la population11, qui la conçoit sous l’angle des sorts dont elle peut être victime et comme la cause des malheurs dont elle peut être frappée. Les poursuites vont donc généralement débuter par la dénonciation d’une ou plusieurs sorcières par des habitants d’une ville ou d’un village, leur imputant des pratiques maléfiques leur ayant occasionné des dommages. Les autorités judiciaires interviendront alors, pour soumettre l’accusé à la torture, et lui faire avouer l’existence d’un pacte conclu avec Satan et la participation au sabbat12. Le sabbat étant une assemblée collective, il lui sera demandé de dénoncer d’autres sorcières, ce qui donnera lieu à d’autres poursuites…13 Le châtiment pouvait aller jusqu’à l’exécution sur le bûcher (dans environ la moitié des cas) ou être limité au bannissement14. Peu de personnes étaient innocentées.
§6 L’analyse rétrospective de la répression de la sorcellerie, au regard de nos principes actuels, en fait aisément le symbole d’un processus judiciaire arbitraire, injuste, révélateur de conceptions obsolètes faites d’intolérance et de superstitions. Cela explique que le concept de « chasse aux sorcières » soit devenu une expression générique visant la « poursuite et élimination systématique, par les autorités, de tous ceux qui sont soupçonnés d'opinions jugées subversives »15. L’évocation de la sorcellerie peut ainsi être le vecteur au cinéma de la dénonciation d’une idéologie religieuse obscurantiste (A) et de l’exercice d’un pouvoir arbitraire (B), ces deux aspects étant très souvent étroitement liés. Une telle dénonciation s’appuiera ainsi sur l’opposition entre la figure de la sorcière opprimée et celle du juge oppresseur.
Le juge obscurantiste
§7 Nombre de films abordant la thématique de la répression de la sorcellerie peuvent être interprétés comme visant à fustiger l’obscurantisme, en montrant les abus auxquels le fanatisme est susceptible de conduire. A cet égard, l’accent est mis sur l’origine religieuse du crime de sorcellerie, et l’implication des autorités ecclésiastiques dans la mise en œuvre des poursuites.
Cette dimension est tout d’abord soulignée à l’écran en montrant la persécution des sorcières comme étant menées par des juges-inquisiteurs, aux attributs religieux très reconnaissables. Ils portent la bure monacale, la tonsure, la croix, sont affublés des uniformes inquisitionnels ou des habits propres aux pasteurs puritains. Ils exercent leur office judiciaire au sein d’une institution ecclésiastique, au nom de l’Église ou de l’Inquisition. Ils délivrent des discours fanatiques ou illuminés. De nombreux exemples peuvent à cet égard être mentionnés. Le film muet Häxan – La Sorcellerie à travers les âges16 retrace sur un mode quasi-documentaire un procès en sorcellerie mené par une confrérie de moines-inquisiteurs à l’encontre d’une vieille femme, confessant sous la torture son entente avec le Diable et sa participation à une messe noire blasphématoire, en compagnie d’autres femmes, qui sont à leur tour poursuivies. La procédure utilisée est constamment présentée comme étroitement liée à des préceptes religieux rétrogrades. « Au nom de la sainte Trinité, si tu n’es pas une sorcière, pleure sur-le-champ. Tu n’y arrives pas car tu as un pacte avec le Malin », profère le juge-moine principal, en guise de « preuve » à l’encontre d’une accusée. Le film nous explique que « la sorcellerie se répand comme la peste, là où l’Inquisition passe ». Dans Le Nom de la rose17, c’est à nouveau l’Inquisition catholique qui est à l’œuvre par l’entremise du dominicain Bernardo Gui, chargé d’éradiquer l’hérésie et envoyé par le Pape pour éclaircir les mystères qui frappent une abbaye bénédictine. Son personnage est dépeint comme particulièrement fanatique18, ce qui le conduit à condamner pour sorcellerie une jeune sauvageonne, après avoir trouvé en sa possession une poule noire, qu’elle a dérobée pour se nourrir : « Messer l’Abbé, vous m’avez invité pour enquêter sur la présence du Malin dans votre abbaye et je l’ai déjà trouvé. Combien de fois ai-je déjà vu ces objets pestiférés du culte satanique ! Le coq noir et le chat noir ! [Les] preuves [sont] irréfutables : une sorcière, un moine séduit, des rites sataniques ». Même lorsque les juges sont séculiers, comme les magistrats de Paris de la fin du 16e siècle que l’on rencontre dans Inquisicion19, film « bis » espagnol de Paul Naschy, ils sont fréquemment associés, tant dans leur apparence que leurs discours, à l’institution ecclésiastique. C’est manifestement au nom d’une conception misogyne et superstitieuse de la religion qu’ils torturent et exécutent sans merci les femmes d’une petite ville du sud de la France, perçues comme des servantes de Satan.
§8 Une même ferveur à pourchasser la sorcellerie est également prêtée, par d’autres films, à des pasteurs protestants. Dans un classique de la célèbre firme de production britannique Hammer, Twins of Evil20, Peter Cushing incarne Gustav Weil, qui dirige une confrérie de puritains obsédés par la chasse aux sorcières. Des meurtres inexpliqués ont lieu dans la petite ville où il exerce. Les coupables sont toutes trouvées, en la personne de femmes célibataires ou marginales des environs, désignées naturellement comme des sorcières maléfiques. Lors d’une assemblée, il explique la mission dont il se sent investi et dessine les voies à suivre pour mettre fin aux meurtres :
- Gustave Weil : « Deux hommes sont morts ces dix derniers jours et chacune des victimes portait la marque du Diable. Ce village a été maudit à cause du vice de certains citoyens. Mais les signes sont clairs. Dieu ordonne à ceux qui croient en sa parole d’écraser le mal. De traquer les adorateurs de Satan. Et de purifier leur esprit afin qu’ils bénéficient de la miséricorde divine et ceci par le feu ! »
- Un membre de la confrérie : « J’en connais. Il y a une chaumière dans les bois où vit une jeune femme. Elle refuse de se marier. On dit qu’elle a de nombreux maris. C’est une créature du Diable. Dépravée ! Immorale ».
- La foule des membres : « Brûlons-la ! Brûlons-la ! »
Plusieurs femmes sont ainsi envoyées au bûcher sans autre forme de procès, bien qu’elles s’avèrent parfaitement innocentes de tout crime, le coupable étant le Comte du château avoisinant, derrière lequel se cache en réalité un vampire décadent.
§9 Dans Sleepy Hollow de Tim Burton21, c’est à nouveau la figure du pasteur intolérant qui apparaît, comme tortionnaire des femmes/sorcières. Au cours du récit, on apprend que la mère d’Ichabod Crane (Johnny Depp), le policier chargé d’enquêter sur les meurtres perpétrés dans une petite ville située près de New York par le « cavalier sans tête », a été exécutée par son mari pour des pratiques qualifiées de sorcellerie. Surprenant sa femme traçant des signes magiques, le pasteur brandit le texte de la Bible et lui fait subir le supplice de la « vierge de Nuremberg » (sorte de sarcophage en fer serti de pointes acérées, transperçant la victime à mesure qu’il est refermé), dans une scène évoquant directement la séquence d’ouverture du Masque du démon (voir infra). Se rappelant cet événement traumatique auquel il a assisté enfant, Ichabod Crane raconte : « Ma mère était une innocente. Une enfant de la nature. Condamnée, assassinée par mon père, pour sauver son âme. Par un fanatique de la Bible caché sous le masque de la vertu »22.
§10 Dans Jour de Colère23, le réalisateur danois Carl Theodor Dreyer s’inspire du procès en sorcellerie d’Anne Pedersdotter, qui s’est tenu en Norvège en 1590, en choisissant de présenter la procédure comme étant menée par une juridiction religieuse présidée par un pasteur luthérien, alors même que cette affaire avait été, dans la réalité, jugée par une juridiction civile. Ce glissement opéré pour les besoins de la fiction sert à construire la thématique du film tournant autour du conservatisme que la religion fait peser sur la société, et la place dominante qu’elle y occupe dans la définition des normes sociales.
§11 C’est encore le fanatisme qui est pointé du doigt dans Silent Hill (2006), projeté cette fois non plus dans un contexte historique mais dans un univers dystopique. Une mère se rend dans une ville fantôme – Silent Hill – qui hante les cauchemars récurrents de sa fille Sharon, en espérant y conjurer le mal qui semble l’habiter. La ville est habitée par une secte religieuse qui considère comme sorcière toute personne ne partageant par leur vision apocalyptique du monde. Leur leader, Christabella, tente de mettre Sharon et sa mère au bûcher (« Brûlons cette enfant pour combattre le Démon ! Brûlez cette sorcière ») et l’on apprend que cette dernière est en réalité le double d’Alessa, une jeune fille ayant été soumise, trente ans plus tôt, à un rite du feu purificateur, accusée d’être une sorcière.
§12 La réflexion peut prendre un tour plus métaphysique, comme dans Le Septième sceau d’Ingmar Bergman, où un chevalier et son écuyer, revenant des croisades, s’interrogent sur leur foi religieuse et le sens de la vie. Dans sa quête de réponse, le chevalier interroge une sorcière, torturée puis amenée au bûcher, sur l’existence de Satan étant conçue comme la preuve corrélative de l’existence de Dieu. Il n’obtient guère d’éclaircissement, si ce n’est la perception de l’épouvante dans les yeux de la femme suppliciée, qui se croit réellement habitée par le Diable. Par la peur et les croyances qu’il instille dans la population, le processus judiciaire visant la sorcellerie apparaît ainsi comme un mode d’imposition de la religion dans sa conception la plus rétrograde de même qu’il s’inscrit dans un mécanisme de bouc émissaire, la sorcière étant réputée responsable de l’épidémie de peste noire, omniprésente dans le film.
§13 A travers le portrait fait, dans ces films, de juges ecclésiastiques obscurantistes et d’une persécution des sorcières aussi injuste que brutale, il s’agit principalement de dénoncer les abus auxquels peuvent mener le fondamentalisme religieux, particulièrement lorsqu’il est utilisé comme instrument de répression des comportements déviants et comme justification des pratiques les plus cruelles. Cet aspect est souvent souligné par la présence d’un ou plusieurs personnages incarnant une approche modérée ou rationnelle de la religion et de la sorcellerie. Dans le Nom de la rose, à l’inquisiteur Bernardo Gui s’opposent le moine franciscain Guillaume de Baskerville (Sean Connery), dont les moyens d’enquête sont basés sur les indices matériels et le rejet des croyances superstitieuses, et son assistant (Christian Slater) qui entend faire innocenter la sorcière (« c’est la faim qui la poussait, pas le Diable ! »). Les pratiques de Gustave Weil (Twins of Evil) sont mises en question par Anton, le professeur du village, qui y voit un « comportement impie » et « barbare ». Et les conceptions des magistrats d’Inquisicion sont sévèrement jugées par le chirurgien de la ville : « Un jour, tout cela sera une honte pour l’humanité ».
Le propos n’entend bien entendu pas se confiner à un phénomène spécifique situé dans une période reculée (souvent située, de manière anachronique, au Moyen-Âge24, conçu comme la période barbare par excellence25), mais entend viser toutes les persécutions fondées sur la religion, en tout lieu et de tout temps. On trouve un même discours allégorique concernant la dénonciation de l’arbitraire politique.
Le juge arbitraire
§14 Le juge qui apparaît dans les films de sorcières peut également apparaître comme le symbole de l’arbitraire politique, du pouvoir totalitaire ou corrompu. Il agit alors moins par fanatisme religieux - même si la dimension religieuse reste souvent présente – que pour satisfaire des besoins d’affirmation d’ordre et d’autorité au service du pouvoir séculier, pour éradiquer toute déviance idéologique voire pour assouvir des intérêts plus personnels, pécuniaires ou sadiques. La « chasse aux sorcières » est ainsi montrée comme le modèle emblématique de la procédure judiciaire injuste, conduisant inexorablement à la condamnation d’innocents, soit par machination politique, soit par emballement populaire incontrôlable. Ces différents aspects sont soulignés par plusieurs figures et éléments du récit que l’on voit apparaître de manière récurrente dans les films.
