L’idéal démocratique de l’autogouvernement du peuple et la centralité du régime représentatif
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Cet article fait partie de « Miscellanées démocratiques. Actes du colloque tenu à l’occasion du 40e anniversaire du Centre de droit public »
Introduction
§1 Faut-il « démocratiser le régime représentatif » ? Pour répondre à cette question qui nous a été adressée par notre chère collègue Anne-Emmanuelle Bourgaux, il faut déterminer ce que postule la notion de démocratie représentative. Elle postule d’abord de s’entendre sur la notion générique de démocratie. Avec le théoricien du droit Philippe Gérard, disons d’emblée que nous la définissons par référence à deux principes : celui de l'égalité des membres de la communauté politique et celui de l'autonomie collective qui s'exprime en particulier dans la souveraineté du peuple1. Les libertés et les droits fondamentaux font partie intégrante de l’exigence démocratique – il n’est pas inutile de le rappeler en cette sinistre période de montée des courants dits illibéraux–, mais c’est au titre des « conditions de possibilité de l'autonomie collective »2. La démocratie est en effet « indissociable des droits de l’homme, puisque ce sont eux qui permettent la confrontation d’idées sans laquelle il n’y a pas de vie politique démocratique et, donc, pas de formation légitime de la volonté majoritaire »3.
§2 Ce rappel salutaire étant fait, il faut relever que dans cette définition liminaire nous retrouvons bien au cœur de l’idéal démocratique la formule classique de Lincoln reprise dans l’article 2 de la Constitution française du 4 octobre 1958 : le « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple »4. On ne peut toutefois plus présenter cet idéal à la manière d’une évidence. Cette idée d’autonomie collective, d’autogouvernement du peuple ne va plus du tout de soi aujourd’hui.
Depuis longtemps, un courant influent de la théorie politique et juridique la rejette par souci de réalisme en raison de l’ « écart extraordinaire » qui la séparerait de la réalité, celle-ci étant faite de l’impossible coïncidence entre le peuple gouvernant et le peuple gouverné5. L’écart est de fait évident, mais toute la question est de savoir s’il enlève à l’autogouvernement du peuple la portée d’une idée régulatrice qui lui donne son sens de iure.
§3 Dans un premier temps, nous ciblerons ainsi deux théories politiques très influentes aujourd’hui qui vont jusqu’à reléguer l’idéal démocratique de l’autogouvernement du peuple au rang de mythe négatif à déconstruire sans reste pour des raisons normatives : à droite, la théorie de la démocratie-instrument de protection de la liberté individuelle, défendue par le néo-libéral Friedrich Hayek et, à gauche, la théorie de la démocratie-instrument de contestation des pouvoirs bâtie par Catherine Colliot-Thélène. Nous les évoquerons l’une et l’autre sous la bannière du titre de l’ouvrage de cette dernière : « la démocratie sans demos »6 (§4-11).
Après avoir exposé et critiqué ces deux théories, nous soutiendrons la thèse inverse selon laquelle on ne peut pas renoncer en démocratie à l’idée que la collectivité dispose d’une certaine puissance « à son propre égard »7. Le cœur du politique est là. Il passe nécessairement par « les dimensions de la généralité publique et de l’unité collective »8 auxquelles la représentation politique donne forme. L’idée d’autonomie collective, d’autogouvernement du peuple est en effet inséparable du régime représentatif. Pour démontrer cette thèse, nous nous attacherons, dans un second temps, à explorer d’abord les fonctions de la représentation politique (§12-32).
Nous montrerons ensuite, dans un troisième temps, que cette contribution du régime représentatif à l’idéal de l’autogouvernement du peuple est irremplaçable et centrale. Le principe du régime représentatif n’a pas à s’appliquer à toutes les autorités publiques, mais il postule qu’« une institution, centrale et décisive, soit organisée selon le principe représentatif »9. Ce n’est toutefois que moyennant une conception délibérative de ce régime représentatif que l’on peut se rapprocher de l’idéal de l’autogouvernement du peuple (§33-44).
Mais avec le philosophe Charles Girard, nous ajouterons dans un quatrième et dernier temps une autre postulation non moins essentielle, à savoir que la démocratie représentative serait « une contradiction dans les termes si la délibération publique » ne s’étendait pas, « hors des murs du parlement, aux citoyens eux-mêmes ». C’est seulement, nous dit à juste titre ce philosophe, à la condition que lesdits citoyens puissent « porter un jugement autonome et éclairé sur les questions politiques débattues qu’il est possible de réconcilier la représentation politique avec les principes démocratiques »10. S’ouvre alors l’immense champ des autres procédures potentiellement délibératives. Nous n’évoquerons que deux techniques : le référendum et les assemblées citoyennes tirées au sort, et ce pour soutenir une même proposition : ces procédures sont hautement recommandables et donc, oui, elles peuvent contribuer utilement à « démocratiser le régime représentatif », mais c’est à condition qu’elles s’articulent avec la démocratie représentative qui doit conserver sa position centrale (§45-56).
Les théories de « la démocratie sans demos » : la relégation de l’idéal de l’autogouvernement du peuple au rang de mythe négatif
§4 Quand la société ne se perçoit plus que comme une « collection d’individus présents à un moment donné sur un territoire donné »11, elle se prive de toute possibilité d’exercer une prise sur elle-même. Or c’est précisément ce que postule la conception néo-libérale de la démocratie qui a « largement gagné dans les têtes »12 aujourd’hui. Pour les néo-libéraux, l’idée d’autonomie collective, d’autogouvernement du peuple est un mythe dangereux pour les libertés individuelles. Pour eux, un État minimal et une régulation par le marché sont les instruments appropriés pour servir ce primat de la liberté individuelle. Que l’on puisse alors vider le régime représentatif en plaçant hors de l’emprise du pouvoir politique un ensemble de règles et de décisions pour les confier à des institutions indépendantes coupées de la chaîne électorale directe ou indirecte de légitimation, et exclusivement soumises à des contrôles juridictionnels n’est pas un problème pour eux. L’idée d’un gouvernement du peuple par le peuple s’efface alors au profit de la recherche de consensus qui, loin du principe de majorité et de la lutte entre des partis en compétition, sont placés sous l’égide de principes procéduraux de délibération et de protection des droits subjectifs. C’est dans la théorie du droit de Friedrich Hayek que l’on trouve la version la plus radicale de cette réduction de la démocratie à un instrument de protection des libertés individuelles (§6-8).
