Etude de criminologie clinique de l’œuvre de Marcel Colin (1922-2001) et ses épigones : de l’engagement d’une médecine de la relation vers une Ecole de la sociopathie ?
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Introduction. De Marcel Colin à la deuxième École de Lyon
§1 A la genèse de notre thèse de doctorat en criminologie1, nous ne pouvons que rendre hommage à notre regretté directeur de thèse, Christophe Adam2, qui joua à notre égard le rôle de passeur de témoin – et bien plus que cela – d’un portefeuille de textes signés Marcel Colin dont il nous proposait alors d’en réaliser une étude de criminologie clinique. Quelques années auparavant, Françoise Digneffe, éminente Professeure de criminologie à l’UCLouvain, s’était en effet vue confier par son collègue Christian Debuyst – par ailleurs ami intime de Marcel Colin – le soin de consacrer quelques pages aux travaux criminologiques du médecin légiste et psychiatre lyonnais dans le tome 3 du fameux manuel d’Histoire des savoirs sur le crime et peine3. C’est à cette occasion qu’elle avait pu constater ce bien étrange paradoxe : d’une part, la grande originalité des savoirs criminologiques, tant par leur dimension éthique qu’interdisciplinaire, élaborés par Marcel Colin et l’équipe qu’il anima à l’Institut de médecine légale de Lyon à partir de son accession à la chaire de médecine légale psychiatrique au milieu des années 50 ; d’autre part, la relative méconnaissance, voire même l’oubli dans lesquels sont retombés ces savoirs à partir du départ à la retraite de Marcel Colin au tout début des années 90. Françoise Digneffe était ainsi persuadée qu’un travail rigoureux de compilation et d’analyse des travaux lyonnais permettrait de renouveler les catégories de la pensée clinique telle qu’elle se pratique sur le terrain pénal. Au moment de son départ à la retraite, elle transmit ainsi le corpus de texte préalablement compilé à Christophe Adam, auprès de qui elle tenait rôle de « mentor », dans l’espoir qu’il prenne la relève de ce travail d’analyse tout juste ébauché. Jusqu’à ce qu’il nous confie à son tour la charge de dégager toute l’originalité de cette « œuvre » criminologique lyonnaise.
§2 Bien que ne possédant aucune formation « psy », nous ne pouvions effectivement que constater, à la première lecture du corpus, d’une démarche que Michel Legrand qualifierait de « densément clinique », épousant en cela les fameuses coordonnées que ce dernier systématise lorsqu’il oppose la démarche proprement clinique à celle positiviste4. En premier lieu, les travaux lyonnais témoignent d’une clinique criminologique soucieuse de considérer la singularité du patient – et son irréductibilité – pour elle-même et non en vue de la résorber dans une catégorie générale, comme c’est le cas lorsque le diagnostic est subordonné aux instruments de classification des troubles mentaux ou, dans le champ criminologique, par la confusion encore patente à cette époque entre typologie des actes et typologie des personnalités. Deuxièmement, nous retrouvions une pratique qui pense l’intersubjectivité de la rencontre clinique comme une voie plus sûre vers la connaissance authentique que toute relation objectivante où le praticien, mue par l’angoisse de la rencontre interhumaine, additionne entre lui et son patient tout un appareillage technique, ce qui est bien là l’acte le plus superficiel du connaître. Pour Colin, en effet, la subjectivité du clinicien est « l’appareil d’enregistrement le plus sensible » pour apprécier un comportement humain, à condition d’avoir conscience de la philosophie implicite que traduit sa pratique clinique5. Troisièmement, la praxéologie lyonnaise s’institue dans un refus constant de scinder le moment de la théorie et le moment de la pratique : « pour comprendre, il faut soigner » nous dit Colin, les effets de la thérapeutique étant considérés comme « les meilleurs révélateurs du trouble »6. Enfin, quatrièmement, l’épistémologie de cette équipe s’enracine dans une conception clinique qui postule l’impossibilité d’établir une frontière nettement délimitable, « objective » et ségrégative entre le normal et le pathologique7. Si le pathologique comporte toujours une part de construit social8, il ne peut alors se jauger qu’à l’aune d’une « certaine qualité, éprouvé, que tout le monde connaît assez pour l’avoir ressenti lui-même »9. Cette qualité c’est la souffrance, inscrite en potentialité en chacun de nous, selon des lignes qui nous sont propres et deviennent parfois des fissures lorsqu’elles se trouvent par trop secouées par les orages de la vie. De telle sorte que l’observation du pathologique agit comme révélateur des grandes structures anthropologiques de nos sociétés. C’est tout le sens de la sociopathie telle que conçue par l’équipe lyonnaise et sur laquelle nous reviendrons.
§3 C’est d’ailleurs à la lecture de l’ouvrage de Michel Legrand sur l’approche biographique que nous avons formulé l’ambition de consacrer un premier temps de la recherche à interroger la circularité entre la vie de Marcel Colin et les fondements éthiques et interdisciplinaires de ces travaux, ce dans le but de reconstituer la trame d’un « récit de vie posthume ». Les quelques éléments biographiques que nous avions à disposition témoignaient en effet d’une histoire de vie marquée du sceau de l’engagement humaniste, que ce soit par la proximité avec certaines émanations du catholicisme social, l’appel de la résistance durant la Seconde Guerre mondiale, ou encore le militantisme d’après-guerre afin de fonder à Lyon une des premières annexes psychiatriques dans les prisons françaises et ainsi doter la peine d’une finalité thérapeutique. C’est donc à partir des traces de pensée de ses proches – famille et amis – et anciens collègues, mais aussi par un important travail de recherche documentaire, que nous nous sommes intéressé à l’habitus de Marcel Colin, son éducation, ses engagements politiques, spirituels et intellectuels. La trentaine de témoignages recueillis nous permettaient ainsi de poser les jalons d’une socio-analyse de ce parcours de vie, autrement dit interroger les manières d’être propres au milieu social et familial dont il est originaire, les contextes interpersonnels et sociaux qui agitent ce parcours et, enfin, les différents champs dans lesquels il s’est engagé et les enjeux propres à ces champs.
