La démocratie et ses variantes
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Cet article fait partie de « Miscellanées démocratiques. Actes du colloque tenu à l’occasion du 40e anniversaire du Centre de droit public »
Introduction
§1 Il n’est pas possible d’évoquer toutes les variantes de la démocratie en une seule contribution, même introductive. La définition de la démocratie reste matière à débat, et l’exploration de ses variantes n’est pas exempte d’options politiques sous-jacentes. C’est pourquoi nous poserons en préalable le sens étymologique de la démocratie, qui est son sens le plus radical : un système dans lequel le pouvoir politique est détenu par le peuple, c’est-à-dire par l’ensemble des citoyens. Nous tenterons de donner un aperçu des modalités selon lesquelles ce pouvoir s’exerce en Belgique, ainsi que des logiques auxquelles répondent ces modalités1. Cet angle d’attaque nous conduira à ignorer la dimension fédérale du système politique belge : la question, passionnante, des rapports entre fédéralisme et démocratie dépasse nos compétences et est abordée ailleurs dans ces Actes du colloque anniversaire du Centre de droit public et social2. D’autres dimensions de la démocratie, telles que par exemple son lien étroit avec le respect de l’État de droit3 ou la vigilance à l’égard des forces antidémocratiques4, seront également négligées ici, notre exposé n’ayant pas vocation à aller au-delà de quelques interrogations d’ordre politique.
Deux formes fondamentales de démocratie
§2 L’exercice auquel nous allons nous livrer relève donc de la classification, qui soulève immédiatement une question redoutable : quelle est l’alternative principale, celle qu’il convient de prendre comme point de départ pour classer de la manière la plus pertinente les composantes de la vie démocratique ?
Compte tenu de notre fil conducteur, les variantes de la démocratie doivent s’analyser au regard du rôle confié aux citoyens dans les processus de décision politique. Dès lors, l’alternative principale semble devoir résider entre une démocratie décisionnelle, qui donne un pouvoir de décision aux citoyens, et une démocratie participative, qui donne aux citoyens un simple pouvoir consultatif ou de proposition, qui leur permet de participer aux processus de décision mais sans leur donner les moyens d’imposer leur volonté. En outre, au sein de la démocratie décisionnelle, il faut opérer la différence classique entre une démocratie directe, qui donne aux citoyens la possibilité de prendre eux-mêmes des décisions législatives ou gouvernementales, et la démocratie représentative, qui confie les choix législatifs et gouvernementaux à des représentants élus par la population, tout en conférant à celle-ci la prérogative de sélectionner les personnes qui dirigeront les affaires publiques en son nom, ce qui constitue une forme de décision politique porteuse d’effets juridiques. Nous devrions donc prendre pour point de départ la tripartition entre démocratie directe, représentative et participative, les trois termes étant ici rangés par ordre décroissant de souveraineté confiée aux citoyens — la démocratie participative étant placée après la démocratie représentative parce que, si cette dernière est un système de délégation de pouvoir, elle donne aux citoyens le droit de choisir leurs dirigeants, geste dont l’impact (il compose les assemblées élues de manière contraignante) est bien plus considérable que le fait de bénéficier d’une capacité de dialogue ou de proposition à l’égard de ces dirigeants.
§3 Cette tripartition est bien connue, et elle rend des services éminents en distinguant les degrés et les modalités d’implication des citoyens dans les processus de décision. Mais, de ce fait même, elle ne répond pas à la question de savoir qui possède au juste la souveraineté — ou, plus exactement, elle postule que ce sont les citoyens, accompagnés dans cette tâche par des représentants élus. Or ce postulat ne va pas de soi : il ne correspond qu’à une des deux branches d’une alternative plus haute, celle qui exige de distinguer entre ce que nous appellerons une démocratie universaliste et une démocratie catégorielle5.
§4 On s’étonnera sans doute de l’importance accordée ici à cette distinction, tant la dynamique catégorielle peut sembler secondaire. Il faut donc commencer par rappeler qu’elle a précédé l’avènement de la démocratie, tout en offrant une première assise historique à la notion de représentation.
Sous l’Ancien Régime, la population n’était pas réduite au silence. Dans cette société d’ordres (nobiliaire, ecclésiastique, roturier), de statuts (corporatiste, bourgeois…) et d’états (au sens des états généraux), des droits politiques étaient attribués à certaines personnes en fonction de leur ordre, de leur ville ou de leur corporation — et devaient leur servir à représenter leur ordre, leur ville ou leur corporation. La société n’était pas considérée comme une nation, concept inconnu à l’époque6 : elle était faite de corps institués, hiérarchisés, différenciés (notamment en termes de soumission à l’impôt), d’où un rôle spécifique dévolu à la représentation. L’Ancien Régime connaissait l’idée de représentation, mais il y voyait l’expression d’intérêts catégoriels préétablis, ce qui conduisait à pratiquer le mandat impératif, reflet de l’identité de situation entre les représentants et les représentés, tous membres d’un même collectif qui n’était pas perçu comme une construction sociale mais comme une nécessité, chaque collectif ayant un rôle à remplir dans ce mode d’organisation holistique. En France, au 17e siècle, il était entendu qu’un représentant était chargé de défendre les intérêts de ceux qui l’avaient choisi au sein du même collectif7 ; en 1789, certains députés aux états généraux considéraient encore qu’ils devaient obéir aux réclamations formulées dans les cahiers de doléances rédigés par leurs propres électeurs, de sorte qu’il a fallu l’intervention de Louis XVI pour les libérer de leur mandat8. La représentation n’était pas nationale : elle procédait d’une articulation de points de vue inégaux entre eux, seul le roi étant supposé transcender ce compartimentage.
§5 Sur cette toile de fond, le geste le plus significatif du basculement vers la démocratie universaliste ne fut pas de considérer que le peuple était capable de participer à la gestion de la cité, de donner un avis utile par le biais du vote. La marche vers le suffrage universel s’est inscrite dans une rupture plus radicale, qui consistait à définir les individus par leur commune humanité — c’est le sens même de l’universalisme — et non plus par leur inscription dans des groupes hiérarchisés. Sur la base d’un égalitarisme qui avait été étouffé pendant un demi-millénaire (l’idée d’égalité cristallise au 18e siècle, alimentée par les revendications d’égalité devant l’impôt)9, les Constitutions démocratiques des 18e et 19e siècles ont démantelé les privilèges et les différences de statut qui rendaient les catégories sociales inégales devant la loi. L’universalisme a aussi fait émerger l’idée de nation, corps politique composé d’individus essentiellement égaux en droits, et l’idée connexe d’intérêt général transcendant les intérêts particuliers, la société cessant de se définir comme un agglomérat de groupes de statut. Dans ce cadre nouveau, chacun est présumé compétent au plan politique — d’où l’universalité du droit de suffrage et du droit d’éligibilité —, et compétent sur tout, c’est-à-dire aussi sur des intérêts qui ne sont pas directement les siens : l’objectif de la délibération politique est de déterminer ce qui importe à la Nation entière. Une démocratie universaliste institue donc des mécanismes permettant à tous les citoyens de débattre de tout, quelle que soit leur situation ou leur qualité et quel que soit l’objet de la décision. Elle tranche ainsi avec les dispositifs qui, sous l’Ancien Régime, organisaient l’expression politique sur la base des intérêts constitués, réservant dès lors la participation aux membres des groupes concernés par les intérêts pris en compte.
De ce fait, la résistance à l’universalisme n’a pas seulement été motivée par l’image que les élites se faisaient du peuple, irrationnel et peu éduqué : il a aussi fallu dépasser l’attachement séculaire à la représentation différenciée des intérêts. En Belgique, au sein du Congrès national, en 1830-1831, et à l’occasion de la première réforme constitutionnelle, celle de 1893, la proposition a été débattue de faire du Sénat une chambre de représentation des intérêts, ceux du capital, du travail et de la connaissance, les représentants des différents types d’intérêts devant être élus par la catégorie de la population partageant ces intérêts. Autre indice de même nature, Kelsen prenait la peine, dans son livre de 1929 sur la démocratie, de consacrer un chapitre à ce qu’il appelait la représentation professionnelle, autrement dit l’idée corporative, encore avancée à l’époque par certains courants conservateurs mais également défendue par des courants fascistes10.
§6 On répondra peut-être que ces rappels historiques ruinent la notion de « démocratie » catégorielle. Pourtant, la logique catégorielle ne suppose pas forcément un système de castes, pas plus qu’elle n’est intrinsèquement oligarchique ou crypto-fasciste : poussée à son terme, elle exclut au contraire la concentration du pouvoir en un petit nombre de mains, ainsi que sa captation par une élite dont l’essence supérieure justifierait le pouvoir qu’elle exerce. Dans un cadre purement catégoriel, ce sont bien les composantes du peuple qui exercent le pouvoir ou qui choisissent périodiquement leurs représentants. Mais à la différence de la démocratie universaliste, le peuple se monnaie ici en une multiplicité de groupes concrets, ce qui constitue un contrepoids positif et toujours désirable aux effets pervers de la démocratie universaliste.
Cette dernière a liquidé les mandats impératifs et le droit de révocation qui caractérisent la démocratie catégorielle : elle les a remplacés par le principe de l’indépendance des élus, qui doivent, chacun, veiller à représenter toute la nation et pas seulement leurs électeurs11, prendre toutes les préoccupations en compte et pas seulement celles qui sont inhérentes à un segment social déterminé, défendu par des membres du même segment. L’indépendance des élus à l’égard de leurs électeurs12 est indispensable pour atteindre l’intérêt général de la nation, qui exige de transcender les intérêts catégoriels ou de passer des compromis entre eux : des mandats impératifs bloqueraient toute prise de décision et seraient contraires à l’idéal universaliste par leur compartimentage, motifs pour lesquels ils sont interdits. Mais, de ce fait même — et c’est ici que l’on peut parler d’effets pervers —, la démocratie universaliste ne permet pas de satisfaire pleinement les intérêts existants. Ces derniers ne peuvent pas s’inféoder les partis politiques, ils ne peuvent pas imposer de mandat impératif aux élus qui leur paraissent proches d’eux, et les tractations partisanes mettent sans cesse les intérêts des uns en balance avec ceux des autres, de sorte que les compromis issus de ces tractations frustrent tout le monde à des degrés divers. Les groupes d’intérêts ne peuvent donc pas se satisfaire réellement de la démocratie universaliste et, de fait, aujourd’hui encore, ils revendiquent des mécanismes de représentation plus directs et plus spécifiques que ceux offerts par le suffrage universel, qui sont fondés sur la volonté individuelle de chaque citoyen et non sur la structuration de la société en collectifs différenciés.
Les alternatives de démocratie catégorielle les plus accomplies ne nous intéressent pas ici : nous ne proposons pas de prendre en compte l’hypothèse d’une assemblée législative représentant de manière équilibrée les principales composantes concrètes du pays, qu’elles soient déterminées sur une base professionnelle, corporative ou autre. Ce qui nous importe est le fait que, au sein du système de démocratie universaliste instauré en Belgique, l’aspiration catégorielle persiste, pour les motifs que nous avons indiqués, et est légalement et politiquement prise en compte. Une foule de catégories de toute nature demandent à bénéficier de voies d’expression — voire de moyens de décision — qui leur soient propres, et elles s’efforcent de les faire reconnaître et institutionnaliser. La démocratie catégorielle tend ainsi à redoubler la démocratie universaliste pour en corriger les effets : l’oscillation entre elles est permanente, et renvoie à un choix de société qui s’exprime sur différents plans.