§5 Phénomène a priori étrange et qui mérite toute l’attention, il existe des philosophies politiques de gauche qui, par un raisonnement tout différent que nous allons expliquer, rejoignent cette interdiction de penser le politique par référence à des « nous », We the People, et qui, par conséquent, nient tout autant la centralité du régime représentatif. Il en va ainsi dans l’ouvrage de l’éminente philosophe Catherine Colliot-Thélène, significativement intitulé « la démocratie sans demos » (§9-11).
La théorie de la démocratie-instrument dédié à la seule protection des libertés individuelles
§6 Pour Hayek, économiste et théoricien du droit néo-libéral, l’État de droit doit se comprendre comme celui dans lequel prévaut un ensemble de règles générales et abstraites de conduite « également applicables à tout être humain »13 dont l’unique but est d’assurer la meilleure « protection de la liberté individuelle »14. Elles servent cette finalité dans la mesure où elles assurent la conservation et l’adaptation d’une société qu’il y aurait lieu de comprendre comme un « ordre spontané ». Hayek définit ce concept d’ordre spontané ou « kosmos » par opposition à celui d’organisation ou « taxis ». À la différence du second, le premier n’est pas créé par un agent extérieur animé par une intention particulière15. L’ordre spontané auquel songe Hayek n’est autre que le marché. Les règles générales et abstraites propres à en assurer la perpétuation sont celles qui instituent la propriété privée, la liberté contractuelle et la responsabilité civile16.
Pour lui, nous ne vivons plus dans un État de droit dès lors que l’on qualifie de lois des mesures particulières avantageuses à telle ou telle catégorie de citoyens ou l’autorisation de les adopter. La loi cesse alors d’être une « barrière à tout pouvoir » pour devenir « un instrument pour l’emploi du pouvoir »17 : « à confondre la confection des lois de juste conduite avec la direction de l’appareil de gouvernement, l’on déclenche une transformation progressive de l’ordre spontané de la société en une organisation »18.
Hayek estime en conséquence que la justice sociale et l’État de droit sont incompatibles19. La justice sociale est à ses yeux un terme vide de sens et « intellectuellement de mauvais aloi »20 parce qu’« aucun système de règles de juste conduite individuelle, et donc aucune libre activité des individus, ne pourraient produire des résultats satisfaisant à un quelconque principe de justice distributive »21. L’État de droit ne lui semble dès lors compatible qu’avec l’égalité formelle devant la loi qui est « la condition essentielle de la liberté individuelle », et non avec « la revendication d’une égalité matérielle des conditions » qui « ne peut être satisfaite que par un système politique à pouvoirs totalitaires » 22.
De manière très significative, pour en revenir aux idéaux de l’État de droit libéral, Hayek ne préconise rien de moins qu’un abandon de quelques règles essentielles de la démocratie dans le but de prémunir l’assemblée législative contre la tentation d’adopter des « mesures socialistes de redistribution »23. Il n’adhère d’ailleurs aux idéaux démocratiques qu’à la faveur d’une redéfinition pour le moins réductrice : « la véritable valeur de la démocratie », écrit-il, « est de constituer une précaution sanitaire contre l’abus de pouvoir »24 par des procédures qui contraignent le gouvernement à se conformer aux principes de l’ordre spontané « approuvés par le peuple dans sa majorité »25. Cette approbation n’a rien à voir avec une volonté collective. Pour Hayek, en effet, les règles de juste conduite ne sont pas affaire de « volonté », mais bien d’« opinion »26. Elles servent des valeurs et non des fins. Elles ne sont « pas centrées sur la protection d’intérêts déterminés »27. Elles correspondent à un usage général. Elles sont à découvrir scientifiquement. Elles sont censées faire l’objet d’un assentiment général. Hayek en arrive ainsi à réduire l’idéal démocratique à ceux de l’État de droit libéral.
§7 Il est permis d’opposer à cette réduction néo-libérale de la démocratie à un instrument de protection des seules libertés individuelles quatre objections fondamentales.
Premièrement, elle retient une définition exclusivement individuelle et négative de la liberté. La conception collective et positive de la liberté, celle qui revient à « une collectivité d’organiser comme elle l’entend les conditions de sa propre vie » nous semble plus légitime que la première qui comporte l’abandon « à l’instance anonyme et vide du marché »28.
Deuxièmement, Hayek commet une erreur d’ordre historique quand, refusant l’idée qu’une société peut se donner une volonté collective, il prétend que les règles de conduite sous-jacentes à l’instauration du marché dérivent d’un processus de sélection naturelle. Des travaux comme ceux de Karl Polanyi ont montré que la création de « grands espaces économiques nationaux de marché » a été « le résultat de l’action délibérée des États »29.