§4 Avant de développer quelque peu ce parcours, il nous reste à préciser que les témoignages recueillis étaient unanimes pour souligner le fait que Marcel Colin écrivait en réalité très peu – les nombreux textes co-signés étant souvent l’œuvre principale des membres de son équipe – et que la transmission de son savoir s’inscrivait principalement dans une tradition orale, quasi socratique. Nous nous trouvions alors bien embêté si l’on considère que le cœur de notre objet de recherche était d’analyser l’œuvre écrite du médecin légiste. C’est ainsi que nous avons choisi, dans un second temps de la recherche, d’élargir cette œuvre au collectif criminologique qui exerçait sous ses ordres à l’Institut de médecine légale et à l’hôpital Edouard Herriot, jusqu’à interroger la dénomination de « deuxième École de Lyon ». Cette appellation est énoncée pour la première fois par Jean Pinatel10 lors du premier Congrès français de criminologie organisé par Marcel Colin à Lyon en 1960, en référence à l’École dite du « milieu sociale » animée par Alexandre Lacassagne à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. On la retrouve ensuite chez d’autres, comme récemment dans l’Histoire des savoirs sur le crime et la peine11. Compte tenu de la relative disparition des savoirs et pratiques initiées par ce collectif, peut-on à proprement parler d’une « deuxième Ecole de Lyon » ? Dès lors, qu’est-ce qui fait Ecole ? Comment comprendre l’enrayement dans sa transmission ?
§5 Encore faut-il pour ce faire construire le concept d’« École de pensée et de pratique ». Un détour par l’étymologie de la schola, ses définitions historiques et sociologiques12, nous permettait ainsi de dégager cinq dimensions du concept : charismatique (existence d’un chef de file et d’éventuels successeurs), institutionnelle (existence d’organes officiels rattachés à l’école), corporative (existence d’une vie de l’équipe, dans ses rapports interpersonnels, affectifs et intellectuels), épistémologique (existence d’une doctrine propre à « l’École ») et symbolique (existence d’une reconnaissance par les pairs de cette « École »). La mise en évidence de ces différentes dimensions constitue dès lors l’ossature dans laquelle prend corps l’analyse de l’œuvre lyonnaise, sa praxéologie et la démarche axiologique qui guide ses membres.
Dimension charismatique. Marcel Colin (1922-2001) ou l’engagement personnaliste du médecin dans la Cité
§6 C’est dans le cadre de la dimension charismatique de « l’École » que nous proposons de réinjecter le matériau biographique récolté. Aussi, Marcel Colin fut élevé dans un milieu de grande bourgeoisie lyonnaise. Son père, Henri Colin, déjà richement doté, fait fortune dans la filature de produits textiles et sa mère, Laure Colin – née Mathian –, est issue d’une lignée de médecins et économes. Néanmoins, c’est l’engagement et le militantisme de ses deux parents au sein de la vaste famille du catholicisme social qui marque véritablement de son empreinte l’habitus de Marcel Colin. Apparu dans la première moitié du 19ème siècle comme une réponse chrétienne aux conséquences sociales de la révolution industrielle et libérale qui gagne la France, le catholicisme social vise ainsi à promouvoir le développement intellectuel, moral et matériel des classes populaires par différents supports : œuvres de bienfaisance, sociétés de secours mutuels, cercles d’études, ateliers d’apprentissage ou encore par l’intermédiaire de sociétés de patronage. C’est ainsi qu’Henri Colin milite activement au sein du mouvement du Sillon de Marc Sangnier – devenu Ligue de la Jeune République en 1912 –, une des émanations de la branche « libérale » du catholicisme social13, celle qui a pleinement accepté le jeu de la démocratie républicaine et la séparation de l’Etat avec l’Eglise en 1905.
§7 Cet habitus amène Colin à arpenter tout jeune les pavés lyonnais pour distribuer avec son père la revue Sept, remplacée en 1937 par l’hebdomadaire Temps présent, un des organes de ce catholicisme social libéral. Surtout, une telle influence conduit le jeune étudiant de l’externat Sainte-Marie à adhérer pleinement, dans les années 1930, à la mouvance du personnalisme communautaire d’Emmanuel Mounier, le créateur de la revue Esprit. Bien que Mounier soit animé d’une conviction intégrale de chrétien catholique, la revue Esprit se veut non confessionnelle et vise justement à constituer une matrice philosophique et spirituelle permettant le dialogue entre les divers courants de l’opinion, croyants ou athées. On retrouve néanmoins une filiation avec le catholicisme social de part cette volonté d’incarner une troisième voie spiritualiste entre, d’un côté, le capitalisme et son individualisme accusé de prôner une métaphysique de la solitude absolue qui favorise le règne de l’égoïsme ; et, de l’autre côté, le matérialisme communiste qui, bien que partageant avec le personnalisme une même volonté d’émancipation du prolétariat, n’en vise pas moins à « soumettre les personnes libres et leur destin singulier à la disposition d’un pouvoir temporel centralisé »14. Pour Mounier, l’infrastructure spirituelle, c’est-à-dire l’univers des valeurs, a une réalité existentielle plus forte que l’infrastructure économique : la personne est un centre de réorientation de l’univers objectif, pour peu qu’on fonde une « économie morale » qui l’érige comme valeur absolue et des institutions « propre à réconcilier les valeurs de liberté, d’épanouissement individuel, d’autonomie créatrice, et celles de communauté, de fraternité humaine, de solidarité »15. Nous montrerons ainsi de quelle manière cette philosophie, et sa conception de la personne humaine, a rayonné sur l’éthique clinique forgée par Marcel Colin et son équipe.