§7 La démocratie universaliste institue l’égalité en matière de droits politiques. En refusant de prendre en compte, au fondement de la représentation, l’appartenance à un sexe, une tranche d’âge, un niveau social, un métier…, en récusant l’idée de quotas ou de représentation propre à un groupe donné, elle tend à accorder des droits égaux à tous et débouche sur le principe de l’indivisibilité de la représentation nationale, qui est un des sens que l’on peut donner à l’article 42 de la Constitution belge : chaque élu est censé représenter toute la nation parce que nul groupe ne possède de qualités à ce point spécifiques qu’il ne puisse être représenté par un tiers. Le partage de la souveraineté entre tous les citoyens était déjà affirmé sous la Révolution américaine, sous la Révolution française et au sein du Congrès national, en Belgique13, et l’évolution du droit de vote confirme la tendance à l’universalité. Toutes les limitations préexistantes ont sauté l’une après l’autre, seul l’âge constituant encore un véritable verrou14, mais qui ne cesse de s’assouplir et qui repose sur le souci de garantir les conditions cognitives d’un choix éclairé. À l’inverse, la démocratie catégorielle est toujours réservée aux composantes qui sont parvenues à faire reconnaître leur spécificité, ce qui l’empêche d’accorder des droits à tous. Certes, la source de cette spécificité ne connaît pas de bornes a priori : elle peut tenir dans un genre, une classe d’âge, une fonction professionnelle, un secteur d’activité, un engagement sociétal, une situation temporaire ou permanente (être usager d’un service public ou parapublic, être domicilié à tel endroit…), etc. Mais, dans tous les cas, il faut être doté de cette spécificité pour être pris en compte : en témoignent les milliers de conseils consultatifs, et autres enceintes de même nature, qui se composent uniquement de personnes intéressées à la problématique traitée. La démocratie catégorielle consacre les prérogatives de certaines composantes seulement de la collectivité, celles qui possèdent des intérêts, une pratique, une situation, des valeurs ou une appartenance spécifique et qui sont parvenues à faire valoir cette spécificité, à convaincre de son existence et de son importance. Alors que la démocratie universaliste accorde des droits politiques à tous (sous réserve d’avoir l’âge requis et de ne pas être frappé d’incapacité15), la démocratie catégorielle repose sur une lutte permanente, et forcément inégalitaire, pour la reconnaissance : son extension dépend de la nature et de la puissance des différentes catégories présentes dans la société. Elle engendre aussi, structurellement, des querelles autour de la représentativité de telle ou telle organisation (fédérations étudiantes, syndicats de cadres…), ainsi que des critiques quant au monopole légal de représentativité obtenu par certaines structures.
Cette différence en recouvre une autre, entre l’universalisme entendu comme présomption universelle de compétence (tous les citoyens ont vocation à être électeurs, tous les électeurs se voient soumettre tous les candidats et tous les élus peuvent traiter tous les dossiers), et une sorte de communautarisme en vertu duquel seules les personnes appartenant à une catégorie déterminée pourraient en exprimer la volonté ou en défendre les intérêts (on ne laisse pas des agriculteurs représenter des ouvriers, des entreprises représenter les consommateurs, des adultes représenter les jeunes, etc.). En conséquence, les deux logiques se distinguent par le fait de donner la primauté, dans un cas, aux volontés individuelles, aux décisions prises par des électeurs ou par des élus votant théoriquement en toute indépendance, dans un isoloir ou dans une assemblée, et, dans l’autre cas, aux intérêts catégoriels constitués, aux organisations collectives créées dans le but de défendre des intérêts spécifiques, et qui ne sont généralement pas tenues de désigner leurs dirigeants ou leurs mandataires par la voie élective. Comme le mouvement ouvrier l’a bien compris, il y a là deux visions de la liberté, avec des formes de légitimité différentes et des critiques croisées : les tenants de l’universalisme reprochent à la démocratie catégorielle de rabattre les personnes sur leur appartenance, de les essentialiser, tandis que les tenants d’une approche catégorielle dénoncent l’indifférence aux réalités concrètes qui guette l’universalisme. Sur fond de liquidation des corporations et des groupes de statut de l’Ancien Régime, d’atomisation des individus, la démocratie universaliste donne une place majeure à l’égalité formelle entre les citoyens16 et à la légitimité quantitative issue d’un vote majoritaire, qu’il soit électoral, parlementaire ou référendaire. La démocratie catégorielle, au contraire, donne une place majeure à la spécificité objective17 des collectifs qui ont obtenu leur reconnaissance, et donc à une légitimité fondée sur la représentativité, la situation vécue, l’expérience, l’auto-organisation et l’implication18. En outre, la démocratie catégorielle consacre le plus souvent des décisions obtenues, non pas à la majorité comme dans la démocratie universaliste, mais par consensus entre les différents collectifs qui délibèrent entre eux19. Ce consensus est certes dégagé au terme d’une confrontation ou d’un rapport de force, mais ce rapport de force ne repose pas sur de simples proportions numériques — sans quoi le monde patronal ne posséderait pas une puissance supérieure à celle du monde syndical.
§8 Placer cette alternative en première position permet de reconnaître la place éminente de la concertation sociale en Belgique. Même si c’est surtout après la Seconde Guerre mondiale que le système actuel est mis en place, les premiers instruments sont institutionnalisés dès la fin du 19e siècle20. La concertation sociale se déploie dans un grand nombre d’instances paritaires ou bipartites, allant du niveau fédéral et interprofessionnel jusqu’au niveau de l’entreprise21, et a débouché sur un nombre considérable de conventions collectives du travail qui s’imposent à toutes les entreprises entrant dans leur champ d’application, même si ces entreprises ne sont pas affiliées à l’une des organisations signataires. On peut évoquer aussi la négociation médico-mutuelliste, qui débouche également sur une production de normes (en l’occurrence, à approuver par le Conseil général de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité). Les intérêts catégoriels ne sont donc pas seulement pris en compte dans des procédures participatives mais aussi dans des procédures décisionnelles, et la question de la démocratie se pose également au niveau des entreprises, qui voient s’affronter les intérêts du travail et ceux du capital.
Par ailleurs, placer cette alternative au sommet d’une classification des formes de la démocratie n’empêche pas de faire jouer pleinement la tripartition entre démocratie directe, représentative et participative : cela permet au contraire de rappeler que cette tripartition s’observe au sein de chaque branche de l’alternative principale. En témoigne, au sein de la démocratie catégorielle, et plus précisément au sein de la concertation sociale, la différence de nature entre : a) des pratiques de démocratie directe, comme les grèves dirigées contre l’instance patronale pour la faire céder sur un point précis ; b) des conventions collectives de travail négociées entre les représentants du banc patronal et du banc syndical, qui ont le monopole de la représentativité reconnue ; c) des mécanismes participatifs, comme ceux qui conduisent aux rapports rédigés par le Conseil central de l’économie ou aux avis du Conseil national du travail rendus sur tous les projets de loi en matière sociale.
§9 Partir de la différence entre démocratie universaliste et démocratie catégorielle permet aussi de souligner la prééminence de la première : c’est la démocratie universaliste qui, sous sa forme représentative, organise les mécanismes légaux de démocratie catégorielle. Ainsi, en Région wallonne, le Code du développement territorial impose, lors de la création d’une Commission consultative communale d’aménagement du territoire et de mobilité, de veiller à une bonne répartition géographique des membres, à une représentation des intérêts sociaux, économiques, patrimoniaux, environnementaux, énergétiques et de mobilité, à une répartition équilibrée des tranches d’âge de la population ainsi qu’à une répartition équilibrée entre hommes et femmes. Cette abondance de critères incline à ranger ces instances du côté de la démocratie catégorielle et non de la démocratie universaliste, d’autant que ces critères ne visent pas simplement à garantir une certaine diversité. Le Code du développement territorial impose en effet que les citoyens qui souhaitent siéger dans une telle commission précisent le ou les intérêts qu’ils souhaitent représenter, ainsi que leurs motivations à cet égard. En outre, les candidats sont autorisés à représenter une association, auquel cas ils sont mandatés par celle-ci, ce qui est caractéristique de la logique catégorielle22. Dans la même logique, le conseil communal peut désigner, pour chaque membre effectif, un ou plusieurs suppléants représentant le même type d’intérêts ; si, faute de suppléant disponible, un intérêt n’est plus représenté, le conseil communal procède au renouvellement partiel de la Commission23. Le législateur universaliste encadre ainsi, très rigoureusement, le mode de fonctionnement catégoriel de ce type d’assemblée.
Quelques réflexions sur les cas ou sur les apparences d’hybridation
§10 Partir de l’alternative entre démocratie universaliste et démocratie catégorielle permet encore de relever les cas d’hybridation, d’importation d’un des deux grands types de démocratie au sein de l’autre type. Par exemple, des procédés typiques de la démocratie universaliste, comme l’élection, sont employés dans le champ de la concertation sociale afin de répartir les sièges syndicaux entre différentes organisations dans certaines enceintes, mécanisme connu sous le nom d’élections sociales. De même, des revendications catégorielles par leur origine, telles que des grèves dans le monde de l’administration ou dans des services privés subsidiés par l’État, prétendent souvent viser l’intérêt général, notion caractéristique de la démocratie universaliste, et non la seule défense des personnels concernés. Inversement, des intérêts catégoriels sont pris en compte au sein de la démocratie universaliste : on peut penser au lobbying, ainsi qu’aux très nombreuses instances et procédures de consultation des intérêts sectoriels, qui sont mises en place dans pratiquement tous les domaines de l’action publique. Avec la concertation sociale, ces procédures de consultation sont la preuve la plus manifeste de la persistance d’une dynamique catégorielle en Belgique, qui vient en l’occurrence se greffer sur la démocratie universaliste pour nourrir les décisions des dirigeants — ce qui engendre, périodiquement, des critiques à l’égard de cet envahissement du champ politique par des intérêts privés. Partir de la distinction entre démocratie universaliste et démocratie catégorielle encourage à se demander à chaque fois si l’hybridation est légitime : elle suscite en tout cas des tensions, comme le montrent plusieurs contributions de ces Actes du colloque anniversaire du Centre de droit public et social. En outre, repérer tous les cas concrets amènerait sans doute à conclure que l’hybridation joue surtout au profit des intérêts catégoriels, qui interviennent massivement dans le champ de la démocratie universaliste24 alors que l’inverse semble moins fréquent. Cela traduit les limites du modèle du citoyen indépendant porteur d’une volonté politique individuelle, modèle qui peut passer pour une illusion d’un point de vue sociologique.
§11 Grâce à cette bifurcation principale, on peut interroger aussi le rôle joué par les partis politiques dans la démocratie universaliste. Les partis sont-ils le vecteur d’intérêts catégoriels dans le champ de la démocratie universaliste ? C’est ainsi qu’on les voyait à l’origine, lorsqu’un Rousseau, par exemple, refusait l’intervention de ces « associations partielles » dans l’élaboration de la volonté générale, ou lorsque Le Chapelier, en 1791, voyait un péril majeur dans le fait que les sociétés populaires entendent jouer un rôle politique et affaiblir ainsi la légitimité des décisions prises par les représentants au nom de l’intérêt général25. C’est contre l’emprise des partis, également, qu’on assiste aujourd’hui à un certain retour en grâce de la consultation populaire ou du référendum, et surtout au succès croissant de cette forme particulière de démocratie que sont les assemblées de citoyens tirés au sort. Ce sont enfin des pratiques catégorielles, mises cette fois à leur propre service, que l’on reproche aux partis quand ils compliquent l’entrée des formations émergentes au parlement, soit en durcissant les conditions pour pouvoir déposer des listes électorales, soit en jouant sur des règles de seuil ou de quorum (phénomène dit de cartellisation ou de partis-cartels).
Mais Rousseau reconnaissait aussi aux partis une inclination à rechercher la volonté générale. Lorsque des associations partielles se créent aux dépens de la grande, écrivait-il, le résultat n’est pas la disparition de la volonté générale, mais son remplacement par la volonté générale de l’association par rapport à ses membres26. On peut en inférer qu’un parti politique, qui est une de ces associations partielles, ne défend pas une volonté catégorielle : il défend la volonté générale telle qu’il l’interprète à la lumière de ses délibérations internes, comme en témoigne la manière dont les partis rédigent leurs programmes électoraux. En termes d’affiliation et d’implication, les partis sont ouverts à l’universalité des citoyens, et on a noté depuis longtemps leur caractère attrape-tout au plan électoral : ils s’adressent à la totalité de la collectivité politique, même si certains défendent prioritairement l’une ou l’autre composante de la société. La logique universaliste l’emporte donc dans l’action des partis, a fortiori si l’on tient compte de la règle de l’indépendance des élus à l’égard de leurs électeurs, qui dissuade les mandataires issus des partis de suivre exclusivement la volonté présumée de leur clientèle électorale.