§15 Il y a tout d’abord la figure proéminente du juge, personnage maléfique exerçant un pouvoir absolu et inique sur des personnes accusées injustement de sorcellerie. Le juge n’est pas un personnage secondaire ou effacé, comme c’est souvent le cas dans les « films de procès », mais il occupe le devant de la scène, véritable incarnation de tous les abus que véhicule la persécution des sorcières. Dans Le Grand inquisiteur, Vincent Price endosse les habits de Matthew Hopkins, personnage historique ayant exercé la fonction de juge « chasseur de sorcières » pendant la guerre civile anglaise en 164526. On le voit vendre ses services à différents villages pour mener des poursuites à l’encontre de femmes ou d’un prêtre catholique pour de prétendus pactes avec le diable, au terme de procédures expéditives. Il se vante d’agir « en vertu de la loi », à la recherche de « preuves » visant à faire « éclater la vérité ». Mais il se révèle parfaitement cynique, agissant par appât du gain, utilisant des méthodes aussi absurdes que barbares (recherche de la marque du diable27, épreuve de l’eau28, tortures répétées) et il n’hésite pas à accuser de sorcellerie toute personne se mettant en travers de sa route29. On retrouve le même Vincent Price dans Cry of the Banshee, sous les traits du magistrat – totalement fictif cette fois - Lord Edward Whitman qui use de ses prérogatives pour mieux assouvir ses penchants autoritaires et cruels envers les villageois. Lors d’un échange avec ses fils et le prêtre de la paroisse, il explicite la conception qu’il a de sa mission :
- Lord Whitman : « Tu rentres juste à temps pour une belle chasse Harry. […] Les pratiques de sorcellerie se poursuivent ».
- Harry Whitman : « Je pensais que vous les auriez tous détruits ».
- Lord Whitman : « Chaque jour en voit surgir de nouveaux. C’est pour me tourmenter, je crois ».
- Sean Whitman : « Ou vous faire plaisir, sachant ce que vous faites quand vous les trouvez ».
- Lord Whitman : « Père Tom, on vous l’a peut-être dit, au village on me prend pour un monstre. Je suis un magistrat sévère, c’est vrai. Mais l’autorité est l’essence du gouvernement et maintenir l’autorité est le premier but de la loi ».
§16 Christopher Lee (connu pour ses apparitions dans le rôle de Dracula) n’est pas moins intransigeant dans la mise en œuvre des fonctions judiciaires qu’il exerce dans Bloody Judge, film à nouveau situé dans le contexte de la guerre civile anglaise. Lord Jeffries, juge royal, utilise les mises en accusation pour crime de sorcellerie en vue de réprimer la rébellion, et met beaucoup d’entrain à envoyer au bûcher des femmes qu’il a auparavant soumis à la torture. Le juge que l’on rencontre dans La Marque du diable30 est tout aussi inquiétant. Lord Cumberland (Herbert Lom) est envoyé par l’Empereur pour remettre de l’ordre dans le système judiciaire d’une ville située dans l’Autriche du 17e siècle, en proie aux agissements du sinistre Albino (Reggie Nalder), un inquisiteur auto-proclamé qui se livre à la poursuite et l’exécution des sorcières, en dehors de toute procédure officielle. Avec l’aide de son assistant Christian von Meruh (Udo Kier), le magistrat s’emploie à rétablir la justice dans ses formes légales, et une première sentence acquittant une femme soupçonnée de sorcellerie laisse à penser qu’une justice rationnelle sera désormais appliquée. Mais, très rapidement, Lord Cumberland se révèle sous les traits d’un juge cruel, brutal, usant des procès en sorcellerie pour saisir à son profit les biens des accusés et satisfaire ses penchants sadiques.
§17 La réprobation qu’inspire la répression de la sorcellerie est donc personnifiée, dans les exemples cités, comme dans bien d’autres films encore31, par le personnage d’un juge endossant le rôle du « méchant », dont les comportements ne peuvent qu’inspirer aux yeux des spectateurs rejet et dégoût. Cette récusation passe également par la présence récurrente de scènes de torture, montrées le plus souvent de manière très explicite. Ces séquences font référence à un trait particulier de la procédure inquisitoriale appliquée à la répression de la sorcellerie, qui faisait de l’aveu l’élément prépondérant du système de preuve et qui autorisait, pour permettre son obtention, l’usage de la « question », selon des modalités définies légalement. La figuration à l’image de ce mode barbare d’administration de la vérité vise ainsi à plonger le spectateur au cœur de la réalité des procès en sorcellerie, dans une perspective tout autant voyeuriste que quasi-documentaire. La Marque du diable en est, parmi d’autres, l’exemple emblématique, ce film d’exploitation ayant construit une bonne partie de son succès et de sa réputation sulfureuse sur les nombreuses séquences détaillant avec minutie les supplices infligés par le bourreau Jeff Wilkins aux personnes accusées de sorcellerie.
§18 La répression de la sorcellerie est encore présentée comme une machine judiciaire infernale, dont les règles sont conçues pour produire nécessairement des coupables, sans souci pour l’établissement de la vérité. Le Marteau des sorcières32, film tchécoslovaque produit en 1970, illustre parfaitement cette manière de montrer les procès en sorcellerie comme un piège se refermant inexorablement sur des personnes innocentes. Dans une principauté de Moravie, au 17e siècle, les autorités décident de nommer le juge Boblig von Edelstadt pour mettre fin à certaines pratiques superstitieuses. Très vite, le processus s’emballe et le juge met en accusation de nombreuses femmes pour sorcellerie. Krystof Lautner, un prêtre, s’élève contre son action et s’adresse à sa hiérarchie religieuse et aux autorités impériales pour mettre fin à la répression, mais en vain. Lors d’une confrontation avec le juge, il tente de contester le bien-fondé de sa pratique judiciaire :
- Le juge von Edelstadt : « Pensez-vous que la Cour a envoyé ces sorcières au bûcher sans aucune raison ? »
- Krystof Lautner : « Comment prouvez-vous leur culpabilité ? »
- Le juge : « Vous avez des livres de droit dans votre bibliothèque. La culpabilité peut être prouvée par l’aveu ou le témoignage, n’est-ce pas ? Vous avez lu beaucoup de livres, mais moi un seul me suffit. […] ‘Le Marteau des sorcières’. Le livre le plus saint de tous. Il contient absolument tout ».
- K.L. : « Je connais ce livre. Puis-je vous en lire quelques lignes ? “Il est permis d’amener l’accusé aux aveux, par la promesse d’une durée de prison limitée. Le juge doit respecter sa promesse et ne brûler la sorcière qu’au terme de la durée d’emprisonnement. Le juge peut aussi promettre le pardon, pour ensuite faire nommer un autre juge à sa place afin de prononcer la peine de mort. De telles actions sont permises par la Loi de Dieu et celle des hommes”. Un livre impie et cruel, vous ne trouvez pas ? Une source de honte pour tout pays chrétien ! Laisserez-vous jamais quelqu’un repartir libre ? »
- Le juge : « S’il peut être prouvé qu’il ou elle n’était pas complice du Diable ».
- K.L. : « Et comment peut-on prouver cela ? »
- Le juge : « Je ne sais pas. Tout le monde a toujours avoué. Vous ne me croyez peut-être pas, mais c’est bien le cas. Et si jamais je devais me tromper vous devez savoir en tant qu’homme de foi que même les juges sont des instruments entre les mains de Dieu ».
- K.L. : « Et votre conscience ? »
- Le juge : « Je suis un juriste, pas un théologien ».
Le prêtre sera finalement lui-même accusé de sorcellerie, torturé et exécuté, le récit soulignant ainsi l’impossibilité d’écarter l’accusation de sorcellerie dans le cadre d’un système procédural totalement biaisé, soumis au pouvoir absolu du juge. L’arbitraire de la procédure autorise dès lors le pouvoir judiciaire à tous les abus et à toutes les manipulations de la justice. Dans La Marque du diable, déjà cité, Lord Cumberland préfère couvrir les excès de zèle de ses assistants qui ont arrêté un couple de marionnettistes pour « pratique de la magie noire au moyen de poupées aux voies humaines » que de faire reconnaître leur innocence, afin de ne pas amoindrir son autorité (« Ils sont arrêtés pour sorcellerie. C’est moi qui en déciderai. Nous ne pouvons nous montrer faibles. Il faut qu’ils meurent »).
§19 Le crime de sorcellerie peut également servir des desseins plus directement politiques, comme le met en en évidence Les Diables, réalisé par Ken Russel33. Le film est inspiré de l’affaire des « possédées de Loudun »34 et adapté du livre qu’y a consacré Aldous Huxley35. Urbain Grandier (Oliver Reed) est un jeune prêtre iconoclaste et libertin, qui joue un rôle politique important dans la ville de Loudun et dont l’action a permis de conserver l’entente entre habitants catholiques et protestants. En vue de reprendre le contrôle de la ville et de faire annuler l’autonomie qui lui a été accordée par le Roi, le cardinal de Richelieu ourdit un complot contre le prêtre, en le faisant accuser de pratiques de sorcellerie, ayant consisté à envouter les sœurs du couvent voisin, qui se déclarent possédées par le diable. Les poursuites sont menées par le Baron de Laubardemont, l’envoyé de Richelieu, accompagné d’un prêtre exorciste, et Grandier est jugé par un jury composé des notables de la ville, qui ne lui pardonnent pas sa conduite immorale. Lors de son procès, Urbain Grandier dénonce une instrumentalisation de la justice, orchestrée par Richelieu :
- de Laubardemont : « Pour poursuivre la démonstration, nous avons écouté le témoignage de citoyens sensés affirmant qu’ils ont été envoutés pour assister à une messe noire. Nous avons entendu de vrais démons parler à travers la bouche des sœurs des Ursulines, jurant que l’accusé est un sorcier. Et ensuite, lorsque le Diable a été contraint par le saint exorciste à dire la vérité, il est apparu que… ».
- Urbain Grandier : « Mensonge ! Mensonge et hérésie ! Le Diable est un menteur et le père de tous les mensonges. Si le témoignage du Diable doit être accepté, les gens vertueux courent le plus grand danger. […] Je n’avais jamais posé les yeux sur Sœur Jeanne des Anges avant le jour de mon arrestation. Mais le Diable a parlé ! Et douter de sa parole est sacrilège. Vous avez totalement perverti l’enseignement du Christ. Cette nouvelle doctrine, la nouvelle doctrine de Laubardemont, la nouvelle doctrine de Barré, inventées spécialement pour l’occasion, est l’œuvre de personnes qui ne s’occupent pas des faits, du droit ou de théologie. C’est une expérience politique visant à montrer comment la volonté d’une seule personne peut pousser à la destruction non seulement d’un homme ou d’une ville, mais aussi d’une nation ».
- Le juge Trincant : « Ce n’est pas un procès politique ! Emmenez le prisonnier ».
Condamné au bûcher au terme de son procès, Grandier s’adresse encore à Laubardemont : « Ces crimes ne sont pas mes crimes. Cessez ces absurdités. Nous savons tous les deux pourquoi j’ai été traîné en justice. Et nous savons tous les deux pourquoi j’ai été déclaré coupable ». C’est donc sous l’angle politique que Ken Russel place son analyse de la répression du crime de sorcellerie, qui offre une qualification juridique et un mode de preuve si malléables qu’elle permet de faire condamner n’importe qui (la maxime invoquée par Laubardemont auprès de Richelieu pour l’assurer du succès de sa mission étant : « Donnez-moi trois lignes écrites de la main d’un homme, et je le ferai pendre »).
§20 La représentation à l’écran de la chasse aux sorcières comme un cas emblématique de procédure judiciaire cruelle et arbitraire est de nature à servir de support à plusieurs types de propos sur le droit et la justice. Le discours le plus général et le plus rassurant pour le spectateur consiste à se servir du modèle de la répression de la sorcellerie comme repoussoir, pour mieux vanter les acquis de l’Etat de droit et des garanties du procès équitable. Ce message est d’autant plus accentué lorsque la persécution des sorcières est présentée comme relevant de temps éloignés et révolus, notamment lorsqu’elle est située de manière anachronique au Moyen-Âge, période incarnant par définition la violence et la barbarie36.