§8 C’est d’ailleurs dans ces réseaux du catholicisme social, profondément ancrés dans la cité épiscopale, que se forme le noyau de la résistance chrétienne contre l’occupant allemand. Dans cette « capitale de misère et d’espérance »16 d’une zone non occupée, nous décrivons alors longuement le parcours de Marcel Colin au sein de la résistance. Ce parcours s’inscrit dans le sillon de son père Henri Colin, engagé dans les activités clandestines de résistance auprès du mouvement Combat mais aussi du premier journal de la résistance spirituelle fondé par le Père Chaillet, Témoignage Chrétien. Dès lors, c’est à la suite de l’arrestation et l’emprisonnement de son père en janvier 1942 dans le cadre du procès Combat – où l’on retrouve un certain Emmanuel Mounier – que Marcel Colin embrasse une clandestinité qui l’amène à gravir les échelons de la hiérarchie du Témoignage Chrétien, de sa distribution auprès de ses camarades étudiants en médecine jusqu’à la périlleuse mission d’être responsable de l’implantation d’un réseau d’impression et de diffusion du journal à Paris et dans toute la zone Nord, mission qu’il relèvera avec pertes et brio jusqu’à la libération de Paris le 25 août 194417. Cet événement, à la fois traumatique et exaltant, révèle au résistant toute l’incurie qui règne dans les prisons tandis qu’il expérimente une vie de « hors-la-loi ». De son propre aveu, ce moment est fondateur de son intérêt pour la criminologie et cette figure de l’exclusion qu’est le déviant, tout autant que de son engagement futur dans l’amélioration des conditions de vie en détention18.
§9 Alors que Marcel Colin reprend des études de médecine abandonnées en 1943 pour la clandestinité, les amitiés qu’il tisse avec ceux qui ont partagé la résistance l’enchâssent, au sortir de la guerre, dans des réseaux intellectuels fondateurs de son ouverture pluridisciplinaire : c’est le cas du groupe lyonnais Esprit animé par le philosophe Jean Lacroix ; du groupe du Châtelard du médecin René Biot ; de l’amitié avec Paul Balvet et les tenants de la psychothérapie institutionnelle ou, encore, de celle nouée avec le « bachelardien » François Dagognet. C’est donc auprès de tenants d’une médecine humaniste – qui veut faire la Renaissance de l’hôpital psychiatrique traditionnel – qu’il se forme, à une époque où l’enseignement de psychiatrie est principalement confié aux neurologues ou aux médecins légistes19. Tandis que l’ancien résistant semble néanmoins se diriger vers la médecine du travail, sa rencontre au début des années 1950 avec Louis Roche, tout juste nommé directeur de l’Institut de médecine légale de Lyon, est déterminante. Quelle meilleure discipline que la médecine légale, parce qu’elle est fondamentalement une médecine « à l’écoute des appels émanant de la Cité »20, peut permettre à Marcel Colin d’assouvir son idéal chrétien d’être au service des exclus de l’humanité ?
Dimension institutionnelle. De l’ouverture de la médecine légale vers le monde des vivants
§10 La dimension institutionnelle témoigne de l’existence de structures et organes officiels rattachés au collectif, dans une dialectique entre ce qui s’est cristallisé au fil des décennies passées, l’institué, et le mouvement proprement créateur de l’instituant. Cet institué fait ainsi remonter l’histoire de la médecine légale lyonnaise à la fin du 19ème siècle, lorsqu’Alexandre Lacassagne devient le deuxième titulaire de cette chaire, crée un laboratoire de médecine légale et, surtout, se présente comme le chef de file en France d’un mouvement criminologique naissant connu sous la dénomination « d’École du milieu social ». C’est dans l’espoir de s’inscrire dans les pas de son illustre prédécesseur que Louis Roche formule la grande ambition, lorsqu’il accède à la tête de l’Institut de médecine légale en 1954, d’ouvrir sa discipline vers le monde des vivants. Autrement dit, il s’agit de sortir la médecine légale de la seule pratique thanatologique – l’autopsie du cadavre – pour lui donner pleinement son caractère social comme intermédiaire entre la médecine d’un côté, la société et ses lois de l’autre. Si le « professeur rouge » s’occupe principalement de la toxicologie, la traumatologie médico-légale, les expertises pour la sécurité sociale et la déontologie, il charge Marcel Colin de développer le pôle psychiatrique de la médecine légale, et ce notamment via la criminologie clinique.
§11 Il faut dire que sous l’égide du mouvement de « défense sociale nouvelle »21, qui vise à l’humanisation des politiques pénales après l’horreur concentrationnaire et consacre un principe d’individualisation de la peine en vue de promouvoir le « reclassement social » des délinquants, les réformes successives de la justice des mineurs, des prisons et du Code de procédure pénal ouvrent de nouvelles perspectives criminologiques que la médecine légale psychiatrique lyonnaise a tôt fait de saisir. C’est ainsi que l’équipe de Marcel Colin s’engage dès le départ pour des missions de diagnostic et de soins psychothérapeutiques auprès de populations qui en étaient jusqu’alors privées. Le réseau lyonnais d’institutions pour la jeunesse délinquante ou en assistance éducative, qui se développe après que le ministère de la Justice ait crée en 1945 une « direction de l’Éducation surveillée » distincte de la « direction de l’administration pénitentiaire », en constitue un premier jalon. Mais c’est surtout par la création de l’une des premières annexes psychiatriques dans les prisons françaises – rendue possible par la réforme « Amor » de 194522 – que l’équipe lyonnaise acquiert toute sa reconnaissance dans le champ criminologique en se montrant pionnière de cette politique d’humanisation du traitement d’une institution carcérale sous-médicalisée, politique qui prendra son plein essor dans les années 1960 jusqu’à aboutir à la création, dans les années 1980, des Services médico-psychologiques régionaux. Marcel Colin nourrit, dès lors, l’ambition de transformer son département criminologique à l’Institut de médecine légale en Centre régional de criminologie clinique assurant un service continu de l’expertise au traitement des délinquants, de la juvénile à la carcérale.