§12 Il existe d’autres situations ambiguës, qui doivent inciter à la prudence. De prime abord, la parité linguistique au Conseil des ministres, le mécanisme de la sonnette d’alarme, les conditions d’adoption des lois spéciales, la composition du Sénat ou la création de groupes linguistiques au sein du parlement régional bruxellois paraissent participer d’une démocratie catégorielle, sur une base linguistique ou institutionnelle (représentation des deux grandes communautés linguistiques ou des principales entités fédérées). Mais si on les replace dans leur contexte, qui est celui d’un fédéralisme belge inabouti dans lequel plusieurs composantes du pays ont exigé des garanties afin d’échapper à la tyrannie de la majorité, ces mécanismes s’avèrent relever d’une logique confédérale plutôt que catégorielle27. Ils accordent l’équivalent d’un droit de veto au profit des communautés linguistiques ou des régions afin que, dans les matières qui les intéressent et qui se traitent au niveau fédéral ou bruxellois, l’accord des composantes concernées soit de mise comme il l’est dans une confédération (ce qui s’impose d’autant plus que les principaux partis politiques sont organisés au niveau d’une seule communauté, dont ils se font naturellement les porte-parole). C’est afin d’assurer le respect de la volonté politique de chacune de ces composantes de la nation que ces mécanismes ont été établis. Ils prolongent donc la démocratie universaliste sur un plan intra-belge que Karel De Gucht, ancien ministre des Affaires étrangères alors commissaire européen, a fort justement comparé à « une sorte de conférence diplomatique permanente »28.
Les règles imposant la parité hommes-femmes sur les listes électorales29 forment une autre situation ambiguë. Incontestablement, le souci de garantir la participation politique des femmes par ce moyen découle d’un échec de l’universalisme, qui n’a pas assez encouragé l’engagement politique des femmes ni suffi à prendre leurs intérêts en considération. En imposant un mécanisme garantissant la présence en politique d’une catégorie sociale déterminée, on table sur des attitudes et des compétences spécifiques plutôt que sur des compétences universelles : en l’occurrence, on juge essentiel que les femmes s’expriment en tant que telles parce que l’expérience a montré que les hommes ne pouvaient ou ne voulaient pas le faire pleinement. La rupture avec les principes universalistes n’est cependant pas complète, notamment en raison de la liberté de choix laissée au corps électoral : chacun, homme ou femme, vote librement pour des candidats de l’un ou l’autre sexe (ou en tête de liste), alors qu’une logique catégorielle conduirait à présenter des listes de candidates aux électrices et des listes de candidats aux électeurs. En outre, et surtout, les élues ne sont pas chargées d’un mandat impératif en matière de défense des droits des femmes, ni détentrices d’un monopole dans la prise en charge des questions de genre, ni empêchées de privilégier d’autres enjeux si elles le souhaitent : comme celle des élus, leur action politique est encadrée par les règles caractéristiques de l’universalisme. Dès lors, compte tenu de l’octroi tardif du droit de vote et d’éligibilité aux femmes (1948, pour les élections législatives), mesure universaliste par excellence, mais aussi de leur faible présence dans les assemblées parlementaires et dans les exécutifs un demi-siècle plus tard, on peut voir dans ce dispositif à dimension catégorielle une manière de tenir concrètement les promesses de l’universalisme plutôt qu’une véritable rupture avec ce dernier.
Quatre choix terminologiques et de doctrine
§13 Si ce qui précède est exact, on admettra qu’il serait périlleux de prétendre énumérer toutes les variantes effectives de la démocratie en Belgique, dans sa logique universaliste ou catégorielle, dans ses formes directes, représentatives ou participatives. Dans leur diversité, les Actes du colloque anniversaire du Centre de droit public et social donnent une idée du nombre de dispositifs qu’il faudrait prendre en compte, alors même que les organisateurs du colloque ont dû faire l’impasse sur une série de thèmes pour ne pas excéder le format de cette manifestation.
La difficulté à embrasser toute la matière potentielle est particulièrement aiguë en ce qui concerne la démocratie catégorielle. Les frontières de celles-ci sont en effet mouvantes, et tendanciellement en expansion, en particulier en ce qui concerne la fonction consultative de la démocratie catégorielle : sa légitimité s’est élargie à toutes sortes de groupements faisant valoir leur expérience de terrain, leurs connaissances pratiques ou, tout simplement, leur situation vécue. Certes, en raison de la mutation sociologique appelée individualisme, l’identification à des groupes d’appartenance institués est en déclin, et la prise en compte des intérêts catégoriels reste sujette à caution dans la mesure où elle peut nuire à l’intérêt général (défense de la production industrielle vs dérèglement climatique, subventions sectorielles payées par l’ensemble des contribuables, etc.). Mais la complexification de la société, qui se développe sur plusieurs plans (multiplication des métiers, différenciation des modes et des conditions de travail, apports migratoires, affirmation de nouvelles minorités, élargissement de l’échelle des générations, etc.), accroît la demande de démocratie catégorielle. Chaque catégorie sociale peut être tentée d’exiger des mécanismes d’écoute de sa spécificité, en particulier dans un contexte numérique qui favorise le regroupement des citoyens en cellules d’appartenance étanches, les algorithmes et les réseaux sociaux développant une culture de l’entre-soi. Si l’on tient compte, en outre, du fait que la démocratie catégorielle peut prendre aussi bien des formes directes que représentatives ou participatives, on comprendra qu’en esquisser les modalités et les contours échappe à nos compétences.
§14 Nous pouvons nous risquer, par contre, à proposer une telle esquisse à propos de la démocratie universaliste, à condition que le lecteur prenne cette métaphore picturale au sérieux. Il s’agit bien, dans les pages qui suivent, de proposer à titre d’essai un tableau rapide et sans doute incomplet, que nous concevons comme une invitation à poursuivre.
L’essentiel, à nos yeux, est de s’accorder sur le sens des principales modalités de la démocratie universaliste, et donc sur le critère qui impose de les distinguer. Un tel exercice est inséparable de choix terminologiques, qui s’ancrent eux-mêmes, inévitablement, dans des postulats politiques. Pour ce qui nous concerne, nous resterons fidèle à la définition radicale de la démocratie que nous avons adoptée d’entrée de jeu. À ce titre, notre esquisse n’est pas seulement schématique et incomplète, mais aussi discutable. Mais elle aura précisément rempli son office si elle permet de déterminer quels points exigent d’être débattus.
Avant d’en venir à cette esquisse, nous devons donc préciser la terminologie employée, en restant dans l’esprit de nos premières propositions : les choix terminologiques doivent permettre d’avancer des hypothèses de travail portant sur des points difficiles à trancher. Ils ne sont donc pas seulement sémantiques, mais surtout de doctrine.
§15 Des précisions s’imposent d’abord à propos de la démocratie directe. Le sens de cette notion semble évident, mais il faut souligner le critère qui permet de l’opposer à la démocratie représentative. À la lumière de notre définition radicale de la démocratie, la démocratie directe recouvre l’ensemble des pratiques par lesquelles les citoyens prennent ou tentent d’imposer des décisions politiques, indépendamment ou à l’encontre de la volonté de leurs représentants. Or, si on admet cette définition, elle conduit à élargir considérablement le champ des pratiques de démocratie directe.
On en trouve une première forme, historique, dans le fait que les mandats impératifs ont pu être rangés au sein de la démocratie directe30. Plus précisément, Sieyès distinguait, sur ce point, « la véritable démocratie » du « gouvernement représentatif »31, ce qui constitue un lexique un peu différent. Mais on sait que, à l’époque, « démocratie » signifiait démocratie directe, pouvoir exercé par le peuple assemblé, alors que le régime représentatif apparaissait comme non démocratique parce qu’il prive les citoyens de leur pouvoir de décision politique pour le confier à des représentants. Sur le fond, il s’agit donc bien de la même opposition qu’entre démocratie directe et représentative. Or, observe Sieyès, le mandat impératif relève de la « véritable démocratie » — donc de la démocratie directe — et est incompatible avec le « gouvernement représentatif ». Alors que les mandats impératifs semblent relever par définition de la démocratie représentative, puisqu’il y a mandat, on peut les ramener dans le giron de la démocratie directe pour le simple motif que le mandat contraint le mandataire à agir de la manière déterminée par les citoyens.
Si nous gardons ce critère à l’esprit — la décision est-elle prise, ou forcée, par les citoyens eux-mêmes, qui imposent ainsi, de droit ou de fait, leurs vues à leurs représentants ? —, le champ de la démocratie directe s’élargit considérablement, bien au-delà du référendum, des budgets participatifs32 ou des prérogatives de l’Assemblée du peuple dans l’Athènes démocratique des 5e et 4e siècles av. J.-C. Aujourd’hui, nous voyons régulièrement des citoyens ou des collectifs s’attaquer à des décisions qui ont été ou qui seront bientôt adoptées dans les règles par les élus, afin de forcer ces derniers à changer de cap. Dans ces circonstances, des citoyens plus ou moins organisés tentent de forcer une décision qui reste à prendre, ou, plus fréquemment, de saborder une décision déjà prise ou sur le point d’être prise : ils se donnent le droit d’intervenir de manière directe dans le processus démocratique, dans l’espoir d’imposer purement et simplement leurs vues. Une grève interprofessionnelle dirigée contre une réforme des pensions, une manifestation de près de 400.000 personnes, en 1983, pour protester contre l’installation de missiles de croisière américains en Belgique, ou une pétition comme celle de l’association Marc et Corinne en 1996, qui a recueilli 2.700.000 signatures en faveur de peines incompressibles, sont des rapports de force assumés comme tels, destinés à faire plier les élus. Alors que l’on aurait tendance à les ranger dans la démocratie participative, certaines grèves, certaines manifestations et certaines pétitions relèvent de la démocratie directe en raison de l’usage qui en est fait et des motivations qui les sous-tendent : il n’est pas seulement question, ici, d’user de son droit à l’expression ou de participer à un processus de décision en soumettant ses idées aux autorités, mais bien de chercher, délibérément, à modifier le cours des choses en s’arrogeant un droit à faire plier le pouvoir au nom d’une juste cause33.