§21 Une autre approche consiste à utiliser l’évocation de la répression de la sorcellerie pour délivrer une critique symbolique d’une situation politique contemporaine, sous forme d'avertissement. Il s’agit d’insister sur la mécanique de la chasse à la sorcière, susceptible de se reproduire dans d'autres situations. Le contexte de production de l’œuvre vient ainsi apporter un éclairage particulier sur la signification qu’elle revêt. Ainsi, Le Marteau des Sorcières, en retraçant un épisode de la chasse aux sorcières survenu en Moravie au 17e siècle, vise en réalité à dénoncer les procès staliniens tels qu’ils se sont déroulés en Tchécoslovaquie, quelques années auparavant. Le film a été tourné à la faveur du printemps de Prague, mais est sorti après la reprise en main par Moscou et la période de normalisation. Sans être à proprement parler censuré, le film a vu sa distribution fortement limitée. La sorcellerie intervient donc comme un outil métaphorique autorisant un discours politique critique, qui aurait plus de mal à passer s’il était plus direct. D’une manière analogue, Arthur Miller a eu recours à l’histoire des procès des sorcières de Salem37 (Nouvelle-Angleterre, 1692) pour écrire sa pièce The Crucible en 1953, fustigeant le maccarthysme aux Etats-Unis38, pièce qui a été portée à deux reprises à l’écran. Dans la version tournée en 1957 par Raymond Rouleau et scénarisée par Jean-Paul Sartre, Les Sorcières de Salem39, la persécution judiciaire des pratiques maléfiques supposées s’être déroulées dans la petite ville de Salem conduit à la révolte de sa population contre toutes les composantes du pouvoir en place, ce qui en fait une fable politique révolutionnaire, célébrant le soulèvement du peuple contre un régime réactionnaire oppressif. Cet aspect a été totalement gommé de la version réalisée en 1996, sur une adaptation d’Arthur Miller lui-même, qui en a largement évacué la dimension politique, pour n’en garder qu’une parabole morale très générale sur la fidélité à ses convictions et les dangers d’une procédure judiciaire irrationnelle40, par opposition aux principes démocratiques et libéraux états-uniens.
A rebours de cette lecture, on trouve dans d’autres films une utilisation de la figure de la sorcière qui vise à justifier la répression de toute forme de subversion mettant en cause l’ordre établi.
La défense de l’ordre établi contre la subversion
§22 Un second courant de films consiste à s’inscrire dans une validation du discours démonologique, tel qu’il existait du 15 au 18e siècle, en présentant les sorcières comme des êtres authentiquement sataniques, devant faire l’objet d’une répression sans merci. La sorcellerie était perçue à la fois comme une atteinte à la morale religieuse, en tant qu’anti-religion, et une menace sécuritaire, par les maux infligés à la société. Ces deux dimensions sont présentées dans divers films, mettant en scène la lutte contre les sorcières comme nécessaire à la préservation de l’ordre moral, ou la défense de la sécurité publique. Transposées dans le monde contemporain, les sorcières deviennent le symbole d’une menace subversive, qui doit être anéantie pour préserver l’ordre établi. Il y a donc l’idée d’une transposition de la répression de la sorcellerie et de ses méthodes, qui devraient être appliqués à d’autres phénomènes plus contemporains. Aux sorcières d’antan correspondent les satanistes, les hippies, les « terroristes » d’aujourd’hui.
Le juge gardien de l’ordre moral
§23 Examinons tout d’abord Le Masque du démon41, certainement l’un des plus célèbres et fondateurs « film de sorcières »42. Le récit s’ouvre sur une scène de procès. Asa (Barbara Steele) est condamnée par son frère, le Prince Vajda, et soumise à un châtiment cruel : un masque est cloué sur son visage et son corps est mis au bûcher. Elle a été punie pour les « fautes » qu’elle a commises afin de « satisfaire son amour monstrueux pour le serviteur du Démon Igor Javutich ». Ses turpitudes sont donc d’emblée placées sur le terrain de la moralité sexuelle, et renvoient à l’une des composantes de la sorcellerie selon la démonologie, qui consiste en la fornication avec le Diable. Cette pratique était supposée viser tout particulièrement les femmes, plus enclines à succomber à la tentation de la chair43. La dimension sexuelle est encore accentuée par l’érotisation du personnage d’Asa, qui use de la séduction pour accomplir ses sombres desseins44. Le corps supplicié d’Asa n’ayant pu être brûlé à la suite d’un orage « satanique », la sorcière pourra ressusciter deux siècles plus tard et mettre à exécution sa vengeance, en s’en prenant aux descendants de son frère et en tentant de s’approprier le corps de son double, la princesse Katia. Ses plans machiavéliques seront contrecarrés par André, un médecin de passage. Il parviendra à distinguer la maléfique Asa de la pure Katia, grâce au crucifix attaché au cou de la seconde, que la première ne saurait supporter sans souffrir de brûlure. Et dans la séquence finale, l’intervention du pope local, accompagné de villageois armés de fourches et de torches, permet de s’emparer de la sorcière et de la mettre au bûcher sans autre forme de procès, une fois pour toute. L’ordre religieux et patriarcal de la société est ainsi préservé de la sorcellerie et du pouvoir féminin, grâce à l’action des élites masculines – un docteur et un prêtre. La permanence de la menace maléfique est soulignée dans le récit par la résurrection de la sorcière au 19e siècle, soit à un moment où la répression de la sorcellerie est terminée depuis longtemps. Les nécessités d’une remise en ordre de la société peuvent ressurgir à tout moment, ce qui peut exiger l’application de méthodes expéditives, en l’occurrence une exécution extra-judiciaire.
§24 Un second exemple nous est donné par La Nuit des maléfices45, film britannique réalisé en 1971. L’action se situe dans l’Angleterre du 18e siècle. Des événements étranges se produisent dans un petit village, que des habitants attribuent au Diable. Dans un premier temps, le juge du comté n’y prête guère attention et ne veut pas croire à la sorcellerie (« la sorcellerie n’existe plus, elle a été décriée »). Il est toutefois troublé par certains éléments et emporte un traité de démonologie à Londres, où il doit se rendre pour affaires. Pendant ce temps les choses s’aggravent au village. Une secte satanique, menée par une adolescente, Angel Blake, se livrent à des pratiques de sorcellerie, avec orgies sexuelles et sacrifices humains. Alors que les villageois sont en plein désarroi, le juge revient de son voyage, en ayant pris conscience du phénomène et bien décidé à combattre les adorateurs du Diable. A la tête d’un groupe de villageois, équipés une fois encore de fourches et de torches, il se rend au lieu de réunion d’Angel Blake et ses adeptes et, à l’aide d’une immense épée en forme de crucifix, terrasse la sorcière et l’animal monstrueux dans lequel Satan s’est incarné. En l’occurrence, la secte satanique, composée d’adolescents aux mœurs dissolues et conduite par une jeune femme en robe blanche et à la tête sertie d’une couronne de fleurs ne peut qu’évoquer les communautés hippies et la question de la libération sexuelle, en pleine actualité au moment de la production du film46. Le juge s’érige en défenseur de l’ordre traditionnel contre une jeunesse dévoyée. Comme il le proclame, « seule la plus stricte discipline nous sauvera », et pour lutter contre un mal « terrifiant », il est indispensable d’utiliser « des moyens insoupçonnés ». La répression s’opère en usant non de procédures judiciaires, mais des méthodes militaires, le magistrat annonçant qu’il lui revient de « juger qui est innocent », muni d’une épée-crucifix.
§25 Le même type de thématique est développé dans d’autres films, qui placent le récit dans une époque contemporaine, en présentant la résurgence de la sorcellerie et du satanisme comme une menace pour l’ordre moral de la société. Dans La Cité des morts47, une sorcière brûlée en 1692 dans le village de Whitewood au Massachussetts proclame une malédiction sur ses habitants, ressuscite et prend possession de la localité. Près de trois siècles plus tard, un professeur d’université (Christopher Lee) qui enseigne l’histoire de la sorcellerie envoie l’une de ses étudiantes réaliser des recherches à Whitewood, où elle est capturée et sacrifiée par la sorcière et ses adeptes, lors d’une messe noire donnée en l’honneur de Lucifer. Son frère, parti à sa recherche, trouvera de l’aide en la personne d’un vieux révérend, resté au village pour veiller à ce que l’église demeure « la maison de Dieu », et combattre « les sorcières » qui ont noué « un pacte avec le diable » et qui « pratiquent des rituels que méprisent les enseignements de l’Eglise ». Dans la séquence finale, la congrégation de sorcière pourra être vaincue grâce à l’utilisation, sur les bons conseils du révérend, d’une croix, alors qu’un revolver plus traditionnel s’était révélé inefficace.
§26 Une trame similaire est présentée dans Les Vierges de Satan48, qui voit le Duc de Richleau (Christopher Reeve) lutter contre le sorcier Mocata, qui dirige une secte satanique malfaisante. Pour triompher, il emploie une série de procédés liés à la religion : crucifix – décidément très utile – eau bénite, prière ; et l’incendie qui anéantit Mocata et ses fidèles en pleine messe noire révèle une grande croix chrétienne, jusqu’alors masquée par des tentures : Dieu a vaincu Satan49.
§27 Dans le discours démonologique, la sorcellerie était conçue comme une anti-religion, bafouant les préceptes les plus fondamentaux de la société50. Dans cette perspective, le combat contre les sorcières visait à garantir l’orthodoxie religieuse et éviter le développement de pratiques déviantes. C’est à cette tradition que font écho les films que l’on vient d’analyser, qui la remettent au goût du jour dans le contexte des années 1960-1970, afin de traduire le désarroi d’une partie de la société face à la révolution sexuelle et culturelle qui se joue, et exprimer le rejet de la contre-culture, des modes de vie communautaires ou de pratiques païennes en vogue comme l’occultisme.
Le juge gardien de la sécurité publique
§28 La sorcière peut également symboliser une menace pour la sécurité publique, dans une perspective cette fois plus sécuritaire que religieuse ou morale, même si les deux aspects peuvent être parfois entremêlés. La paix du monde civilisé se voit mise en danger par une sorcière surpuissante, agissant pour le compte de Satan, et seule la mise en œuvre de méthodes de défense vigoureuses est susceptible d’apporter le salut.
§29 Un exemple très parlant en est donné par le film Hansel et Gretel, Witch Hunters (2013)51. Le ton est donné dès le générique qui, sous la forme d’anciennes gravures animées, retrace les premiers « exploits » d’Hansel et Gretel, qui pourchassent les sorcières depuis leur plus tendre enfance, en usant de moyens aussi violents que variés (huit sont tuées sur les deux minutes que compte le générique). Adultes, Hansel et Gretel sont devenus des chasseurs de sorcières professionnels, louant leurs services aux autorités publiques. Ils sont engagés par le maire de la ville d’Augsburg pour retrouver des enfants enlevés par la Grande sorcière, qui ourdit un plan pour organiser « le plus grand sabbat jamais vu » devant lui permettre d’acquérir la « puissance éternelle ». Dans l’exercice de leur mission, une fois la distinction faite entre une « femme saine » et une sorcière, tous les moyens sont permis pour éradiquer la sorcellerie. Alors qu’un admirateur (« j’adore ce que vous faites ») leur demande quelle est « la meilleure façon de tuer une sorcière », Hansel et Gretel répondent avec amusement :
- Hansel : « Couper la tête, ça peut marcher. Arracher le cœur. Les écorcher, c’est pas mal ».
- Gretel : « Le mieux c’est de les brûler. Comme ça on est sûr ».
- Hansel : « Brûlons-les toutes ».
Lorsqu’une sorcière est ensuite capturée, elle est torturée pour obtenir des informations sur les enfants kidnappés (« Réponds à nos questions, ça t’évitera la soirée la plus douloureuse de ta vie » ; « c’est buté une sorcière »), puis, alors que l’interrogatoire se révèle infructueux, Hansel lance : « Brûlons-là. On perd notre temps ». Après diverses péripéties, la Grande sorcière est vaincue et décapitée. Nos héros, poursuivent alors leur tâche de chasseurs de sorcières. Un épilogue les montre chemin faisant, conduisant un chariot rempli de cadavres, en route vers le prochain antre de sorcières, avec cette dernière tirade d’Hansel :
« Adeptes de la magie noire, gare à vous. On est à vos trousses. Où que vous soyez on vous trouvera. Mortes ou vives, on vous aura. Je vote pour… “mortes” ».
Face à leur essence maléfique et leurs pouvoirs surnaturels, aucune méthode judiciaire ordinaire ne saurait avoir cours, ce qui explique que seuls des moyens exceptionnels et expéditifs soient employés, dans un déchaînement de violence que le caractère parodique et graphique du film entend rendre récréatif. En jouant sur les anachronismes (l’univers du récit semble se situer aux alentours du 18e siècle, tandis que les armes évoquent plutôt le western – revolver, mitrailleuse – et la tenue d’Hansel paraît sortir de Mad Max), le film invite à généraliser le discours de la lutte contre la menace absolue, et il est difficile de ne pas songer à la « guerre contre le terrorisme » et à l’utilisation faite dans ce cadre, en particulier par les Etats-Unis, de politiques de torture et d’exécutions extra-judiciaires.