§12 Alors que Louis Roche crée au début des années 1960 le premier service d’urgence médicale en France à l’Hôpital Edouard Herriot, le déménagement en 1970 du service dans les vastes locaux du pavillon N de cet hôpital signe un mariage unique en son genre entre médecine somatique et médecine psychiatrique sous la chapelle médico-légale. Colin assume alors la responsabilité de développer le premier service d’urgence psychiatrique à l’hôpital général en France, donnant ainsi à son équipe l’occasion d’agir dans une approche globale – somatique, psychique et sociale - sur le vaste champ des déviances qui se pressent aux portes de cette « cour des miracles » et qui est constitué de « cette frange de clientèle qui se situe entre le mental et le pénal, entre l’asile et la prison et qui comportait : l’alcoolisme, le suicide, l’avortement, les marginaux, les sociopathes, les toxicomanes… »23
§13 En somme, le clinicien est parvenu à étendre l’empire de la criminologie clinique lyonnaise à la croisée des champs de la médecine légale, de la médecine psychiatrique et de la médecine de l’urgence. Reste à unifier ces trois champs au travers de la création d’un enseignement universitaire de criminologie dès le milieu des années 1960 au sein de l’Institut de médecine légale et de criminologie de l’Université Lyon I. Associant médecins-psychiatres, juristes, sociologues et philosophes dans une orientation pluridisciplinaire, cet enseignement accréditant d’une Attestation d’étude universitaire est accessible à tous les titulaires d’une licence et continuera d’exister jusqu’en 2016.
Dimension corporative. De l’éthique dans la rencontre : l’influence du personnalisme sur la clinique criminologique de la deuxième École de Lyon
§14 Pour qualifier un collectif d’École de pensée et de pratique, les membres doivent se sentir animés par un cadre de valeurs, de croyances, d’objectifs et de manières d’être partagé, un référentiel commun qui s’incarne dans une idéologie24. C’est là, étymologiquement, le sens originel de la corporatio. C’est ainsi que l’analyse des entretiens dévoile comment l’éthos socratique de son chef de file concourt pleinement à insuffler une éthique personnaliste qui guide la démarche clinique de l’École lyonnaise. Celle-ci consiste à considérer la personne, le patient, comme une valeur absolue, un tout, une création, une relation.
§15 C’est ainsi que pour Mounier « la personne est un absolu à l’égard de tout autre réalité matérielle ou sociale, et de toute autre personne humaine »25. Dans l’éthique lyonnaise, ce principe se traduit dans l’affirmation que tout projet de connaissance sur l’humain souffrant doit être subordonné à une volonté de le soigner, au risque sinon d’être « dégradé et perverti au regard des valeurs, mais aussi sans valeur scientifique aucune, au sens le plus rationnel »26. Il en découle un fondement thérapeutique de la criminologie clinique que l’équipe lyonnaise va mettre en œuvre de plusieurs manières. Dans les prisons d’abord où, à la différence des quelques autres annexes qui sont créées dans les années 50, nos médecins légistes et psychiatres vont très vite abandonner leurs prérogatives de dépistage et de diagnostic des entrants pour se consacrer pleinement à l’instauration d’un cadre psychothérapeutique visant à transformer la relation oppressive de cet univers ô combien dépersonnalisant par l’introduction d’une relation civile et communautaire27. Autre exemple, la conception propre à Marcel Colin de l’expertise psychiatrique dans le cadre du procès comme « premier acte clinique », sorte de « pièce introductive » permettant de rencontrer le délinquant, d’établir la nécessité ou non d’une prise en charge thérapeutique et, surtout, de préparer l’avenir28. C’est ainsi que le médecin s’est fort opposé à la conception « fossilisante » de l’expertise qui découle de l’art. 64 du Code Pénal – aujourd’hui 122 –, sorte d’instantané qui risque de sceller une fois pour toute la personnalité de l’inculpé en le figeant dans une pseudo objectivité qui le vide de la complexité de son intériorité dans ses ressorts psychodynamiques.
§16 Il s’agit pour nos cliniciens d’affirmer, en effet, que la personne est un « tout », autrement dit qu’elle contient en elle-même un principe d’unicité, de singularité et d’irréductibilité qui disloque toute volonté de mise en système de son existence. L’Humain, nous dit Mounier, n’est pas « un mécanisme qui se monte et se démonte »29. Il est un inépuisable concret. Il ne peut dès lors être considéré comme un objet qu’on pourrait connaître par le seul regard extérieur. Toute démarche typologique, prétendue objective, ne fait que déformer son objet en le forçant à rentrer dans des formes pures élaborées en laboratoire. Chez les tenants de l’École lyonnaise, il découle de ce postulat une critique radicale de ce que Jacques Hochmann – premier assistant de Marcel Colin à l’Institut de médecine légale – appelle la raison nosographique, cette démarche classificatrice qui ne fait qu’aliéner le patient en le décomposant en diverses instances avec lesquelles il n’entre jamais en relation30. A cette raison nosographique, Marcel Colin et son équipe affirment la nécessité de substituer une raison pathologique où seule l’intersubjectivité de la rencontre, dans une perspective psychodynamique, peut permettre de saisir la souffrance telle qu’elle est vécue par celui qui l’éprouve.
§17 Cette souffrance, et les troubles qui y naissent, n’est dès lors pas envisagée comme pure déterminisme mais dans un rapport dialectique constant avec la liberté, comme capacité à transcender les déterminations qui nous animent, comme une potentielle création. C’est que l’Humain est, pour Mounier, un « centre de réorientation de l’univers objectif »31. Dans l’idéologie de la deuxième école de Lyon, cette dialectique s’incarne dans le postulat selon lequel « à tout instant, et sans trêve, je deviens »32. En d’autres termes, l’existence précède l’essence et, même lorsque les territoires de la psyche semblent pour la plupart aliénés, l’être humain reste un « je » qui vit et réagit aux situations de vie, s’adapte de manière processuelle, en tant que « système en action ». Il arrive parfois, même souvent, que ce soit l’environnement qui soit pathogène ou criminogène ; il ne reste alors plus d’autres choix à la personne, pour s’adapter, que de jouer la carte de la folie ou de la délinquance. D’où cette dimension créatrice de certains troubles qui s’inscrivent comme tentative d’introduire un nouveau rapport face à un monde devenu insoutenable, une « maladaptation ». La situation limite de la crise – dont l’étymologie grecque de krisis signifiait un « jugement », une « décision » – renvoie à ce moment riche de potentialité que le clinicien doit saisir s’il veut espérer opérer une redistribution des cartes. C’est là tout le fondement de la création d’un service d’urgence psychiatrique à l’Hôpital Edouard Herriot dans ses missions de « désaliénation » face aux traitements lourds opérés dans les ghettos asilaires et de contenance de populations en proie à la crise, jusqu’à aboutir à une véritable médecine du corps social visant à agir directement sur la relation pathologique entre l’individu et le groupe afin de restaurer les possibilités d’un dialogue authentique.