Les propositions qui précèdent peuvent surprendre. Juridiquement, en effet, les initiatives évoquées ici devraient plutôt relever de la démocratie participative, les citoyens qui agissent de la sorte n’ayant pas légalement de pouvoir décisionnel : la preuve en est que, à la différence d’un référendum, qui est contraignant par principe, la volonté citoyenne ne parvient à s’imposer que si les responsables politiques décident de céder sous la pression. En outre, il va de soi que les pétitions, les grèves, les manifestations…, n’ont pas toutes les caractères de détermination et de radicalité présentés par nos exemples. Mais c’est précisément cela qui nous paraît décisif, si l’on accepte de quitter le champ formel du droit pour celui, plus large, des dynamiques socio-politiques qui irriguent la vie démocratique : même s’ils sont délicats à manier in casu, les critères de l’intention et du degré de détermination sont essentiels pour distinguer une démarche de démocratie directe d’une simple pratique de démocratie participative. Dans le premier cas, il ne s’agit pas seulement de s’adresser aux autorités pour leur demander, poliment et modestement, de prendre tel ou tel point de vue en considération : le but est clairement de contraindre le pouvoir, de lui imposer une certaine ligne. Dans un régime représentatif, la participation citoyenne est interprétée comme un élément indispensable à la bonne marche du système : elle permet aux élus de conjuguer leur indépendance de droit avec la prise en compte des attentes et des propositions des citoyens entre deux scrutins. Mais les pratiques visées ici émanent de citoyens convaincus qu’il ne suffit pas de parler pour être entendu : ces citoyens ne veulent pas contribuer à un processus politique mais forcer son issue ; ce que le système leur refuse, ils tentent de le lui imposer ; ce que le système décide, ils tentent de l’empêcher. Le fait que, face à des organes politiques élus et travaillant dans le respect des règles constitutionnelles, des citoyens se sentent assez sûrs de leur jugement et de leur légitimité pour essayer de contraindre ces organes à changer de cap constitue un phénomène socio-politique majeur, dont l’importance va croissant au fil des années et qui révèle un esprit d’impatience et de contestation auquel l’analyse politologique doit accorder la place qu’il mérite. Ce phénomène constitue une des facettes de ce que l’on appelle la crise de la représentation34, et il nous semble nécessaire de le prendre pleinement en compte : il montre que cette crise ne se traduit pas seulement par des formes de sortie du jeu politique (absentéisme ou abstention, vote blanc ou nul, chute du nombre d’adhérents des partis politiques, baisse du niveau de confiance accordé aux dirigeants…), mais aussi par des formes de contestation ou d’action par lesquelles les citoyens restent arrimés au système tout en s’efforçant de le modifier, ce qui rappelle la célèbre distinction d’Albert Hirschman entre exit et voice. Certes, la thèse selon laquelle certaines formes d’engagement (grève, pétition, manifestation…) relèvent tantôt de la démocratie participative et tantôt de la démocratie directe bouscule les catégories établies, mais cet inconfort nous paraît d’importance secondaire au regard de la nécessité de coller à la logique des acteurs, qui ne posent pas le même geste selon qu’ils s’expriment ou qu’ils s’imposent. Précisément parce que le droit constitutionnel consacre une distinction formelle entre démocratie directe et démocratie représentative qui ne range qu’une poignée de mécanismes dans la première catégorie, il n’est pas sans intérêt de montrer que la société, elle, ne respecte pas cette frontière et s’empare de dispositifs participatifs, voire juridictionnels, pour faire plier les élus.
Certains recours à la justice, et en particulier les contentieux stratégiques35, s’inscrivent en effet également dans la démocratie directe, dans la mesure où il s’agit, ici aussi, d’obtenir satisfaction par la force. Par la force, cette fois, d’un juge qui dit le droit, plutôt que par la force d’un mouvement porté par une partie du peuple souverain ; mais toujours par la force d’une action impulsée par des citoyens dans le but exprès d’imposer leur volonté (la plainte pouvant être le fait d’individus ou d’une association). Dans ce type de recours à un tribunal ou à une haute juridiction, les plaignants ne sont pas mus par un préjudice personnel : ils font intervenir la justice pour obtenir une victoire politique, pour faire annuler ou réformer une norme ou un choix gouvernemental qu’ils contestent, pour obtenir l’application d’une règle constitutionnelle qu’un gouvernement laisse à l’état déclaratif, voire pour contraindre un gouvernement à mener une politique plus volontariste dans tel ou tel domaine (ceci vaut notamment au plan environnemental). Faire intervenir une juridiction revient à infléchir le jeu des décisions politiques dans un domaine précis : les élus reprennent la main une fois que la justice a parlé, mais ils ont été contraints à changer de cap36.
Le lancement d’alerte relève de la même logique : il s’agit par définition d’une tentative de faire cesser une pratique jugée scandaleuse en la dénonçant à une autorité susceptible d’y mettre fin. Le lanceur d’alerte prend le risque d’être accusé de délation afin de forcer une autorité publique à appliquer la loi ou à faire primer des droits fondamentaux ou l’intérêt général. Il en va encore de même, à notre sens, avec certaines occupations de la voie publique, avec des démonstrations ostensibles de détresse telles que les grèves de la faim, avec des actes de désobéissance civile ou avec certains recours à la violence. Une fois de plus, les critères permettant de discerner, en l’occurrence, une pratique de démocratie directe résident dans l’intention de modifier le cours d’une décision, dans la détermination à gagner la partie et dans la conviction de posséder une légitimité supérieure à celle des élus car c’est ici le peuple même — ou, en tout cas, une fraction de peuple — qui exprime sa volonté. La thèse robespierriste selon laquelle les élus de la nation sont de simples commis au service du peuple, et peuvent donc se voir supplantés par ce dernier, qui est seul pleinement légitime, n’a pas disparu de l’imaginaire politique.
Bien entendu, toutes ces pratiques de démocratie directe n’entretiennent pas un même rapport à la loi. Certaines, comme le lancement d’alerte, reposent sur des droits constitutionnels, ou sont prévues et encadrées par la loi ; d’autres sont plus ou moins tolérées par les juges ; d’autres enfin sont illégales et illégitimes, sauf en cas de résistance à un pouvoir tyrannique. En outre, d’une mobilisation à l’autre, on peut se demander si les motivations sont d’ordre catégoriel ou universel. Mais y reconnaître dans tous les cas des formes de démocratie directe permet de cerner les dynamiques politiques à l’œuvre dans la société, qui traduisent une frustration et une colère croissantes à l’égard des lacunes de la démocratie représentative.
§16 Au sein de la démocratie universaliste, on peut hésiter entre parler de démocratie « représentative » ou de démocratie « indirecte ». Pour Kelsen et d’autres auteurs, les démocraties parlementaires ne sont pas représentatives en raison de l’absence de mécanismes juridiques contraignant les élus à respecter la volonté des électeurs (mandat impératif et droit de révocation), ces mécanismes étant remplacés par le principe de l’indépendance des élus37.
Si nous partageons l’essentiel de ce jugement 38, nous proposons cependant d’opter pour le terme de démocratie représentative plutôt que de démocratie indirecte, et ce, pour trois raisons. D’abord parce que ce terme rappelle la promesse ou l’ambition du régime représentatif, et invite à se demander jusqu’à quel point tel ou tel système politique national répond à cette ambition. S’il est vrai que le lien de représentation est affecté par le principe de l’indépendance des élus, il n’en constitue pas moins un idéal régulateur qu’aucun démocrate sincère ne peut récuser : l’élection périodique des parlementaires n’aurait pas de sens démocratique si elle ne servait à traduire la volonté du peuple souverain, et donc à la représenter de quelque manière. Ensuite, parler de démocratie représentative contraint à se demander qui est chaque fois représenté : les citoyens individuels, ou des intérêts organisés et de puissance inégale venant interférer avec la logique de la démocratie universaliste ? L’universalité des citoyens, ou un corps politique plus réduit, certaines catégories étant privées du droit de vote ou du droit d’éligibilité ? La vigilance à l’égard des principes est requise lorsque l’on parle de démocratie représentative, alors que les mécanismes en vigueur paraissent plus interchangeables une fois que l’on a admis de vivre dans une simple démocratie indirecte, une fois que l’on estime avoir coupé le fil de la souveraineté populaire. Enfin, assumer l’idée de démocratie représentative engage à distinguer entre les différents mécanismes assurant la représentation : élection ou tirage au sort, scrutin proportionnel ou majoritaire, existence ou non d’un lien juridique entre représentants et représentés… L’expression de démocratie indirecte a le mérite de démystifier le régime en place, mais, par son caractère négatif, elle incline à tirer l’échelle de la représentation, à supporter de manière fataliste le principe de l’indépendance des élus.
§17 Notre troisième choix terminologique et de doctrine consiste à ne pas employer l’expression de démocratie délibérative pour désigner les mécanismes qui, venant en complément de la démocratie représentative ou s’articulant à ses organes, permettent au citoyen de jouer un rôle au cours des processus de décision.
L’expression est certes à la mode, sous l’influence de la pensée de Jürgen Habermas, et en proportion du succès croissant des dispositifs communément appelés délibératifs : panels, commissions ou parlements de citoyens tirés au sort 39, dialogues plus ou moins institutionnalisés avec la population, etc. En outre, les dispositifs de cette nature font une place à la délibération : les citoyens y trouvent l’occasion de prendre la parole, de débattre ou de dialoguer, et c’est particulièrement le cas des enceintes rassemblant des citoyens tirés au sort, qui y échangent des arguments et recherchent la meilleure option possible plutôt que de défendre des positions préétablies. On comprend donc qu’un usage académique se soit imposé, qui qualifie de délibératifs les mécanismes qui intègrent les citoyens dans les processus de décision politique sans relever pour autant de la démocratie directe.
Il nous semble cependant nécessaire de rompre avec l’usage établi, pour différentes raisons. La plus importante est qu’en réalité, nombre de mécanismes qui impliquent les citoyens mais ne relèvent ni de la démocratie élective ni de la démocratie directe ne sont pas de nature délibérative. Une instance citoyenne tirée au sort mène un travail délibératif au sens habermassien du terme, mais ce n’est pas le cas d’une pétition, d’une manifestation, d’une grève, d’une enquête publique en matière d’aménagement du territoire, d’une consultation à propos d’un plan gouvernemental, de la sollicitation d’organes de contrôle comme Unia ou Myria, du recours aux règles de transparence de l’action administrative, etc. Alors que l’on peut réunir l’ensemble de ces démarches sous le terme de démocratie participative, celui de démocratie délibérative ne correspond qu’à une partie d’entre elles, et il en va de même avec l’alternative que pourrait offrir l’expression de démocratie consultative.
Par ailleurs, en droit, on appelle voix délibérative — par opposition à une voix consultative — celle qui possède un pouvoir décisionnel et non de simple avis. Or, de nombreux mécanismes citoyens qualifiés de délibératifs ne confèrent aucun pouvoir décisionnel : ils sont éventuellement délibératifs au sens large, au sens dialogique du terme40, mais pas au sens juridique. Une confusion s’est ainsi créée autour de ces dispositifs, que l’on rassemble sous une étiquette peu appropriée mêlant des mécanismes consultatifs à des expériences dans lesquelles les citoyens recouvrent leur souveraineté, prennent eux-mêmes des décisions en dernier ressort. Par exemple, qualifier de délibératifs, dans tous les cas, les parlements de citoyens tirés au sort alors que certains délivrent de simples propositions tandis que d’autres se substituent aux élus en adoptant des lois voire des révisions constitutionnelles revient à brouiller la teneur démocratique de ces enceintes. Sur la base de notre critère privilégié — de quel pouvoir disposent ou s’emparent les citoyens ? —, il nous semble préférable de réserver le terme de délibération aux mécanismes qui y correspondent juridiquement et de ne pas mettre sur le même plan des démarches citoyennes qui sont, selon les cas, décisionnelles ou participatives. Comme déjà indiqué, nous distinguons ainsi entre des pétitions, des grèves, des manifestations…, organisées de manière à forcer une décision précise, et qui relèvent à ce titre de la démocratie directe, de démarches apparemment de même nature mais qui visent seulement à attirer l’attention sur un problème en laissant aux responsables politiques le soin d’y apporter la solution qu’ils jugeront pertinente : ce second cas de figure relève d’une démocratie participative et non directe. De même, les modalités d’installation et de fonctionnement de deux parlements de citoyens peuvent être identiques, mais ces parlements ne peuvent pas être classés de la même manière si leurs pouvoirs divergent. Lorsqu’ils possèdent légalement une capacité décisionnelle (droit d’adoption, de veto ou d’abrogation, ou droit d’élaborer des propositions de loi ou de révision constitutionnelle obligatoirement soumises à référendum), ils travaillent sur le terrain même de la démocratie représentative, en complétant, en infléchissant ou en bloquant le travail des élus : dans ce cadre, des simples citoyens se voient reconnaître un droit de décision parallèle à celui des responsables politiques et ils peuvent exercer une influence considérable. Il n’en va pas de même, par contre, si un parlement de citoyens n'a qu’un droit de proposition et doit laisser le dernier mot aux élus : dans ce cas, sa légitimité est faiblement affirmée et son influence risque d’être marginale. Ce dernier type d’instance relève donc de la démocratie simplement participative, ce qui n’est pas le cas des assemblées citoyennes dotées d’un pouvoir décisionnel.
