Miscellanées démocratiques. Actes du colloque tenu à l’occasion du 40e anniversaire du Centre de droit public de l’ULB. Présentation du dossier
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Cet article fait partie de « Miscellanées démocratiques. Actes du colloque tenu à l’occasion du 40e anniversaire du Centre de droit public »
§1 « Ces deux jours ont été d’une très grande richesse ». C’est par ce constat que Marc Uyttendaele introduisait ses conclusions prononcées le 22 novembre 2019 à l’issue du colloque organisé à l’occasion du quarantième anniversaire du Centre de droit public de l’ULB. Et comment lui donner tort ? En effet, ces deux journées ont, tout d’abord, permis de réunir, sur l’estrade et parmi le public, quatre générations de chercheurs, de chercheuses, d’enseignants et d’enseignantes, membres passés, présents voire futurs du Centre de droit public. Elles ont ensuite débuté par un hommage particulièrement émouvant prononcé par Annemie Schaus à l’adresse de Philippe Lauvaux, membre éminent du Centre et qui nous fit l’honneur de sa présence1. Elles ont, enfin et surtout, permis à plus de vingt membres du Centre de livrer près de quinze communications inédites réunies dans cinq panels, chacun animé et présidé par une personnalité du Centre – Philippe Lauvaux, Bernard Blero, Pierre Van Der Vorst, Michel Leroy et Rusen Ergec – et chacun conclu par des amies2, de longue date ou plus récentes, membres d’une institution scientifique avec laquelle le Centre collabore régulièrement – Aube Wirtgen (VUB), Hugues Dumont (USL), Jean Faniel (CRISP), Diane Déom (UCL) et Céline Romainville (UCL)3.
§2 La thématique faitière et commune à ces communications était celle de la démocratie, un objet qui, lors des réunions préparatoires à ce jubilé, s’était rapidement imposé, tout d’abord, en raison de sa labilité tant théorique que pratique4, laquelle permettait aisément à l’ensemble des membres du Centre de se l’approprier quels que soient leurs domaines d’expertise. Ensuite, parce que précisément les incertitudes, elles aussi théoriques et pratiques que ce terme continue de charrier, nécessitaient l’identification et le rappel de quelques balises susceptibles de dénouer les fils complexes, et parfois paradoxaux, de ses manifestations les plus classiques – le régime parlementaire ou le système électoral – ou moins communes – la gestion paritaire de la sécurité sociale ou encore l’émergence d’autorités indépendantes. Enfin, le thème de la démocratie était une évidence également en raison des dangers qui pèsent aujourd’hui sur son devenir, comme l’illustrent les sombres prophéties par lesquelles Marc Uyttendaele concluait le colloque: « je pourrais vous dire que le gouvernement des femmes et des hommes sera dans quarante ans abandonné à l’intelligence artificielle et que la démocratie, avec ses parlements et ses élections, et même ses référendums, ses assemblées citoyennes ou ses budgets participatifs, est devenue aussi incongrue que ne l’est aujourd’hui une cabine téléphonique ».
§3 Qu’on se rassure cependant. Non seulement, Marc Uyttendaele a partagé quelques pistes de réflexion – réforme du statut parlementaire, consécration constitutionnelle de dispositifs participatifs voire de démocratie directe, débat national sur l’avenir du système fédéral - susceptibles de nous sortir, à court et moyen terme, du marasme démocratique dans lequel nous semblons vivre depuis plusieurs années, mais, en outre, à travers les différentes communications partagées lors de ces deux journées, ce sont aussi des constats plus réjouissants qui ont été posés, des perspectives plus engageantes qui ont été tracées et, en définitive, des utopies démocratiques qui ont été imaginées. Le présent volume réunit neuf de ces communications, inédites et mises à jour, que les lignes qui suivent présenteront succinctement.
La démocratie et ses variantes par Vincent de Coorebyter
§4 La première de ces contributions fera date tant elle permet de clarifier un univers sémantique marqué par la polysémie et de baliser un champ scientifique non dénué d’ambigüités conceptuelles. Intitulée La démocratie et ses variantes, elle est l’œuvre de Vincent de Coorebyter qui est titulaire de la chaire de Philosophie sociale et politique contemporaine de l’ULB, chaire transversale à la Faculté de droit et de criminologie et à la Faculté de philosophie et de sciences sociales où il enseigne notamment le cours de Théorie et pratique de la démocratie contemporaine. Il est, par ailleurs, l’auteur d’un nombre impressionnant de publications savantes et de vulgarisation5. Dans cette contribution introductive, Vincent de Coorebyter se propose, ni plus ni moins, de fournir une série de critères permettant de distinguer plusieurs variantes du régime démocratique contemporain qu’il s’attache à rigoureusement qualifier. À cette fin, l’auteur commence par rappeler quelques distinctions essentielles.
§5 La première renvoie au cœur de tout régime démocratique, soit au « rôle confié aux citoyens dans les processus de décision politique ». Il oppose le concept de « démocratie décisionnelle, qui donne un pouvoir de décision aux citoyens » à celui de « démocratie participative, qui donne aux citoyens un simple pouvoir consultatif ou de proposition qui leur permet de participer aux processus de décision, mais sans leur donner les moyens d’imposer leur volonté ». Au sein de la « démocratie décisionnelle », il distingue deux variantes : d’une part, la « démocratie directe, qui donne aux citoyens la possibilité de prendre eux-mêmes les décisions législatives et gouvernementales » et, d’autre part, « la démocratie représentative, qui confie les choix législatifs et gouvernementaux à des représentants élus par la population, tout en conférant à celle-ci la prérogative de sélectionner les personnes qui dirigeront les affaires publiques en son nom ».
§6, Mais une deuxième distinction, plus fondamentale, est pointée par l’auteur : elle oppose la notion de « démocratie catégorielle », héritière de l’organisation sociale prévalant durant l’Ancien Régime et reposant sur la coexistence d’ordres hiérarchisés, chacun porteur d’intérêts particuliers, à celle de « démocratie universaliste », quant à elle, indissociable de l’émergence de deux idées modernes que sont la Nation et l’intérêt général.
§7 Deux précisions importantes permettent de mieux appréhender l’articulation entre les deux grandes distinctions formulées par l’auteur. Premièrement, démocratie décisionnelle (directe ou représentative) et démocratie participative s’observent au sein des deux types de démocratie, catégorielle et universaliste. Deuxièmement, « au sein du système de démocratie universaliste instauré en Belgique, l’aspiration catégorielle persiste (…) Une foule de catégories de toute nature demandent à bénéficier de voies d’expression – voire de moyens de décision – qui leur soient propres (…) La démocratie catégorielle tend ainsi à redoubler la démocratie universaliste pour en corriger les effets ». En d’autres termes, « c’est la démocratie universaliste qui, sous sa forme participative, organise les mécanismes légaux de démocratie catégorielle ». Plus encore, Vincent de Coorebyter évoque toute une série de dispositifs hybrides où « des procédés typiques de la démocratie universaliste, comme l’élection, sont employés dans le champ de la concertation sociale », concertation emblématique, en Belgique, d’une forte logique catégorielle, où encore et à l’inverse, « des revendications catégorielles par leur origine, telles que les grèves dans le monde de l’administration ou dans des services privés subsidiés par l’État, prétendent souvent viser l’intérêt général, notion caractéristique de la démocratie universaliste ».
§8 Prenant dès lors acte de la « prééminence » contemporaine de la démocratie universaliste, l’auteur se propose de distinguer empiriquement trois déclinaisons de ce modèle : représentative, directe et participative. À cette fin, il pose une série de « choix terminologiques qui croisent des options de doctrine » en énumérant toute une série de dispositifs qui renvoient chacun à l’une des trois variantes suggérées. Ces dispositifs, envisagés à partir du point de vue des acteurs qui les éprouvent sur le terrain politique, sont multiples. Pour n’en donner que quelques exemples, sont rangés sous l’étiquette de « démocratie universaliste représentative » des mécanismes tels que l’élection ou l’assemblée de citoyens tirés au sort (avec pouvoir décisionnel). Sous le label de « démocratie universaliste directe », l’auteur classe des pratiques telles que le référendum, le budget participatif ou encore les éléments classiques de tout répertoire d’actions collectives6. Enfin, sous l’intitulé de « démocratie universaliste participative », on retrouve des procédés tels que les conseils consultatifs, les enquêtes publiques ou encore l’activité de certains organes de contrôle comme les médiateurs, le délégué général aux droits de l’enfant, UNIA, etc.7. Ce n’est pas tout. Pour chacun de ces mécanismes, Vincent de Coorebyter fournit une double analyse particulièrement précieuse. D’une part, est envisagé le rapport que ces mécanismes entretiennent avec la loi – sont-ils reconnus, organisés, tolérés ou interdits ? – ; d’autre part, leurs caractéristiques principales au regard de leur mise en œuvre sur le terrain et de leur degré de légitimité sont soigneusement identifiées. Le produit de cette étude, qui se présente sous la forme de trois tableaux en trois colonnes, est absolument fascinant et est destiné à devenir un outil de travail indispensable aux yeux de toute personne souhaitant explorer les méandres et les subtilités de notre organisation démocratique. Il permet enfin à Vincent de Coorebyter de conclure sa contribution par l’énoncé d’un paradoxe saisissant : « pourquoi existe-t-il un sentiment de crise de la démocratie, alors que nous bénéficions d’une telle profusion [de mécanismes démocratiques] ? La cause réside-t-elle dans cette abondance elle-même, dans un jeu de pouvoirs et de contre-pouvoirs qui ne se cessent de se contredire ou de se freiner mutuellement, devenant opaques, inefficaces et démobilisateurs ? Ou l’ensemble des mécanismes est-il grippé par la suprématie illégitime de certains acteurs : l’Europe, la particratie, les lobbys, le capitalisme… ? ». Si Vincent de Coorebyter s’abstient de fournir une réponse à cette interrogation vertigineuse8, à tout le moins offre-t-il les clefs permettant d’en mieux comprendre les termes.
L’autogouvernement du peuple et la centralité du régime représentatif par Hugues Dumont
§9 La deuxième contribution du présent dossier frappe également les imaginations par la finesse et la sophistication des raisonnements théoriques qui en tissent les fils. Intitulée L’idéal démocratique de l’autogouvernement du peuple et la centralité du régime représentatif, elle est signée par Hugues Dumont, professeur émérite à l’Université Saint-Louis et auteur d’une œuvre abondante et significative dans le champ des études constitutionnelles francophones9. Là où Vincent de Coorebyter adoptait une approche exclusivement analytique, Hugues Dumont, lui, assume une perspective résolument plus normative. Il s’agit, en effet, de démontrer que la « contribution du régime représentatif à l’idéal de l’autogouvernement du peuple est irremplaçable et centrale ». Pour ce faire, l’auteur nous livre un raisonnement en quatre étapes.
§10 La première consiste à rejeter deux théories « très influentes aujourd’hui », opposées sur le spectre politique, mais aboutissant à un même résultat : « reléguer l’idéal démocratique de l’autogouvernement du peuple au rang de mythe ». La première perspective est celle du courant néo-libéral incarné par l’économiste et philosophe Friedrich Hayek, thuriféraire emblématique de l’État minimal et du marché, critique radical de la justice sociale et de tout projet politique collectif10. La réduction qu’opère Hayek de la démocratie à un « État de droit libéral dans toute sa pureté » ne résiste pas aux objections formulées par Hugues Dumont, dont l’analyse souligne plusieurs biais observés dans le chef du courant incarné par Hayek (définition uniquement négative et individualiste de la liberté et des droits humains, lecture tronquée de l’histoire politique, refus autant définitif que problématique de la recherche du bien commun et de l’intérêt général). La deuxième perspective rejetée par Hugues Dumont est celle développée par la philosophe Catherine Colliot-Thélène, décédée en mai 202211, et qu’on situe plutôt à la gauche du spectre politique. L’analyse de Colliot-Thélène entend démontrer que « [le] couple [peuple et démocratie] soi-disant nécessaire et consubstantiel à l’idée de démocratie est une illusion masquant le propre de la démocratie moderne »12. En substance et partant de trois critiques adressées à la démocratie représentative – artificialité du système électoral, pluralité des instances du pouvoir échappant à tout contrôle et rejet des notions contrefactuelles de peuple ou de Nation, Colliot-Thélène propose de reconstruire le projet démocratique en l’ancrant « dans l’égalité des droits fondamentaux, dans les droits subjectifs que les individus détachés de toute appartenance devraient se voir reconnaître de la part des différents pouvoirs publics ou privés, au terme de luttes sociales menées à toutes les échelles pertinentes, de la commune à la Banque mondiale, en passant par les consortiums multinationaux, pour accéder à l’autonomie ». Hugues Dumont, moins sévère envers cette autrice qu’à l’endroit d’Hayek, estime grosso modo qu’elle jette cependant le bébé avec l’eau du bain : son agenda ambitieux et en partie justifié n’est pas élusif de la nécessité de renforcer la légitimité des institutions politiques existantes et ne peut conduire à minimiser les efforts déjà réalisés en ce sens. Enfin, et plus fondamentalement, il réprouve le fait que Colliot-Thénène considère le concept d’auto-législation et de représentation comme « des mythes sans signification ».