§30 Le même genre de message est délivré par Le Dernier chasseur de sorcières52. Kaulder (Vin Diesel) est un « chasseur » qui a acquis l’immortalité il y a 800 ans, lorsqu’il a vaincu la « Reine sorcière », responsable des épidémies de peste. Aujourd’hui, il travaille pour le compte de « la Hache & la Croix », une institution qui est chargée d’assurer la paix entre humains et sorcières, ces dernières étant acceptées pour autant qu’elles respectent la règle de l’interdiction de l’utilisation de la magie contre les individus. Kaulder est contraint d’intervenir lorsque Dolan 36, le prêtre auquel il est associé, est victime d’un maléfice. Rapidement arrêté, le coupable est jugé par « le Conseil » et condamné à l’incarcération à vie dans « la basse-fosse », en dépit des protestations de Kaulder qui soupçonne un plus vaste complot et souhaiterait procéder à un interrogatoire plus poussé. De fait, sans grande surprise, il s’agit bien d’une conspiration tramée par les adeptes de la Reine sorcière en vue de la ressusciter. Ce sinistre dessein se précisant, Kaulder explique à Dolan 36 – entretemps libéré de son enchantement – ce qui se trame :
- Kaulder : « Je sais ce qui nous attend. La mort. La Reine va de nouveau répandre la peste ».
- Dolan 36 : « Les sorcières dotées de ce pouvoir n’ont-elles pas été tuées ? »
- Kaulder : « On ne tue plus les sorcières, on les enferme. On a capturé les pires jamais connues pour les regrouper au même endroit. La Prison des sorcières. Et elles attendent d’être libérées pour pouvoir se venger. On a créé un nid de vipères. Maintenant tout est à refaire ».
Dès lors, armé de son épée « faucheuse de sorcières », Kaulder devra se rendre à la Prison et, après un âpre combat, mettre définitivement la Reine et ses disciples hors d’état de nuire. On le comprend, les menaces qui pèsent sur le monde moderne sont liées au fait que Kaulder n’est plus autorisé à tuer les sorcières, mais est contraint de les faire juger par le Conseil en vue de procéder à leur simple incarcération. Le système judiciaire apparaît comme un frein à la sécurité (tous les membres du Conseil sont tués par la Reine sorcière, incapables de préserver l’inviolabilité de la Prison), et c’est, à nouveau, la force des armes qui permet de sauver l’humanité53.
§31 On trouve un dernier exemple significatif dans Season of the Witch (2011)54, qui dépeint à nouveau une sorcellerie diabolique qui doit être combattue par la combinaison de la foi religieuse et de la répression la plus sévère. En prologue, nous assistons à l’exécution de trois sorcières, qui clament pourtant leur innocence. Elles sont pendues et plongées dans une rivière, mais le prêtre qui assiste à l’exécution demande qu’elles soient sorties de l’eau afin de « dire les mots du Livre de Salomon pour les empêcher de renaître ». Les gardes estiment que c’est superflu, ce qui pousse le prêtre à revenir pendant la nuit, pour récupérer les corps. Mais l’une des trois sorcières ressuscite, tue le prêtre et détruit le livre sacré. Un siècle plus tard, Behmen (Nicholas Cage), un chevalier revenant des croisades complètement désabusé, est chargé de conduire une jeune fille soupçonnée de sorcellerie à l’abbaye de Severac, où les moines possèdent la dernière copie du livre des rituels qui permettront d’annihiler les pouvoirs de la sorcière. Behmen met comme condition à l’acceptation de sa mission le fait que la femme puisse bénéficier d’un procès en bonne et due forme. Durant le voyage, au cours d’une discussion avec la prisonnière qui évoque le fait qu’une fille de son village a été déclarée sorcière et brûlée au terme de l’épreuve de l’eau, Behmen lui promet qu’elle « aura un procès équitable ». Mais la jeune femme s’avère être possédée par Satan lui-même, ce qui rendra futile toute procédure judiciaire, seul le livre sacré étant efficace pour lutter contre le Malin. Alors que, secondé d’un prêtre, Behmen s’apprête à accomplir le rituel d’anéantissement des forces du Mal, la sorcière lui lance : « Alors, c’est ça ton procès équitable ? ». Et Behmen de rétorquer : « Tu as scellé ton propre destin ». Au final, Satan ne sera vaincu que par le recours aux armes et aux écritures saintes. Une des analyses proposées du film consiste à y voir une allégorie de la lutte contre le terrorisme : malgré les doutes qu’a pu faire naître la Guerre en Irak (ici comparée aux Croisades), la lutte contre le terrorisme doit se poursuivre avec foi et détermination, dans un combat impitoyable du Bien contre le Mal55.
§32 Il ressort de l’ensemble de ces films le tableau d’une société dominante mise en danger par une subversion symbolisée par la figure de la sorcière. Le danger est providentiellement écarté par l’intervention d’un « juge-justicier », toujours un personnage d’homme blanc56, qui peut et doit utiliser les moyens les plus violents pour mettre la sorcière hors d’état de nuire, sans qu’il soit nécessaire d’en passer par un procès et des formes légales. Ce type de récit s’inscrit pleinement dans la catégorie des films « contre-subversifs », qui vise à présenter la société en proie à une altérité menaçante, incarnant un mal absolu57, dans l’optique de légitimation de l’idéologie dominante et de justification de l’utilisation de mesures radicales de protection. C’est ce que le politologue Michael Rogin appelle le « discours politique démonologique », qui consiste à « diviser le monde en deux, en attribuant des pouvoirs magiques à une conspiration maléfique »58, ce qui permet de justifier l’emploi à son encontre des moyens utilisés par l’ennemi. Ce type de discours se traduit notamment, selon lui, dans la représentation cinématographique59. A cet égard, la figure maléfique peut prendre les traits de l’extra-terrestre60, du terroriste musulman61, ou, comme ici, ceux de la sorcière, qui met en cause l’équilibre de la société patriarcale en cherchant à dominer le monde. De la même manière que les aliens des années 1950 évoquaient le spectre du communisme, la sorcière est susceptible de générer de multiples métaphores en lien avec le monde contemporain : féminisme radical, libération sexuelle, athéisme, terrorisme… Autant de menaces contre lesquelles le respect d’une « stricte discipline » serait nécessaire…
Les films de sorcières est encore susceptible d’être porteurs de débats sur une troisième thématique, celle du statut des femmes.
Le statut des femmes et la question du féminisme
§33 La répression de la sorcellerie a, selon les estimations disponibles, visé très majoritairement les femmes. Celles-ci étaient perçues comme étant prédisposées à céder à la tentation du Diable, en raison de la faiblesse supposée de leur chair et de leur volonté. Divers préjugés sexistes ont ainsi été mis en avant dans le discours démonologique pour caractériser le crime de sorcellerie62. Naît ainsi l’archétype de la sorcière : une femme, plus âgée, marginale, maîtrisant la science des plantes, à la sexualité débridée. Au départ de ces éléments, il n’est guère étonnant que la thématique de la chasse aux sorcières soit devenue l’objet de discours relatifs au statut des femmes dans la société. Divers courants féministes se sont penchés sur ce phénomène historique pour en faire un cas emblématique de domination patriarcale, toujours d’actualité63. Dans cette perspective, l’accent a été mis sur le besoin de développer une analyse historique de la répression de la sorcellerie qui intègre les questions de genre64. Par ailleurs, on a également assisté à la réappropriation de la figure de la sorcière de manière positive65, à des fins de revendication symbolique et d’« empowerment », en s’inspirant notamment des travaux de Jules Michelet qui avait dressé le portrait de la sorcière comme une rebelle se levant contre l’ordre établi66.
Au cinéma, on constate que l’évocation de la sorcellerie est ainsi régulièrement utilisée comme support à l’expression de discours féministes, le juge jouant le rôle d’outil d’oppression masculine. On trouve toutefois également d’autres films qui, persistant dans la logique du discours démonologique, véhiculent l’idée de la femme/sorcière menaçante, le juge étant présenté comme le garant de la préservation de l’ordre masculin.
Le juge patriarcal, oppresseur des femmes
§34 Une série de films s’attachent tout particulièrement à mettre l’accent sur la dimension genrée de la répression des sorcières, au-delà de ses caractéristiques générales d’arbitraire et d’obscurantisme. Il s’agit de souligner que cette répression a visé principalement les femmes comme telles par un pouvoir incarné par les hommes et qu’elle symbolise toujours des formes analogues de domination patriarcale contemporaine. La sorcière peut également devenir, par la grâce de la fiction, le personnage qui, par ses pouvoirs, entreprend de combattre la société dominante et rend justice aux femmes victimes de la violence masculine.
La sorcière, femme victime de l’oppression masculine
§35 En guise de préambule, il est important de souligner que tout film dénonçant le caractère inique de la chasse aux sorcières ne s’inscrit pas pour autant dans une perspective féministe, même entendue de manière assez large. Certains films s’emparent de cette thématique pour montrer de façon assez complaisante des scènes de viols, de nudité ou de cruauté envers les femmes, dans une logique de cinéma d’exploitation67. D’autres persistent à mettre l’accent sur les personnages masculins, à l’instar des adaptations68 de The Crucible69, la pièce d’Arthur Miller inspirée des procès de Salem, dans lequel le personnage principal, John Proctor, est autant victime du système judiciaire que des femmes (son épouse frigide, sa maîtresse qui l’accuse par vengeance), qui précipiteront son sacrifice héroïque.
§36 Une série d’autres films peut être considérée comme exprimant un authentique point de vue féministe, en présentant la chasse aux sorcières comme métaphore du sexisme et de la violence patriarcale envers les femmes. Dès 1943, Carl Theodor Dreyer signe avec Jour de colère70 un film où la femme/sorcière constitue le symbole de la victime de la société conservatrice, qui ne supporte pas que ses fondements soient mis en cause71. Anna est mariée à Absalon, un pasteur âgé obsédé par le péché, sous le regard désapprobateur de sa belle-mère Merete. Voulant sortir de ce carcan, elle tombe amoureuse du fils d’Absalon (Martin) et projette de s’enfuir avec lui. Elle apprend à l’occasion d’une procédure en sorcellerie menée par son mari que sa mère a été autrefois considérée comme une sorcière. Imaginant qu’elle a peut-être hérité de ses pouvoirs, elle invoque un sort destiné à provoquer la mort d’Absalon, ce qui finit par advenir. Martin, par culpabilité envers son père, ne veut plus partir avec elle. Lors des funérailles d’Absalon, Merete et Martin accusent Anna d’être une sorcière, ce qui scelle immanquablement son destin. Sa soif de liberté se heurte à une société oppressive envers les femmes.
§37 La nature patriarcale de la répression de la sorcellerie est également mise en exergue par Le Marteau des sorcières, déjà évoqué, dont la scène d’ouverture montre le visage d’un moine psalmoniant une doctrine sexiste, alternant avec les images de femmes se prélassant avec insouciance dans des bains qui leurs sont réservés :
« Par la femme, le péché est entré dans le monde. La femme est le péché. Le ventre de la femme est la porte vers l’enfer. Le désir charnel est la source du mal, insatiable chez la femme. L’étreinte de la femme est comme le piège du chasseur. La femme pratique sa malice avec le diable, qui apparaît sous la forme d’un homme ».
Cette insouciance laissera rapidement la place à la terreur, avec l’irruption du pouvoir masculin incarné par un juge sévère, engagé par la ville pour mettre fin à des pratiques superstitieuses. Les corps féminins seront suppliciés, soumis à la torture et à la recherche de la « marque du diable », avant d’être livrés aux bûchers. A la scène des bains féminins succède, après une première vague d’exécutions, celle d’un banquet exclusivement masculin présidé par le juge, qui se répand en blagues grivoises et promet de poursuivre la répression. Cette opposition entre les univers masculins et féminins72, renvoie à une dichotomie entre espace privé, le seul où les femmes parviennent à s’épanouir, entre elles, et espace public, dominé par les hommes et lieu d’une justice sexiste et oppressive.
§38 Cette impossibilité des femmes de vivre au grand jour à l’abri de la vindicte masculine est également le sujet du film Quand nous étions sorcières73 Dans la scène inaugurale, deux sœurs, Katla (Bryndis Petra Bragadóttir) et Margit (Björk), sont contraintes de s’exiler par crainte d’être poursuivie pour sorcellerie. La première avertit la seconde :
- Katla : « Je veux te montrer quelque chose [désignant le corps d’une femme flottant sur une rivière, les mains attachées dans le dos]. Ils l’ont lapidée et livrée aux corbeaux ».
- Margit : « Qui était-elle ? »
- Katla : « Je ne sais pas. Mais on ne s’est pas assez éloignées de la maison ».