Le même critère, celui du pouvoir dont disposent les citoyens, conduit aussi à conclure que, selon les cas, la consultation populaire est un mécanisme de démocratie directe ou de démocratie participative. Si la consultation est d’initiative citoyenne et non politique (avec obligation pour l’autorité publique de l’organiser si elle est soutenue par un nombre donné de signatures), si elle est utilisée faute de pouvoir recourir à un référendum juridiquement contraignant, si les citoyens se mobilisent de manière à émettre une volonté qu’il serait choquant d’ignorer (choix nettement majoritaire et taux élevé de participation), les intentions et la dynamique sont celles de la démocratie directe et le droit de veto dont disposent les responsables politiques ne peut être utilisé sans risque majeur de s’aliéner la population. Mais la consultation populaire peut également être d’initiative politique et constituer une simple manière de sonder la population sans se sentir lié par ses préférences (d’où le nom de « consultation »), auquel cas elle relève de la démocratie participative, ce que consacre juridiquement le fait que les élus ont le dernier mot.
§18 Un dernier choix s’impose, qui porte uniquement sur les parlements de citoyens tirés au sort. Faut-il y voir, comme on le dit souvent41, des mécanismes de démocratie directe au motif qu’ils impliquent de simples citoyens, donc des fractions du peuple et non des professionnels élus ? Ou s’agirait-il plutôt de démocratie représentative, puisque les personnes tirées au sort se substituent au peuple, à la généralité des citoyens, pour exercer une charge en son nom et à son profit ?
Notre critère privilégié impose d’opter pour la seconde solution. Certes, il ne s’agit pas ici de démocratie représentative au sens strict (pas de mandats impératifs ni de droit de révocation), ni au sens habituel (pas de procédure électorale permettant au peuple de choisir ses représentants). Mais il y a bien, en l’occurrence, une dépossession subie par la quasi-totalité des citoyens : tous ceux qui ne sont pas appelés par le sort sont écartés de la discussion, écartement caractéristique de la démocratie représentative. En outre, la technique du tirage au sort a pour but d’éviter que l’assemblée citoyenne repose sur une auto-désignation, qui conduirait à voir certaines catégories de la population monopoliser la parole comme c’est le cas dans nombre de pratiques de démocratie directe. Ici, l’objectif même du tirage au sort est de garantir la représentativité de l’assemblée, soit en tablant sur la diversité résultant de tout tirage aléatoire, soit moyennant certaines clés de répartition posées a priori42 : parité ou quasi-parité hommes-femmes, représentation proportionnelle des diverses tranches d’âge et des différentes portions de territoire, etc. Certes, comme dans la démocratie élective, la représentativité n’est pas parfaite : il faudrait pour cela des parlements de très grande taille, et des moyens suffisants pour assurer la présence parfaitement proportionnelle de personnes issues de tous les segments de la société, ce qui s’avère très difficile pour les membres de la classe ouvrière ou pour la couche sociale possédant le plus bas niveau d’instruction43. Il n’en reste pas moins que l’idéal régulateur de ce type de dispositif est la représentation-miroir : la partie de peuple tirée au sort est censée raisonner comme le peuple. À Athènes déjà, les membres du Conseil (ou Boulè), la plus importante des assemblées composées par le sort, devaient obligatoirement provenir, de manière proportionnelle à leur population, d’une des 139 circonscriptions que comptait la ville : il fallait éviter que le sort substitue à la population un Conseil qui n’en serait pas le reflet, géographiquement et socialement parlant44. Nous avons donc bien affaire ici à un dispositif de démocratie représentative.
Un tableau en trois colonnes et trois parties
§19 Sur la base de ces choix terminologiques qui croisent des options de doctrine, nous proposons ci-dessous une esquisse des variantes de la démocratie universaliste sous la forme d’un tableau à trois fois trois entrées. Nous avons construit cette esquisse de manière empirique, à partir d’observations relatives aux pratiques en vigueur en Belgique ces dernières décennies, ainsi qu’aux principales propositions de réforme du système démocratique belge. Nous y avons aussi inséré quelques alternatives qui ne sont pas encore expérimentées, notamment parce que la loi ne le permet pas, mais qui font partie intégrante du débat sur les innovations en cours d’implémentation : nous couvrons ainsi un champ de possibles sur une base qui ne relève pas de nos préférences personnelles.
Notre fil conducteur reste la démocratie au sens étymologique du terme : quels sont les mécanismes permettant au citoyen de jouer un rôle politique ? Nous les identifions dans la colonne de gauche du tableau, « Mécanismes ». Ce rôle est-il prévu, reconnu, instauré, limité, contrôlé, interdit ou encadré par la loi ? Nous abordons ces questions dans la colonne centrale du tableau, « Rapports à la loi », en englobant les règlements dans la notion de loi. Quelles sont les principales caractéristiques de ces mécanismes, leurs conditions de légitimité, leur dynamique ? Nous abordons ces questions dans la colonne de droite du tableau, « Caractéristiques et légitimité ». Nous nous tiendrons dans les limites de ces questions, appliquées à la démocratie universaliste : c’est le champ de la décision politique au sens classique du terme qui nous intéresse ici, à l’exclusion des enceintes associant les citoyens à la mise en œuvre de politiques publiques mais sans les faire participer à la prise de décision. Malgré ces restrictions, le tableau ci-dessous fait déjà apparaître une grande diversité de dispositifs et de modes d’action, témoins d’une vitalité démocratique plus importante qu’on ne le dit parfois.
Le tableau se présente en trois parties. Les premières sont consacrées aux deux grandes formes prises par la démocratie universaliste à dimension décisionnelle : démocratie directe ou représentative. Dans la démocratie directe, les citoyens possèdent ou s’arrogent un pouvoir de décision par eux-mêmes, tout en abandonnant aux élus la mise en œuvre des conséquences de leur intervention. Dans la démocratie représentative, les citoyens possèdent également une capacité décisionnelle : ils choisissent leurs représentants et peuvent décider d’en changer au terme d’une mandature, ou ils siègent dans une assemblée tirée au sort dotée d’un droit de décision. La troisième partie rassemble quant à elle les principaux mécanismes de démocratie participative, qui se caractérisent par le fait qu’ils n’accordent pas de capacité décisionnelle aux citoyens, ou que dans la pratique ces derniers ne s’emparent pas de ces mécanismes afin de s’arroger une telle capacité. Comme on le verra, la variété de ces mécanismes participatifs est extrême : certains sont prévus et établis par la loi, d’autres ont un caractère informel, beaucoup sont de nature mixte, impliquant à la fois des citoyens et des élus ou des individus et des groupes organisés.
Quant à l’ordre de présentation des trois grands types de démocratie universaliste dans notre tableau, il tient compte de la suprématie juridique et politique des organes représentatifs, et plus précisément, encore aujourd’hui, de la suprématie des organes issus d’une élection. En effet, en Belgique comme dans les autres démocraties, ce sont les organes électifs qui installent, encadrent, autorisent, tolèrent ou interdisent les diverses formes de démocratie directe ou participative, ainsi que les enceintes de citoyens tirés au sort (principe de la prééminence du droit). Les mécanismes dits de démocratie directe sont donc à prendre avec un grain de sel, dans la mesure où ils sont le plus souvent prévus et encadrés par la loi et non par les citoyens eux-mêmes (alors que la démocratie directe a souvent pris des formes non légales au cours de l’Histoire), et où, sauf exception de nature insurrectionnelle, ils sont destinés à être prolongés ou mis en œuvre par une action des organes élus. Parler de démocratie directe ne signifie donc pas que le peuple est seul en piste ; le plus souvent, le moment de démocratie directe est suivi par une phase où le pouvoir politique reprend l’initiative (même dans le cas d’un référendum, dont il faut appliquer les résultats après le scrutin45). Même si, à première vue, c’est la démocratie directe qui donne le plus de pouvoir aux citoyens, la démocratie représentative est la plus centrale46 : elle reste aujourd’hui, et de loin, le lieu principal de l’exercice du pouvoir démocratique par les citoyens, dans la mesure où ils en conditionnent la dynamique par leurs votes.
§20 Nous avons vu que la démocratie universaliste est à la fois complétée et hybridée par des mécanismes catégoriels, et qu’au-delà de sa forme représentative elle prend aussi la forme d’une démocratie directe et d’une démocratie participative. Prendre l’ensemble des modalités démocratiques en compte demanderait donc un travail considérable, qui outrepasserait nos moyens en termes de temps, de place et de compétences. C’est la raison pour laquelle nous ne tenons pas compte ici des mécanismes catégoriels, qu’il s’agisse de leur forme pure, comme dans le cadre de la concertation sociale, ou des cas d’hybridation avec la démocratie universaliste, dont nous avons cité certains exemples mais que nous n’avons pas cherché à faire apparaître dans le tableau. Pour les mêmes motifs, les spécificités du cadre européen et intergouvernemental ne sont pas prises en considération. Par ailleurs, dans un souci de cohérence, nous faisons l’impasse sur le rôle du Roi, ce rouage échappant à l’influence des citoyens, ainsi que sur l’intervention des autorités indépendantes, qui relève d’une logique d’expertise de nature non démocratique47. Malgré ces différentes restrictions, un simple coup d’œil jeté sur le tableau permet de constater à quel point les pratiques démocratiques sont nombreuses et variées, comme nous y reviendrons en conclusion.