§11 En effet, et c’est la deuxième étape du raisonnement tenu par Hugues Dumont, il faut à l’inverse remettre à jour et revaloriser « les fonctions de la représentation politique au service de l’idéal de l’autogouvernement du peuple ». Cette démonstration est une valse à trois temps que l’auteur nous invite à danser. Premier temps : revenir sur l’œuvre fondatrice de la conception moderne de la représentation politique, celle d’Emmanuel Sieyès, née dans le contexte de la Révolution française. Il s’agit de mettre les choses au point à propos de la pensée de Sieyès, « trop souvent déformée ». Cette mésinterprétation a, en effet, conduit à considérer la nation souveraine comme « une pure abstraction totalement dénuée de la moindre volonté propre de sorte que ses représentants auraient toute liberté pour vouloir en son nom et pour son compte ». Or, en collant au plus près du texte original de Sieyès et en s’appuyant sur ses commentateurs les plus fins – tel le publiciste Pierre Brunet –, Hugues Dumont démontre, au contraire, l’existence d’une relation « dialectique », « relative sans doute, mais réelle », entre représentés et représentants, entre électeurs et élus, qui révèle le « processus intellectuel de la délibération ». Ce dernier aboutit à l’émergence d’une « volonté générale » qu’on ne peut raisonnablement totalement détacher des intérêts exprimés par les citoyens à l’occasion des élections. Deuxième temps : convoquer une théorie plus contemporaine de la représentation, en l’espèce celle du philosophe Bernard Manin, afin d’y puiser de nouveaux arguments tendant à « démonter la thèse qui prétend réduire la représentation politique à une pure fiction juridique ». Et pour cause, en faisant sienne « la théorie des trois motifs de Manin » – les élections habilitent et responsabilisent des gouvernants qui reflètent la diversité des électeurs –, Hugues Dumont conclut que « les représentants doivent répondre d’une façon ou d’un autre aux attentes des gouvernés ». Troisième temps : si on doit faire le deuil de la « représentation-miroir », on peut cependant imaginer, avec la philosophe Myriam Revault d’Allonnes, une alternative à la « représentation-écart » : la « représentation-mise en scène ». Pour Hugues Dumont, la confrontation politique en général, les débats parlementaires en particulier, « exercent bel et bien une fonction théâtrale en dramatisant les conflits politiques, en les rendant ainsi visibles par le grand public et en lui permettant d’accéder de cette manière au processus politique ».
§12 Les deux premières étapes du raisonnement d’Hugues Dumont consistent ainsi à rappeler et à réactualiser les vertus du régime représentatif. Il n’en demeure pas moins que l’auteur n’est ni sourd ni aveugle à la crise persistante qui frappe ce régime. Toutefois, les anciens ou nouveaux dispositifs qui sont convoqués aujourd’hui pour combler ce déficit démocratique doivent s’articuler avec les mécanismes de la démocratie représentative et laisser ces derniers au centre du jeu.
§13 La troisième étape du raisonnement d’Hugues Dumont, consiste à évoquer les raisons qui justifient, encore aujourd’hui, la place centrale que doit occuper la démocratie représentative dans notre organisation politique. À cet effet, l’auteur voit l’Assemblée parlementaire comme « centre de gravité ou au moins tour de contrôle du système ». Malgré leurs défauts, les règles du jeu électoral, en amont, et les principes régulant l’activité des élus et des gouvernants, en aval, garantissent, mieux que tout autre système, la réalisation des principes de l’État de droit démocratique. Il s’agit, dès lors, de formuler les motifs qui conditionnent désormais la centralité de la démocratie représentative. Après le rappel explicatif, Hugues Dumont s’attèle donc au volet prescriptif. En prenant appui sur plusieurs travaux récents menés par des constitutionnalistes belges, Hugues Dumont énumère toute une série de chantiers, parfois très opérationnels, dont la réalisation est susceptible de renforcer la légitimité et la qualité du travail des élus et des gouvernants.
§14 D’après Hugues Dumont, c’est donc dans le contexte d’une démocratie représentative renforcée, et uniquement dans ce contexte, que des procédures de démocratie directe ou de démocratie aléatoire (le tirage au sort des membres d’assemblées citoyennes et délibératives) peuvent prendre place. La quatrième et dernière étape de l’itinéraire singulier proposé par l’auteur vise ainsi à imaginer les modalités d’une articulation féconde entre régime représentatif et innovations démocratiques. Premièrement, après avoir mentionné les principaux griefs généralement adressés aux procédures référendaires, Hugues Dumont en rappelle les vertus, en s’appuyant notamment sur les travaux de deux politologues spécialistes de la démocratie directe, Marion Paoletti et Laurence Morel, lesquels soulignent l’intérêt de ces procédures au regard de leur triple fonction de responsabilisation, de formation et d’extension de la « base participante à la fois à la décision et au débat qui la précède ». Ce faisant, il se distancie du constat d’incompatibilité radicale que pose Bernard Manin entre démocratie représentative et démocratie directe puisque ces deux variantes de la démocratie peuvent être envisagées comme « deux modalités différentes [mais donc potentiellement complémentaires] pour approcher l’idéal de l’autogouvernement du peuple ». Parmi ces règles devant présider à la mise en œuvre de tout processus référendaire, il insiste sur celle qui assigne une place centrale à la démocratie représentative : « aucun référendum ni aucune consultation populaire ne devrait être organisé sans avoir été précédé d’une délibération par l’assemblée représentative en manière telle que le peuple appelé à trancher en dernière instance sera dûment éclairé par l’échange des arguments que cette délibération devrait favoriser ». Deuxièmement et à propos des dispositifs relevant de la démocratie aléatoire, Hugues Dumont commence par en souligner les avantages (entre autres, la réalisation des idéaux d’égalité et de représentativité ou le désengagement partisan de la délibération politique) ainsi que les inconvénients (entre autres, l’atomisation de la communauté politique ou l’irresponsabilité politique des citoyens tirés au sort). Essayant d’imaginer comment « la démocratie aléatoire peut venir utilement compléter la démocratie représentative », il envisage ensuite plusieurs modalités concrètes d’articulation entre ces deux modèles, chacune permettant de sauvegarder « la centralité qui doit revenir à la démocratie représentative » : obliger les élus à justifier publiquement leur décision de suivre ou non les recommandations formulées par des citoyens tirés au sort, inviter lesdits citoyens à participer aux délibérations parlementaires ou réinventer le bicaméralisme en constituant une Chambre composée de citoyens, avec ou sans d’autres élus, et munie d’un droit de veto sur les textes adoptés par l’Assemblée composée des seuls élus.
§15 En conclusion de ce roboratif voyage à travers le passé, le présent et le futur de notre régime représentatif, Hugues Dumont soulève deux questions décisives qu’il a volontairement éludées : celle de l’usage du terme « peuple » dans l’expression d’ « autogouvernement du peuple » et celle de la viabilité ou de l'adaptation de l’idéal démocratique de l’autogouvernement du peuple « en dehors du modèle de l’État-nation caractérisé par l’unicité du peuple appelé à s’autogouverner, que ce soit dans le contexte d’une fédération plurinationale comme l’Union européenne ou dans celui d’un État fédéral plurinational comme la Belgique ». On ne doute pas un seul instant que la pensée d’Hugues Dumont, subtile, dense, puissante, permettra à l’avenir d’apporter quelques pistes de réflexion à l’interrogation fondamentale qu’il soulève au terme de cette contribution-somme sur la démocratie représentative.
Le budget participatif par Letizia De Lauri et Annabelle Deleeuw
§16 Après les contributions de deux observateurs de la vie politique belge blanchis sous le harnais, place à la nouvelle génération incarnée par Letizia De Lauri et Annabelle Deleeuw, toutes deux assistantes chargées d’exercices en Droit constitutionnel, respectivement à l’UMons et à l’ULB. Leur contribution, intitulée Le budget participatif : effet de mode ou lame de fond ?, s’inscrit dans le droit fil de l’article d’Hugues Dumont. En effet, en s’attachant à décrire l’évolution de la légisprudence du Conseil d’État sur les normes régionales ayant autorisé ou organisé la pratique des budgets participatifs communaux, Letizia De Lauri et Annabelle Deleeuw mettent en débat le critère clef auquel a abouti le Conseil d’État dans ce cadre, à savoir celui du pouvoir décisionnel que conserve l’autorité communale ; lequel résonne parfaitement avec la volonté exprimée par Hugues Dumont de voir les institutions de la démocratie représentative, en l’espèce le Conseil communal, demeurer au centre du jeu politique.
§17 Dans une première partie qui commence par un bref rappel des origines de la pratique du budget participatif et de sa philosophie générale, les deux autrices procèdent à une analyse comparée de trois cas d’études soigneusement détaillés : les budgets participatifs des villes de Bruxelles, de Verviers et de Gand. Fondée sur la lecture des règlements communaux de ces trois communes – on saluera la démarche tant les normes locales semblent trop souvent négligées par la doctrine publiciste – et sur l’exposé de leur mise en œuvre sur le terrain, cette recherche vise à mettre en évidence les convergences et les différences de ces trois budgets participatifs en s’attardant sur leur forme, leur procédure, leur suivi opérationnel et l’implication des autorités communales tout au long du processus. Sur ces différents points, les autrices soulèvent autant de traits communs que de divergences. Elles constatent que « les budgets participatifs (…) étudiés ne reposent que sur une part marginale du budget général de la commune même dans le cas gantois qui est la commune qui, de loin, consacre les sommes les plus importantes à ce dispositif participatif. En outre et concernant le suivi des projets, les mécanismes observés dans les différentes communes (…) diffèrent grandement d’une expérience à l’autre, mais leur caractéristique commune renvoie à la mise à disposition, au bénéfice des citoyens, d’une certaine expertise communale en particulier à Gand et à Bruxelles. Aussi, seule la ville de Bruxelles a prévu une sélection des projets opérée directement par les citoyens alors que Gand et Verviers ont choisi des formules hybrides associant autorités communales et citoyens. Enfin, le Collège communal conserve toujours une place au sein soit du processus décisionnel de sélection, soit de la phase de concrétisation des projets ».
§18 La deuxième partie de leur étude est consacrée à l’évolution du cadre juridique qui, à l’heure actuelle, régule la pratique des budgets participatifs dans les régions wallonne, flamande et bruxelloise, et de la légisprudence corrélative du Conseil d’État. Sur ce point, les autrices rappellent que « l’article 42 de la Constitution constituant l’essence même de notre régime représentatif combiné à l’article 33, alinéa 2 définissant la manière dont les pouvoirs sont exercés par la Nation apparaissent toujours comme des boucliers à l’instauration d’une participation citoyenne à portée décisoire ». Certes, mais à l’occasion des réformes des normes régionales – Nouvelle loi communale à Bruxelles, Code de la démocratie locale et de la décentralisation en Wallonie, Décret communal (Gemeentedecreet) en Flandre – destinées à asseoir la pratique des budgets participatifs locaux, Annabelle Deleeuw et de Letizia De Lauri observent une évolution, ténue, mais palpable dans le chef du Conseil d’État.