§18 De cette dimension anthropologique du trouble, qui enchâsse l’Humain dans ses liens avec son milieu, découle le dernier postulat de la personne comme relation. Mounier, en toute sagacité, considérait que « toutes les folies sont un échec du rapport avec autrui, alter devient alienus, je deviens, à mon tour, étranger à moi-même, aliéné »33. Dans l’éthique lyonnaise, cet axiome signifie que la personne ne peut exister et se réaliser pleinement sans être reconnue par le nous collectif. Autrement dit, « c’est dans l’intersubjectivité, dans la relation de Moi à Autrui, de l’individu à la société, que l’homme acquiert le sentiment de "compter", réalise cette exigence d’être "reconnu" et parvient à la réalisation de soi »34. A l’inverse, on comprend aussi que la « tonalité » de cette relation peut être à l’origine d’un vécu de souffrance et d’aliénation : l’adhésion au collectif se transforme alors en adhérence ou en rejet. C’est bien là tout le sens du concept de sociopathie tel qu’entendu par l’équipe lyonnaise. On devine alors l’influence exercée par les tenants de la psychothérapie institutionnelle pour qui le malade est non seulement malade de son corps mais souffre aussi de sa coexistence avec autrui, sorte d’aliénation sociale35. Si le clinicien veut engendrer chez son patient un mouvement de personnalisation, le « jeu » thérapeutique consiste à agir directement sur cette relation pathologique entre l’individu et le groupe afin de restaurer les possibilités d’un dialogue authentique. Il doit se faire « socio-pathologue et socio-thérapeute »36. Par exemple, c’est dans cette visée que l’équipe lyonnaise expérimente la psychothérapie de groupe en milieu carcéral pour la première fois en France au début des années 60, avant que le dispositif ne soit étendu à d’autres prisons. L’expérience groupale permet ainsi de (re)faire l’apprentissage du lien intersubjectif pour une clientèle réputée malade de ce lien et détenue dans un environnement carcéral qui appauvrit les rencontres, favorise la régression et l’isolement égocentrique. En encourageant l’émergence de relations authentiques, c’est-à-dire non hiérarchiques et basées sur la reconnaissance de la liberté de chacun, le lien communautaire valorise ainsi la tolérance à l’autre, l’apprentissage de sa liberté et le sens des responsabilités, qualités décisives pour la réinsertion dans la Cité37.
Dimension épistémologique. Vers une École de la sociopathie
§19 La « sociopathie » incarne alors ce noyau conceptuel permettant de mettre en dérivation psychanalystes freudiens et lacaniens, psychiatres, psychologues, phénoménologues et sociologues autour d’un même effort de compréhension de ces situations d’altération grave des liens sociaux, dans une démarche interrelationnelle.
§20 A rebours de tout réductionnisme biologique, de toute théorie de la personnalité criminelle, cette perspective invite alors à envisager les différentes manifestations déviantes – délinquance, toxicomanie, vagabondage, suicide, crises conjugales, etc. – comme autant de symptômes d’une maladie de la rencontre interhumaine emboutie par le milieu duquel elle émerge. La sociopathie est ainsi conçue comme un trouble de l’adaptation prenant forme dans l’espace intervallaire entre une fragilité individuelle – enjeu de théorisations psychanalytiques kleiniennes et lacaniennes38 – et une société rejetante et chosifiante. On retrouve ici l’influence d’Etienne De Greeff, revendiquée par Colin, notamment sa théorie de l’instinct de défense propre à la réaction sociale, tout autant que l’influence de la sociologie interactionniste nord-américaine et sa théorie de l’étiquetage.
§21 Pour nos cliniciens, il n’existe donc « pas de sociopathe à proprement parler, seulement des situations sociopathiques, des rencontres viciées entre un individu et un autre, un individu et un groupe et même, au maximum, un groupe et un autre groupe »39, de telle sorte que les conditions nécessaires pour qu’un processus d’humanisation ait lieu ne sont pas réunies. Le point commun de ces situations est de faire naître de part et d’autre un sentiment imaginaire de menace qui provoque une régression. L’équipe lyonnaise illustre par exemple avec une grande acuité comment la situation de déshumanisation d’une prison qui, privée des châtiments corporels, emploie un certain nombre d’artifices sadiques, en jouant notamment sur la faim et la mauvaise nourriture, provoque chez les détenus une régression au stade oral-digestif dont témoignent des troubles somato-psychiques tels que les ulcères, l’incorporation d’objet indigestes et tranchants, les grèves de la faim. De l’autre côté de cette relation morbide, le groupe social, animé lui aussi par un sentiment imaginaire de menace, projette sur des boucs émissaires, par un mécanisme de clivage, ses propres insuffisances à les intégrer et les tolérer40.
§22 « L’agressivité est une forme particulière du drame humain qui exige au moins deux acteurs. Elle n’est pas plus une pulsion sauvage, une intention nuisible, inscrite dans le cœur de l’un qu’une attraction irrésistible mimée par l’autre. Ou plutôt, elle est tout cela à la fois. […] C’est l’angoisse du groupe, sa peur devant le fou, parfois dissimulée derrière les hoquets d’un rire « nerveux », qui détermine la dangerosité.»41
§23 Tout cela dessine une perspective qu’on pourrait qualifier de socio-anthropo-analytique et que nous étudions plus amplement au travers des exemples de la dangerosité, du suicide et de la toxicomanie. Le point nodal de cette théorie et de nous inviter à interroger pleinement la responsabilité sociale de ces situations de chosification d’une société qui « place très haut son seuil d’adaptation et rejette aux ténèbres extérieures ceux qui ne peuvent faire les frais de cette adaptation »42.
§24 En somme, la manière dont s’extériorise une souffrance est façonnée par la structure du milieu dans lequel elle s’origine. La personnalité criminelle n’est que le résultat d’un processus qui amène progressivement l’individu à chosifier la victime, voire la société, selon les mêmes mécanismes défensifs que ceux qui conduisent le groupe social à chosifier le délinquant. Cette structure morbide dialectique permet de comprendre la délinquance, mais aussi la structure de quantité d’autres situations sociopathiques productrices de souffrance dans le cadre du travail43, de l’immigration44 et d’une situation paroxystique de dépersonnalisation qui constitue le point zéro de la relation où plus aucune reconnaissance de l’altérité n’est possible : le crime contre l’humanité45.