Troisièmement, pour Hayek, la société politique ne peut pas développer une action consciente sur elle-même parce qu’un tel programme présupposerait une théorie totale, une connaissance parfaite des intérêts privés des divers individus qui la composent et des incidences de toute intervention publique dans l’espace de rencontre de ces intérêts. Or, s’il est bien vrai qu’une telle théorie n’existe pas et n’existera jamais, on ne peut pas en déduire que tout projet politique adossé à une volonté collective conduit nécessairement au totalitarisme. Il est vrai qu’aucune conception du bien commun ne peut s’imposer au nom d’une quelconque objectivité scientifique. On ne peut agir politiquement que dans le clair-obscur, mais il faut s’en accommoder car, comme l’écrit le philosophe Castoriadis, aucune activité humaine ne pourrait se développer « une seconde si on lui posait l’exigence d’un savoir exhaustif préalable, d’une élucidation totale de son objet et de son mode d’opérer »30. Il en va de la politique comme de la pédagogie et de la médecine. Ces activités relèvent de la praxis, et non de la technique. « La praxis est, certes, une activité consciente et (elle) ne peut exister que dans la lucidité, mais elle est tout autre chose que l’application d’un savoir préalable (…). Elle s’appuie sur un savoir, mais celui-ci est toujours fragmentaire et provisoire. Il est fragmentaire, car il ne peut y avoir de théorie exhaustive de l’homme et de l’histoire ; il est provisoire, car la praxis elle-même fait surgir constamment un nouveau savoir »31. Si les projets politiques ne conduisent pas au totalitarisme dans les sociétés démocratiques, c’est parce que les majorités qui les promeuvent admettent qu’ils n’expriment qu’une vision partielle, provisoire, réversible et critiquable du bien commun ; c’est parce que les majorités reconnaissent les droits des minorités ; c’est parce que tous les partenaires au débat politique adhèrent à la philosophie des droits de l’homme, et reconnaissent donc « la légitimité d’un débat sur le légitime et l’illégitime, débat nécessairement sans garant et sans terme », comme l’écrit Claude Lefort32.
Et l’on arrive alors à la quatrième objection : Hayek n’a pas saisi non plus la valeur des droits de l’homme. Non seulement, il repousse les droits économiques, sociaux et culturels, mais il considère les libertés de la première génération comme superflues dans son projet de constitution néo-libérale33. C’est la dynamique même de l’État de droit démocratique qu’il rejette. Au nom de la restauration de l’État de droit libéral dans toute sa pureté, il rompt avec la démocratie et apporte en creux la preuve que la conciliation de l’État de droit avec l’État-providence est une exigence de la démocratie elle-même.
§8 Si nous passons maintenant de l’autre côté du spectre des idéologies politiques, nous rencontrons une autre manière de nier radicalement l’idéal de l’autogouvernement du peuple qui ne nous semble pas plus convaincante.
La théorie de la démocratie-instrument de contestation des pouvoirs
§9 Pour Catherine Colliot-Thélène, on ne peut plus définir la démocratie comme visant « l’identité des dominants et des dominés » via le principe de l’auto-législation qui exige « l’inclusion sans exception de tous les hommes concernés par la loi dans le procès de législation »34. L’idée de l’auto-législation, comme celle qui lui est liée de pouvoir constituant, ne serait qu’une « fiction », un principe définitivement vide « de toute signification réelle », un « mythe comparable à celui de l’origine divine du pouvoir »35. En réalité, le pouvoir politique ne pourrait jamais perdre le caractère d’une domination et le « ‘‘peuple’’ démocratique » ne serait pas à concevoir « comme une communauté constituée ou à constituer », mais seulement « comme le ‘‘supplément’’ qui vient régulièrement déranger l’ordre toujours provisoire de toute constitution »36. Trois raisons fondamentales sont avancées pour justifier cette proposition. Aucune n’est originale, mais conjuguées ensemble, elles frappent fort.
Premièrement, la participation du citoyen à l’élaboration des lois, par le biais de l’élection de ses représentants, n’aurait jamais pesé de beaucoup de poids dans la détermination du contenu de ces lois37. La procédure élective ne serait destinée qu’à la sélection d’une forme d’aristocratie au sens du gouvernement des meilleurs. Les théoriciens des Révolutions n’auraient d’ailleurs jamais voulu l’instauration d’un pouvoir exercé par le peuple, mais seulement celle d’une société d’hommes à l’abri de tout assujettissement personnel38.
Deuxièmement, si la philosophe concède que le contrôle exercé par les citoyens sur leurs dirigeants au moyen des élections périodiques donne tout de même « un semblant de réalité au principe de l’auto-législation »39, elle ajoute qu’il « n’est effectif que sur les individus qui remplissent des fonctions publiques dans le cadre de l’État national ». Or ce cadre est définitivement dépassé. À l’ère de la mondialisation, nous dit-elle, à juste titre d’ailleurs, il faut prendre toute la mesure de la pluralité des instances de pouvoir dont la théorie du pluralisme juridique montre l’aptitude à produire des règles de droit, alors qu’elles sont « constituées d’individus qui ne sont pas soumis au contrôle des électeurs »40. Mais elle déduit de cette situation que nous devrions nous « défaire de la notion classique d’un demos conçu comme une communauté unie dont la volonté présumée conditionne la légitimité du pouvoir. La pluralité des pouvoirs », continue-t-elle, « ne rend pas impossible la défense des droits subjectifs, mais la diversité des destinataires des revendications de droits ne permet pas la fusion des groupes d’individus qui les réclament dans un collectif unifié »41. Et de ramasser l’objection dans une formule bien ciselée : « la pluralisation du kratos rend le demos inassignable »42.
Troisième argument : la seule source de légitimité démocratique réside en dernier ressort dans les individus. La diversité interne à chacune des nations, notamment ethnique, linguistique, sociale et religieuse, interdit de les concevoir, même imaginairement, comme des unités homogènes. Il faudrait cesser de les comprendre « comme des macro-sujets », comme des « nous » liés chacun à « une forme de vie déterminée ». L’idée même d’un gouvernement du peuple par le peuple et celle de « la majorité comme substitut de l’unité impossible des peuples réels » relèvent d’une conception « holistique » de la démocratie dont il faudrait se débarrasser sans regret43.