§19 Le premier avis du Conseil d’État a été émis en 2009 à propos de l’avant-projet d’ordonnance modifiant la Nouvelle loi communale, avis qui, fondé sur l’article 162 de la Constitution combiné à son article 41, concluait à la violation de ces deux normes en raison du pouvoir décisionnel que cet avant-projet semblait réserver aux citoyens. En réponse, le législateur bruxellois a levé toute ambiguïté et a confirmé qu’il appartient uniquement au Conseil communal de décider d’affecter une partie du budget à des projets citoyens. Trois ans plus tard, lors de l’examen de l’avant-projet de décret wallon réformant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation, le Conseil d’État, tout en réaffirmant son interprétation rigoriste des principes constitutionnels précités, entrouvre plus franchement la porte aux budgets participatifs. Ainsi que le résument les autrices, « la section de législation du Conseil d’État reconnait par cet avis la possibilité de mettre en place un budget citoyen selon certaines formes, non énumérées exhaustivement, qui ne violeraient pas les articles 41 et 162 de la Constitution. En substance, le critère impératif qu’énonce la section de législation du Conseil d’État pour que ce mécanisme soit conforme à la Constitution est que la décision d’utilisation et d’affectation des moyens financiers communaux appartienne à l’autorité communale et à elle seule. Ce faisant, le Conseil d’État nuance opportunément sa position au départ méfiante à l’égard du budget participatif et reposant sur une interprétation assez stricte des dispositions constitutionnelles en jeu. Selon cette analyse quelque peu assouplie, l’instauration d’un budget participatif est désormais juridiquement possible en Belgique pour peu que le cadre décrétal adopté maintienne le pouvoir décisionnel budgétaire aux mains des seules autorités communales ». Cette position assouplie semble, aux yeux d’Annabelle Deleeuw et de Letizia De Lauri, confirmée par le mutisme affiché par la section de législation du Conseil d’État à l’occasion de la réforme du Décret communal flamand de 2017. Ce texte n’a en effet suscité aucun commentaire substantiel du Conseil d’État, même à propos du cadre constitutionnel en vigueur.
§20 Dans la dernière partie de leur étude, les autrices, accueillent favorablement l’évolution constatée dans le chef du Conseil d’État et tentent de la renforcer en convoquant une série de recommandations d’organes des Nations Unies ou du Conseil de l’Europe visant à encourager les États membres à développer des mécanismes permettant d’associer la population à la gestion de la chose publique, dont celui du budget participatif. Autant de textes qui pourraient à l’avenir, selon les autrices, « alimenter la réflexion des membres du Conseil d’État et les conduire à développer une interprétation plus souple de notre charte fondamentale ». Ce faisant, ces deux autrices poursuivent une tradition de longue date ancrée au sein des publicistes de l’ULB : interpréter notre cadre juridique national et en particulier notre Constitution au regard du développement du droit international et de l’activité des organisations internationales dont fait partie la Belgique.
La féminisation de la démocratie belge par Julien Pieret et Joëlle Sautois
§21 De la section de législation du Conseil d’État et de l’impact de recommandations internationales, il est aussi question dans la contribution suivante qui développe une thématique pourtant bien différente. Comme son titre l’indique – 40 ans de féminisation de la démocratie belge : la prise en compte du genre dans la régulation de la représentation et de la participation politiques – cette étude, signée par Julien Pieret, directeur du Centre de droit public depuis 2018, et Joëlle Sautois, membre de longue date du Centre et avocate reconnue et spécialisée en droit public et administratif au Barreau de Bruxelles, se propose, d’une part, de tracer le bilan du développement continu, durant ces trente dernières années, d’un arsenal législatif visant à augmenter la présence des femmes au sein des parlements et des gouvernements et, d’autre part, d’interroger le rôle du droit public dans cette évolution. Le bilan est exposé dans la première partie de cette contribution et repris sous la forme de tableaux annexes ; il est spectaculaire : « l’adoption continue d’un arsenal de règles de droit public destinées à favoriser la présence des femmes au sein des organes législatifs et exécutifs fait une différence. Certes, les parlements peinent à atteindre une stricte parité dans leur composition, à l’exception de la parenthèse enchantée observée au Sénat entre 2014 et 2019. Certes encore, les progrès ne semblent jamais définitivement acquis et cette situation justifie empiriquement le maintien, sans doute encore pour de nombreuses années, de tels quotas, mais la féminisation des assemblées parlementaires est indéniable et sur ce point, le système de la parité, et a fortiori de la tirette, sur les listes de personnes candidates aux élections a permis d’engendrer, puis de consolider, de substantielles améliorations ». Et de poursuivre : « l’impact de telles règles sur la composition des gouvernements est lui aussi indéniable : (…) des exécutifs exclusivement masculins ont longtemps été la norme en Belgique et l’adoption de règles prévoyant à tout le moins leur mixité a pu renforcer une tendance parfois déjà à l’œuvre auparavant ».
§22 La deuxième partie de cette contribution vise à démontrer que « si les règles de droit public ont pu assurément jouer un rôle favorable à la représentation des femmes dans l’arène politique, des raisonnements propres à cette discipline juridique et à ses fondements théoriques ont pu aussi et peuvent toujours constituer de puissants obstacles à l’accroissement de cette représentation ». Ainsi, Julien Pieret et Joëlle Sautois rappellent que la section de législation du Conseil d’État a, par le passé et singulièrement dans ses avis datant des années 1980 et 1990, convoqué toute une série de principes relevant du droit public – l’égalité et la non-discrimination, le droit à des élections libres, la nature représentative de notre régime constitutionnel ou encore la liberté d’association – en vue de faire obstacle aux projets de réforme visant à instaurer des quotas de femmes sur les listes électorales. Si certains de ces arguments n’ont pas résisté aux critiques doctrinales et si d’autres ont justifié une révision constitutionnelle opportune – ainsi l’adoption de l’article 11bis de la Constitution destiné à consacrer la possibilité d’actions positives en faveur des femmes –, la contribution pointe surtout l’influence décisive et aujourd’hui pérenne, sur l’évolution du cadre juridique belge de la Convention des Nations Unies de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. En effet, en se basant sur une lecture fouillée de nombreux débats parlementaires, Joëlle Sautois et Julien Pieret constatent qu’« en quarante ans, la Belgique est passée d’une lecture restrictive de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et d’une ignorance du texte international le plus signifiant en la matière à une vision moins formelle du principe d’égalité, vision alimentée par la Convention des Nations Unies de 1979 dont les ressources sont de plus en plus maitrisées par les parlementaires belges ».
§23 Pour autant, l’adoption par les entités fédérées de règles plus exigeantes sur la composition genrée de leur gouvernement a récemment rencontré un nouvel obstacle, lui aussi né de l’imagination toujours redoutable des membres de la section de législation du Conseil d’État. En 2022, à l’occasion d’une proposition d’ordonnance spéciale de la Région de Bruxelles-Capitale visant à prévoir une représentation minimale d’un tiers de chaque sexe dans l’exécutif, la Section de législation du Conseil d’État s’est opposée à cette règle sur la base d’une interprétation particulièrement restrictive de l’autonomie constitutive des entités fédérées. Alors que le Conseil d’État n’avait pas soulevé ce point lors de deux avant-projet/propositions de décrets similaires déposés au Parlement wallon et à celui de la Communauté française, il estime désormais que « lors de l’extension de l’autonomie constitutive opérée lors de la sixième réforme de l’État, le législateur spécial avait, à cette occasion, explicitement mentionné, dans les travaux préparatoires, la possibilité de favoriser la présence des femmes au sein des parlements. Or, lors de la quatrième réforme de l’État, lorsque la possibilité avait été reconnue aux entités fédérées de modifier le nombre de membres de leur gouvernement respectif, aucune référence expresse n’avait été faite à celle de prévoir une représentation garantie de l’un ou l’autre sexe ». Se fondant sur ce silence parlementaire, pourtant contredit par des prises de position tenues à l’occasion de l’adoption de l’article 11bis de la Constitution, le Conseil d’État conclut qu’aucune entité fédérée ne peut aller jusqu’à prévoir un quota sexué au sein de son gouvernement. Il est peu de dire que le Parlement bruxellois ne sera pas convaincu par cette lecture littérale et cornaquée de l’autonomie constitutive. Après l’avoir soigneusement rejetée, il adopte donc son ordonnance spéciale le 22 juillet 2022. Celle-ci oblige, dès les prochaines élections de mai 2024, le gouvernement bruxellois, à l’image des exécutifs de la Région wallonne et de la Communauté française, à compter au moins un tiers de représentant de chaque sexe en son sein. La conclusion de cette partie nous met ainsi en garde : « si en quarante ans, la tendance majoritaire consiste à désormais envisager le droit public comme moteur et véhicule de normes destinées à augmenter la présence des femmes dans les institutions parlementaires ou gouvernementales (…), force est de constater qu’aucun combat n’est, en ce domaine, définitivement gagné : à chaque instant, ce même droit public peut être réinvesti avec pour objectif ou pour conséquence de faire obstacle à une mesure destinée à augmenter le nombre de femmes au parlement ou au gouvernement ».
§24 Dans la suite de leur contribution, Joëlle Sautois et Julien Pieret larguent les amarres du droit positif, de son interprétation et des raisonnements techniques du Conseil d’État pour adopter une perspective davantage ancrée dans la sociologie du droit et en particulier dans l’étude conjointe du droit et des mouvements sociaux, une approche de plus en plus présente parmi les travaux menés par l’équipe du Centre de droit public13. En effet, le combat pour la démocratie paritaire « n’est pas le fruit du seul développement de la science juridique ; elle est aussi et surtout le produit d’une mobilisation sociale assez singulière » au déroulement paradoxal : « par rapport à d’autres luttes féministes (…), le combat mené en vue d’augmenter la présence des femmes au sein des institutions politiques ne semble pas, à première vue, avoir reposé sur une mobilisation de masse ou avoir suscité un débat prégnant et visible dans l’opinion publique. Aussi, il ne semble pas avoir été au cœur des principales revendications portées par le mouvement féministe belge et les associations le composant ». Or, non seulement ce combat a été mené, mais, en outre, a-t-il été largement gagné. Comment dès lors élucider cette énigme alors que le féminisme belge fut, comme le rappelle cette contribution, historiquement rétif à revendiquer des droits politiques au bénéfice des femmes ?
§25 Julien Pieret et Joëlle Sautois pointent à cet égard deux éléments emblématiques de la singularité de la lutte pour la parité. Premièrement, cette lutte est indissociable de l’émergence, dès la fin des années 1970, puis de la consolidation par la suite, d’un « féminisme d’État », soit le constat d’une récupération étatique, par la création de ministères dédiés ou d’agences spécialisées, d’une partie de l’agenda militant porté par le mouvement féministe. Cette apparition, décisive dans le combat pour la démocratie paritaire, aura deux conséquences majeures : « d’une part, les structures étatiques deviennent poreuses et le mouvement féministe bénéficie désormais en son sein de relais ou de leviers permettant la mise à l’agenda des revendications qu’il porte de longue date. D’autre part, certaines thématiques, au départ peu investies par les associations féministes – dont évidemment et au premier chef, celle de la démocratie paritaire – sont désormais directement pilotées par des femmes situées à l’intérieur de l’État et qui bénéficient à ce titre d’une autorité et d’une légitimité incontestables, mais également de ressources décisives (budget, administration, expertise) ». Deuxièmement, la contribution insiste sur l’activité soutenue de plusieurs organisations internationales, dont les Nations Unies, l’Union européenne et surtout le Conseil de l’Europe dans le domaine de la participation des femmes à la vie politique. « D’une part, ces arènes constituent le foyer d’une expertise, juridique, sociologique et politologique permettant de vider de leur substance les principaux arguments défavorables à la démocratie paritaire et qui servira de substrat à l’adoption de normes internationales de plus en plus exigeantes. D’autre part, elles permettent la consolidation d’un réseau de femmes qui, fortes de la légitimité que ces institutions leur reconnaissent, pourront par la suite réinvestir une scène politique nationale qui n’aura plus la possibilité de rester sourde à leurs revendications ».