Dimension symbolique. Vers l’impossible constitution d’une discipline criminologique autonome en France
§25 Reste-t-il alors à dire quelques mots sur la dimension symbolique de l’Ecole lyonnaise, c’est-à-dire sa reconnaissance et sa diffusion auprès des autres acteurs engagés dans le champ criminologique. En ce sens, nous pouvons affirmer sans trop de craintes que Marcel Colin et son équipe ont pleinement participé à l’effervescence que connait ce champ au sortir de la deuxième guerre mondiale, dans un contexte international qui voit la Société internationale de criminologie redynamiser le mouvement criminologique par l’organisation de congrès et de cours internationaux, tandis que l’ONU institue une section de Défense sociale et que le Conseil de l’Europe se dote d’un Comité européen pour les problèmes criminels.
§26 C’est ainsi que le rôle militant et pionnier de l’équipe lyonnaise dans l’institutionnalisation d’une des premières annexes psychiatriques dans les prisons françaises confère une aura particulière à cette École dans le champ de la médecine pénitentiaire. Dès lors, Marcel Colin noue des liens d’amitié avec des personnalités amenées à jouer un rôle de premier plan dans les réformes futures des prisons et leur implémentation telles que Simone Veil, Edmond Michelet ou George Fully. L’équipe lyonnaise est aussi à l’origine des premières Journée de médecine pénitentiaire, celles-ci devenant européennes en 1972 puis mondiales en 1978. Surtout, via la Société générale des prisons, Marcel Colin rencontre Jean Pinatel, alors secrétaire général de la Société internationale de criminologie, qui lui propose de présenter une vaste étude sur la psychothérapie de groupe en milieu pénitentiaire au Groupe consultatif des Nations Unis en matière de prévention du crime et de traitement des délinquants. Le coup d’envoi de cette expérience pionnière en France est donc donné dans les prisons lyonnaises dès le début des années 60. Jean Pinatel charge par ailleurs Colin d’organiser le premier Congrès français de criminologie, devenant ainsi l’un des fondateurs de l’Association française de criminologie dont les locaux sont installés au sein de l’Institut de médecine légale et de criminologie clinique de Lyon et dont il occupera la présidence de 1988 à 1997.
§27 Qui plus est, la rencontre de Colin avec Marc Ancel, via le Centre français de droit comparé, le propulse jusqu’à la conférence européenne des directeurs d’instituts de recherches criminologiques du Conseil de l’Europe où se crée rapidement « les contours d’une nouvelle criminologie critique de l’ordre social conçu comme producteur de la déviance dont il crée lui-même les conditions mentales et sociales d’existence pour ensuite la réprimer dès qu’elle se manifeste »46. L’équipe lyonnaise embrasse pleinement cette criminologie de la réaction sociale qui voit alors se constituer une alliance inédite entre magistrats, sociologues et cliniciens, alliance qui va trouver à se formaliser dans la création du réseau Déviance et Société au milieu des années 70 avec, notamment, les Suisses Jacques Bernheim et Christian-Nils Robert, les Belges Christian Debuyst, Georges Kellens et Lode Van Outrive, les Français Philippe Robert, Claude Faugeron et Marcel Colin.
§28 Néanmoins cette alliance va être de courte durée puisque l’antagonisme entre magistrats et sociologues d’un côté, cliniciens de l’autre, se manifeste rapidement. Les premiers – Claude Faugeron et Philippe Robert en tête – reprochent notamment aux seconds de produire des recherches qui ne répondent pas aux critères d’objectivité et d’empirisme nécessaires aux productions scientifiques. Surtout, parce que les cliniciens travaillent en institution carcérale, les sociologues leur reproche de participer à la vaste entreprise étatique de contrôle social des minorités. Dès lors, en 1985, Marcel Colin et Jacques Bernheim claquent la porte de la revue. Christian Debuyst, qui tenta en vain de jouer le rôle de médiateur, reste le seul clinicien au sein du comité éditorial de la revue. Nous montrons alors comment cette histoire, qui peut paraître anecdotique, est emblématique de l’impossible constitution de la discipline criminologique en France par l’impossible entente entre ses disciplines mères afin de porter la discipline auprès du conseil national des université.
§29 Pour l’école lyonnaise, cet épisode marque un tournant dans sa reconnaissance symbolique puisque les années 1970 et les décennies suivantes assistent à une captation par les sociologues de la déviance – Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales en tête47 – des subventions allouées pour les recherches criminologiques. Dès lors nos criminologues cliniciens, qui sont avant tout des praticiens, ne peuvent pas rivaliser. Il leur reste seulement l’enseignement de criminologie à Lyon, dans une perspective originellement pluridisciplinaire. Celui-ci va subsister jusqu’en 2016, avant d’être définitivement fermé.
Conclusions. Quelques réflexions sur la transmission de l’œuvre lyonnaise
§30 L’analyse des dimensions charismatiques, institutionnelles, corporatives, épistémologiques et symboliques plaident indubitablement en faveur de l’existence d’une « deuxième École de Lyon ». Néanmoins, celle-ci relève d’un moment lié à un conjoncture particulière mais révolue, la mise en place d’une politique de défense sociale nouvelle, plutôt que d’une tradition qui s’est instituée. Sans prétendre épuiser l’ensemble des pistes permettant d’expliquer l’oubli dans lequel est retombé l’œuvre lyonnaise, les quelques hypothèses les plus probantes témoignent d’une intrication entre des facteurs propres à la structuration du collectif lyonnais et des facteurs macros relatifs à un changement matricielle des logiques politico-institutionnelles.