§10 Faudrait-il alors désespérer de l’avenir de la démocratie ? Non, à ses yeux, il s’agit seulement d’en situer l’enjeu dans l’égalité des droits fondamentaux, dans les droits subjectifs que les individus détachés de toute appartenance devraient se voir reconnaître de la part des différents pouvoirs publics ou privés, au terme de luttes sociales menées à toutes les échelles pertinentes, de la commune à la Banque mondiale, en passant par les consortiums multinationaux, pour accéder à l’autonomie. La démocratie se définirait ainsi comme l’ensemble des moyens auxquels les dominés, les exclus du pouvoir, les « sans part », peuvent avoir recours pour revendiquer ces droits subjectifs et faire progresser leur condition politique, économique, sociale et culturelle. Au niveau européen et mondial, elle postulerait essentiellement la transnationalisation des « formes d’opposition, légales ou illégales, pacifiques ou violentes » contre les inégalités sociales et la détérioration de l’environnement44.
§11 Cette théorie a le mérite de souligner la radicalité du défi que l’européanisation et la mondialisation du droit et des pouvoirs lancent aux démocraties nationales. Elle invite aussi opportunément les publicistes à élargir leur compréhension des luttes démocratique, y compris quand elles excèdent ou bousculent les cadres des institutions politiques. Elle n’en appelle pas moins, de notre point de vue, trois objections.
La première, c’est que cet élargissement des perspectives n’autorise pas à se désintéresser des conditions sine qua non de la légitimité de ces institutions politiques elles-mêmes. Que celles-ci soient sommées de contribuer à la mise en œuvre des droits fondamentaux dans l’égalité est certes tout à fait essentiel. Mais ce n’est pas une raison pour désinvestir le champ des conditions organiques, fonctionnelles et procédurales à satisfaire pour qu’elles puissent prendre des décisions présumées légitimes, notamment pour gérer les tensions qui opposent ces droits fondamentaux entre eux. Or on ne peut pas penser ces conditions en relativisant à ce point la place des États et « le principe de l’autonomie politique qui se trouve au cœur des discours », qu’ils soient « officiels ou contestataires invoquant la démocratie à travers le monde »45.
Notre deuxième objection ne sera pas développée ici, faute de place. Elle tient dans la part de légitimité démocratique que les institutions de l’Union européenne ont pu conquérir en combinant la représentation des citoyens européens par le Parlement européen avec celle des États membres par le Conseil européen et le Conseil46. S’il est vrai que la Banque centrale européenne et les autres autorités indépendantes de régulation échappent à toute forme de contrôle populaire et qu’il y a lieu de s’en émouvoir47, il est fallacieux de prétendre, comme le fait Catherine Colliot-Thélène, que les articles 9 à 12 du traité sur l’Union européenne montrent que la démocratie au sein de l’Union abandonne la notion de souveraineté populaire au profit des seuls principes de l’État de droit et de la protection des droits subjectifs48. C’est confondre une tendance effectivement observable49 avec la réalité qui est plus nuancée et contrastée. C’est aussi se désintéresser des pistes d’ores et déjà en débat qui pourraient conduire à améliorer la qualité démocratique de l’intégration européenne50.
Notre troisième objection concerne le principe de l’auto-législation et le concept de représentation politique. La conception délibérative de l’un comme de l’autre que nous allons soutenir à présent interdit de les réduire à des mythes sans signification.
Les fonctions de la représentation politique au service de l’idéal de l’autogouvernement du peuple
§12 Pour bien saisir ce que la démocratie représentative peut apporter à l’idéal de l’autogouvernement du peuple, nous allons d’abord brièvement revenir à la pensée trop souvent déformée de celui qui a forgé le concept de représentation politique dans le contexte de la Révolution française de 1789 : Emmanuel Sieyès.
§13 Très schématiquement, on enseigne encore souvent que, selon la théorie de la souveraineté nationale qui aurait été celle des révolutionnaires français de 1789 et notamment de Sieyès, la nation titulaire de la souveraineté serait une pure abstraction totalement dénuée de la moindre volonté propre de sorte que ses représentants auraient toute liberté pour vouloir en son nom et pour son compte. Selon cette théorie, la représentation serait ainsi une pure fiction juridique. Le raisonnement est le suivant51. Une fiction en droit consiste à tenir pour vrai ce qui est faux dans le but d'obtenir un certain résultat. Il serait faux de considérer les élus comme des mandataires puisque dans le vrai mandat, X représente Y devant Z, alors que dans la représentation politique, d'une part, ni X ni Y n'existent au moment où se nouerait le contrat de mandat puisque le peuple n'a pas de volonté avant celle que crée l'assemblée et celle-ci n'existe pas avant l'élection de ses membres et, d’autre part, Z n'existe pas puisque le parlement représente le peuple devant lui-même. Mais la fiction de la représentation permet d'assurer la légitimité des décisions du parlement. Contre cette analyse, nous allons rappeler l’essentiel de nos arguments visant à démontrer que même chez Sieyès le peuple a au moins le pouvoir d’influencer ses représentants. Nous défendrons la théorie selon laquelle la représentation politique peut être pensée comme la source d’un pouvoir et d’un devoir d’interprétation de la volonté générale qui n’est pas totalement libre52 (§14-19) .