§26 Cette heureuse évolution retracée par Joëlle Sautois et Julien Pieret, à la fois sous un angle juridique et dans une perspective plus sociologique, pourrait cependant connaitre un nouvel épisode à la suite de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 19 juin 2019, à propos de la réforme intervenue en 2017 quant à la loi du 10 mai 2007 relative à la transsexualité. En effet, par cet arrêt, dont l’analyse constitue le cœur de la quatrième et dernière partie de cette contribution, la Cour considère que l’imposition d’un choix induite par cette législation – on est de sexe masculin ou de sexe féminin même si l’on en change – n’est pas conforme aux principes d’égalité et de non-discrimination ainsi qu’au droit à l’autodétermination. La Cour reconnait l’existence de personnes dites « non binaires » qui devraient avoir l’opportunité d’échapper à l’assignation d’un sexe déterminé. Julien Pieret et Joëlle Sautois s’interrogent : « la lutte contre les différences de traitement fondées sur une identité de genre non binaire ne rend-elle pas immédiatement nécessaire de réévaluer toutes les mesures législatives prises pour combattre les inégalités entre femmes et hommes, notamment dans la représentation politique ? ». Comment en effet rendre compatible l’existence de personnes se revendiquant « non-binaires » et qui souhaiteraient participer aux élections avec les règles qui, en Belgique, prévoient, par exemple, une stricte alternance des sexes sur les listes électorales ? À titre prospectif, les différentes modalités par lesquelles le droit belge a permis d’accroître la participation politique des femmes durant ces quarante dernières années sont réenvisagées en vue de discerner dans quelle mesure elles doivent ou non évoluer en vue de satisfaire la nouvelle jurisprudence, potentiellement révolutionnaire, de la Cour constitutionnelle.
La lutte contre les ennemis de la démocratie par Mathieu Dekleermaker et Jérôme Sohier
§27 La conclusion de la contribution de Julien Pieret et de Joëlle Sautois se termine par un regret : « force est de constater que, dans cette lutte [pour la démocratie paritaire], le Centre et ses membres ne se sont guère mobilisés, alors qu’ils se sont durablement investis dans d’autres combats sociaux – ainsi la lutte contre l’extrême droite ou plus généralement contre le racisme ». Précisément, le combat mené par les membres du Centre contre les partis d’extrême droite constitue la toile de fond de la cinquième contribution ici rassemblée. Rédigée par Jérôme Sohier, pilier du Centre depuis près de trente ans et auteur d’une thèse récente particulièrement stimulante sur le thème de notre colloque anniversaire14, ainsi que par Mathieu Dekleermaker, collaborateur scientifique assidu du Centre et lui aussi avocat au Barreau de Bruxelles15, elle s’intitule La lutte contre les ennemis de la démocratie, une lutte immédiatement présentée comme inscrite dans « l’ADN » du Centre de droit public de l’ULB, dont plusieurs membres ont « privilégié, depuis longtemps, la thèse de l’interdiction pure et simple de ces partis qui vomissent la démocratie, la liberté et l’égalité ». Or, cette thèse ne va pas de soi comme le soulignent ces deux auteurs qui, sur ce point, rappellent la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dont on connait l’attachement aux partis politiques et la répugnance corrélative à admettre leur dissolution. Celle-ci n’est cependant pas totalement réprouvée par la juridiction strasbourgeoise. En effet, elle admet qu’une mesure de dissolution soit adoptée moyennant le respect de strictes conditions rappelées par les auteurs qui attirent surtout notre attention sur le fait que cette jurisprudence est la source d’une « obligation positive de l’État de lutter contre les activités liberticides imputables à des personnes privées dans le cadre de structures qui ne relèvent pas de la gestion de l’État et pouvant porter atteinte aux droits et libertés des personnes relevant de leur juridiction ». La suite de la contribution consiste, en bref et d’une part, à évaluer l’efficacité des dispositifs actuellement en vigueur en Belgique et qui en quelque sorte traduisent la réalisation de cette obligation positive et, d’autre part, à imaginer de nouveaux mécanismes, parfois inspirés par le droit de pays voisins de la Belgique.
§28 Mathieu Dekleermaker et Jérôme Sohier identifient cinq dispositifs permettant, à l’heure actuelle et théoriquement, de limiter l’influence des partis politiques d’extrême droite. Le premier est celui ayant trait au financement des partis politiques, lequel figure dans les articles 15bis et 15ter de la loi du 4 juillet 1989 relative au financement et à la comptabilité ouverte des partis politiques. Si la contribution présente un bref historique de ces deux dispositions, elle s’attarde surtout sur l’échec de la mise en œuvre de la procédure prévue par cet article 15ter, et dont l’objectif visait à supprimer la dotation du parti qui s’appelait toujours, au moment d’initier cette procédure, le Vlaams Blok16. L’histoire est connue : par un arrêt rendu en assemblée générale du 15 juin 2011, le Conseil d’État absout ce parti en considérant que seuls des propos qui incitent directement à violer un principe essentiel à la démocratie peuvent justifier la sanction prévue par la loi du 4 juillet 1989. Or, d’après le Conseil d’État, tel n’était pas le cas des propos versés au dossier et imputés au parti flamand. Cette interprétation restrictive est farouchement critiquée par nos deux auteurs qui regrettent que les membres francophones et néerlandophones de l’Assemblée générale du Conseil d’État aient pu être divisés sur cette affaire : « il ne reste plus grand-chose de la ratio legis de l’article 15ter précité : en pratique, l’expression de propos xénophobes ne peut entraîner aucune conséquence sur le plan légal, sauf à l’auteur du discours d’en appeler explicitement à transgresser une norme juridique en vigueur ». Le deuxième dispositif étudié renvoie au droit disciplinaire des parlementaires. En dépouillant l’ensemble des règlements des parlements du pays, nos deux auteurs y voient diverses dispositions offrant aux présidents de ces assemblées une palette de sanctions possibles (rappel à l’ordre, exclusion temporaire …) lorsqu’un parlementaire trouble une séance de travail, par exemple en y tenant des propos liberticides17. « D’un point de vue pratique cependant, cette faculté disciplinaire n’est que très peu utilisée lors des incidents durant les travaux des Parlements ». À l’appui de ce constat désenchanté, les auteurs pointent deux exemples : celui de Laurent Louis en 2014 et celui de Luk Van Biesen en 2016. Le troisième dispositif présenté trouve également sa source dans le droit parlementaire. En effet, plusieurs assemblées belges ont introduit dans leur règlement respectif une disposition permettant de retirer « la reconnaissance du statut de groupe politique lorsque leurs membres ou des membres du parti dont sont issus les parlementaires du groupe ont été condamnés par une décision coulée en force de chose jugée sur la base d’une violation d’une législation visant à lutter contre le racisme et la xénophobie ». Le Parlement flamand prévoit même la suspension de la dotation octroyée à un parti politique en pareil cas. Cependant, force est aussi de constater que ce type de disposition n’a jamais été totalement appliqué, même dans le cas du Vlaams Blok / Belang dont plusieurs associations satellites avaient pourtant été condamnées, en 2004, pour violation de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie. On quitte le droit parlementaire avec le quatrième dispositif analysé, soit la révision de l’article 150 de la Constitution opérée en 1999 et ayant abouti à soustraire de la compétence de la Cour d’assises les délits de presse à caractère raciste ou xénophobe. Jérôme Sohier et Mathieu Dekleermaker estiment « qu’il s’agit de l’outil qui a été le plus efficace dans l’histoire juridique belge ». Enfin, le dernier dispositif étudié est celui déduit du droit commun de la responsabilité pénale et civile. Certes, rappellent les auteurs, « le régime de l’immunité et de l’irresponsabilité parlementaires a donc pour conséquence de rendre difficile, voire impossible, une action judiciaire pénale ou civile à l’encontre d’un parlementaire pour des propos racistes, xénophobes ou liberticides émis dans le cadre de ces fonctions », mais la récente affaire Georges Gilkinet, condamné pour avoir, en tant que député, porté atteinte à l’honneur et à la réputation de l’homme d’affaires Patokh Chodiev à la suite de propos émis dans la presse, semble quelque peu changer la donne. À la suite de cette jurisprudence, il semble désormais plus facile d’entamer des actions judiciaires à l’égard de parlementaires. Nos auteurs espèrent ainsi une issue favorable à la procédure en cours contre le député Dries Van Langenhove dont l’immunité a été levée le 9 mars 2021 en raison de propos et d’actes contraires à la loi de 1981 précitée. Si cette procédure aboutit à une condamnation, il s’agirait de « la première procédure pénale à l’encontre d’un député fédéral pour des infractions relatives à l’incitation à la haine ».
§29 Ainsi, l’arsenal actuellement en vigueur en Belgique apparait largement inefficace en vue de limiter l’activité délétère des partis liberticides. Dans la dernière partie de leur contribution, Jérôme Sohier et Mathieu Dekleermaker envisagent plusieurs pistes susceptibles de fonder une politique effective de lutte contre de tels partis. La première, qui a déjà fait l’objet de propositions déposées sur le bureau de la Chambre des représentants18, consiste à réviser la Constitution en vue de reconnaitre l’existence des partis politiques, de conditionner leur reconnaissance au respect des libertés publiques et des droits fondamentaux et de prévoir un contrôle juridictionnel exercé par la Cour constitutionnelle. Malgré les limites de cette option, notamment observables en Allemagne d’où l’idée provient, une telle réforme présenterait « outre [un] impact symbolique, un effet préventif non négligeable, consistant dans la menace d’interdiction – et de suppression de tout financement – qui pèse sur toute formation qui ne respecterait pas les règles du jeu de l’ordre libéral et démocratique ». La deuxième piste de réforme pourrait s’inspirer de débats en cours chez nos voisins français. En effet, depuis plusieurs années, « l’idée de mettre en place un système visant à interdire les ‘listes communautaires’ lors des différentes élections françaises » est âprement discutée. Elle n’a, à ce jour, pas abouti et elle semble achopper sur la difficulté d’identifier des critères objectifs permettant de cibler les partis qui seraient concernés par une mesure d’interdiction et/ou de remboursement des dépenses électorales. Cette difficulté semble dirimante, car « l’on n’aperçoit pas quels critères objectifs le législateur pourrait utiliser pour mettre en place un système d’interdiction préalable de certaines listes électorales sans tomber dans l’arbitraire ». Reste alors une dernière piste, dont la dimension « iconoclaste » est assumée par les auteurs : mettre officiellement fin au cordon sanitaire et forcer les partis qui en font aujourd’hui l’objet à participer au pouvoir19. En effet, Jérôme Sohier et Mathieu Dekleermaker, partant du constat désolant que les idées véhiculées par un parti comme le Vlaams Belang ont été « plus ou moins systématiquement copiées et banalisées par une grande partie de leurs concurrents », spéculent, avec d’autres, « sur l'effet calamiteux, pour ce parti, d'une participation à une majorité gouvernementale, dès lors qu'il ne dispose à son programme d'aucun objectif qu'il pourrait sérieusement matérialiser ». À l’appui de cette piste paradoxale et à l’issue de cette étude engagée, les auteurs se risquent à une métaphore qui anticipait de façon saisissante la crise sanitaire à venir : « soit, comme un médecin, on décide de prévenir le mal et l'on adopte une mesure visant à interdire purement et simplement les partis liberticides (…) ; soit, l'on se refuse à limiter les libertés d'expression et d’association à ce point, auquel cas il faut assumer la logique de ce renoncement, en acceptant d'injecter, comme un biologiste, une dose infime du mal dont on veut se préserver – on tolèrera alors le parti extrémiste et l'on prendra soin de s'en vacciner. Ce choix implique le pari d'emmener, le cas échéant, ce parti dans une majorité gouvernementale, à charge pour son partenaire à l’exécutif de veiller à mettre des balises minimales (…) en excluant toutes les exigences liberticides insupportables ».