§31 Au rang des facteurs « micros », nous pouvons pointer la faiblesse des recherches fondamentales d’un collectif composé de praticiens plutôt que de chercheurs ; l’échec de Marcel Colin d’autonomiser la criminologie de la médecine légale tenue de main de maître par Louis Roche ; l’absence de successeur désigné capable de maintenir la cohésion de l’équipe et la concurrence féroce entre médecine légale somatique et médecine légale psychiatrique en vue d’obtenir les rares postes d’agrégés disponibles; tout cela aboutissant au déchirement de l’équipe à la suite du départ à la retraite de Roche et Colin.
§32 Au rang des facteurs « macros », au-delà de l’impossible constitution de la discipline criminologique en France, la crise du « nothing works » et la faillite de l’Etat providence mettent à mal les praticiens de la réinsertion sociale tandis que s’annonce une nouvelle alliance entre un discours managérial sur la gestion des risques et le retour en force d’une psychiatrie « néo-positiviste » convaincue de l’organicité des troubles et de la possibilité de réduire la dangerosité à un ensemble de facteurs endogènes mesurables. Dès lors, les perspectives relationnelles et psychodynamiques développées par l’Ecole lyonnaise semblent condamnées à faire faire figure de savoirs démodés tandis qu’une nouvelle génération de cliniciens biberonnés à l’evidence based medecine et aux échelles actuarielles investissent massivement le champ si disputé de la criminologie clinique. L’illusion d’un avenir qui animait les membres de l’équipe lyonnaise jusqu’aux années 1980 se mue ainsi, au début des années 1990, en un avenir sans illusions.
Chabert, L., Etude de criminologie clinique de l'œuvre de Marcel Colin (1922-2001) et ses épigones : de l'engagement d'une médecine de la relation vers une Ecole de la sociopathie ?, Thèse pour l'obtention du titre de docteur en criminologie, Bruxelles, Faculté de Droit et de Criminologie, Université Libre de Bruxelles, 2021. Le présent article constitue une version remaniée de l’allocution de présentation de la thèse de doctorat lors de sa soutenance publique (décembre 2021). ↩
Christophe Adam (1971-2019). Pour un aperçu de son parcours universitaire, ses objets de recherche et sa conception si singulière de l’Humain autant que de la clinique, voy. Chabert, L., « Hommage à Christophe Adam », Faculté de droit et de criminologie de l’ULB, 2020 [https://droit.ulb.be/hommage-a-christophe-adam]. ↩
Debuyst, C., Digneffe, F., Pires, A. P., Histoire des savoirs sur le crime et la peine, Tome III Expliquer et comprendre la délinquance, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 299-305. ↩
Legrand, M., L’approche biographique : théorie, clinique, Paris, Desclée de Brouwer, 1993, pp. 171-177. ↩
Colin, M., Examen de personnalité et criminologie (étude clinique et médico-légale), Premier congrès français de criminologie (Lyon, 21-24 octobre 1960), Paris, Masson et Cie, 1961, p. 86. ↩
Casadamont, G., « Clinique criminologique : une ouverture vers la thérapeutique. Entretien avec Marcel Colin », Instantanés criminologiques, Association française de criminologie, n°1, 1998, p. 9. ↩
Nouant ainsi avec la conception que Legrand synthétise en ces termes : « le fou est moins fou qu’il n’y paraît, il participe de la commune humanité ; mais inversement, nous normaux sommes plus fous qu’il n’y paraît, nous entretenons chacun une connivence secrète avec la folie » (Legrand, M., L’approche biographique : théorie, clinique, op. cit., p. 175). ↩
Selon la fameuse conception normative du pathologique mise en évidence par Canguilhem, G. (« Examen critique de quelques concepts : du normal, de l’anomalie et de la maladie, du normal et de l’expérimental », in G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, Paris, PUF, 1975, pp. 76-95). ↩
Colin, M., Examen de personnalité et criminologie (étude clinique et médico-légale), op. cit., pp. 12-13. ↩
En sa qualité de secrétaire général de la Société internationale de criminologie. Pinatel, J., « De Lacassagne à la nouvelle école de Lyon », Revue de science criminelle et droit pénal comparé, 1961, pp. 151-158. ↩
Debuyst, C., Digneffe, F., Pires, A. P., Histoire des savoirs sur le crime et la peine, op. cit., pp. 299-305. Voy. aussi Mucchielli, L., « Une sociologie militante du contrôle social. Naissance du projet et formation de l’équipe francophone "Déviance et société", des origines au milieu des années quatre-vingts », Déviance et société, vol. 21, n°1, pp. 5-49. ↩
Voy. notamment Robin, L., La pensée grecque et les origines de l’esprit scientifique, Paris, Albin Michel, 1948. ↩
Le catholicisme social est historiquement, en effet, un mouvement fragmenté entre des tendances contre-révolutionnaires et légitimistes – prônant alors un « ordre social chétien » nostalgique de l’ancien régime et de son corporatisme paternaliste –, des tendances libérales qui acceptent le jeu de la démocratie républicaine et la séparation de l’Eglise avec l’Etat, et une petite mouvance, vite dissipée, véritablement socialiste (les « prêtres-ouvriers »). Pour une histoire du développement du catholicisme social et de ses différentes mouvances, voire Hoog, G., Histoire du catholicisme social en France (1871-1931), Paris, Editions Domat Montchrestien, 1946 ; Duroselle, J.-B., Les débuts du catholicisme social en France (1822-1870), Paris, Presses Universitaires de France, 1951. ↩
Mounier, E., Manifeste au service du personnalisme, Paris, Editions Montaigne, 1936, p. 28. ↩
Winock, M., « 21. Vichy et le cas Emmanuel Mounier », in Winock, M., Le XXème siècle idéologique et politique, Paris, Editions Perrin, 2013, p. 401. ↩
Bédarida, R., Les armes de l’Esprit, Témoignage Chrétien (1941-1944), Paris, Les éditions ouvrières, 1977, p. 27. ↩