Dans la même veine, mais en nous plongeant dans la démocratie contemporaine qui reste en bonne partie une démocratie de partis et en nous référant aux théories de la délibération et de la représentation électorale de Bernard Manin, nous montrerons ensuite que dans les régimes représentatifs actuels fondés sur le suffrage universel et les libertés publiques, les représentants demeurent tenus, et ce bien plus fermement qu’à l’époque de Siéyès évidemment, de répondre d’une façon ou d’une autre aux attentes des gouvernés. Certes, « la coïncidence du représentant et du représenté » n’a jamais existé53. L’adéquation totale entre l’un et l’autre renvoie à un fantasme, celui d’ « une unité qui voudrait abolir la présence et le rôle du tiers »54, mais il est incorrect d’en déduire que l’influence des représentés sur les politiques menées par les représentants serait insignifiante. C’est dans cette influence relative sans doute, mais réelle, que réside la contribution du régime représentatif à l’idéal de l’autogouvernement du peuple. Nous reprendrons à notre compte la théorie défendue par Manin selon laquelle l’élection en régime représentatif peut assurer trois fonctions, celles d’habiliter, de récompenser ou de sanctionner et de refléter. Nous verrons que ces trois fonctions sont à la source d’une obligation de réactivité des élus dans un milieu délibératif qui précède, accompagne et suit l’élection (§20-27).
Dans un troisième temps, nous compléterons cette analyse en empruntant à la philosophe Myriam Revault d’Allonnes son exploration d’une autre facette du concept de représentation : celle de la mise en scène (§28-32).
La représentation politique, source d’un pouvoir et d’un devoir d’interprétation de la volonté générale
§14 Selon la théorie de la représentation politique que nous défendons55, les représentants de la nation sont des interprètes de la volonté générale. Les juristes le savent : l'interprétation ne se réduit ni à un acte de pure création ni à un acte de simple reproduction. Elle comporte à la fois une dimension cognitive et une dimension créatrice. Or, c'est bien ce verbe « interpréter » que Sieyès et les révolutionnaires français utilisent pour décrire l'activité des représentants56. Cela ne veut pas dire que la volonté générale serait assimilable à « une somme de volontés individuelles susceptibles d'une connaissance a priori ». Comme l'écrit Pierre Brunet, « les volontés individuelles sont des composantes de cette volonté générale, mais elles ne contiennent pas par elles-mêmes cette volonté générale ». Celle-ci n'émerge qu'au terme d'un authentique travail de délibération que Sieyès décrit comme suit en se référant aux membres des assemblées délibérantes, mais on peut en étendre la logique à l’ensemble de la communauté des citoyens : ils « sont entre eux ce que sont sur la place publique les citoyens d'une petite peuplade ; ils ne se réunissent pas seulement pour connaître l'opinion que chacun pouvait avoir la veille, et se retirer ensuite ; ils s'assemblent pour balancer leurs opinions, pour les modifier, les épurer les unes par les autres, et pour tirer enfin des lumières de tous, un avis à la pluralité ; c'est-à-dire la volonté commune qui fait la loi. Le mélange des volontés individuelles, l'espèce de fermentation qu'elles éprouvent dans cette opération, sont nécessaires pour composer le résultat qu'on en attend »57. On ne peut mieux exprimer l'esprit du régime représentatif tel qu'il a été pensé initialement. On comprend dans ces conditions la règle de l'interdiction des mandats impératifs. Elle découle nécessairement de la théorie de la délibération que l'on vient d'exposer.
§15 Dans cette perspective, il nous semble que la nation doit être comprise, en soi et chez Sieyès lui-même, comme étant à la fois la source et le produit de la représentation, un peu comme un texte juridique est à la fois la source et le produit de l'interprétation. La relation de dépendance entre la volonté générale exprimée par les élus et les citoyens et la dualité qu'elle présuppose entre les représentants et les représentés apparaissent dans le processus intellectuel de la délibération, dans la mesure où celle-ci produit une législation qui intègre « les éléments fournis par tous les citoyens »58. Elles apparaissent aussi à travers l'importance toute particulière que les pères fondateurs de la démocratie représentative attachent à la confiance que le peuple doit rechercher lorsqu'il sélectionne ses représentants.
Sieyès exprime cet attachement de manière très claire dès juillet 1789 : « Dans notre plan, les citoyens font, plus ou moins immédiatement, le choix de leurs députés à l'Assemblée législative ; la législation cesse d'être démocratique » (on va revenir sur ce terme dans un instant), « et devient représentative : les peuples ont, à la vérité, toute influence sur les représentants ; nul ne peut obtenir cette qualité s'il n'a pas la confiance de ses commettants, nul ne peut conserver cette qualité, en perdant cette confiance ; mais les peuples ne peuvent point eux-mêmes faire la loi, encore moins se charger de son exécution »59. Barnave souligne également l'importance de cette relation de confiance quand il dit le 31 août 1791 : « c'est en nommant l'homme en qui il a confiance dont les lumières sont claires pour lui, dont la pureté lui est connue, que le peuple exprime vraiment son vœu »60. Dira-t-on que nous sortons ici du registre juridique ? Non car la publicité des séances de l'Assemblée et la limitation de la durée des mandats sont des règles de droit qui permettent précisément de contrôler la qualité des délibérations et de sanctionner les représentants qui n'ont pas mérité la confiance initialement placée en eux en ne les réélisant pas.