L’impact du fédéralisme sur la démocratie par Lucien Rigaux et Quentin Peiffer
§30 La sixième contribution de ce dossier est signée par Lucien Rigaux, assistant temps plein en droit constitutionnel et doctorant au Centre20, et Quentin Peiffer, assistant chargé d’exercices en droit constitutionnel, responsable du service juridique d’un important gestionnaire de réseaux de gaz et d’électricité belge et collaborateur scientifique chevronné du Centre21. Intitulée L’impact du fédéralisme sur la représentation démocratique en Belgique, elle vise à présenter comment la représentation « des entités fédérées et dans les entités fédérées » a évolué depuis la deuxième réforme de l’État, contemporaine à la création du Centre, bref à sonder dans quelle mesure, en Belgique, un « pacte social constitué d’individus libres et égaux se double (…) d’un pacte fédéral constitué d’entités autonomes et égales ». À cette fin, elle comprend deux parties.
§31 La première partie est consacrée à l’évolution de la représentation dans les entités fédérées et en explore trois des principaux vecteurs : le mode électif des députés dans les assemblées fédérées, les leviers dont bénéficient les entités fédérées pour régler les modalités de leur représentation et les rapports entre leur parlement et leur exécutif. Ainsi commence-t-elle par refaire l’histoire de la démocratisation progressive des parlements communautaires et régionaux, une histoire ambivalente marquée par de nombreux paradoxes – comme, le fait que la première assemblée fédérée composée de personnes élues directement, soit le Conseil de la Communauté culturelle allemande en 1974, n’avait à l’origine et jusqu’en 1984 qu’un pouvoir réglementaire et non décrétal ou encore la surreprésentation néerlandophone au Parlement bruxellois figée en 2001. Si une étape décisive fut franchie lors de la quatrième réforme de l’État de 1993 avec l’adoption du principe de l’élection directe des membres du Parlement wallon et du Parlement flamand en lieu et place du système du double mandat, les auteurs se montrent plus mitigés quant à l’impact de la sixième réforme sur la vigueur démocratique de notre fédéralisme. Une réforme qui, selon Quentin Peiffer et Lucien Rigaux, souffle le chaud – « l’interdiction du cumul de candidatures à des élections simultanées dont les mandats sont incompatibles entre eux » – mais également le froid – « la simultanéité des élections fédérales, régionale et européennes ».
§32 Après un bilan de l’autonomie constitutive, un rappel de son évolution, de son contenu et de ses limites, ici illustrées par l’exemple d’une obligation de vote éclatée entre différents niveaux de pouvoir, la contribution de Lucien Rigaux et de Quentin Peiffer se poursuit par une vertigineuse étude des impasses produites par la rencontre entre le parlementarisme rationalisé et la complexité institutionnelle de la Belgique fédérale. La sédimentation tortueuse du régime parlementaire au sein des entités fédérées nous donne à voir « une histoire sans évolution » : « lorsqu’on analyse la combinaison de la question de confiance dans les entités fédérées avec l’absence de dissolution des assemblées, on constate un déficit démocratique, mais aussi, paradoxalement, un amoindrissement de la stabilité ». Prenant appui sur l’épisode du gouvernement Borsus de la Région wallonne (2017-2019), les auteurs attirent notre attention sur l’un des points aveugles du parlementarisme fédéré. D’une part, « sans cette possibilité de dissoudre l’assemblée, la double contrainte est de mise en temps de crise : soit un gouvernement minoritaire reste en place avec les pleins pouvoirs sans être obligé de démissionner ou de poser une question de confiance ; soit il démissionne et il doit exercer les affaires courantes en attendant les futures élections, lesquelles ne peuvent être anticipées pour installer un gouvernement de plein exercice soutenu par une nouvelle majorité ». Mais, d’autre part, la composition du Parlement de la Communauté française et la présence de six personnes directement élues par partie de la population bruxelloise au sein du Parlement flamand rendent à l’heure actuelle inconcevable tout projet visant à permettre la dissolution anticipée des parlements communautaires et régionaux22.
§33 La deuxième partie de la contribution de Quentin Peiffer et Lucien Rigaux porte cette fois sur la représentation des entités fédérées au sein de la Fédération belge et sur son évolution. Celle-ci témoigne indiscutablement d’une réduction de la démocratie intra-fédérale à un affrontement entre deux blocs : « les modalités et les effets de [la] représentation des entités fédérées dans la Fédération cachent une logique communautaire qui précédait la logique fédérale ». En effet, lorsque la fédéralisation du pays s’enclenche, elle se greffe à une architecture constitutionnelle qui consacre et fige la dualité linguistique du pays – les exemples de la parité linguistique au sein du Conseil des ministres ou du dispositif de la sonnette d’alarme sont à cet égard emblématiques. Et tout au long de son évolution, la fédéralisation de la Belgique ne parviendra jamais à extraire notre imaginaire politique et nos pratiques démocratiques de ce schéma bipolaire. Par conséquent, sur plusieurs points, la participation des entités fédérées à la mécanique fédérale apparait quasi nulle. Ainsi, l’étude revient sur leur participation pour le moins réduite lors de la procédure de révision de la Constitution ou encore sur l’échec de faire du Sénat « la chambre des entités fédérées ». Sur ces deux enjeux, les auteurs rappellent l’existence, notamment au moyen du droit comparé et en tenant compte des spécificités belgo-belges, de plusieurs pistes de réflexion susceptibles d’accroître le principe de participation, envisagé ici comme opérant la traduction de l’idée démocratique au sein d’un système fédéral.
§34 Mais, c’est par leur analyse, à notre connaissance inédite sous cette forme, des procédures en conflit d’intérêts initiées en Belgique depuis quarante ans que les auteurs achèvent de nous convaincre de la prégnance mortifère d’une logique bipolaire au cœur du fédéralisme belge. Cette analyse repose sur le dépouillement exhaustif des cinquante-six motions en conflits d’intérêts que les assemblées législatives belges ont adoptées depuis la création de cette procédure en 1980. Le résultat de cette recherche autant quantitative que qualitative et illustrée par des tableaux et des graphiques particulièrement soignés est imparable : tous les indicateurs construits par les auteurs démontrent que la procédure en conflit d’intérêts est « bien souvent déviée de sa fonction. Elle dissimule en effet fréquemment des rapports de force linguistique comme le montrent les entités en conflit, les objets soulevés par les motions, les majorités qui se dégagent au Sénat ou encore les motions adoptées par une entité francophone pour contrebalancer leur sous-représentation francophone au fédéral ». En conclusion de leur analyse originale des relations complexes entretenues entre l’idée démocratique et la construction fédérale, Lucien Rigaux et Quentin Peiffer ne peuvent que soulever un paradoxe, un de plus : le constat d’un fédéralisme évolutif qui enquille des réformes institutionnelles, d’une part, et celui d’un système profondément engoncé dans une logique bipolaire faisant obstacle à l’accomplissement de toutes les facettes de la démocratie fédérale, d’autre part.
Droit administratif et démocratie par Patrick Goffaux
§35 Depuis sa création en 1979, le Centre a toujours pu s’enorgueillir de la présence d’illustres juristes dont les travaux ont fait et continuent de faire autorité dans le champ des études administratives. Après Maurice-André Flamme, Jean-Michel Favresse, Philippe Quertainmont ou encore Michel Leroy, c’est aujourd’hui Patrick Goffaux qui a repris le flambeau de cette tradition23. On ne présente plus celui qui a été le doyen de la Faculté de droit et de criminologie de l’ULB entre 2014 et 2018 et dont le Dictionnaire de droit administratif24 est sur le bureau de toute personne s’intéressant à la matière administrative. Patrick Goffaux ponctue le titre de sa contribution Droit administratif et démocratie d’un point d’interrogation auquel nous pourrions substituer un farouche point d’exclamation à l’issue de notre lecture du texte. Celui-ci débute par rappeler que « si l’on s’en tient à [la] portée première [du mot démocratie] : le pouvoir ou la souveraineté émane du peuple, il y aurait, en réalité, fort peu à dire des rapports, du moins directs, que la démocratie entretient avec le droit administratif » puisque « seules en effet deux autorités administratives belges sont élues au suffrage universel direct : le conseil provincial et le conseil communal ». Toutefois, Patrick Goffaux ne se limite pas à cette première acception du terme, dans la mesure où son étude repose sur une lecture plus exigeante, plus substantielle, plus moderne de la démocratie, celle charriée par l’expression « État de droit démocratique ». En effet, « l’imperium, soit le prolongement armé de la souveraineté, ne peut désormais plus s’exercer de manière légitime que dans le respect de la règle de droit, et ce, quand bien même cette souveraineté émanerait du peuple ; et, faut-il aussitôt ajouter : des mécanismes de contrôle doivent veiller à l’effectivité de ce respect ». Ainsi, c’est précisément à l’étude du développement des mécanismes qui ont amplifié le contrôle de la légalité de l’action de l’administration durant ces quarante dernières années que s’attache la contribution de Patrick Goffaux.
§36 Certes, les fondations de ce contrôle – l’arrêt La Flandria rendu par la Cour de cassation en 1920 ou la création du Conseil d’État en 1946 – étaient déjà bien installées dans le paysage juridique au moment de la création du Centre ; il n’en demeure pas moins qu’elles ont été renforcées et approfondies au gré d’une jurisprudence sans cesse affinée par la Cour de cassation ou le Conseil d’État. Ainsi, le recours aux principes de légitime confiance ou de bonne administration, mais aussi le développement des principes du raisonnable et de proportionnalité attestent de cette évolution. Celle-ci ne semble pas terminée comme en témoignent les débats actuels sur la reconnaissance émergente de nouveaux principes, tels que celui du délai raisonnable ou encore de l’exercice effectif du pouvoir d’appréciation. Ce mouvement jurisprudentiel a du reste été consacré, accompagné ou suscité par diverses réformes législatives qu’énumère Patrick Goffaux – de la possibilité d’assortir une décision d’astreintes à celle d’adopter des mesures provisoires. Toutes ont permis d’accroître considérablement l’effectivité du contrôle de légalité s’exerçant sur les actes administratifs dont « la présentation doctrinale (…) se veut plus systématique et analytique » au point d’aboutir à « une véritable théorie générale de l’acte administratif qui constitue en quelque sorte le pendant de la théorie générale de l’obligation que connaît depuis longtemps le droit civil ».
§37 Cette partie se termine par la mise en évidence de deux chantiers qui risquent bien d’animer la doctrine, le juge et le législateur : le contrôle des autorités administratives indépendantes ainsi que le contrôle de tutelle sur les entités territorialement décentralisées. S’agissant du premier chantier, Patrick Goffaux note « que l’organisation de ces contrôles n’en est encore qu’à ses débuts », mais que ce contrôle qu’il qualifie de « diffus » « peut prendre des formes variées, la combinaison de ces diverses formes permettant, au gré des espèces, d’assurer que s’exerce sur l’AAI [autorité administrative indépendante] un contrôle démocratique suffisant ». Il pointe cependant la nécessité d’améliorer les modalités du contrôle parlementaire afin « que ce dernier s’exerce utilement avant que les dérapages n’interviennent ». Du côté des autorités décentralisées territorialement ensuite, il constate que « depuis le début des années 2000, de manière récurrente, des scandales importants viennent défrayer l’actualité », ce qui confirme l’existence de « failles (…) dans le contrôle de tutelle ». Malgré l’adoption répétée de nouvelles règles dites « de bonne gouvernance », de tels scandales n’ont pas cessé, ce qui pousse l’auteur à considérer « qu’au-delà des failles du système juridique, une certaine proximité politique entre contrôleur et contrôlé grippe aussi les mécanismes de tutelle administrative ». D’après lui, ce contrôle doit être fondamentalement revu. De lege feranda, il suggère de renforcer le rôle des services régionaux en charge des pouvoirs locaux, de créer un corps spécial d’inspecteurs des pouvoirs locaux ou encore de limiter drastiquement la possibilité d’instituer d’innombrables entités para-communales ou para-provinciales.