DEMOCRATIE UNIVERSALISTE REPRESENTATIVE, avec pouvoir électif ou décisionnel des citoyens | ||
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Mécanismes | Rapports à la loi | Caractéristiques et légitimité |
– élection de représentants, avec principe d’indépendance des élus et décisions prises à la majorité (absolue ou qualifiée) | – doit être réglée par la loi – principes stabilisés en Belgique : régime parlementaire ; suffrage universel et droit universel d’éligibilité, avec conditions d’âge ; un électeur = une voix ; suffrage proportionnel tempéré par divers mécanismes ; vote en case de tête ou vote de préférence, sans panachage entre listes – conditions de nationalité variables selon le type de scrutin – quelques limitations législatives du droit d’éligibilité – obligation de vote (remise en cause pour les élections communales en Région flamande) – la loi consacre le rôle majeur (non monopolistique) des partis | – l’impact du vote est limité par l’indépendance des élus, mais le vote dessine le champ des possibles – tension entre deux grands motifs de vote : compétence des candidats ou concordance des volontés entre électeurs et partis ? – légitimité dépendant du nombre (popularité électorale) et fondée sur des choix individuels libres (liberté de candidature, secret du vote) – il y a débat quant à savoir si les quotas de genre brisent la logique universaliste de l’élection – actuellement, pas de demande de mandats impératifs, de droit de révocation ou de reddition de comptes |
– assemblée (ou panel, conférence…) de citoyens tirés au sort | – initiative du pouvoir législatif : pas d’auto-installation (mais la loi pourrait contraindre à créer une assemblée à la demande d’un nombre donné de citoyens) – composition à régler par la loi – compétences à définir par la loi : droit de veto, d’abrogation ou d’adoption de lois ou de principes constitutionnels, à confirmer éventuellement par référendum ? – généralement considérée comme interdite par la Constitution (art. 33) | – rend une part de souveraineté aux citoyens tirés au sort – empêche la particratie : pluralisme fortement élargi – pousse à l’extrême le principe de l’indépendance des représentants – légitimité dépendant de la représentativité sociologique de l’assemblée (taille, diversité, proportionnalité) – autres conditions de légitimité : audition d’experts et de représentants de la société civile, filtrage ou contrôle des éventuels militants ou lobbyistes… – peu de demandes en faveur d’un pouvoir décisionnel positif : plutôt rôle de veto ou abrogatoire, ou de proposition législative ou constitutionnelle suivie d’un référendum ou d’une prise en compte par un parlement élu |
– assemblée mixte, composée d’élus et de citoyens tirés au sort | – initiative du pouvoir législatif : pas d’auto-installation (mais la loi pourrait contraindre à créer une assemblée à la demande d’un nombre donné de citoyens) – composition à régler par la loi – compétences à définir par la loi : droit de veto, d’abrogation ou d’adoption de lois ou de principes constitutionnels ? – généralement considérée comme interdite par la Constitution (art. 33) | – cf. ci-dessus pour le volet tirage au sort – légitimité plus forte qu’une assemblée tirée au sort ? Cumul des légitimités, avec représentativité sociologique du sort, volonté politique exprimée par l’élection, compétence garantie par l’élection ? |
DEMOCRATIE UNIVERSALISTE DIRECTE, avec pouvoir ou recherche de pouvoir décisionnel des citoyens | ||
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Mécanismes | Rapports à la loi | Caractéristiques et légitimité |
– référendum – consultation populaire | – selon la doctrine classique, référendum considéré comme interdit par la Constitution (art. 33) – consultation populaire autorisée et encadrée par la loi ; certains sujets sont interdits (questions de personnes, financières, douteuses au plan éthique…) – la loi distingue entre différents pouvoirs d’initiative : réservé au politique ou attribué aux citoyens, moyennant dans ce dernier cas un nombre minimum de signatures appuyant la demande pour contraindre l’autorité à organiser la consultation | – le référendum et la consultation populaire se substituent ponctuellement au système représentatif, et peuvent servir à corriger la politique menée par les élus lorsqu’ils sont d’initiative citoyenne – à la différence du référendum, la consultation populaire ne donne pas aux citoyens un droit formel de décision : le dernier mot appartient aux élus, qui ne sont pas liés par le résultat de la consultation – utile pour les choix binaires, par oui ou par non – problématique si oppose des blocs de population, comme en Belgique au plan communautaire, ou si porte sur des sujets très complexes – légitimité théoriquement supérieure à l’élection : décision au suffrage universel sur un point précis – légitimité variable selon le taux de participation, et accrue si la consultation est d’initiative citoyenne |
– budget participatif, contrat de quartier | – initiative d’un exécutif, à l’échelle locale – organisé par règlement, généralement sur la base d’une disposition législative | – se substitue ponctuellement au système représentatif, avec l’aide d’experts et du pouvoir exécutif qui met un budget à disposition – confie la décision aux citoyens (volontaires ou tirés au sort) ou aux associations locales, par vote ou par consensus – quand le règlement prévoit une codécision entre citoyens et élus ou experts, le mécanisme glisse vers la démocratie participative car les citoyens n’ont pas le dernier mot, en pratique – conditions de participation et de vote très ouvertes, parfois aux enfants – montants affectés souvent modestes – légitimité a priori maximale : choix ouvert, décision collectivement construite – la légitimité peut être affectée par une faible participation, une représentativité discutable, le noyautage par des groupes de pression, la durée excessive du processus… |
– contentieux stratégique : 1/ annulation ou suspension par le Conseil d’État ou autres juridictions administratives (e. a., contrôle de légalité de l’acte administratif) 2/ restauration par la justice d’un droit violé, éventuellement réparation ou suspension 3/ annulation ou suspension par la Cour constitutionnelle | – organisé par la loi – très encadré : conditions de recevabilité, règles de procédure… | – décision dépendant du juge, pas du citoyen ; mais constitue un outil de démocratie directe si le citoyen recourt à la justice pour obtenir un résultat contraignant ou destiné à faire jurisprudence – intervention souvent négative : annulation, suspension, astreintes…, conduisant le politique à réintervenir – conduit parfois à construire du droit, ou à contraindre les autorités à mener une politique positive – initiative souvent soutenue par un groupe ou due à un groupe : peut servir des intérêts catégoriels, éventuellement contradictoires entre eux – présomption de forte légitimité inhérente à une décision de justice, mais celle-ci découle d’un dossier particulier et peut différer des décisions prises par d’autres instances – risque d’instrumentalisation de la justice, voire de citoyens poussés par des groupes militants à porter plainte – à force, risque de paralysie de l’action publique ? |
– pétition (papier ou électronique) | – organisée et encadrée par la loi – adressée à un parlement, qui est soumis ou non à une obligation d’examen sous conditions – peut entraîner un droit à être entendu par le parlement – après une longue éclipse, fait l’objet de nouvelles règles qui facilitent l’accès des pétitionnaires au parlement et contraignent davantage à l’organisation d’auditions | – en droit, relève de la démocratie participative, mais peut être utilisé comme méthode de démocratie directe : dans ce cas, volonté de forcer les élus par la masse des signatures – initiative de groupe, relayée par le monde associatif ou les réseaux sociaux, e. a. – forte légitimité de principe, ancrée dans le droit des citoyens à défendre leur volonté politique – légitimité quantitative, pression proportionnelle à la participation – faible efficacité en raison du droit des élus à ne pas donner suite, mais la révision des règles pourrait accroître l’impact |
– lobbying de groupes de pression | – pas reconnu par la loi comme pratique de démocratie directe : reste discret voire occulte | – relève normalement de la démocratie participative, mais certaines formes, massives ou déloyales (études pseudo-scientifiques, chantage à l’emploi…), cherchent à forcer une décision – très faible légitimité : pratique décriée – risque de substituer un intérêt privé ou catégoriel à la volonté populaire |
– grève interprofessionnelle | – autorisée par la loi – encadrée par la loi – généralement encadrée par les forces de l’ordre | – relève de la démocratie directe : dommage causé délibérément pour obtenir gain de cause – intervient le plus souvent contre une décision en préparation, mais sert parfois à conquérir des droits (suffrage universel, droit de grève…) – action ciblée : vise le plus souvent un résultat précis – en cas de succès, les élus reprennent la main pour répondre à l’exigence émise – généralement organisée ou encadrée par les syndicats, relayés ou non par les réseaux sociaux ou des associations – caractère catégoriel ou non selon le cas – légitimité variable selon l’implication (critère du nombre et de la durée) |
– manifestation | – autorisée par la loi – encadrée par la loi – généralement encadrée par les forces de l’ordre | – en droit, relève de la démocratie participative, mais peut être utilisée comme méthode de démocratie directe : volonté de forcer le pouvoir au nom de la souveraineté populaire ou de la justice – intervient souvent contre une décision en préparation, parfois pour revendiquer des mesures positives – action ciblée : vise le plus souvent un résultat précis – action généralement ponctuelle, mais tendance à la récurrence – en cas de succès, les élus reprennent la main pour répondre à l’exigence émise – souvent organisée par des structures établies, mais aussi via les réseaux sociaux – caractère catégoriel ou non, selon le cas – légitimité variable selon l’implication (critère du nombre, parfois de la récurrence) et dépendant de la justification – risque de substituer la volonté d’une fraction de peuple à celle du peuple entier |
– lancement d’alerte | – prévu et encadré par différentes lois, en particulier pour les fonctionnaires lanceurs d’alerte – repose ultimement sur la liberté d’expression | – réactif : dénonce une pratique dont une personne a connaissance par sa profession ou par ses réseaux et qu’elle veut faire cesser – s’adresse à une autorité qui peut empêcher la pratique incriminée – initiative généralement individuelle – légitimité proportionnelle à la gravité du scandale dénoncé – doit remplir des conditions de désintérêt pour ne pas être assimilable à une dénonciation ou à de la délation – proche de la désobéissance civile si initiative illégale |
– grève de la faim, occupation d’églises… | – non prévu par la loi, ni encadré | – sert à dénoncer une décision ou une inertie politique jugée scandaleuse et à obtenir des mesures ciblées, urgentes, ou un plan d’ensemble – en cas de succès, les élus reprennent la main pour répondre à l’exigence émise – initiative individuelle ou d’un petit groupe spontané, parfois de groupes plus structurés – met en avant la détresse ou le scandale moral, joue sur la visibilité : légitimité fondée sur la souffrance dénoncée – parfois à la limite du chantage ? – risque de substituer la volonté d’une fraction de peuple à celle du peuple entier |
– désobéissance civile (manifestation interdite, squat, occupation d’une zone à défendre (ZAD), blocage de dépôts de carburant, blocage de la voie publique, sit-in…) | – interdite par la loi – a priori, réprimée par la justice, mais pas toujours : dépend des moyens d’action utilisés, de la cause défendue, de la politique pénale… – la loi reconnaît des droits proches : résistance à l’acte illégal, état de nécessité… ; mais ces derniers ne reposent pas sur une motivation politique | – transgression de l’ordre juridique existant afin, généralement, d’abolir une loi ou une politique gouvernementale – sert parfois à forcer une politique nouvelle, ou à conquérir des droits (objection de conscience en matière militaire, droit à l’IVG…) – met en avant une injustice ou un scandale, repose sur une indignation – en cas de succès de l’action de désobéissance, les élus reprennent la main pour répondre à l’exigence émise – souvent menée par un petit groupe très résolu, parfois de manière individuelle (volonté de témoignage) – légitimité proportionnelle à celle du principe invoqué (transgression au nom d’une loi jugée supérieure au droit positif) et à la prise de risque (qui atteste une sincérité) ; ne peut prendre la forme d’une action individuelle entraînant un bénéfice personnel – risque de substituer la volonté d’une fraction de peuple à celle du peuple entier |
– recours à la violence (intimidation, menaces de mort, agression physique…) | – rigoureusement interdit par la loi – cependant, allusion au droit d’insurrection dans le préambule de la DUDH | – volonté de subvertir l’ordre existant au profit d’un ordre radicalement différent, ou de contraindre le pouvoir à renoncer à une décision jugée scandaleuse – légitimité non reconnue dans le champ démocratique, sauf en cas d’injustice intolérable ou de résistance à la tyrannie – substitue la volonté d’une fraction de peuple à celle du peuple entier |
– terrorisme | – rigoureusement interdit par la loi | – volonté de subvertir l’ordre existant au profit d’un ordre radicalement différent – aucune légitimité dans le champ démocratique (admis seulement par des adversaires du système) – substitue la volonté d’une fraction de peuple à celle du peuple entier |
DEMOCRATIE UNIVERSALISTE PARTICIPATIVE, sans pouvoir ni recherche de pouvoir décisionnel des citoyens | ||
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Mécanismes | Rapports à la loi | Caractéristiques et légitimité |