§16 Nous concluons de cette analyse qu'il est incorrect de réduire la représentation à une pure fiction juridique 61. L'idée de base qui est inhérente au concept, à savoir une relation entre deux éléments telle que l'un « rend présent » l'autre en agissant à sa place62, demeure incontournable. Il est tout simplement faux de prétendre que le corps électoral n'a pas de volonté avant celle que crée l'assemblée. Bien sûr, la volonté générale qui sera imputée à la nation à la suite de la délibération entre les élus n'existe pas en tant que telle avant d'avoir été exprimée par l'assemblée représentative. Mais il n'en demeure pas moins que les élus ont été choisis par la volonté des électeurs qui ont placé leur confiance en eux pour ne pas adopter des décisions contraires à leurs principes et à leurs intérêts. C'est à partir des « éléments fournis par tous les citoyens » que les élus échangent leurs arguments à la recherche de ce que postulent à la fois l’intérêt général et les vœux de la nation –quelles que soient les éventuelles contradictions ou tensions entre ces deux pôles. Ils accomplissent ce travail publiquement, sous le contrôle de la presse et des citoyens munis de leurs libertés et de leurs droits fondamentaux. Enfin, ils votent conformément à leur seule conscience, mais sous la menace de perdre leur siège lors de la prochaine élection s'ils déçoivent la confiance de leurs électeurs ou n'ont pas été capables de justifier leurs prises de position. Une relation dialectique s'ouvre ainsi entre les représentants et les représentés. Elle suppose sans nul doute une certaine distance, un certain degré d'autonomie pour les uns comme pour les autres, mais en aucune manière une indifférence des premiers à l'égard des seconds63. Le régime représentatif suppose un dialogue soutenu entre représentants et représentés, le cercle de ceux-ci ayant vocation à s'étendre sans cesse avec les progrès de l'instruction. Qu'est-ce que la volonté générale, en définitive, sinon un processus permanent d'ajustement mutuel des volontés des uns et des autres ?
§17 C'est ainsi – la nation, source et produit de la représentation – qu'il faut comprendre la théorie originaire de la souveraineté nationale, et non pas à la lumière de la soi-disant opposition avec celle de la souveraineté populaire64. En revanche, demeure pertinente et éclairante la distinction que fait Sieyès entre ce que nous appellerions aujourd'hui deux types de démocratie, c'est-à-dire deux manières d'approcher l'idéal régulateur de l'autogouvernement du peuple par lui-même. Certes, Sieyès parle d'un côté de « constitution démocratique » et, de l'autre côté, de « constitution représentative ». Et, faut-il le dire, il opte résolument pour la seconde. Mais il s'agit bien à ses yeux de deux formes de gouvernement légitime. Plus, il ne faut pas se laisser abuser par le sens que le mot démocratie avait en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : il n’était retenu que pour désigner la démocratie directe. En réalité, Sieyès est bel et bien partisan d'un régime que nous qualifierions aujourd'hui de démocratique, sous la seule réserve du suffrage universel, quoiqu'il adhère déjà à la logique qui y conduira. Pour Sieyès, comme pour Rousseau, « les citoyens sont à la fois sujets et objets de l'exercice de la souveraineté »65. Il le souligne dans son discours du 7 septembre 1789 à l'Assemblée nationale : « Puisqu'ils (les citoyens) doivent obéir à la loi, tout comme vous, ils doivent aussi, tout comme vous, concourir à la faire »66. Il établit ensuite que ce concours doit être égal67. On est donc bien déjà au cœur du projet démocratique68. Ce n'est qu'ensuite qu'il pose la distinction entre « constitution démocratique » et « constitution représentative ». Dans la première, le concours égal des citoyens à la fabrication des lois est « immédiat ». Dans la seconde, il est « médiat ». Dans la première, on recourt soit à la technique des mandats impératifs, soit à « un système de référendum obligatoire sur chaque proposition de loi »69. Dans la seconde, tous les citoyens actifs ont à la fois le droit et la fonction d'élire des représentants qui seront autorisés, en raison de cette élection et de la confiance qu'elle signifie, à confectionner les lois.
§18 Sieyès justifie sa préférence pour le régime du « concours médiat » qui est propre au gouvernement représentatif, non pas tant en raison de la taille des États modernes que des vertus de la division du travail. Dans les sociétés modernes, à la différence des sociétés antiques et de celles de l'ancien régime, tous les hommes sans exception sont appelés à travailler et – ceci allant de pair avec cela – à se voir reconnaître la qualité de citoyens. Mais on ne peut pas exiger de chacun d'eux qu'ils aient la disponibilité suffisante pour « s'adresser aux soins de la chose publique ». Il en découle qu'il « vaudra bien mieux détacher le métier du gouvernement et le laisser exercer par une classe d'hommes qui s'en occupent exclusivement »70. Il n'en reste pas moins que ni le pouvoir constituant ni le pouvoir législatif ne peuvent être exercés légitimement par les représentants s'ils n'ont pas été élus. C'est dans ce pouvoir d'élire – le pouvoir qu'il qualifie de « commettant » – que se situe l'« influence » sur les représentants qu'il reconnaît au peuple.
§19 Cette mise au point étant faite, voyons les nouveaux arguments que l’on peut mettre en avant aujourd’hui pour démonter la thèse qui prétend réduire la représentation politique à une pure fiction juridique.
Les trois fonctions de l’élection : habiliter, récompenser ou sanctionner et refléter, sources d’une obligation de réactivité des élus dans un milieu délibératif
§20 Comme Bernard Manin l’a souligné dans une étude qui reste lumineuse et décisive pour comprendre ce que la démocratie représentative apporte à l’idéal de l’autogouvernement du peuple, il est bien exact que, « dans son immédiateté, le peuple n’a pas de volonté déterminée, il ne présente qu’une multiplicité de préférences incomplètes et souvent incohérentes »71. C’est par la médiation des partis que « la volonté » du peuple peut prendre forme. C’est eux qui proposent des projets politiques, des visions déterminées du bien commun, et qui les soumettent à la délibération. Tous les citoyens qui le veulent doivent pouvoir participer à ce processus d’argumentation dans lequel les partis s’affrontent pour tenter de convaincre le plus grand nombre d’entre eux, l’universel demeurant leur horizon. Les élections qui permettent d’arbitrer cette compétition en sélectionnant des programmes et des mandataires ne viennent que dans un second temps. Et si la majorité issue des urnes peut prendre des décisions dans un troisième temps, c’est encore en vertu de ce processus délibératif qui doit permettre, dans le respect des droits fondamentaux, la confrontation de tous les points de vue. Le principe de majorité tire en effet sa légitimité de la présomption selon laquelle « l’adhésion du plus grand nombre reflète la force supérieure d’une argumentation par rapport aux autres »72. Les minorités ne peuvent forcément pas se reconnaître dans ces décisions, mais elles tirent des mêmes droits fondamentaux le pouvoir de les contester et d’inciter ainsi la majorité à mieux délibérer en prenant en considération, « dans son action, les opinions et les intérêts de ceux qu’elle ne représente pas »73. La conclusion de Bernard Manin est limpide : contrairement aux enseignements des théories libérales, « la source de la légitimité n’est pas la volonté déjà déterminée des individus, mais son processus de formation, la délibération ». La loi n’est pas l’expression de la volonté générale ; elle est « le résultat de la délibération générale »74. Plus exactement, dans notre compréhension du moins, la volonté dont la loi est réputée être l’expression n’est générale qu’à la condition de résulter de la délibération générale.