§38 L’autre partie de la contribution de Patrick Goffaux renvoie à cette idée, parfois négligée par l’analyse politique et juridique, selon laquelle ce qui est démocratique est accessible au plus grand nombre. Sur ce point, « en quarante ans, le progrès est manifeste. L’administration est moins secrète, moins unilatérale, plus transparente et plus accessible ». Évidemment, faut-il rappeler la petite révolution démocratique qu’a constituée l’adoption de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, à laquelle il faut, bien sûr, ajouter la consécration constitutionnelle du droit de consulter chaque document administratif réalisée en 1993. Cet arsenal performant déclinant le droit à la publicité, qui s’est déployé aussi bien au fédéral que dans les entités fédérées, autorise Patrick Goffaux à ériger « le principe de transparence (…) au rang de loi du service public ». D’autres réformes et pratiques – le renforcement des enquêtes publiques, le choix de la voie contractuelle ou encore le développement de la démocratie participative au niveau local – ont pavé la voie d’« une atténuation de l’unilatéralisme de l’action de l’administration », un mouvement visible également dans le nouveau vocabulaire des services publics – ainsi parlera-t-on aujourd’hui d’un usager plutôt que d’un administré. En conclusion, le bilan auquel s’est livré Patrick Goffaux permet ce constat réjouissant : « assurément, la dimension démocratique de notre droit administratif s’est renforcée au cours des quarante dernières années ». L’auteur pointe le rôle d’impulsion qu’a pu jouer le Conseil de l’Europe dans cette évolution, mais qu’il nous autorise à souligner l’action souvent décisive de la doctrine à cet égard et dont Patrick Goffaux est aujourd’hui l’un des membres les plus attentifs à la recherche d’un subtil équilibre entre la démocratisation légitime de l’administration et le maintien de marges de manœuvre dont celle-ci doit toujours bénéficier en vue de satisfaire l’intérêt général.
La justice, pouvoir et contre-pouvoir démocratique par Julie Allard
§39 Directrice du Centre entre 2012 et 2018, doyenne de la Faculté depuis 2018, philosophe du droit spécialiste de la justice25, Julie Allard a profité du thème de notre jubilé pour proposer une synthèse stimulante de plusieurs années de recherches sur les liens entre pouvoir judiciaire et régime démocratique. Par cet article intitulé La justice, pouvoir et contre-pouvoir démocratique, Julie Allard entend procéder à la généalogie d’un constat désormais établi, mais non dénué d’ambivalences : « la croissance du pouvoir reconnu à l’institution judiciaire est indissociable de la crise de la démocratie représentative et de la recherche, à la place du suffrage, d’autres modes d’action politique ». La première partie de cette étude rappelle les étapes – multiplication des juridictions constitutionnelles, reconnaissance de la primauté du droit international directement applicable – qui, ces quarante dernières années, ont scandé l’accroissement du pouvoir pourtant « historiquement et philosophiquement limité » des juges. Cette « montée en puissance », pour citer Mireille Delmas-Marty26, pose clairement « la justice comme institution de pouvoir », dont plusieurs membres, belges ou français, ont d’ailleurs vivement critiqué, aux côtés d’une partie de la doctrine, les manifestations inédites et répétées de son exercice – condamnation des pouvoirs publics, enquêtes pénales sur des responsables politiques, etc. Le ressort de cette critique, qui s’est encore récemment radicalisée, est toujours identique : un gouvernement des juges est forcément adémocratique.
§40 La deuxième partie du bilan que nous propose Julie Allard est consacrée à la « judiciarisation », l’un des phénomènes les plus marquants de ces dernières décennies, un concept certes « polysémique et multiforme », mais qui « désigne généralement la sollicitation accrue de la justice pour traiter de problèmes clefs de la société et le déplacement du débat démocratique depuis l’arène politique vers la scène judiciaire ». Malgré les crises qui ont pu la traverser partout en Europe – de l’opération Mains propres à l’affaire Dutroux –, la justice est aujourd’hui plus que jamais sollicitée, notamment « par des mouvements sociaux qui peinaient à faire entendre leur voix dans la démocratie représentative ». La justice « ouvre donc aussi un potentiel d’actions démocratiques aux yeux de certains acteurs ». L’analyse de Julie Allard nous met cependant en garde contre tout idéalisme : l’usage politique de la justice n’est évidemment pas l’apanage des associations de protection des droits humains ; les mouvements pro-life, notamment, savent aussi user des rouages de l’institution judiciaire pour faire régresser les droits des femmes.
§41 La troisième et dernière partie de la contribution de Julie Allard se penche sur la transformation récente de « l’ethos des magistrats »27 telle qu’elle se donne à voir à partir de ce qu’on pourrait qualifier de libération de la parole judiciaire. En effet, auparavant « contrôlé par la hiérarchie judiciaire, le devoir de réserve venait limiter l’expression publique des juges – que ce soient leurs opinions individuelles ou la défense collective de leurs intérêts. Mais les dernières décennies voient l’argument inverse se déployer : et si la libre expression des magistrats était nécessaire au maintien de l’État de droit, dès lors qu’elle leur permet de dénoncer d’éventuelles menaces qui pèseraient sur la démocratie ou les droits fondamentaux ? En conséquence, l’expression publique des juges est de moins en moins perçue comme un droit dont ils jouissent, et de plus en plus comme une obligation qui leur incombe quand les fondements de la démocratie sont en jeu ». Cette évolution accentue assurément la perception d’une justice affranchie, d’une justice vigie, voire lanceuse d’alerte démocratique.
§42 Cependant, et telle est la conclusion de cette analyse irénique, on aurait tort de se réjouir aveuglément de la reconnaissance assumée des fonctions politiques de la justice dont Julie Allard nous a présenté les ressorts, les principales manifestations et les ambiguïtés. Constamment animée par le doute, la pensée de Julie Allard prend distance avec une certaine exaltation du pouvoir judiciaire et de sa prétention à faire office de rempart démocratique contre les dérives du pouvoir ou du marché28 : « la toute-puissance fantasmée de la justice, la judiciarisation du social et la politisation ponctuelle des juges pourraient ainsi cacher, en réalité, l’abandon d’une résistance politique et d’une lutte sociale authentiques » explique-t-elle en rappelant les effets souvent mitigés de l’usage militant du droit et de la justice par les mouvements sociaux. Toutefois, sans doute aurions-nous également tort de crier avec les loups qui vilipendent les dérives idéologiques d’une partie de la magistrature et qui regrettent le temps fantasmé d’une justice objective située au-dessus de la mêlée démocratique : « en parlant de politisation de la justice, on présume donc qu’elle aurait pu être un jour apolitique. Il semble au contraire que la dimension politique de la justice, bien qu’étant un enjeu critique, soit plutôt une condition de son exercice qu’une dérive de son fonctionnement par rapport à l’idéal d’une justice supposée neutre ».
Le rôle du juge en démocratie à la lumière de l’« affaire climat » par Vincent Lefebve
§43 Déjà convoqué au titre d’exemple de la politisation des prétoires par Julie Allard, le contentieux climatique, soit les procès visant à engager la responsabilité des autorités publiques pour insuffisance d’efforts dans la lutte contre le réchauffement climatique, est le sujet de la neuvième et dernière contribution à ce dossier. Intitulée Témoin impuissant, acteur militant ou aiguilleur politique ? Le rôle du juge en démocratie à la lumière de l’« affaire climat », elle est signée par Vincent Lefebve, philosophe et juriste spécialiste de la pensée d’Hannah Arendt29, chargé de recherche pour le Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP) et collaborateur scientifique du Centre de droit public. Initiée depuis 2015 devant le tribunal de première instance de Bruxelles par l’asbl Klimaatzaak et de nombreux citoyens, l’affaire climat belge n’est qu’une des actions en justice sur le réchauffement climatique menées partout dans le monde. Le constat d’une prolifération de tels recours autorise d’ailleurs Vincent Lefebve à qualifier ce contentieux de « global », « non seulement parce qu’il est suscité par une menace qui est par définition transfrontière, mais aussi parce qu’on recense à travers le monde des milliers de procès climatiques portés par des acteurs qui entretiennent entre eux des relations ou sont attentifs aux avancées obtenues sur le front juridictionnel dans d’autres pays ». Sa dimension stratégique est l’autre aspect caractéristique de ce contentieux mis en évidence par Vincent Lefebve. Certes, « une affaire en justice est toujours stratégique » précise-t-il d’emblée, mais « certaines affaires sont aussi stratégiques dans un autre sens, qui est plus politique ». C’est dans cette perspective que l’expression de « contentieux stratégique » désigne une action intentée non seulement en vue de son « objectif naturel, c’est-à-dire défendre les droits d’une personne ou d’un ensemble de personnes lésées », mais surtout afin « de faire pression sur les responsables politiques afin qu’ils réexaminent leurs positions et les réglementations ou législations qu’ils ont adoptées – ou qu’ils tardent à adopter ». Le résultat immédiat d’une telle action importe finalement assez peu, car il s’agit surtout de contribuer à « la mise en relief, par des moyens juridictionnels, d’une question qui touche à l’intérêt général ». Précisément, l’action menée en Belgique, mais également celles conduites aux Pays-Bas ou en France, dont Vincent Lefebve prend la peine de présenter les spécificités et les résultats respectifs, s’inscrivaient pleinement dans ce modèle : il s’agissait en effet certes de « favoriser l’émergence de politiques plus ambitieuses et mieux coordonnées de lutte contre le changement climatique en Belgique », mais également de faire résonner la cause climatique dans les médias.
§44 Après cette mise en contexte, l’étude de Vincent Lefebve s’attarde logiquement sur l’issue, provisoire, de l’affaire climat belge. Par son jugement du 17 juin 2021, le tribunal de première instance de Bruxelles « a estimé que l’Autorité fédérale ainsi que les Régions, en n’adoptant pas une politique climatique suffisamment ambitieuse, avaient violé l’obligation générale de prudence qui leur incombe ainsi que les droits fondamentaux des demandeurs » et « a épinglé des carences au sein de la gouvernance climatique belge ». En effet, l’un des enjeux de cette affaire consistait précisément à remettre en cause les obstacles, induits notamment par la répartition des compétences entre l’Autorité fédérale et les Régions, à l’élaboration d’une politique efficace, coordonnée et ambitieuse de lutte contre le réchauffement climatique. Cependant, le principe de la séparation des pouvoirs a limité le tribunal au seul constat de l’existence d’une faute dans le chef des autorités fédérale et régionales ; « il ne lui revenait pas de donner à ces dernières une injonction de réduire les émissions de gaz à effet de serre à partir du territoire belge de façon chiffrée et contraignante, car cela reviendrait à déterminer le contenu des obligations de ces autorités publiques et à les priver de leur pouvoir d’appréciation ». Cette interprétation relativement stricte du principe de la séparation des pouvoirs fait actuellement l’objet de débats critiques dans le chef d’une partie de la doctrine, débats auxquels fait écho l’analyse de Vincent Lefebve. Force est, en tout cas, de constater qu’elle n’a pas convaincu les parties requérantes dans l’affaire climat qui, six mois après le prononcé du jugement, ont introduit un appel dont l’examen est toujours en cours.