Marcel Colin va en effet assister à la déportation ou l’exécution de certains de ses camarades de résistance les plus chers : Pierre Miguet, Fernand Belot, Eugène Pons, Gilbert Dru. Lui-même va frôler à plusieurs reprises l’arrestation par la gestapo et s’en sortir au rythme de courses poursuites effrénées dans la capitale. ↩
« Certains disent que les émotions fortes ressenties dans la prime jeunesse sont déterminantes de l’orientation ultérieure. […] Revenant à votre question « dans quel contexte », disons que le combattant de l’ombre, avec des faux noms, des faux papiers, des transports dangereux en ville, des expéditions en gare de « bagages » accompagnés, vit une expérience de hors-la-loi qui pourrait s’apparenter au grand banditisme avec ses moments d’excitation et tantôt de panique, sa camaraderie de combat, plus qu’une complicité, ses rencontres face à face avec l’ennemi, dont on réchappe par miracle, avec ses séquelles de terreur quasi psychotique. Tout cela ouvrait finalement sur le monde de la délinquance et des prisons » (Casadamont, G., « Clinique criminologique : une ouverture vers la thérapeutique. Entretien avec Marcel Colin », op. cit., p. 7). ↩
Il faudra en effet attendre 1968 pour que soit créée en France un enseignement de psychiatrie autonomisé de la neurologie (voy. Hochmann, J., Guyotat, J., « La mise en place du CES de psychiatrie à Lyon : un témoignage », L’information psychiatrique, n°88, 2012, pp. 515-520). ↩
Colin, M., Jubilé Professeur Louis Roche, Allocution d’ouverture, Hôtel-Dieu, Lyon, 9 septembre 1985. ↩
Conceptualisée par le magistrat et théoricien du droit Marc Ancel (La défense sociale nouvelle, Paris, Editions Cujas, 1954). ↩
C’est ainsi que le 10ème principe de la circulaire énonce que « dans tout établissement pénitentiaire fonctionne un service social et médico-psychologique ». ↩
Gravier, B., « La clinique criminologique : une approche pluridisciplinaire. Entretien avec le Professeur Marcel Colin », Nervure, n°7, 1988, p. 33. ↩
Voy. les travaux de Anzieu, D., Le groupe et l’inconscient : l’imaginaire groupal, Paris, Dunod, 1984 ; Kaës, R., L’appareil psychique groupal. Constructions du groupe, Paris, Dunod, 1976 ; Kaës, R., « Processus et fonctions de l’idéologie dans les groupes », Perspectives Psy, vol. 52, n°1, 2013, pp. 17-35. ↩
Mounier, Manifeste au service du personnalisme, op. cit., p. 64. ↩
Colin, M., Examen de personnalité et criminologie (étude clinique et médico-légale), op. cit., p.14. ↩
Hochmann, J., La relation clinique en milieu pénitentiaire, Paris, Masson et Cie, 1964. ↩
Colin, M., Examen de personnalité et criminologie (étude clinique et médico-légale), op. cit., p. 24. ↩
Mounier, E., Traité du caractère, Paris, Editions du Seuil, 1947, p. 70. ↩
Hochmann, J., « Le concept de sociopathie : vers une critique de la raison nosographique », in Debuyst, Chr (dir.), La criminologie clinique : orientations actuelles, Bruxelles, Charles Dessart, 1968, pp. 167-235. ↩
Mounier, E., Introduction aux existentialismes, Paris, NRF Gallimard, 1962, p. 30. ↩
Hochmann, J., « Le concept de sociopathie : vers une critique de la raison nosographique », op. cit., p. 179. ↩
Mounier, E., Le personnalisme, Paris, Presses universitaires de France, 7ème édition, Collection "Que sais-je ?", 1961, p. 36. ↩
Colin, M., « Préface », in Hijazi, M., Délinquance juvénile et réalisation de soi, Paris, Masson, 1966, p. VII. ↩
Voy. Tosquelles, F., « La société vécue par les malades psychiques », Esprit, vol. 20, n°12, 1952, pp. 897-904. ↩
Colin, M., Examen de personnalité et criminologie (étude clinique et médico-légale), op. cit., p. 48. ↩
Voy. Gonin, D., Psychothérapie de groupe du délinquant adulte en milieu pénitentiaire, Paris, Masson et Cie, 1967 ; Buffard, S., « Psychothérapie de groupe et discussion de groupe chez les délinquants », L’information psychiatrique, n°9, 1966, pp. 891-896. ↩
Pour une illustration de l’application de la théorie kleinienne du surmoi tyrannique voy. Gillet, M., « Déviance, régression et contre-transfert institutionnel », Instantanés criminologiques, 1977, pp. 254-277. Pour une illustration de la théorie lacanienne du délinquant comme malade de la Loi du père, voy. Colin, M., Elchardus, J.-M., Gillet, M. (1979), « L’autre scène de la délinquance », Rassegna di criminologia, vol. 10, n°2, pp. 415-430. ↩
Hochmann, J., « Le concept de sociopathie : vers une critique de la raison nosographique », op. cit., p. 196. ↩
Voy. Buffard, S., Le froid pénitentiaire, Paris, Editions du Seuil, 1973 ; Buffard, S., Elchardus, J.-M., Gillet, M., Quénard, O., « Est-il dangereux de se pencher », Debuyst, Chr., Tulkens, Fr. (dir.), Dangerosité et justice pénale, ambiguïté d’une pratique, Suisse, Masson, coll. « Déviance et Société », pp. 177-188. ↩
Colin, M., Hochmann, H., « Diagnostic et traitement de l’état dangereux », in Colin, M. (dir.), Etudes de criminologie clinique, Paris, Masson, p. 22. ↩
Hochmann, J., « Le concept de sociopathie : vers une critique de la raison nosographique », op. cit., p. 185. ↩
Colin, M., « Sociopathologie du travail », Cahiers de l’ISEA, série M, n°21, pp. 103-113. ↩
Gonin, D., « Approche de la criminalité chez le migrant », Bulletin de médecine légale et de toxicologie médicale, vol. 15, n°4, pp. 195-206. ↩
Colin, M. (dir.), Le crime contre l’humanité, Ramontville Saint-Agne, Erès, 1996. ↩
Mucchielli, L., « Une sociologie militante du contrôle social. Naissance du projet et formation de l’équipe francophone "Déviance et société", des origines au milieu des années quatre-vingt », op. cit., p. 11. ↩
Fondé dans les années 1980 par Philippe Robert dans la suite du Service d’Études Pénales et Criminologiques (SEPC) qu’il avait créé en 1968. ↩