§21 Au centre de celle-ci, les élections libres à intervalles réguliers présentent trois avantages que l’on doit souligner avec le même auteur. Elles permettent aux citoyens d’user de leur droit de vote pour répondre aussi bien à tout ou partie des trois motifs suivants. Ils peuvent vouloir par l’élection habiliter les gouvernants en raison du fait qu’ils les jugent compétents et fiables75. C’est l’usage prospectif de l’élection fondé sur un rapport de confiance dont nous avons déjà souligné l’importance décisive avec Sieyès. Deuxième motif qui peut conduire les citoyens à voter en faveur de candidats à une élection et que rappelle Manin : ils peuvent aussi vouloir rendre les gouvernants responsables au sens de l’accountability, de l’obligation de « rendre des comptes aux gouvernés au terme de leur mandat »76 de sorte qu’ils pourront les récompenser ou les sanctionner à l’issue de ce mandat. C’est l’usage rétrospectif de l’élection que nous avons aussi déjà relevé. Certes, quand une majorité est réélue ou éconduite, « il est rarement évident de déterminer quel(s) aspects de sa politique ont suscité le vote sanction et, plus généralement, quelle a été l’importance du jugement rétrospectif des électeurs par rapport à un jugement prospectif »77. Il reste que la possibilité qui leur est offerte d’exercer ce pouvoir incite les élus à anticiper leurs réactions de sorte que les électeurs disposent d’ « une certaine influence sur les décisions des représentants »78. Et, troisième motif possible du vote, les électeurs peuvent enfin vouloir « que les instances gouvernantes reflètent les préoccupations des multiples composantes de la société »79. C’est le thème souvent mis en avant de la représentation-miroir ou de la représentation-ressemblance que Sieyès, momentanément hostile au suffrage universel, ne pouvait pas retenir. La théorie des trois motifs de Manin a l’avantage de montrer que la représentation politique ne s’y réduit pas.
§22 Bien sûr, le régime représentatif comprend l’interdiction du mandat impératif, mais, faut-il le dire, les promesses et les programmes des partis, pour autant qu’ils n’aient pas de valeur juridique obligatoire, sont à la fois licites et indispensables pour alimenter la délibération générale qui précède, accompagne et suit les élections. C’est un autre canal qui explique que, contrairement à la critique souvent répétée et rappelée par Catherine Colliot-Thélène, « l’influence des représentés sur les politiques menées par les représentants n’est pas nulle. Elle n’est pas totale non plus du fait que les programmes et les promesses ne peuvent pas être rigoureusement contraignants. Entre ces deux extrêmes, nous dit Manin, les principes représentatifs ne déterminent pas le degré auquel les volontés des gouvernés doivent influer sur la politique des gouvernants »80.
§23 Les électeurs ont ainsi la liberté d’user de la représentation politique en choisissant un ou plusieurs de ces trois sens que la participation aux élections peut revêtir : habilitation, accountability et reflet de la diversité sociale. « Tous les électeurs n’utilisent pas le même principe de comportement (…). Chacun décide selon son jugement ». L’élection « est un instrument se prêtant à plusieurs usages, laissant chaque électeur libre de choisir l’objectif qu’elle sert à chaque fois »81.
§24 À nos yeux, ces trois objectifs concourent à réaliser l’idéal de l’autogouvernement du peuple, mais sous une version particulière que Bernard Manin identifie parfaitement en parlant de la responsiveness que l’on pourrait traduire par réactivité ou, mieux, par « responsivité »82. C’est bien elle qui est appelée à caractériser le rapport « entre les actions des gouvernants et les désirs des gouvernés »83 dans un régime représentatif : les représentants doivent répondre d’une façon ou d’une autre aux attentes des gouvernés. À une attente déterminée, « la norme de responsiveness relie une plage de réponses possibles ». La plage est plus ou moins large, mais elle a ses limites. « Cette indétermination relative marque le gouvernement représentatif depuis ses origines »84.