- Margit : « Ils ont lapidé notre mère ? »
- Katla : « Avant de la brûler. On ira là où personne ne nous connaît. Je trouverai un endroit sûr où rester ».
- Margit : « Qui va nous recueillir ? »
- Katla : « Je jetterai un sort pour trouver un mari. Il entendra ma voix et ne me quittera plus jamais ».
La seule manière de survivre pour des femmes dotées de pouvoirs (magiques) est de les cacher et se placer sous la protection d’un homme. Mais ces pouvoirs agissent comme une malédiction et le conte se terminera de manière dramatique, indiquant que la puissance des femmes est encore considérée comme intolérable dans un monde d’hommes.
§39 Lorsque la science singulière d’une femme – en l’occurrence celle des plantes – est acceptée au sein de sa communauté, ce sont les autorités supérieures qui vont s’évertuer à en empêcher l’exercice en l’assimilant à de la sorcellerie et de l’hérésie, passibles de la peine de mort. Dans Le Moine et la sorcière, Elda (Christine Boisson) est une « femme de la forêt » jouant le rôle de guérisseuse dans une petite paroisse, sous l’œil bienveillant du prêtre local (Jean Carmet) qui s’accommode sans mal du mélange entre religion et pratiques traditionnelles74. Arrive sur les lieux Etienne de Bourbon (Tchéky Karyo), un moine-inquisiteur envoyé par l’Église pour traquer les croyances hérétiques. Au terme de son investigation, il parvient à la conclusion qu’Elda est une sorcière et qu’elle doit être livrée à la justice du Comte local, pour être exécutée. Ce film constitue une traduction directe de certaines approches féministes de l’histoire des chasses aux sorcières, en particulier l’ouvrage classique Sorcières, sages-femmes et infirmières (1973) de Barbara Ehrenreich et Deirdre English, qui les interprète comme participant à une entreprise d’éradication des femmes-guérisseuses, afin de réserver l’usage de la médecine aux hommes75. Le film évoque également les violences sexuelles dont les femmes sont victime de manière systémique, à travers le témoignage d’Elda, interrogé par Etienne de Bourbon :
- Etienne de Bourbon : « Quand t’es-tu pour la première fois laissée entraîner par Satan ? As-tu jamais eu des relations charnelles avec le Diable ? Le Diable t’a-t-il jamais prise ? »
- Elda : « Je vais vous dire quand le Diable m’a prise. A 16 ans, on m’a fiancée à un jeune paysan. Avant notre mariage, les terres sont passées aux mains d’un nouveau seigneur. Il était cruel et ignorait nos coutumes. Durant la nuit de nos noces, ses gardes sont venus me chercher et m’ont amené de force jusqu’à lui. J’ai pleuré, j’ai supplié. Il m’a souillé. Il disait qu’il exerçait son droit de cuissage. Mon fiancé tua le seigneur de ses mains puis ses gardes l’ont poignardé. Quelques mois plus tard, j’ai su que je portais un enfant. Je ne pouvais plus espérer faire un mariage chrétien. Ma mère m’amena jusqu’ici, à plusieurs jours de marche de notre village pour que je vive avec la vieille femme de la forêt. Mon enfant est mort en venant au monde.
- Etienne de Bourbon : « C’est ce qu’a fait ce seigneur qui t’a obligé à devenir une femme de la forêt ? »
- Elda : « Oui. Mais la vielle femme de la forêt m’a donné un nouveau nom et m’a enseigné l’art de guérir. Je pense que Dieu me destinait à cela. Etienne de Bourbon, vous êtes la seule personne à me croire sous l’emprise du démon. Et vous devrez répondre de cela devant Dieu ».
Immédiatement après, le moine est confronté à son propre passé lorsque Siméon, un serviteur de son père, lui révèle qu’il sait qu’il a violé une jeune fille lorsqu’il était adolescent, ce qui l’a amené à renoncer à la noblesse et embrasser la vocation ecclésiastique pour échapper à la loi séculière. Rongé par la culpabilité, Etienne s’en ouvre au prêtre et décide de réviser son jugement à l’égard d’Elda.
§40 Avec le développement du mouvement #MeToo (2017), une série de productions sont revenus sur cette thématique76, comme Les Sorcières d’Akelarre77 qui met en scène les procès qu’a mené le juge Pierre de Lancre dans le Pays basque en 160978. Le juge apparaît obsédé par le « sabbat des sorcières », dont il espère percer le secret, et effrayé par la liberté des femmes, dans un village de pêcheurs déserté la moitié de l’année par les hommes. Il déclare ainsi :
« Rien n’est plus dangereux qu’une femme qui danse. Mais les danses les plus macabres, les plus obscènes, sont celles célébrées dans les bois, car elles sont secrètes, car elles ne sont connues que de Lucifer et ses servantes, car ce sont les seules à célébrer les rituels du sabbat. Si on ne les arrête pas à temps, ces sorcières perverses inverseront l’ordre de l’univers. »
Les poursuites en sorcellerie apparaissent donc comme le moyen de la préservation de l’ordre patriarcal, qui entend conserver le contrôle du corps des femmes. Les femmes accusées vont ruser pour tenter de gagner du temps, endurant les tortures, inventant des histoires, en espérant le retour des hommes partis pêcher. Prétextant une reconstitution du sabbat, elles parviennent à s’échapper, avant de se précipiter du haut de la falaise, dans un acte ultime d’affirmation de liberté.
Dans les films évoqués ici, et d’autres79, le récit en reste à un constat amer d’une justice impitoyable exerçant une persécution des femmes, dans la perspective de rappeler cette histoire quelque peu oubliée et de la rapprocher des phénomènes actuels d’inégalités et de violences patriarcales. D’autres films vont dépasser ce cadre pour ériger la sorcière en figure de résistante, s’en prenant activement à la domination masculine.
La sorcière, rebelle justicière
§41 La chasse aux sorcières constituait un processus judiciaire qui ne laissait guère d’espoirs aux personnes accusées, prises dans des procédures laissant peu de chances à la démonstration de l’innocence. Plusieurs films utilisent la liberté de la fiction pour faire de la sorcière une rebelle dont les pouvoirs ou la volonté vont permettre de s’opposer à la domination masculine et offrir une justice alternative.
§42 L’un des films les plus remarquables à cet égard est La Sorcière sanglante, réalisé en 196480, qui prolonge le célèbre Masque du démon, évoqué plus haut, mais en en prenant le total contrepied symbolique81. Une femme est condamnée comme sorcière et exécutée par les autorités, pour avoir prétendument empoisonné le comte Franz. Dans le même temps, Helen (Barbara Steele), sa fille aînée, est assassinée par le frère du comte qui a abusé d’elle, et son autre fille, Elizabeth, est emprisonnée au château et contrainte d’épouser Kurt, le neveu du comte, qui en est le véritable assassin. Mais Helen va renaître de ses cendres par l’intervention magique de sa défunte mère sorcière. Avec l’aide de sa sœur et d’une servante du château, elle se venge de leurs tortionnaires : le frère du comte succombe à une crise cardiaque en la voyant réapparaître et Kurt, qui en tombe amoureux, va finir enfermé, par une série de manigances, dans un mannequin de paille, qui sera brûlé lors d’une fête villageoise : « L’heure du châtiment a sonné pour toi Kurt. Tu vas payer tes actes ignobles » lui annonce le fantôme d’Helen. Par un effet d’inversion, les femmes prennent le pouvoir et administre une justice alternative à celle, oppressive, des hommes.
§43 On trouve une idée très similaire de « vengeance de la sorcière », transposée dans un monde contemporain, dans La Fiancée du pirate de Nelly Kaplan82. La réalisatrice le proclame elle-même : « Je vais raconter l’histoire d’une sorcière des temps modernes qui brûlent les inquisiteurs au lieu de se laisser brûler »83. Marie (Bernadette Lafont) vit dans une cabane isolée, à la lisière de la forêt. Sa mère est tuée, renversée par un chauffard, sans que personne ne s’en préoccupe. Son animal de compagnie, un bouc noir, est également retrouvé mort. Elle entreprend alors de se venger des notables de la ville, en se livrant à la prostitution, ce qui lui permet d’accumuler de l’argent et de se munir de moyens de chantage, en retournant le rapport de forces. Elle finit par faire éclater au grand jour toutes les bassesses et hypocrisies des élites du village, qu’elle quitte en pleine liberté, après avoir incendié sa cabane et tous les objets de consommation qu’elle y a accumulé. Dans la scène de la mise à feu de la cabane, son visage est symboliquement montré derrière les flammes, à l’instar de ce que l’on voit dans nombre de scènes d’exécution de sorcières. Mais cette fois, elle n’est pas la victime mais celle qui décide de son sort, et le feu se révèle libérateur.
§44 Autre film remarquable à mettre en scène le retournement victime/bourreau dans une perspective féministe, Devonsville Terror84 raconte le rejet dont font l’objet trois femmes venues s’installer dans une petite ville de Nouvelle-Angleterre pour y poursuivre leur carrière. Monica est l’animatrice d’une émission de radio promouvant l’émancipation féminine, Chris est une scientifique environnementaliste et Jenny est une institutrice aux méthodes modernes. Plusieurs hommes de la communauté, à l’esprit conservateur, les accueillent avec hostilité. Ils croient qu’elles sont la réincarnation de trois sorcières, exécutées par leurs propres ancêtres au 17e siècle. Trois d’entre eux mènent une expédition au cours de laquelle ils tuent Monica et Chris. Jenny est capturée et mise au bûcher, mais elle se voit subitement dotée de pouvoirs magiques et met ses assaillants hors d’état de nuire. Les sorcières d’hier sont les féministes d’aujourd’hui et elles se révoltent contre l’oppression masculine en étant capables d’inverser le cours de l’injustice85.
§45 La figure de la sorcière rebelle a connu un regain d’actualité ces dernières années avec la vague #MeToo, notamment sous l’influence de l’ouvrage de Mona Chollet Sorcières. La puissance invaincue des femmes86 et c’est logiquement que certaines productions récentes s’en sont à nouveau emparées pour traiter de thématiques liées aux violences sexistes87. Un exemple significatif en est la série Netflix Les nouvelles aventures de Sabrina88 diffusée à partir de 2018, reboot d’une série des années 9089, elle-même inspirée d’un comics publié dans les années 6090. Sabrina est une adolescente qui vit entre l’univers des simples mortels et celui de l’Église de la Nuit, confrérie de sorciers et sorcières. Il n’est pas possible de rendre compte ici des nombreuses péripéties qui émailleront les deux saisons de la série, et qui conduiront Sabrina à contester le pouvoir masculin à la tête de l’Église. On soulignera que les questions de genre y sont tout particulièrement évoquées et l’on mentionnera en particulier une séquence faisant référence aux questionnements soulevés par l’incapacité de la justice à traiter adéquatement des faits d’agressions sexuelles envers les femmes. Dans le collège où Sabrina étudie, Susie/Théo, un garçon transgenre, se fait harceler et agresser sexuellement par une bande de garçons, membres de l’équipe de football. Sabrina va immédiatement s’en plaindre auprès du proviseur :
- Sabrina : « Quatre joueurs de football américain préhistoriques ont fait ça. Ils ont soulevé sa chemise, proviseur Hawthorne, parce qu’ils voulaient voir si elle avait des seins. Pour voir si c’est une fille ou un garçon ».
- Le proviseur : « Mlle Spellman, si vous me donnez leurs noms, je leur demanderai de s’expliquer ».
- Sabrina : « Susie a refusé de parler. Mais je peux deviner. Ou vous pouvez appeler tous les joueurs et les interroger ».
- Le proviseur : « Vous suggérez une “chasse aux sorcières” ? »
- Sabrina : « Appelez ça comme vous voulez. Susie ne se sent pas en sécurité ici, dans votre école. Elle a en permanence la peur au ventre ».
- Le proviseur : « Si c’est vrai, vous, en tant qu’amie, pourriez suggérer à Mlle Putnam…de changer d’école. »
Sabrina se rend alors compte que le mal est profond et propose à ses amies de fonder un club pour les jeunes femmes afin de « se soutenir et trouver des solutions préventives ». « Tu veux dire un club pour renverser le patriarcat blanc ? » lui lance sa copine noire Rosalind. « Exactement, pour se mobiliser et manifester si nécessaire, se battre et se défendre ». Avec un soupçon de magie, le club est finalement fondé et enregistré par l’école et dénommé « WICCA » : les « Walkyries Intersectionnelles et Créativement Associées ». Ce nom est une référence directe au mouvement écoféministe et néopaïen mené par Starhawk, qui se revendique elle-même comme sorcière91. Face aux défaillances des enquêtes concernant les abus dont les femmes sont victimes – enquêtes même qualifiées de « chasse aux sorcières » dans un procédé d’inversion sur lequel nous reviendrons – la réponse doit être collective, emprunte de sororité et placée sous le signe de la sorcière (tant Susie/Théo que Rosalind se révéleront par la suite être également dotées de pouvoirs magiques), source d’ « empouvoirement ». C’est à nouveau un mode alternatif de justice qui est suggéré, cette fois dans le contexte des réflexions post #MeToo.