§45 Après l’exposé de cette affaire, Vincent Lefebve soulève, dans la deuxième partie de son étude, « la question de la légitimité de l’intervention du juge dans de tels cas ». Entre les tenants d’une posture passive, voire impuissante, dans le chef des magistrats et les partisans d’une justice militante, il tente l’exercice autant délicat que stimulant d’une troisième voie et forge, à cette fin, l’expression d’« aiguilleur politique ». Saisi par la société civile et sommé de rendre une décision sous peine d'être coupable de déni de justice, « le juge est en effet chargé d’appliquer le droit aux situations factuelles qui lui sont soumises et peut, dans ce cadre, proposer des interprétations innovantes qui conduiront à baliser de futures décisions politiques, sans toutefois en déterminer le contenu ». Ce type de contentieux est l’occasion de suggérer des raisonnements innovants (par exemple sur l’étendue de la responsabilité civile des pouvoirs publics), de donner un effet utile à de nouvelles notions juridiques (ainsi, la notion de choses communes récemment consacrée par le nouveau Code civil belge) ou encore de tenir compte de parties absentes à la cause, mais en réalité visées par celle-ci (on songe évidemment aux générations futures). Certes, un tel usage politique de la justice n’est pas sans risque – Vincent Lefebve pointe l’impact démobilisateur d’une défaite judiciaire, le hiatus entre la temporalité judiciaire et l’urgence de l’action militante ou encore la dépolitisation inévitable que produit la traduction d’une cause sociale dans les formes du langage juridique –, mais en définitive, ces procès « conduisent à une forme de renaissance de l’action collective non seulement parce qu’ils amènent des citoyens à transformer les arènes juridictionnelles en arènes politiques, mais aussi car ils permettent à ces derniers de mettre en demeure les gouvernants de rendre des comptes quant à leur gestion de la chose publique ». Et c’est à ce titre, d’une part, qu’ils renforcent la dimension participative, délibérative et continue de notre démocratie, et, d’autre part, qu’ils « révèlent le caractère pluriel des fonctions de la justice dans les États de droit démocratiques, cette dernière opérant à la fois comme une ressource voire comme une arme pouvant être mobilisée par des acteurs sociaux dans un rapport de force politique, comme un espace dans lequel ces mêmes acteurs peuvent faire leur apparition et, enfin, comme une institution chargée d’un rôle d’arbitrage entre des prétentions conflictuelles, mais aussi de médiation entre des principes hérités du passé et des mutations présentes ».
Conclusion
§46 Dans ses conclusions au colloque célébrant le quarantième anniversaire du Centre, Marc Uyttendaele se réjouissait qu’« il n’y ait pas, en droit public, une école de l’ULB, une ligne de pensée, une police de la science. Il y a un foisonnement d’idées et la liberté de chacun d’y trouver sa propre voie ». La diversité des approches qu’illustrent les contributions rassemblées dans le présent dossier confirme ce leitmotiv, cette farouche volonté de laisser une place à toutes les perspectives, à tous les cadrages théoriques, à toutes les hypothèses et à tous les terrains. Au Centre de droit public de l’ULB, on peut militer pour la multiplication des dispositifs de démocratie directe ou participative, mais on peut également manifester sa préférence pour un régime strictement représentatif ; au Centre de droit public de l’ULB, on peut approuver ou réprouver l’existence de quotas bénéficiant aux femmes candidates aux élections ou à une fonction ministérielle ; au Centre de droit public de l’ULB, on peut étudier les usages militants du droit et les fonctions politiques de la justice en vue d’en montrer les bénéfices ou au contraire afin d’en pointer les limites, sinon les effets pervers ; au Centre de droit public de l’ULB, on peut soutenir ou critiquer les transformations à l’œuvre au sein de nos services publics ; au Centre de droit public de l’ULB, on peut contribuer à la poursuite du projet fédéral ou à l’inverse exprimer sa nostalgie envers une Belgique unitaire. Pour peu qu’un socle autant idéologique – liberté, égalité et tolérance – que méthodologique – rigueur, nuance et honnêteté scientifiques – soit présent, tout est possible au sein de ce formidable laboratoire inclusif où, depuis longtemps, les frontières traditionnelles de la science publiciste ont été repoussées en vue d’intégrer en son sein de nouveaux objets – la justice, la représentation du droit dans la culture populaire, les mouvements sociaux – et de nouvelles approches – la sociologie, la philosophie, l’histoire constitutionnelle ou les études de genre.
§47 Entre le mois de novembre 2019 et la publication de ce dossier, il est peu de dire qu’une série d’évènements spectaculaires se sont produits. D’abord, moins de quatre mois après notre colloque anniversaire, une pandémie surgissait et bouleversait notre quotidien, intime et professionnel, durant quasiment deux années. Cette crise, le Centre et ses membres l’ont immédiatement intégrée à leurs travaux. Premièrement, en proposant à chaud et en temps réel, entre le 26 mars et le 7 juillet 2020, trente Carnets de crise publiés en ligne et destinés à baliser les enjeux juridiques, pour la plupart inédits, qu’ont soulevés cette crise et les réponses apportées par les pouvoirs publics30. Deuxièmement, avec davantage de recul, la plupart des membres du Centre ont tenté de tirer les leçons de cette crise en proposant plusieurs pistes de réflexion en vue d’améliorer l’efficacité et la résilience de notre ordre juridique lorsqu’il est confronté à une situation exceptionnelle. Ce sont ainsi pas moins de cinq ouvrages collectifs qui ont été dirigés ou édités par des membres du Centre sur le sujet31. Par ces recherches, le Centre a pleinement confirmé son souhait d’être un collectif scientifique ancré dans la Cité, partie prenante des débats qui la traversent et source d’information crédible pour le public et d’inspiration rigoureuse pour les décideurs.
§48 Deux autres évènements, plus joyeux, ont également marqué ces derniers mois. Premièrement, lors de son assemblée générale du 30 août 2021, le Centre de droit public est devenu le Centre de droit public et social ! Ce faisant, les membres du Centre souhaitaient renforcer la visibilité de l’équipe de droit social, foisonnante et dynamique32, dont les membres ont rejoint le Centre il y a déjà dix ans. Cette opération n’a pas seulement reposé sur un changement de nom ; elle a aussi pris la forme de l’adoption de nouveaux axes de recherche qui, s’ils n’ont pas vocation à épuiser les nombreuses thématiques que brassent les travaux menés au Centre, ont pour ambition de structurer et de visibiliser certaines recherches en particulier doctorales. Ainsi, les quatre axes de recherche actuellement privilégiés du Centre de droit public et social sont Transformations de l’État et de l’action publique33, Droits fondamentaux et participation citoyenne34, Travail et inégalités sociales35 et Bruxelles and Brussel36. Enfin, ces dernières années, le Centre a largement internationalisé ses recherches en accueillant à plusieurs reprises des chercheurs et chercheuses post-doc venant de l’étranger37 et en multipliant les thèses en cotutelle38. Deuxièmement, lors de son assemblée générale du 29 août 2022, les membres du Centre ont adopté de nouveaux statuts – la dernière révision datait de la fin du vingtième siècle – qui ont clarifié et étendu les possibilités de faire partie du Centre et amélioré sa gouvernance en en renforçant la dimension collective et transparente. Surtout, lors de cette même assemblée, les membres du Centre ont élu une nouvelle équipe présidentielle : après vingt ans de fidèles et loyaux services, Marc Uyttendaele a cessé d’être président du Centre ; nous savons à quel point notre dette à son égard est immense. C’est notre collègue Jérôme Sohier qui lui a succédé dans cette mission et qu’il en soit d’ores et déjà remercié. Cette transition douce, tant ces deux personnalités éminentes partagent les mêmes valeurs, s’est enrichie par l’élection d’une nouvelle vice-présidente en la personne d’Anne-Emmanuelle Bourgaux, complice d’un Centre au sein duquel elle a réalisé sa thèse de doctorat et qui est aujourd’hui titulaire de la Chaire en droit constitutionnel de l’École de droit de l’Université de Mons. Nouveau nom, nouveaux axes de recherche, nouveaux statuts, nouveaux projets, nouvelles thèses et nouvelle équipe… Tout semble réuni pour garantir au Centre de droit public et social de l’ULB un futur aussi riche, excitant et fécond et que ne le furent les quarante premières années de son existence et auxquelles rend hommage le présent dossier.
Spécialiste de l’analyse constitutionnelle comparée, professeur à l’ULB, mais également à Paris II Panthéon-Assas, Philippe Lauvaux est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence sur le fait démocratique et le régime parlementaire. Parmi sa bibliographie, on pointera tout particulièrement, Les grandes démocraties contemporaines (avec Le Divellec A.), 4e éd., Paris, PUF, 2015 et Le parlementarisme, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1997. ↩
Dans une visée inclusive, nous avons accordé la règle de la majorité au féminin, lorsque les femmes sont plus nombreuses que les hommes. ↩
Le programme complet de ce colloque peut être consulté en ligne in [https://droit-public-et-social.ulb.be/wp-content/uploads/2019/09/Programme-du-colloque-40-ans-de-de%CC%81mocraties.pdf]. ↩
Pour une tentative de définition de la « démocratie », voyez parmi de nombreux autres essais en ce sens, Le Pourhiet A.-M., « Définir la démocratie », Revue française de droit constitutionnel, n° 87, 2011/3, pp. 453-464. On notera également que plusieurs ouvrages ont pour titre Qu’est-ce que la démocratie ?. En se limitant à la littérature francophone, voyez notamment, Mejdoubi M., Qu’est-ce que la démocratie ? Pour une bonne application, Casablanca, La croisée des chemins, 2012 ; Baudart A., Qu’est-ce que la démocratie ?, Paris, Librairie philosophie J. Vrin, 2005 ; Goyard-Fabre S., Qu’est-ce que la démocratie ? La généalogie philosophique d’une grande aventure humaine, Paris, Armand Colin, 1998 et Touraine A., Qu’est-ce que la démocratie ?, Paris, Fayard, 1994. ↩
On se contentera ici de pointer parmi l’abondante bibliographie de Vincent de Coorebyter deux écrits directement en lien avec la thématique du présent dossier : Dis, c’est quoi la démocratie ?, La Renaissance du Livre, 2020 et « Les paradoxes de la représentation », La Thérésienne. Revue de l'Académie royale de Belgique, 2018/1, en ligne in [https://www.crisp.be/crisp/wp-content/uploads/analyses/2018-09-18_ACL-de_Coorebyter_V-2018-La_Theresienne-Les_paradoxes_de_la_representation.pdf]. ↩
L’expression « répertoire d’actions collectives » est empruntée à l’historien étatsunien Charles Tilly ; elle vise l’ensemble des actions militantes, des registres argumentatifs, des stratégies de mobilisation destinées à construire et partager des revendications et qui évoluent en fonction du contexte social, politique ou culturel dans lequel elles se déploient (ainsi, la manifestation, la grève, le droit de pétition, ou plus récemment le développement d’un contentieux stratégique, etc.). Voyez Tilly C., La France conteste, de 1600 à nos jours, Paris, Fayard, 1986. ↩
On notera que certains mécanismes se retrouvent simultanément dans deux variantes de la démocratie universaliste selon le degré de pouvoir décisionnel qu’ils offrent aux citoyens (par exemple, le budget participatif). Ainsi, si les choix budgétaires relèvent intégralement de la décision citoyenne, alors ce budget participatif relèvera de la démocratie directe ; si le dernier mot appartient à l’autorité politique, alors il ressortira de la variante participative de la démocratie universaliste. ↩
Sur le constat d’une crise de la démocratie, on lira également l’entretien croisé entre Vincent de Coorebyter et Anne-Emmanuelle Bourgaux publié dans la rubrique Débats d’un précédent volume de la présente revue. Voyez « Notre démocratie est-elle en crise ? », interview d’Anne-Emmanuelle Bourgaux et de Vincent de Coorebyter réalisée par Julien Pieret, e-legal. Revue de droit et de criminologie de l’ULB, vol. 6, 2022, en ligne in [http://e-legal.ulb.be/volume-n06/debats-4/notre-democratie-est-elle-en-crise]. ↩