– consultation populaire | – autorisée par la loi – encadrée par la loi ; certains sujets sont interdits (questions de personnes, financières, douteuses au plan éthique…) – la loi distingue entre différents pouvoirs d’initiative : réservé au politique ou attribué aux citoyens, moyennant dans ce dernier cas un nombre minimum de signatures appuyant la demande pour contraindre l’autorité à organiser la consultation | – se substitue momentanément au système représentatif, mais le dernier mot appartient aux élus, qui ne sont pas liés par le résultat de la consultation – donne la parole aux citoyens – utile pour les choix binaires, par oui ou par non – problématique si oppose des blocs de population, comme en Belgique au plan communautaire, ou si porte sur des sujets très complexes – légitimité théoriquement supérieure à l’élection : expression au suffrage universel sur un point précis – légitimité variable selon le taux de participation, et accrue si la consultation est d’initiative citoyenne |
– pétition (papier ou électronique) | – organisée et encadrée par la loi – adressée à un parlement, qui est soumis ou non à une obligation d’examen sous conditions – peut entraîner un droit à être entendu par le parlement – après une longue éclipse, fait l’objet de nouvelles règles qui facilitent l’accès des pétitionnaires au parlement et contraignent davantage à l’organisation d’auditions | – initiative de groupe, relayée par le monde associatif ou les réseaux sociaux, e. a. – forte légitimité de principe, ancrée dans le droit des citoyens à défendre leur volonté politique – légitimité quantitative, pression proportionnelle à la participation – faible efficacité en raison du droit des élus à ne pas donner suite, mais la révision des règles pourrait accroître l’impact |
– loi ou projet d’initiative citoyenne | – organisé par la loi, qui fixe des conditions de recevabilité – exige de rassembler un nombre minimum de signatures, fixé par la loi | – pétition ayant pour objet de soumettre une proposition de loi ou un projet à une assemblée élue, qui doit en débattre – peut jouer au niveau parlementaire comme au niveau local – donne aux citoyens un droit d’initiative, avec un âge minimum comme seule condition de signature – possibilité d’amender la proposition ou le projet en concertation avec ses initiateurs – laisse le dernier mot à l’assemblée, à moins que celle-ci recoure à un référendum – en cas d’adoption, double légitimité : implication citoyenne et vote majoritaire |
– budget participatif, contrat de quartier | – initiative d’un exécutif, à l’échelle locale – organisé par règlement, généralement sur la base d’une disposition législative | – relève de la démocratie participative quand le dernier mot revient aux élus, ou qu’il y a codécision entre citoyens et élus ou experts – implique les citoyens, volontaires ou tirés au sort, et souvent les associations locales – conditions de participation très ouvertes – montants affectés souvent modestes – légitimité a priori maximale : choix ouvert, décision coconstruite – la légitimité peut être affectée par une faible participation, une représentativité discutable, le noyautage par des groupes de pression, la durée excessive du processus… – efficacité de la participation citoyenne variable, les élus ayant le dernier mot |
– conseils consultatifs, conseils de quartier… | – créés ou autorisés par la loi, ou par un exécutif local, régional, fédéral… – obligatoires ou non – temporaires ou permanents – la loi impose généralement une grande ouverture en termes d’âge, de nationalité, de participation des femmes… | – certains conseils de quartier se voient confier un budget participatif – composition variable : experts, associations, citoyens volontaires ou tirés au sort… – légitimité liée au degré de participation, de représentativité et d’expertise – efficacité de la participation citoyenne variable, les élus pouvant ignorer les demandes des citoyens |
– enquêtes publiques, commissions de concertation, consultations ouvertes aux citoyens… | – parfois imposées et régies par la loi (enquêtes publiques en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire, ou Plan fédéral de développement durable, p. ex.) – le plus souvent, initiative d’un exécutif ou d’un organisme public ou parapublic, du niveau fédéral au niveau local | – thèmes variables, du local au fédéral, du sectoriel au global – pour les enquêtes publiques en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire, avis individuels des citoyens – sinon, composition souvent mixte : participation de citoyens, d’associations et de groupes représentatifs d’intérêts – selon les cas, consultation ouverte ou recherche d’avis sur un projet déjà élaboré – légitimité variable selon la participation, en quantité et en représentativité – liberté de choix des élus face aux propositions des citoyens, surtout si elles sont nombreuses et contradictoires – doutes sur la volonté politique d’intégrer les suggestions et critiques – soupçon d’instrumentalisation des citoyens, dont la participation peut servir à légitimer un choix déjà fait |
– recours à la transparence administrative | – garanti par la loi : conditions d’accès aux documents administratifs, obligation de justification formelle des actes administratifs… – fondé sur le droit à l’information et sur la liberté d’expression | – constitue d’abord un droit du citoyen-administré, mais facilite une action critique ou revendicative au plan politique : permet une mise en cause des lois ou des pratiques, y compris au plan juridictionnel – légitimité inhérente à la mise en œuvre de droits fondamentaux (droit à l’information et liberté d’expression) – efficacité très variable |
– organes de contrôle : Commission permanente de contrôle linguistique, médiateurs auprès des différents niveaux de pouvoir, Délégué général aux droits de l’enfant, Unia, Myria… | – créés par la loi – modalités d’intervention définies par la loi – rapports d’activités annuels obligatoires | – peuvent relever de la démocratie participative, car possibilité d’interpellation ou de plainte d’intérêt général de la part des citoyens (avec filtrage des plaintes et des propositions par l’organe sollicité) – possèdent un droit d’avis, de proposition ou d’interpellation à l’égard du politique – légitimité inhérente au caractère parapublic et d’intérêt général de ces organes – efficacité très variable, mais avérée |
– assemblée (ou panel, conférence…) de citoyens tirés au sort | – peut être réglée par la loi, qui peut prévoir des conditions de mise en place (initiative citoyenne, parlementaire…) – souvent installée par un pouvoir exécutif, à l’échelle locale et sous forme temporaire voire expérimentale – peut être d’origine associative – droit d’initiative, d’avis, de co-rédaction ou de proposition, pas de décision | – donne la parole aux citoyens – contourne la particratie : pluralisme fortement élargi – selon le cas, articulation ou non avec une assemblée élue – légitimité dépendant de la représentativité sociologique de l’assemblée (taille, diversité, proportionnalité) – autres conditions de légitimité : audition d’experts et de représentants de la société civile, filtrage ou contrôle des éventuels militants ou lobbyistes… |
– assemblée mixte, composée d’élus et de citoyens tirés au sort | – créée par la loi, qui peut prévoir des conditions de mise en place (initiative citoyenne soutenue par un nombre donné de signatures, initiative parlementaire…) – composition réglée par la loi – droit d’initiative, d’avis, de co-rédaction ou de proposition, pas de décision | – donne la parole aux citoyens – limite la particratie : pluralisme élargi – articulation avec une assemblée élue – a priori, légitimité forte, par cumul : représentativité sociologique du sort, volonté populaire exprimée par l’élection, compétence garantie par l’élection – légitimité liée à la représentativité des citoyens tirés au sort (taille, diversité, proportionnalité) – autres conditions de légitimité : audition d’experts et de représentants de la société civile ; filtrage ou contrôle des éventuels militants ou lobbyistes… |
– usage de la liberté d’expression par les médias, le monde associatif, les réseaux sociaux, le monde de la culture… | – repose sur des droits fondamentaux (d’expression, de liberté de la presse, d’association…) – garanti et parfois encadré par la loi – limité par quelques dispositions législatives (racisme, négationnisme, diffamation…) – souvent subsidié par des pouvoirs publics | – initiative individuelle ou collective, assumée notamment par le monde associatif, les ONG, les syndicats… – joue un rôle démocratique par la critique, la proposition, la sensibilisation de l’opinion, l’impact éventuel sur les choix électoraux… – selon les cas, les médias relaient ou non la prise de parole ou prennent eux-mêmes position dans le débat – légitimité consacrée au plus haut niveau juridique – efficacité souvent diffuse, non évaluable, dépendant de nombreux facteurs |
– sondage de popularité ou d’intentions de vote | – pratiquement plus encadré par la loi | – représentativité plus ou moins proche de celle de l’élection, selon la qualité de l’échantillon – se distingue de l’élection par l’absence de tout effet contraignant – initiative privée (instituts de sondage, médias, partis…) – pratique banalisée, légitimée par l’habitude – impact controversé, mais présumé, sur les tactiques partisanes, notamment électorales – pèse parfois sur les choix politiques des partis et des citoyens, dans une mesure très controversée – réponses moins réfléchies que pour un référendum ou un vote ? |
– lobbying de groupes de pression | – peu formalisé par la loi – selon les cas, public, discret ou occulte – facilité par le financement public d’une partie des groupes-acteurs (associations, ONG, etc.) | – dû à des entreprises, syndicats, ONG, associations, Eglises, coupoles, plateformes et autres groupes défendant des intérêts ou des valeurs – prend de multiples formes (mémorandums, interpellations, préparation de textes législatifs, auditions parlementaires, contacts avec des partis ou des cabinets ministériels…), qui peuvent être articulées avec d’autres mécanismes participatifs – légitimité très variable, liée à la représentativité du groupe acteur, au degré d’expertise présumé, à la nature des intérêts ou des valeurs défendues… – impact lié à l’importance de la mobilisation et aux intérêts ou aux valeurs défendues |
– manifestation (ou marche, parade…) | – autorisée par la loi – encadrée par la loi – généralement encadrée par les forces de l’ordre | – relève de la démocratie participative si ne cherche pas à contraindre les élus – intervient souvent en réaction à une décision politique en préparation, mais aussi pour revendiquer des mesures positives ou pour témoigner – sert à renouer le lien de représentation, à revendiquer ce que l’élection n’a pas permis d’obtenir – souvent organisée par des structures établies, mais aussi via les réseaux sociaux – action généralement ponctuelle, mais tendance à la récurrence, parfois sur la longue durée (manifestations annuelles) – légitimité variable selon le nombre de participants, accrue ou diminuée selon leurs motivations présumées (qui peuvent être catégorielles) |
Deux éléments de conclusion
§21 Au terme de cette tentative de classification, nous voudrions avancer une remarque et une question.
Si nous étions en France, la remarque porterait sur la montée de la violence politique. Nous n’en sommes pas là en Belgique, mais il faut pointer, à la source d’une série de pratiques récentes de démocratie directe, la revendication d’une nouvelle sorte de légitimité, qui prétend dépasser aussi bien la loi du nombre que l’expression des intérêts. Nous voyons en effet se développer des combats qui se prétendent axiologiquement incontestables, destinés non pas à obtenir un avantage catégoriel mais à réaliser un idéal supérieur justifiant le recours à la désobéissance civile (une lutte déterminée contre les dérèglements climatiques, un monde sans frontières, un système économique respectueux des générations futures ou des autres espèces, le droit à la dignité, l’émancipation de minorités discriminées ou opprimées…). Alors que, après l’étincelle libertaire de Mai 68 et la chute du Mur de Berlin, on avait annoncé la fin des idéologies et de toute forme de transcendance, de nouvelles radicalités à haute teneur éthique n’hésitent pas à forcer la main aux autorités élues en entendant incarner, non pas le peuple souverain, mais la justice en personne. L’avenir dira si ces combats ne constituent pas un défi plus redoutable, pour le système en place, que l’activisme de fractions de peuple parlant au nom du peuple entier.
Par ailleurs, un tableau exhaustif ferait apparaître encore d’autres mécanismes à l’œuvre en Belgique, ce qui engendre une question difficile : pourquoi existe-t-il un sentiment de crise de la démocratie, alors que nous bénéficions d’une telle profusion ? La cause réside-t-elle dans cette abondance elle-même, dans un jeu de pouvoirs et de contre-pouvoirs qui ne cessent de se contredire ou de se freiner mutuellement, devenant opaques, inefficaces et démobilisateurs ? Ou l’ensemble des mécanismes est-il grippé par la suprématie illégitime de certains acteurs : l’Europe, la particratie, les lobbys, le capitalisme… ? Faut-il incriminer d’abord le principe de l’indépendance des élus, ou encore la tyrannie de la majorité, qui condamnerait les revendications minoritaires à l’impuissance ? Ou faut-il plutôt incriminer l’irréductible opposition des intérêts, qui contraint à d’incessants compromis, frustrants pour toutes les composantes du corps social ? Butons-nous sur les limites du bulletin de vote, qui est un véhicule trop grossier pour traduire la volonté des électeurs sur une foule de sujets disparates ? Le principe de partage de la souveraineté entre tous les citoyens est-il en crise, ou le malaise tient-il d’abord à la persistance d’inégalités de nature diverse (socio-économique, de genre, ethnique…) qui se prolongent au sein du système politique lui-même ? Le colloque anniversaire du Centre de droit public et social ne prétendait pas répondre à toutes ces questions. Mais chacune des contributions qui suivent se tient dans leur voisinage, et en fait surgir d’autres qui ne sont pas moins difficiles.