La vision féministe de la sorcière n’est toutefois pas partagée par tout le monde et il demeure des expressions fictionnelles de sexisme et d’antiféminisme qui prennent appui sur l’histoire de la répression de la sorcellerie.
La sorcière, menace contre l’ordre masculin
§46 Comme nous l’avons déjà constaté, un grand nombre de productions évoquant la chasse aux sorcières s’inscrivent dans le récit démonologique et présente la femme/sorcière comme un péril pour la société, d’ordre moral ou sécuritaire. Une telle vision des choses présente une dimension indiscutablement sexiste, par son association femme/maléfique/menace. Ce que nous allons analyser ici vise un propos plus singulier, prenant spécifiquement position sur la place à accorder aux femmes dans la société ou rejetant la pertinence des discours féministes. Nous nous limiterons à l’étude de trois cas92, de nature et portée diverses.
§47 Le premier est une aimable comédie de l’âge d’or de Hollywood, Ma femme est une sorcière (1942)93. Le récit débute « il y a très longtemps » sur la vision d’un bûcher encore fumant, clôturant une cérémonie d’exécution d’une sorcière et de son père devant les autorités de la ville puritaine de Roxford, en Nouvelle-Angleterre. Dans l’assistance, Jonathan Wooley, l’accusateur, évoque avec sa mère la relation qu’il a eue avec Jennifer (Veronica Lake), alors qu’il était par ailleurs fiancé : « Elle était jeune et plus jolie que toute autre. Sa beauté dépassait toute description ». Avant d’être jugée, la sorcière a prononcé une malédiction : Wooley et ses descendants seront toujours malheureux en amour. On retrouve, près de 300 ans plus tard, Wallace Wooley (Frederic March) qui est fiancé et se lance dans une campagne électorale pour le poste de gouverneur. C’est à ce moment que Jennifer et son père ressuscitent pour venir tourmenter le dernier descendant en date des Wooley et faire capoter son mariage. Jennifer projette de rendre Wallace amoureux d’elle grâce à un philtre d’amour, mais à la suite d’une erreur de manipulation, c’est l’inverse qui se produit. Cette situation crée une série d’épisodes rocambolesques à l’issue desquels Wallace rompt ses fiançailles, remporte l’élection grâce à la magie de Jennifer et épouse cette dernière. Précisément, ce mariage a pour effet de faire perdre à Jennifer sa qualité de sorcière (« l’amour est plus fort que la sorcellerie »), ce qui se traduit par la perte de ses pouvoirs et le changement de son apparence. Comme sorcière, elle apparaît très séductrice, nue sous un manteau de fourrure, les cheveux blonds lâchés, dans la tradition de la femme fatale. En tant qu’épouse, elle n’aspire plus qu’à être « une bonne ménagère » et une « fille ordinaire », et dans la scène finale elle apparaît dans un fauteuil en train de faire du tricot, au côté de son mari et ses trois enfants, les cheveux attachés, s’inquiétant de ce que sa fille, qui joue avec un balai, puisse devenir une sorcière… Le message du film est assez limpide, la sorcière est la part « sauvage » que la femme doit abandonner pour accéder à une vie respectable. Le mariage remplit aujourd’hui la fonction autrefois remplie par les procès en sorcellerie : domestiquer la femme, l’assagir, la faire rentrer dans le rang, lui faire abandonner ses « pouvoirs »94.
§48 Le second est un véritable cas d’école, puisqu’il est construit intégralement comme une réponse masculine au discours féministe, dénonçant le risque que celui-ci fait peser sur l’ordre existant qui, s’il est loin d’être parfait, est en tout cas préférable à l’avènement d’un matriarcat. Les Sorcières de Zugarramurdi (Alex de la Iglesia, 2013) joue pleinement sur une inversion déjà évoquée ci-dessus : ce sont les femmes-sorcières qui sont les véritables persécutrices, les inquisitrices, et les hommes en sont les impuissantes victimes. José est un père divorcé qui lutte pour conserver la garde de son fils, Sergio. Confronté à des problèmes d’argent, il commet un braquage qui tourne mal et s’enfuit en compagnie d’un complice et de son fils, en prenant en otage un chauffeur de taxi. Durant l’escapade, les trois hommes échangent leurs sentiments à l’égard des femmes, arrivant à la conclusion qu’elles sont à la source de leurs malheurs : « Elles sont maudites, elles sont diaboliques », « Les femmes aussi ont détruit ma vie », « Les nanas me rendent dingue », « Je tombe que sur des folles »… Le film va s’attacher à valider ce discours, en confrontant nos héros à un cercle de sorcières maléfiques, sévissant dans un petit village basque où s’est autrefois déroulée une répression de sorcellerie.
Nos trois compères sont rapidement séquestrés et subissent les pires cruautés. Les sorcières s’emparent du fils de José pour procéder à un rituel magique qui leur permettrait d’assoir leur domination sur les hommes. Lors d’une messe noire, la grande sorcière Graciana (Carmen Maura) prononce un discours annonçant le règne de la Déesse-mère :
« Les hommes nous craignent car nous savons la vérité. Dieu est une femme et cela leur est insupportable ! Il n’y a qu’une seule vérité : une déesse omnipotente, mère cruelle, fille impitoyable et esprit pur ! Ils ont extirpé nos instincts, sali de culpabilité nos âmes et craché sur notre sexe. L’heure de la vengeance a sonné. Elle va revenir et la justice vaincra ! Justice ! »
Dans le même temps, le complice de José et deux policiers partis à sa recherche sont placés sur un bûcher, les bras en croix. Le rituel du sacrifice va pouvoir se dérouler. Une monstrueuse et énorme Déesse-mère95 arrive, engloutit et régurgite Sergio. Graciana proclame : « Voici l’Élu, le fruit du ventre de notre Mère. L’androgyne. L’homme qui trahira l’homme. Le vengeur, notre cheval de Troie. »
Avec l’aide d’Eva (Carolina Bang), une jeune et jolie sorcière repentie, José réussira à empêcher Graciana et la déesse-mère de « détruire la civilisation occidentale ». La dernière séquence se situe un mois après les événements de Zugarramurdi. On aperçoit José en compagnie d’Eva – qui est passée d’un look « cyberpunk » à celui d’une épouse BCBG – assistant au spectacle scolaire de son fils dont il a manifestement récupéré la garde. Mais au fond des gradins, se trouvent trois sorcières dont Graciana et l’ex-femme de José, prêtes à sévir à nouveau…
§49 Le film accumule les clichés sexistes et antiféministes, avec comme métaphore la femme-sorcière castratrice, qui cherche à imposer un monde asservissant l’homme, le privant de sa masculinité (l’ère de l’androgyne) et pratiquant une forme de justice expéditive, qui n’a rien à envier à la chasse aux sorcières d’antan. De la répression des sorcières telle qu’elle s’est réellement déroulée dans le village basque de Zugarramurdi en 160996, Alex de la Iglesia en retient paradoxalement l’idée que les revendications des femmes pour l’égalité97 est une menace pour la situation des hommes98, rejoignant en cela le discours démonologique qui percevait l’autonomisation féminine comme un péril grave99. Cette dialectique est devenue courante dans le contexte post #MeToo et les débats qu’il a suscités, en particulier dans le domaine de la justice. Interrogé par Paris Match sur ce qu’il pense du « néo-féminisme », le réalisateur Roman Polanski, accusé de viols par de nombreuses femmes100, répond :
« Si on peut condamner quelqu’un juste avec un Tweet, c’est pire que le maccarthysme, où il y avait au moins une commission d’enquête ! On l’appelait “chasse aux sorcières”, mais même les sorcières au Moyen-Âge avaient droit à un procès – expéditif, mais un procès. Aujourd’hui, on ruine des réputations, des carrières et des vies en quelques mots. Dans le lot, combien d’innocents ? Il y a certainement des accusations justes, mais on ne cherche plus à distinguer le vrai du faux. C’est effrayant »101.
Le réalisateur autrichien Michael Haneke abonde dans le même sens :
« Cette manière de faire détruit les vies de personnes dont les crimes n'ont pas été prouvés. Ce nouveau puritanisme anti-hommes qui arrive à la suite du mouvement #MeToo m'inquiète beaucoup et les hommes devraient à peine toucher ce sujet. Cela n'a rien à voir avec le fait que chaque acte sexuel ou agression - sur les hommes et sur les femmes d'ailleurs - doit être condamné et puni. C'est une chasse aux sorcières qui devrait rester au Moyen-Âge »102.
Et l’une des formules favorites de Donald Trump lorsqu’il répond à des accusations diverses est « Total Witch Hunt ! »103. La symbolique de la persécution des sorcières comme violences sexistes est ainsi totalement vidée de son sens historique pour être retournée à l’encontre des revendications féministes.
§50 Ceci nous amène à l’examen de notre dernier cas, qui nous permet de mettre en évidence la persistance d’une vision maléfique de la sorcière, en dépit du fait qu’elle soit devenue symbole du mouvement #MeToo. En 2020, sort une nouvelle adaptation cinématographique du roman pour enfants de Roald Dahl Sacrées sorcières104, après celle réalisée en 1990105. Une congrégation de sorcières monstrueuses se réunissent dans un hôtel pour tenir leur réunion annuelle et en profitent pour chasser Charlie, Daisy et Bruno, trois enfants qui s’y trouvent, en les transformant en souris. A force d’ingéniosité, les enfants parviennent eux-mêmes à leur faire ingurgiter la potion « sourifiante » et à les éliminer, y compris la Grande Sorcière (Anne Hattaway). Enfermés à jamais dans un corps de souris, les trois enfants n’en poursuivent pas moins leur mission : éradiquer les sorcières de la surface de la terre. Avec la grand-mère de Charlie, ils sillonnent les Etats-Unis dans une caravane baptisée « Witch Hunters », avec une marque pour chaque sorcière tuée. La scène finale montre Charlie lors d’une séance de recrutement d’enfants, leur donnant les instructions pour leur prochaine opération :
- Charlie : « Nous voici prêts à continuer le combat ! »
- Les enfants : « Continuons le combat ! »
- Charlie : « Au fil des années, nous avons sourifié toutes les maudites sorcières des Etats-Unis. Nous voici rassemblées pour étendre la lutte au monde entier ! Vous avez les noms ? »
- Les enfants : « Oui, chef ! »
- Charlie : « Vous avez les adresses ? »
- Les enfants : « Oui, chef ! »
- Charlie : « Et votre potion 86 sourifiante ? »
- Les enfants : « Oui, chef ! Potion 86 sourifiante, chef ! »
- Charlie : « Allons-y et montrons à ces sorcières de quelle potion on se chauffe ». [Sont alors projetées des dias montrant une sorcière avalant la potion, se transformant en rat et mourant dans un piège à rat].
Au-delà du caractère enfantin du conte, qui inciterait à une interprétation inoffensive de l’intrigue, on ne peut manquer de relever un certain malaise se dégageant de la fin du film, spécialement considérée dans le contexte actuel, final qui semble faire abstraction totale de la symbolique attachée à la figure de la sorcière et de sa persécution106. Le film prône une destruction totale des sorcières, grâce à un carnet d’adresses mondial dérobé à la Grande Sorcière, avec une systématicité encore plus radicale que ce qu’a pu recouvrir l’ampleur de la chasse aux sorcières dans l’Histoire. Cela montre en tout cas que l’image de l’icône féministe107 ne s’est pas imposée de manière uniforme dans la pop culture et que la « vieille » tradition de la sorcière maléfique à réprimer persiste malgré tout.