On lira notamment et en se limitant à ses écrits les plus récents, Droit constitutionnel. Approche critique et interdisciplinaire. Tome 1. L’État (avec El Berhoumi M.), Bruxelles, Larcier, 2021 et Le Covid-19 : quels défis pour les États et l’Union européenne ?, Bruxelles, Bruylant, 2022. ↩
Voyez l’ouvrage fondateur sur lequel se base Hugues Dumont pour déployer sa critique, Hayek F., Droit, législation et liberté, vol. 2, Paris, PUF, 1981. ↩
L’ouvrage clef de cette autrice que commente Hugues Dumont est le suivant : Colliot-Thélène C., La démocratie sans ‘Demos’, Paris, PUF, 2011. ↩
Bourcier B., Compte-rendu de « Catherine Colliot-Thélène, La Démocratie sans ‘Demos’ », Terrains/Théories, vol. 1, 2015, p. 1 ; mis en ligne le 24 novembre 2014 in [http://journals.openedition.org/teth/444]. ↩
Depuis 2021 et grâce à un financement du FNRS, une troisième thèse relative aux usages militants du droit, après celles de Patricia Naftali en 2015 sur le droit à la vérité et de Laura Van Den Eynde en 2017 sur la pratique des amicus curiae, est en cours au sein du Centre : Adeline Deting, L’articulation des registres émotionnel et juridique par le mouvement animaliste: un paradoxe ? Voyez aussi les travaux menés dans le cadre de l’Action de recherche concertée Strategie Litigation (2015-2019) dont Annemie Schaus fut la promotrice et en particulier le dossier suivant : Hébert-Dolbec M.-L., Pieret J., Ringelheim J., Truffin B., Van den Eynde L. (dir.), « La mobilisation du droit par les mouvements sociaux et la société civile / The Use of Law by Social Movements and Civil Society », e-legal, Revue de droit et de criminologie de l’ULB, vol. 5, 2021, in [http://e-legal.ulb.be/volume-n05]. ↩
Sohier J., Système électoral, État particratique, régime représentatif. 10 propositions pour réformer la démocratie belge, Limal, Anthémis, 2021. ↩
Mathieu Dekleermaker a notamment participé au G3 Fédéralisme coopératif qui, durant plusieurs années, a associé les centres de droit public des universités de Genève, de Montréal et de Bruxelles. Voyez notamment le numéro spécial suivant qui propose certaines études menées dans ce cadre : Poirier J., Levrat N. (coord.), Le fédéralisme coopératif comme terrain de jeu du droit, n° spécial de la revue Fédéralisme Régionalisme, vol. 18, 2018 et en particulier la contribution en son sein de Dekleermaker M., « Une histoire belge : la coopération en matière environnementale et climatique et la COP21 », en ligne in [https://popups.uliege.be/1374-3864/index.php?id=1792]. ↩
Il ne changea de nom qu’à la suite de la condamnation en avril 2004 de ses associations satellites pour violation de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie. Comme l’expliquent nos deux auteurs, c’est en vue d’échapper à la sanction prévue par le Règlement du Parlement flamand, soit le retrait de la dotation dont bénéficie un groupe politique si le parti ou l’une de ses associations satellites a été condamné sur la base de la loi précitée de 1981, que le Vlaams Belang s’est substitué au Vlaams Blok et ainsi conservé sa dotation comme groupe politique. ↩
Jérôme Sohier et Mathieu Dekleermaker rappellent sur ce point que l’immunité absolue dont bénéficient les parlementaires pour leurs votes et opinions ne constitue pas un obstacle à de telles sanctions disciplinaires. ↩
Mais uniquement par des députés francophones, soulignent les auteurs. ↩
Les auteurs envisagent cette piste comme pouvant également s’appliquer aux partis d’extrême gauche, ainsi le PTB, « lequel peut paraître moins détestable de prime abord parce qu’il ne présente pas de relent raciste ou discriminant, mais [il] ne s’intègre en réalité pas davantage dans un ordre libéral et démocratique ». ↩
Dirigée par Daniel Dumont, la recherche doctorale de Lucien Rigaux porte sur l’expression de la solidarité en Belgique à travers l’analyse juridique des flux financiers entre territoires et entre individus. Lucien Rigaux est par ailleurs l’auteur de nombreuses études sur le fédéralisme belge. ↩
C’est à ce titre qu’il collabore régulièrement aux publications collectives initiées par les membres du Centre ; voyez e.a. Peiffer Q., Minsier P., « La gestion de la crise sanitaire avec quel encadrement juridique – constitutionnel ou légal », in Parsa S., Uyttendaele M. (dir.), La pandémie de covid-19 face au droit. Volume 2 : analyse et perspectives d’une crise et de ses lendemains, Limal, Anthemis, 2022, pp. 55-82. ↩
Sauf sans doute au sein du Parlement de la Communauté germanophone qui pourrait, comme en 1974, être à l’avant-garde de la démocratisation du fédéralisme belge, ici envisagé sous l’angle des relations entretenues entre les pouvoirs législatif et exécutif. ↩
Tradition dont la vivacité est aujourd’hui illustrée par le réseau international Le futur du droit administratif - The Future of Administrative Law dont deux membres du Centre, Emmanuel Slautsky et Yseult Marique, sont parmi les fondateurs et chevilles ouvrières. Parmi les publications produites dans le cadre de ce réseau, voyez notamment Auby J.-B., Chevalier E., Slautsky E. (dir.), Le futur du droit administratif - The Future of Administrative Law, Paris, LexisNexis, 2019. ↩
Sa troisième édition vient de sortir de presse aux éditions Larcier (2022). ↩
Elle a ainsi été la co-promotrice et la porte-parole de l’Action de recherche concertée Le juge, un acteur en mutation (2010-2015) dont le Centre était l’une des unités de recherche partie-prenantes et qui a donné lieu à plusieurs publications, notamment Allard J., Corten O., Falkowska M., Lefebve, Naftali P. (dir.), La vérité en procès. Les juges et la vérité politique, Paris, LGDJ, 2014 et Allard J., Corten O., Dubuisson F., Levebve V., Pieret J. (dir.), Arrêts sur image. Les représentations du juge au cinéma, e-legal, Revue de droit et de criminologie de l’ULB, vol. 1, 2018, in [http://e-legal.ulb.be/volume-n01]. ↩
Delmas-Marty M., « La mondialisation et la montée en puissance des juges », in Le dialogue des juges, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 95-114. ↩
L’expression est empruntée à Roussel V., « Le changement d’ethos des magistrats », in Commaille J., Kaluszynski M. (dir.), La fonction politique de la justice, Paris, La Découverte, 2007, pp. 25-46. ↩
Voyez par exemple en ce sens Cadelli M., La légitimité des élus & l’honneur des juges, Bruxelles, éditions Samsa, 2022. ↩
Voyez sa thèse publiée sur la pensée de cette philosophe : Politique des limites, limites de la politique. La place du droit dans la pensée de Hannah Arendt, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2016. ↩
Ces Carnets de crise sont accessibles en ligne sur le site internet du Centre, in [https://droit-public-et-social.ulb.be/recherche/carnet-de-crisecovid-19/]. ↩
Voyez ainsi le double numéro spécial du Journal des tribunaux du travail dirigé par Elise Dermine et Daniel Dumont intitulé « Le droit social face à la covid-19 : panser le présent et penser l’après », 2020, vol. 9-10, n° 1363-1364 et les ouvrages suivants : Parsa S., Uyttendaele M. (dir.), La pandémie de covid-19 face au droit, Limal, Anthémis, 2021 ; Parsa S., Uyttendaele M. (dir.), La pandémie de covid-19 face au droit. Volume 2 : analyse et perspectives d’une crise et de ses lendemains, Limal, Anthemis, 2022 ; Bouhon F., Slautsky E., Wattiez S. (dir.), Le droit public belge face à la crise du covid-19. Quelles leçons pour l’avenir ?, Bruxelles, Larcier, 2022 et Bouhon F. , Bourgaux A.-E., Degrave E., Lanssens C., Pieret J., Romainville C., Vandrooghnebroeck S. (dir.), Les droits humains en temps de pandémie. Perspectives internationales, européennes et comparées, Bruxelles, Larcier, 2023. ↩
Comme en témoignent notamment le succès que rencontre le master de spécialisation en droit social organisé à l’ULB ou encore les activités menées par la Street Law Clinic en droit social. ↩
Cet axe est notamment alimenté par les nombreux travaux qui commentent ou anticipent les réformes de l’État fédéral ou celles marquant le déploiement de l’action administrative ou judiciaire. Il recoupe aussi les thèses de Kevin Munungu (défendue en 2018 et relative à l’introduction d’une logique managériale au sein des juridictions belges), de Thibault Gaudin (défendue en décembre 2021 et portant sur le rôle des partis politiques dans l’évolution du droit électoral), d’Antoine Mayence (sur le principe de continuité du service public), de Lucien Rigaux (sur les manifestations du principe de solidarité entre les différentes composantes de la Fédération belge) ou encore et plus récemment de Camille Lanssens (sur la prise en compte de la science dans le cadre de la fabrique du droit) et de Marie Beudels (sur l’encadrement juridique de la flexibilité de la demande en électricité). ↩
Outre les études classiques menées dans le champ des droits humains, ainsi la thèse soutenue par Adélaïde Remiche en 2017 (sur la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels), cet axe rassemble ainsi les travaux conduits sous l’angle du droit et des mouvements sociaux. C’est cet axe qu’alimentent les thèses de doctorat suivantes actuellement en cours : celle d’Adeline Deting (sur l’usage du droit et des émotions par le mouvement animaliste) et celle de Giulia De Pascale (sur la contribution du mouvement féministe à l’évolution du fédéralisme belge) après celles déjà citées de Patricia Naftali et de Laura Van Den Eynde. ↩
Axe privilégié par l’équipe de droit social du Centre animée par Elise Dermine, Vanessa De Greef et Daniel Dumont, il rassemble également les thèses suivantes actuellement en cours : celle d’Amaury Mechelynck (sur le régime juridique des statuts atypiques en droit du travail), celle d’Hélène Deroubaix (sur le non-recours aux droits sociaux), celle de Juliette Gilman (sur l’analyse genrée de plusieurs dispositifs de la sécurité sociale) ou encore celle de Flore Bélanger (sur l’existence de pratiques et d’interprétations juridiques divergentes parmi les CPAS du pays). ↩
La vigueur de cet axe est notamment illustrée par le fait que le Centre ait été fondateur d’EBxl, le réseau des études bruxelloises de l’ULB, ainsi que par les nombreuses recherches contractuelles que les membres du Centre réalisent pour le compte des pouvoirs publics bruxellois. Ainsi, ces dernières années, le Centre a conduit de telles recherches sur les thématiques suivantes : l’évaluation juridique et les possibilités d’évolution des tests de discrimination à l’embauche en Région de Bruxelles-Capitale (2021), l’importation de l’expérience ‘Territoire zéro chômeur de longue durée’ en Région de Bruxelles-Capitale (2020), les possibilités juridiques permettant la création d’écoles dispensant un enseignement bilingue en Région de Bruxelles-Capitale (2019), l’externalisation ou l’internationalisation des missions de l’administration régionale bruxelloise (2018), la faisabilité économique et juridique d’une réduction du temps de travail en Région de Bruxelles-Capitale (2017) ou la rédaction d’un avant-projet d’ordonnance relative à l’aide aux personnes sans-abri en Région bruxelloise (2016). ↩
Ainsi, le Centre a dès le départ participé à l’accueil de chercheurs et chercheuses en danger dans le cadre des bourses de solidarité octroyées par l’ULB. Entre 2016 et 2020, le Centre a ainsi accueilli deux chercheurs post-docs syriens, Ahmad Kodmani et Salim Sendiane, dont l’ouvrage, produit de leur séjour de recherche à l’ULB, édité par Anne-Emmanuelle Bourgaux et Julien Pieret, est actuellement sous presse aux éditions de l’ULB : Le droit public après les bombes. Projets de réformes constitutionnelles et législatives pour une Syrie démocratique, Bruxelles, éditions de l’ULB, à paraître en 2023. Cette année 2022-2023, le Centre accueille une sociologue du droit chinoise qui travaille sur la contribution des juristes aux dispositifs de démocratie délibérative expérimentés au Parlement bruxellois. Enfin, dans le cadre d’un mandat de chargée de recherches du FNRS, le Centre accueillera entre 2023 et 2026 Daniela Trucco, politologue italienne qui travaille sur les usages du droit par les groupes militants actifs sur la question migratoire en territoires frontaliers. ↩
Trois thèses en cotutelle sont actuellement en cours au Centre : celle de Gabrielle Villeneuve, Université Paris II Panthéon-Assas (sur la mobilisation de la différence culturelle dans le cadre des procès d’assises visant les violences faites aux femmes), celle de Raida Torjmen, Université de Sfax (sur la contribution du droit au développement des études patrimoniales en Tunisie) et celle de Narcisse Mideso, Université de Bukavu (sur la corruption dans les pratiques d’accès à l’eau dans la ville de Bukavu). ↩