Nous remercions nos collègues du Centre de droit public et social — en particulier Elise Dermine et Thibault Gaudin — pour leurs remarques et leurs suggestions. Nous tenons à saluer aussi les questions, très pertinentes, qui nous ont été anonymement adressées lors du peer review de notre contribution. ↩
À son propos, voyez la contribution de Lucien Rigaux et Quentin Peiffer à la présente livraison d’e-legal. ↩
À son propos, voyez la contribution de Patrick Goffaux. ↩
À son propos, voyez la contribution de Jérôme Sohier et Mathieu Dekleermaker. ↩
Plutôt que de parler de démocratie catégorielle, on pourrait être tenté de recourir au concept de démocratie consociative, souvent appliqué à la Belgique. Mais ce concept désigne, non pas la prise en compte d’intérêts catégoriels en général, mais l’articulation de certains intérêts sociaux, religieux, communautaires ou linguistiques cloisonnés que l’on fait coexister grâce à des règles de reconnaissance, d’équilibrage, de dialogue et de compromis. La démocratie consociative possède par principe un arrière-plan catégoriel, mais elle ne se laisse pas réduire à un jeu d’intérêts catégoriels : elle articule ces intérêts et, dans une certaine mesure, elle les dépasse dans le cadre d’une démocratie de type universaliste telle que nous allons la décrire. ↩
Le terme de nation ne désignait que les habitants d’une région ou d’un pays, pas une communauté politique. ↩
Noiriel G., Une histoire populaire de la France, Marseille, Agone, 2018, p. 116. ↩
Tulard J., Fayard J.-F.et Fierro A., Histoire et dictionnaire de la Révolution française, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1987, p. 968. ↩
La même aspiration au consentement universel à l’égard de l’impôt était apparue au 13e siècle, en se fondant sur un adage du droit civil romain (« quod omnes tangit ab omnibus tractari et approbari debet », « ce qui concerne tout le monde doit être décidé et approuvé par tous »). Mais la structuration d’assemblées représentatives s’est calquée sur la division de la société en ordres et en statuts, ce qui a étouffé la virtualité universaliste pendant cinq siècles (voyez Baschet J., La Civilisation féodale. De l’an mil à la colonisation de l’Amérique, 4e édition corrigée et mise à jour, Paris, Flammarion, 2018, p. 365). ↩
Kelsen H., La Démocratie. Sa nature – sa valeur, Paris, Dalloz, 2004, p. 57-62. ↩
Voyez l’article 42 de la Constitution belge : « Les membres des deux Chambres représentent la nation, et non uniquement ceux qui les ont élus. » Rappelons que Kelsen a souligné la rupture que constitue le principe de l’indépendance des élus : voyez Kelsen H., Théorie générale du droit et de l’Etat suivi de La doctrine du droit naturel et le positivisme juridique, L.G.D.J. (Paris) et Bruylant (Belgique), 1997, pp. 338-341. ↩
L’indépendance des élus à l’égard de leurs électeurs n’empêche pas qu’ils dépendent de leur parti, qui peut les soumettre à une discipline de vote au sein de l’assemblée. Mais il s’agit ici d’une simple pratique (à géométrie d’ailleurs variable selon les circonstances), et non d’une norme constitutionnelle comme celle de l’indépendance à l’égard des électeurs. ↩
On objectera que le Congrès national a consacré un système électoral censitaire. Mais les congressistes étaient conscients que la condition de cens bafouait l’idée démocratique : c’est la raison pour laquelle ils la présentaient comme une restriction provisoire qui sera levée lorsque les progrès de l’instruction permettront de le faire, le suffrage ayant vocation à devenir universel. Voyez Dumont H., « Le concept de démocratie représentative : de Sieyès à la Constitution belge de 1831 », in Bouhon F. et Reuchamps M. (dir.), Les systèmes électoraux de la Belgique, 2e édition, Bruxelles, Larcier, 2018, pp. 23-56, p. 41, n° 71. ↩
La nationalité n’est plus une condition sine qua non au niveau des élections communales et européennes, de même que le domicile ne l’est plus pour les élections fédérales et européennes : une personne de nationalité belge habitant à l’étranger peut voter pour des candidats se présentant en Belgique. Si, au départ, ces critères de domicile et surtout de nationalité ont privé certaines catégories sociales du droit de vote, ils prennent aujourd’hui un autre sens, proprement démocratique : dans une collectivité politique donnée, ils réservent l’exercice des droits politiques aux personnes qui sont assujetties aux lois de cette collectivité. ↩
L’incapacité civile frappe des personnes mentalement inaptes à poser des choix éclairés, tandis que l’incapacité politique prive des citoyens de leur droit de vote ou d’éligibilité en raison d’actes délictueux qu’ils ont commis. Dans les deux cas, la privation de droits politiques est individuelle, casuistique et justifiée : elle n’entame pas l’universalité des droits qui caractérise la démocratie universaliste. ↩
C’est la raison pour laquelle, depuis Edmund Burke, les adversaires de la démocratie universaliste la qualifient d’abstraite, d’artificielle ou de métaphysique. ↩
D’où la prétention de la logique catégorielle à être concrète, fondée sur les forces vives ou sur les intérêts réels du pays : voyez Burdeau G., Traité de science politique, 2e édition, Paris, L.G.D.J., 1970, t. V, pp. 329-334. ↩
Cela ne signifie pas que les bénéficiaires ont forcément demandé eux-mêmes leur reconnaissance et se sont organisés à cette fin : cette reconnaissance a pu leur être attribuée sans militance préalable des intéressés (droits des patients attribués par des personnes en pleine santé, droit des élèves à siéger au Conseil de participation de leur école, etc.). Mais, dans tous les cas, il faut justifier le droit obtenu, et le faire au nom de la spécificité du groupe bénéficiaire, de la situation objective dans laquelle il se trouve — alors que la démocratie universaliste part d’un postulat d’égalité des droits, éventuellement tempéré par telle ou telle limitation. Dans la démocratie catégorielle, les droits doivent être justifiés par une spécificité ; dans la démocratie universaliste, c’est la limitation des droits qui doit se justifier. ↩
Il n’est pas rare que, en l’absence de consensus, le règlement prévoie la possibilité de déposer une note de minorité : ce procédé est caractéristique de la démocratie catégorielle, qui vise l’unanimité et préfère éviter le comptage des voix. ↩
La loi institue les conseils de l’industrie et du travail en 1887, des commissions paritaires nationales commencent à être installées par le gouvernement en 1919 : voyez Coenen M.-T., « Les fondements historiques des conventions collectives », in Arcq E., Capron M., Léonard E. et Reman P. (dir.), Dynamiques de la concertation sociale, Bruxelles, CRISP, 2010, pp. 13-42, p. 17 et 24. ↩
Voyez Blaise P., « Le cadre institutionnel de la concertation sociale », in ibidem, pp. 43-74. ↩
Code wallon du développement territorial, art. R.I.10-2. ↩
Code wallon du développement territorial, art. R.I.10-4. ↩
Cette intervention s’étend aussi au plan juridictionnel, comme en témoigne la tendance récente des juridictions internationales à vérifier si les États, quand ils ont adopté une réforme touchant à la jouissance d’un droit fondamental, ont consulté les différents groupes concernés par cette réforme et en particulier les groupes vulnérables. ↩
Le Chapelier I.-R.-G., Rapport sur les sociétés populaires, présenté le 29 septembre 1791 à l’Assemblée constituante, in Orateurs de la Révolution française, textes établis, présentés et annotés par Furet F. et Halévi R., t. I, Les Constituants, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, pp. 432-439. ↩
Rousseau J.-J., Du contrat social, livre II, chapitre III. ↩
Nous nous permettons de renvoyer sur ce point à notre article « Belgique fédérale, Belgique confédérale », Académie royale de Belgique, Bulletin de la Classe des Lettres, 6e série, t. XVIII, 1-6, 2007, pp. 77-83. ↩
« Non, la Flandre n’est pas à droite ! », in Le Vif, mis en ligne le 15 décembre 2010, consulté le 29 novembre 2020 in [https://www.levif.be/actualite/belgique/karel-de-gucht-non-la-flandre-n-est-pas-a-droite/article-normal-150395.html]. ↩
À leur propos, voyez la contribution de Julien Pieret et Joëlle Sautois. ↩
Nous avons découvert cet état de fait grâce à Dumont H., « Le concept de démocratie représentative : de Sieyès à la Constitution belge de 1831 », op. cit., p. 39. ↩
Sieyès E. J., « Sur l’organisation du pouvoir représentatif et la sanction royale », discours du 7 septembre 1789 à l’Assemblée nationale, in Orateurs de la Révolution française, t. I, op. cit., p. 1025. ↩
À leur propos, voyez la contribution d’Annabelle Deleeuw et Letizia De Lauri. ↩
Pour un panorama des pratiques collectives situées au point d’articulation entre démocratie directe et démocratie participative, voyez Faniel J., Gobin C. et Paternotte D. (dir.), Se mobiliser en Belgique. Raisons, cadres et formes de la contestation sociale contemporaine, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2020. ↩
Thème auquel e-legal a consacré la rubrique « Débats » de son volume n° 6 : Bourgaux A.-E., de Coorebyter V., Pieret J., « Notre démocratie est-elle en crise ? », juillet 2022, in [http://e-legal.ulb.be/volume-n06/debats-4/notre-democratie-est-elle-en-crise]. ↩
À leur propos, voyez les contributions de Julie Allard et de Vincent Lefebve. ↩
Nous n’évoquons ici que les contentieux mettant des pouvoirs publics en cause, mais les citoyens peuvent également saisir la justice pour faire plier des entreprises dont le comportement leur paraît incivique, au plan social ou environnemental par exemple. De même, des associations ou des actions de consommateurs tendent à obtenir un effet sociétal : la vie démocratique ne se borne pas au champ politique qui fait l’objet de cette contribution. ↩
La question soulevée ici ne se pose pas dans le cadre de la démocratie catégorielle. Même dans les cas où, dans ce cadre, il n’y aurait ni mandats impératifs ni droit de révocation, les mandataires sont des représentants par principe : ils détiennent leur mandat en raison de leur identité de situation et d’appartenance avec les autres membres de la catégorie sociale considérée. ↩
Nous avons explicité la thèse de Kelsen sur ce point dans « Les paradoxes de la représentation », La Thérésienne [en ligne], 2018/1. ↩
Les instances de ce type se multiplient en Belgique depuis plusieurs années, à l’initiative de différents niveaux de pouvoir et sous l’impulsion de l’exemple du G1000 ; au sein de la vaste littérature consacrée à ce sujet, on pointera de multiples Courriers hebdomadaires du CRISP. Voyez ainsi Reuchamps M., Caluwaerts D., Dodeigne J., Jacquet V., Moskovic J. et Devillers S., « Le G1000 : une expérience citoyenne de démocratie délibérative », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2344-2345, 2017 ; Niessen C., Reuchamps M., « Le dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2426, 2019 ; Vrydagh J., Devillers S., Talukder D., Jacquet V., Bottin J., « Les mini-publics en Belgique (2001-2018) : expériences de panels citoyens délibératifs », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2477-2478, 2020 ; Vrydagh J., Bottin J., Reuchamps M., Bouhon F., Devillers S., « Les commissions délibératives entre parlementaires et citoyens tirés au sort au sein des assemblées bruxelloises », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2492, 2021 et Clarenne J., Jadot C., « Les outils délibératifs auprès des parlements sous l’angle du droit constitutionnel belge », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2517-2518, 2021. ↩
Ils ne sont même pas forcément délibératifs : lors d’une enquête publique obligatoire relative à un projet urbanistique, l’avis des citoyens est exprimé à titre individuel et est laissé à l’appréciation de l’autorité concernée. C’est seulement dans le cadre des commissions de concertation qu’un débat est ouvert. ↩
Notamment sous l’impulsion de Bernard Manin qui, dans ses Principes du gouvernement représentatif (Paris, Calmann-Lévy, 1995), a remis le tirage au sort au goût du jour en commençant par décrire longuement l’expérience athénienne qu’il qualifie de démocratie directe, ce qui suggère que le tirage au sort en fait partie au vu de la place importante qu’il occupait à Athènes. ↩
Ces clés sont nécessaires pour éviter que, parmi les personnes sollicitées de manière aléatoire, les membres de certaines catégories sociales soient plus nombreux à accepter la sollicitation, brisant ainsi l’équilibre initial. ↩
Lors du G1000 en 2011, malgré les efforts des organisateurs, la représentation de ces deux catégories était moitié moindre parmi les 704 personnes effectivement présentes que dans la population en général. Voyez Reuchamps M., Caluwaerts D., Dodeigne J., Jacquet V., Moskovic J. et Devillers S., « Le G1000 : une expérience citoyenne de démocratie délibérative », op. cit., p. 28. ↩
Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, op. cit., p. 30. Yves Sintomer (Petite histoire de l’expérimentation démocratique. Tirage au sort et politique d’Athènes à nos jours, Paris, La Découverte/Poche, 2011, pp. 42-43 et 132) décrit un mécanisme plus complexe, à deux niveaux, mais qui témoigne de la même préoccupation de représentativité. ↩
Ce n’est pas le cas si le référendum porte sur une proposition de réforme que la population rejette par son vote. Mais même un tel résultat n’est pas sans effets au plan politique : en règle générale, il disqualifie le projet qui a été refusé, ou affaiblit ses partisans. ↩
À son propos, voyez la contribution de Hugues Dumont. ↩
Ce qui n’empêche pas ces rouages de compléter utilement les mécanismes démocratiques, ou d’en faciliter le fonctionnement. ↩