Conclusions
§51 Le thème de la répression de la sorcellerie s’est vu investie d’une charge symbolique importante, dont le cinéma s’est emparé. Il fait ainsi l’objet d’une réinterprétation rétrospective, en vue de délivrer divers propos liés à une réalité contemporaine. Ce qui importe n’est pas la reconstitution de la répression de la sorcellerie telle qu’elle s’est déroulée historiquement – à cet égard, les films comportent de nombreuses incongruités et anachronismes - mais ce que sa représentation filmique permet de dire ici et maintenant. Par le recours à la métaphore de la sorcellerie, le cinéma se permet d’aborder certains sujets qui pourraient être difficiles ou simplistes à traiter frontalement. A chaque fois, le message délivré passe par la construction d’une certaine image du juge : fanatique religieux ou sadique dans la dénonciation de l’obscurantisme et de l’arbitraire, individu justicier dans le courant sécuritaire, misogyne et rétrograde dans le discours féministe. La sorcière elle-même peut se faire juge pour substituer sa justice à celle des hommes, ce qui peut être perçu positivement comme source d’empouvoirement ou avec crainte en s’inscrivant dans une perspective antiféministe.
§52 Ce qui peut expliquer la permanence du thème de la répression de la sorcellerie au cinéma, c’est son très fort pouvoir d’évocation qui ne cesse de se réactualiser, de permettre de tisser des nouvelles paraboles permettant d’interroger sous divers aspects la société et ses évolutions. Mais comme on a pu le constater, la figure de la sorcière n’offre pas un support à un discours consensuel ou univoque108. Elle est utilisée pour servir des discours antagonistes : sécuritaire ou libéral, féministe ou antiféministe, subversif ou conservateur. Et on ne décèle guère à ce sujet de logique chronologique, comme l’atteste la variété des propos à différentes périodes de production. La sorcière semble devoir à cet égard persister comme éternelle figure de débats, dont celui sur la justice.
L’évaluation actuelle tourne autour de 50 000 personnes exécutées. ↩
Voy. Scholz Williams, G. « Demonologies », », in Levack, B. P. (ed.), The Oxford Handbook of Witchcraft in Early Modern Europe and Colonial America, Oxford, OUP, 2013, pp. 69 et s. ; Gelly-Perbellini, M., « Comment la sorcellerie est-elle devenue un crime ? », in Witches, Histoire de sorcières, Editions de l’Université de Bruxelles, 2021, pp. 53-59. ↩
Voy. Viallet, L., Sorcières ! La Grande Chasse, Paris, Armand Colin, 2013, pp. 33 et s. ↩
Voy. Goodare, J., The European Witch-Hunt, Routledge, 2016, pp. 184 et s. ↩
Ibidem, pp. 317 et s. ↩
Voy. Le Bras-Chopard, Les Putains du Diable. Procès des sorcières et construction de l’État moderne, Paris, Dalloz, 2016, p. 5. ; Goodare, J., The European Witch-Hunt, Routledge, 2016, pp. 267 et s. ↩
Voy. Broedel, H ; P., « Fifteenth Century Witch Beliefs », in Levack, B. P. (ed.), The Oxford Handbook of Witchcraft in Early Modern Europe and Colonial America, Oxford, OUP, 2013, pp. 32 et s. ↩
Voy. Levack, B. P., The witch-hunt in early modern Europe, 4th ed., Londres, New York, Routledge, 2013, pp. 68 et s. ; Goodare, J., op. cit., pp. 193 et s. ↩
Voy. Levack, B. P., op. cit., 74-88 ; Goodare, J., op. cit., pp. 202-208 ; Viallet, L. op. cit., pp. 158 et s. ↩
Voy. Levack, B. P., The witch-hunt in early modern Europe, 4th ed., Londres, New York, Routledge, 2013, pp. 100 et s. ; Goodare, J., op. cit., pp. 155 et s. ↩
Voy. Bever, E. « Popular Witch Beliefs and Magical Practices », », in Levack, B. P. (ed.), The Oxford Handbook of Witchcraft in Early Modern Europe and Colonial America, Oxford, OUP, 2013, pp. 50 et s. ; Goodare, J., op. cit., pp. 9-14. ↩
Voy. Levack, B. P., The witch-hunt in early modern Europe, 4th ed., Londres, New York, Routledge, 2013, pp. 37-41. ↩
Voy. Goodare, J. op. cit., pp. 16-17 ; Gelly-Perbellini, M., « L’imaginaire du sabbat », in Witches, Histoire de sorcières, op. cit., pp. 61-70. ↩
Ibidem, pp. 217 et s. ↩
Dictionnaire français Larousse, « Chasse aux sorcières », http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sorcière/73521/locution, 2016. ↩
Benjamin Christensen, Danemark, 1922. ↩
Le Nom de la rose (Jean-Jacques Annaud, Italie/France/Allemagne, 1986). ↩
Voy. Prétou, P., op. cit., §§ 20, 29 et 30. ↩
Inquisicion (Paul Naschy, Espagne, 1976). ↩
Les Sévices de Dracula (Twins of Evil, John Hough, Royaume-Uni, 1972). ↩
Sleepy Hollow (Tim Burton, Etats-Unis, 1999). ↩
Sur la dimension féministe du film, voy. Filaire, M.-J., « Pour une approche féministe de Sleepy Hollow de Tim Burton », Cadrage.net, 2004, http://www.cadrage.net/films/sleepyhollow.htm. ↩
Jour de colère (Dies Iræ, Carl Theodor Dreyer, Danemark, 1943). ↩
Voy. De La Breteque, F., « La médiévalité des sorcières au cinéma », in Vuillaume, C. (coord.), Sorciers et sorcières à l’écran, Paris, L’Harmattan, 2010, pp. 31 et s. ↩
Voy. Prétou, P., « L’enfance sauvage de la justice : L’imaginaire du crime médiéval dans le cinéma de fiction », Criminocorpus. Revue d'Histoire de la justice, des crimes et des peines, 2007, https://journals.openedition.org/criminocorpus/213. ↩
Voy. Gaskill, M., Witchfinders. A Seventeeth-Century English Tragedy, Londres, John Murray, 2006. ↩
Voy. Goodare, J., op. cit., pp. 199. ↩
Ibidem. ↩
Voy. Lampley, J. M., Women in the Horror Films of Vincent Price, Londres, McFarland & Company, 2011, pp. 121 et s. ↩
La Marque du diable (Michael Armstrong, Allemagne/Royaume-Uni, 1970). ↩
Voy. not. Ivanhoe (Richard Thorpe, Etats-Unis, 1952) ; Le Puits et le pendule (Stuart Gordon, Etats-Unis, 1991) ; 1492: Christophe Colomb (Ridley Scott, France/Espagne/Royaume-Uni, 1992) ; Peste noire (Black Death, Christopher Smith, Allemagne/Royaume-Uni, 2010) ; Inquisitio (série TV, Nicolas Cuche et Lionel Pasquier, France 2, 2012). ↩
Le Marteau des sorcières (Otakar Vavra, Tchécoslovaquie, 1970) ↩
Les Diables (The Devils, Ken Russel, Royaume-Uni, 1971). Sur ce film, voy. not. Crouse, R., Ken Russell et Les Diables : Coulisses d’un film maudit, Aardvark Editions, 2022 ; Arnold, D., The Devils, Liverpool University Press, 2019. ↩
Voy. Goodare, J., op. cit., p. 348. ↩
Aldous Huxley*, Les diables de Loudun : 18 août 1634*, Paris, Tallandier, 2021 (1952 pour l’édition originale). ↩
Voy. Prétou, P., op. cit. ↩
Cet épisode historique occupe une place particulière dans l’imaginaire collectif états-unien, et avait déjà fait l’objet d’une fiction cinématographique : Le Démon sur la ville (The Maid of Salem, Frank Lloyd, Etats-Unis, 1937). Voy. Derosa, R., The Making of Salem. The Witch Trials in History, Fiction and Tourism, McFarland and Company, 2009. ↩
Ibidem, pp. 132-140. ↩
Les Sorcières de Salem (Raymond Rouleau, France, 1957). ↩
Voy. Hinds, M. J., Witchcraft on Trial. From the Salem Witch Hunts to the Crucible, Enslow Publishers, 2009, pp. 75 et s. ↩
Le Masque du démon (La Mascheria del demonio, Mario Bava, Italie, 1960). Sur ce film, voy. not. Conterio, C., Black Sunday, Liverpool University Press, 2015 ; Met, P., « Barbara Steele : Janus au féminin et sorcière all’italiana », in Vuillaume, C. (coord.), Sorciers et sorcières à l’écran, op. cit., pp. 138 et s. ↩
Le film est très librement inspiré de la nouvelle écrite par Nikolai Gogol « Viy », qui a donné lieu à deux autres adaptations cinématographiques, dont la première est la plus fidèle à l’œuvre originale : Viy (Spirit of Evil, Constantin Erchov et Gueorgui Kropatchev, URSS, 1967) ; La Légende de Viy (Oleg Stepchenko, Russie, 2014). Ces deux films s’inscrivent dans le courant validant l’existence de sorcières sataniques, et présentant la religion comme le rempart nécessaire à son combat. ↩
Voy. Le Bras-Chopard, A., op. cit., pp. 92-100. ↩
Voy. Rigby, J., Euro Gothic. Classics of Continental Cinema, Cambridge, Signum Books, 2016, pp. 90-92 ; Ishii-Gonzales, S., « Great Directors : Mario Bava », Sense of Cinema, April 2004, http://sensesofcinema.com/2004/great-directors/bava/. ↩
La Nuit des maléfices, Piers Haggard, Royaume-Uni, 1971. ↩
Voy. Hunt, L., « Necromancy in the UK : Witchcraft and the Occult in British Horror », in Chibnall, S. et Petley, J. (ed.), British Horror Cinema, Londres, New York, Routledge, pp. 93-95 ; Germaine Buckley, C. « Witches,'Bitches' or Feminist Trailblazers? The Witch in Folk Horror Cinema », Revenant: Creative and Critical Studies of the Supernatural, 4, 2019, pp. 30-31. ↩
La Cité des morts (The City of the Dead, John Llewellyn Moxey, Royaume-Uni, 1960). ↩
Les Vierges de Satan (The Devil Rides Out, Terence Fisher, Royaume-Uni, 1968). ↩
Le film se clôt par ce dialogue :
- Richleau : « Mocata est Mort »
- Simon « Grâce à Dieu »
- Richleau : « C’est Lui que nous devons remercier ». ↩
Voy. Viallet, op. cit., pp. 69 et s. ↩
Hansel et Gretel : Witch Hunters (Tommy Wirkola, Etats-Unis, 2013). ↩
Le Dernier chasseur de sorcières (The Last Witch Hunter, Breck Eisner, Etats-Unis, 2015). ↩
Une trame narrative très similaire est encore développée par Le Septième fils (Seventh Son, Sergei Bodrov, Etats-Unis/Royaume-Uni/Canada, 2014), qui voit un « épouvanteur » (Jeff Bridges), « protecteur de l’humanité depuis l’aube des temps », lutter avec l’aide de son apprenti contre une puissante sorcière, Mère Malkin (Julianne Moore), afin d’éviter qu’elle ne règne sur le monde. La sorcière finit brûlée, et l’apprenti, qui a fait ses preuves, peut prendre la relève et poursuivre la mission de chasseur de sorcières. ↩
Le Dernier des Templiers (Season of the Witch, Dominic Sena, EU, 2011). ↩
Voy. Vercruysse, T., « The American Dark Ages and the Terrorist Witch in Season of the Witch », CINEJ Cinema Journal, 2.2, 2013, pp. 51-65. ↩
Il faut également relever que dans Le Septième fils, le camp du mal est incarné par la Reine des sorcières (Julianne Moore), dont aucun des acolytes sorciers n’est blanc. ↩
Le fait que le récit, comme dans Hansel et Gretel ou Le 7e fils, présente un personnage de « bonne sorcière », qui vient épauler le héros dans sa mission, n’affaiblit pas le caractère manichéen du propos. Un tel procédé scénaristique, qui fait écho au « gentil musulman » très courant dans les films de terrorisme, ne fait en réalité que souligner qu’il est toujours possible de rejoindre le camp du Bien, en acceptant de souscrire à la société dominante. ↩
Rogin, M., Ronald Reagan, the Movie and Other Episodes in Political Demonology, University of California Press, 1987, p. xiii, Les démons de l’Amérique. Essais d’histoire politique des États-Unis, Paris, Éditions du Seuil, 1998, p. 17, pour la traduction française. ↩
Michael Rogin, Ronald Reagan, the Movie, op. cit., pp. 190 et s. ↩
Voy. Rogin, M., « Kiss me Deadly. Communisme, maternité et cinéma de la guerre froide », Trafic, Automne 2000, n° 35, pp. 107 et s. ; Leab, D. J., « Hollywood and the Cold War », in Trent Toplin, R. (ed.), Hollywood as Mirror. Changing Views of “Outsiders“ and “Ennemies“ in American Movies, Westport, London, Greenwood Press, 1993, p. 128. Citons, notamment, La chose d’un autre monde (Christian Nyby, Etats-Unis, 1951), La guerre des mondes (Byron Haskin, Etats-Unis, 1953) et Les soucoupes volantes attaquent (Fred Sears, Etats-Unis, 1956). ↩
Voy. not. Dubuisson, F., « Cinéma et idéologie : Représentation et fonction du terrorisme dans le film d’action hollywoodien », in Corten, O. et Delcourt, B. (coord.), Les Guerres antiterroristes, Contradictions, n° 105, Bruxelles, 2004, pp. 53 et s. ↩
Voy. Le Bras-Chopard, A., op. cit., pp. 75 et s. ; Goodare, J., op. cit., pp. 270 et s. ↩
Voy. not. Federici, S., Caliban et la Sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, Senonevero, Entremonde, Marseille, Genève, Paris, 2014 ; Chollet, M., Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Paris, La Découverte, 2018 ; Deepwell, K. « Feminist interpretations of witches and the witch craze in contemporary art by women », The Pomegranate: The International Journal of Pagan Studies, 21.2, 2020, pp. 146-171. ↩
Rowlands, A., « Witchcraft and Gender in Early modern Europe », in Levack, B. P. (ed.), The Oxford Handbook of Witchcraft in Early Modern Europe and Colonial America, Oxford, OUP, 2013, pp. 468 et s. ; De Blécourt, W., « The making of the female witch: Reflections on witchcraft and gender in the early modern period », Gender & History, 12.2, 2000), pp. 287-309. ↩
Voy. Piette, V. « Ni vaincues, ni soumises…ni brûlées. Quand les sorcières renaissent de leurs cendres », in Witches, Histoire de sorcières, op. cit., pp. 16-19 ; Point Culture, Quand sorcières et désobéissant·e·s s’emparent des enjeux environnementaux, 2021, https://www.pointculture.be/webdocs/service-educatif/flipbook/revoltes-et-mutations/. ↩
Michelet, J., La Sorcière, Flammarion, Paris, 1966 (1862 pour l’édition originale). Voy. De La Breteque, F., « La médiévalité des sorcières au cinéma », op. cit., p. 33. L’ouvrage de Michelet a fait l’objet d’une surprenante adaptation sous la forme d’un film d’animation japonais psychédélique, la Belladone de la tristesse (Eiichi Yamamoto, Japon, 1973), qui trace un parallèle entre la sorcière qui se lève contre un seigneur tyrannique et la Révolution française. ↩
Voy. par exemple La Marque du diable, déjà évoqué ou le courant que l’on appelle la « nonnesploitation », qui comprend plusieurs films de sorcières dont les plus célèbres sont Les Démons (Jesus Franco, Fra/Port, 1972) et Flavia l’hérétique (Gianfranco Mongozzi, Ita, 1974). ↩
Les Sorcières de Salem (Raymond Rouleau, France, 1957) ; La Chasse aux sorcières (The Crucible, Nicholas Hytner, EU, 1996). ↩
Arthur Miller, Les Sorcières de Salem, Robert Laffont, 2010 (1953 pour l’édition originale). ↩
Jour de colère (Dies Iræ, Carl Theodor Dreyer, Danemark, 1943). ↩
Voy. Poirson-Dechonne, M., « Dies Irae ou la chasse aux sorcières », in Vuillaume, C. (coord.), Sorciers et sorcières à l’écran, op. cit., pp. 87 et s. ; Piot, A., La Diabolisation de la femme. On brûle une sorcière, Paris, L’Harmattan, 2009, pp. 57 et s. ↩
Il faut souligner le fait que le scénario du film est signé Ester Krumbachová, également scénariste des Petites marguerites (Vera Chytilová, Tchécoslovaquie, 1966), célèbre film féministe libertaire, s’inscrivant dans la nouvelle vague tchécoslovaque. ↩
Quand nous étions sorcières (Juniper Tree, Nietzchka Keene, Islande, 1992). Sur ce film, voy. Girdwood, D., « The Survival of Witches: Jack Zipes on Nietzchka Keene’s Feminist Fairytale Film », Walker, 1er novembre 2019, https://walkerart.org/magazine/the-survival-of-witches-jack-zipes-on-nietzchka-keenes-feminist-fairytale-film-the-juniper-tree/ ↩
Sur la portée de ce film, voy. Benson, E., « Culture Wars Medieval and Modern in Le Moine et la sorcière », Film & History: An Interdisciplinary Journal of Film and Television Studies, Volume 29, 1-2, 1999, pp. 56 et s. ↩
Ehrenreich, B. et English, D., Sorcières, sages-femmes et infirmières, Editions Cambourakis, 2014, 1973 pour l’édition originale aux Etats-Unis. ↩
Voy. aussi Sorcière, cinq jours en enfer (Neil Marshall, 2020, Royaume-Uni) ; I’m not a Witch (Rungano Nyoni, Zimbabwe, 2017) ; Les Filles du feu (série TV, Magaly Richard-Serrano, France, 2023). ↩
Pablo Agüero (Espagne/France/Argentine, 2021). Le personnage de Pierre de Lancre est également au centre de la série Les Filles du feu, diffusée sur France 2 en 2023. ↩
Voy. Dusseau, J., Le Juge et la sorcière, Editions Sud Ouest, 2002. ↩
Voy. not. La Persécution (Forfølgelsen, Anja Breien, Norvège/Suède, 1981) ; Anna Göldin, la dernière sorcière (Gertrud PINKUS, All/Sui, 1991) ; La Recluse (Anchoress, Chris NEWBY, GB, 1993) ; La Courtisane (Dangerous Beauty, Marshall Herskovitz, EU, 1998) ; Sleepy Hollow (Tim Burton, Etats-Unis, 1999). ↩
La Sorcière sanglante (I lunghi capelli della morte, Antonio Margheriti, Italie, 1964). ↩
Voy. Met, P., « Barbara Steele : Janus au féminin et sorcière all’italiana », op. cit., pp. 151-157. ↩
La Fiancée du pirate (Nelly Kaplan, France, 1969). Sur ce film, voy. Garreau, A., « “La Fiancée du Pirate” : Sorcellerie, Puissance et devenir-femme », Le Rayon Vert, 2 mai 2018, https://www.rayonvertcinema.org/la-fiancee-du-pirate/. ↩
CNC, « Nelly Kaplan, les chemins de sa liberté », 13 novembre 2020, https://www.cnc.fr. ↩
Devonsville Terror (Ulli Lommel, Etats-Unis, 1983). ↩
Sur ce film, voy. Greene, H., Bell, Book and Camera. A Critical History of Witches in American Film and Television, McFarland and Company, 2018, pp. 151-153. ↩
Paris, La Découverte, 2018. ↩
Voy. aussi Always a Witch (Ana María Parra, Colombie, Netflix, 2019/2020) ; The Craft Legacy (Zoe Lister Jones, Etats-Unis, 2020) ; Luna Nera (Francesca Manieri, Laura Paolucci, Tiziana Triana, Italie, Netflix, 2020); Witch Hunt (Elle Callahan, Etats-Unis, 2021) ; Fear Street (Leigh Janiak, E-U, Netflix, 2021). ↩
Roberto Aguirre-Sacasa, Netflix, Etats-Unis, 2018. ↩
Sabrina, l’apprentie sorcière (Nell Scovell, ABC, Etats-Unis, 1996-2003). ↩
Sabrina, the Teenage Witch, Archie Comic Publications, 1962-1972. ↩
Voy. Starhawk, Rêver l'obscur : Femmes, magie et politique, Editions Cambourakis, 2015. Voy. aussi Stengers, I., « Petites-filles de sorcières », in Witches, Histoire de sorcières, op. cit., pp. 16-19 Vuillaume, C., « Introduction », in Sorciers et sorcières à l’écran, op. cit., pp. 22-23 ; Point Culture, Quand sorcières et désobéissant.e.s s’emparent des enjeux environnementaux, op. cit., pp. 37-41. ↩
On pourrait également mentionner le classique du muet Häxan, qui substituait à l’obscurantisme religieux, qui avait injustement mené des dizaines de milliers de femmes au bûcher, une approche « scientifique » qui entendait diagnostiquer sur le plan médical ce qui avait bien pu faire croire qu’elles étaient des sorcières : l’hystérie (Häxan – La Sorcellerie à travers les âges, Benjamin Christensen, Danemark, 1922). Voy. à ce propos Doty, A., et Ingham, P.C., The Witch and the Hysteric: The Monstrous Medieval in Benjamin Christensen's Häxan, Brooklyn, Punctum Books, 2014. ↩
Ma femme est une sorcière (I Married a Witch, René Clair, Etats-Unis, 1942). ↩
Sur l’interprétation de ce film, voy. Andrin, M. « Recettes de l’enchantement : Rites magiques et personnages féminins dans les comédies de la sorcellerie américaines », in Vuillaume, C. (coord.), Sorciers et sorcières à l’écran, Paris, L’Harmattan, 2010, pp. 208-209 ; Greene, H., Bell, Book and Camera., op. cit., pp. 69-75 ; Derosa, R., op. cit., pp. 142-145. ↩
La déesse-mère prend la forme de la Vénus de Willendorff, symbole de la féminité. ↩
Gifford, D. « Witchcraft and the Problem of Evil in a Basque Village », Folklore, 90(1), 1979, pp. 11–17. ↩
Le message est délivré dès le générique qui montre des gravures représentant des sorcières et leur répression pour ensuite passer à l’image de femmes « fortes » (Greta Garbo, Marlène Dietrich, Bette Davis), des figures féministes (Simone de Beauvoir, Frida Kahlo) pour aboutir à des femmes criminelles (Eva Braun, Leni Riefenstael, Myra Hindley, Mata Hari) et conclure par des femmes de pouvoir (Angela Merkel et Margaret Thatcher). Il se crée ainsi une association sorcière/puissance/menace sur laquelle le film va se fonder pour la présenter comme un péril pour les hommes. ↩
Voy. Baena Cuder, I., « Witching and Bitching : Gender Representation in Contemporary Spanish Film », in Suarez Villegas, J. C., Lacalle Zalduendo, R., Pertez Tornero, J. M., International Conference Gender and Communication, 2014, pp. 6 et ss. ↩
Voy. Le Bras-Chopard, A., op. cit., pp. 157 et s. ↩
« Au fil des ans, six adolescentes ont accusé Roman Polanski de violences sexuelles », Mediapart, 9 novembre 2019. ↩
Paris Match, 11 décembre 2019. ↩
« Pour le réalisateur Michael Haneke, le phénomène #MeToo est digne d'une chasse aux sorcières du Moyen-Âge », Ecran large, 12 février 2018, https://www.ecranlarge.com. ↩
Scott, D. et Burton, T. I., « “Witch hunt!”: the history of Donald Trump’s favorite impeachment defense, explained », Vox, 17 décembre 2019, https://www.vox.com/. ↩
Sacrées sorcières (The Witches, Robert Zemeckis, Etats-Unis, 2020). ↩
Sacrées sorcières (The Witches, Nicolas Roeg, Royaume-Uni, 1990) ↩
La suite donnée en 2022 au film Disney Hocus Pocus (Kenny Ortega, Etats-Unis, 1993), ressuscitant à nouveau les trois sorcières exécutées à Salem revenant pour manger les enfants a davantage cédé à l’atmosphère féministe, en leur opposant une jeune sorcière noire (Hocus Pocus II, Anne Fletcher, Disney+, Etats-Unis, 2022). ↩
Voy. Gelly-Perbellini, M., « Comment les sorcières sont devenues des icônes féministes », The Conversation, 30 octobre 2023, https://theconversation.com. ↩
Sur l’ambivalence de la figure de la sorcière au cinéma, voy. Germaine Buckley, C., op. cit., pp. 22-42 ; Point Culture, Quand sorcières et désobéissant.e.s s’emparent des enjeux environnementaux, op. cit., pp. 45-84. Cette ambivalence peut particulièrement être identifiée dans des films comme Les Sorcières d’Eastwick (George Miller, Etats-Unis, 1987), Antichrist (Lars von Trier, Danemark/France/Allemagne/Pologne 2009) ; The VVitch (Robert Eggers, 2015, Etats-Unis) ou encore The Love Witch (Anna Biller, Etats-Unis, 2016) dans lesquels la qualité de sorcière est susceptible d’être comprise à la fois comme un moyen d’émancipation et comme une forme de soumission (aux hommes ou au Diable). ↩