§25 Dans son plaidoyer en faveur de son concept de « démocratie continue », Dominique Rousseau défend l’idée de représentation-écart par opposition à celle d’une représentation-fusion. Cette analyse est aussi la nôtre sauf que jamais la représentation-fusion n’a existé. À son estime, le principe de la représentation étouffe la démocratie parce que la représentation n’est qu’un « moment particulier », celui des élections périodiques, que l’on transforme en « moment total »85. Il défend son appellation de « démocratie continue » pour bien marquer que « la démocratie ne s’arrête pas avec le geste électoral », dès lors qu’elle doit se poursuivre et se déployer « entre deux moments électoraux »86. Mais en réalité, depuis les origines du gouvernement représentatif, on a toujours inclus dans la définition de celui-ci les droits de l’homme et donc la liberté des expressions non électorales des citoyens. Il n’a jamais été exigé que ceux-ci demeurent silencieux entre deux scrutins électoraux. C’est toute la force démocratique du régime représentatif dont Bernard Manin rend parfaitement compte quand il en épingle les quatre traits constitutifs et intimement liés les uns aux autres : l’élection des représentants par les gouvernés ; l’indépendance relative des premiers en raison de l’interdiction qui leur est faite d’accepter tout mandat impératif ; les libertés des seconds qui interdisent aux premiers de contrôler leurs opinions ; et la règle qui fait procéder la décision de la délibération. La démocratie représentative n’a donc « jamais été un système dans lequel les représentants une fois élus, se substituent totalement et sans reste aux représentés »87. « La norme du gouvernement représentatif est qu’il convient d’accorder un certain poids à la voix que les citoyens conservent en dehors de leurs choix électoraux »88.
§26 Dans le cadre de notre théorie de la représentation politique, cette approche socio-politique de Manin nous semble parfaitement traductible en droit constitutionnel. Dans une analyse juridique aussi abrasive que de haute tenue, Bruno Daugeron considère pourtant qu’en droit pur, rien n’a changé depuis l’adoption de « la théorie révolutionnaire de l’État » français à la fin du XVIIIe siècle. À son estime, il faudrait toujours considérer que le peuple n’a pas la moindre existence ni la moindre volonté de iure aussi longtemps que celle-ci n’est pas formulée en toute liberté par ses représentants habilités à s’exprimer en son nom. En droit, la volonté générale devrait n’être liée en rien « à la volonté politique exprimée dans et par l’élection », mais seulement « à celle qui est exprimée par les organes chargés de représenter la volonté de la nation ayant pour compétence, par le vote de la loi, de dire ce qu’est la volonté générale qui est en même temps une volonté nationale »89. Du coup, il voit dans l’émergence de la notion de « peuple électoral » consécutive à l’instauration du suffrage universel une subversion du concept de volonté générale, comme si celle-ci était expulsée du processus représentatif en étant « réputée procéder désormais de la seule volonté électorale elle-même réduite à la vague expression d’affiliations partisanes »90. Alors que ce peuple électoral ne pourrait selon lui se voir reconnaître la moindre « autonomie de volonté quel qu’en soit le support ou la fin », il serait « fait source du pouvoir » en raison de sa confusion avec les électeurs, « indépendamment de l’expression de la volonté générale qu’il est réputé faire naître et dont il ne procède plus »91. L’auteur en arrive alors à dénoncer une captation de l’élaboration de la volonté générale par les partis politiques92.
§27 Cette analyse nous semble critiquable en ce qu’elle est tributaire d’une interprétation radicalement originaliste, elle-même contestable comme nous l’avons relevé plus haut, des premières Constitutions françaises. Au lieu de rendre compte des règles de droit qui assurent aujourd’hui la liaison entre ce que la volonté générale du peuple doit à son expression électorale et ce qu’elle doit au travail d’interprétation de ses représentants lors de l’élaboration des normes constitutionnelles et législatives, l’auteur les passe sous silence et crée de toute pièce une antinomie qui cache mal sa condamnation du pouvoir des partis dont la légitimité, pour autant qu’elle soit encadrée par le droit, est pourtant incontestable en démocratie93.
Des limites de la représentation-miroir aux potentialités de la représentation- mise en scène
§28 Soumettre le processus de la représentation au seul critère de la ressemblance, c’est nécessairement s’exposer à la déception et à la frustration. Les causes profondes de ces sentiments remontent aux conditions mêmes de la modernité. Depuis les révolutions démocratiques du XVIIIe siècle et l’attribution de la souveraineté aux peuples qui l’exercent par l’adoption de Constitutions, le pouvoir cesse d’être incorporé dans une personne. Avec la consécration par ces Constitutions des droits humains, la légitimité du droit est dorénavant pensée par référence à un fondement sans figure déterminable, à des foyers qu’aucun pouvoir ne peut prétendre entièrement maîtriser94. Cette « désincorporation du pouvoir démocratique moderne, travaillé par de multiples formes d’incertitude et irreprésentable dans la figure d’une communauté substantielle, n’autorise plus l’idée d’une représentation qui ‘figurerait’ de manière transparente ou adéquate une réalité devenue elle-même problématique parce qu’arrachée aux anciennes évidences normatives : la nature et/ou la transcendance »95.
§29 Les limites de la représentation-miroir et la fatalité de la représentation-écart trouvent là leur source profonde. Les principes du régime représentatif sont nécessairement tributaires d’« un mode d’être politique auquel a définitivement échappé l’identité pleine et entière de la communauté avec elle-même »96. Du coup, nous dit Myriam Revault d’Allonnes, « la représentation ne peut se donner que sous la forme d’un paradoxe, sur le mode d’une séparation liante. Elle est le lien de la séparation »97. L’être en commun ne peut plus être pensé que comme « une unité paradoxale -et donc problématique- qui ne se représente et ne s’exerce que dans le lien de la séparation »98. « Ce n’est qu’en séparant que la représentation fait lien »99.
§30 Dans la démocratie parlementaire classique encore fondée sur le suffrage censitaire et l’élection de notables suscitant la confiance d’une minorité de la population100, cette séparation congénitale était particulièrement visible. Avec le passage à la « démocratie de parti » fondée sur le suffrage universel et la compétition entre des partis représentatifs des principales orientations idéologiques des citoyens, elle a pu se faire plus discrète. Le Parlement se fait beaucoup mieux le miroir des différentes composantes de la communauté politique101. Mais, depuis les années 1970, avec l’avènement de la démocratie dite du public102, la séparation inscrite au cœur de la représentation politique depuis la modernité se fait plus sensible. En effet, les citoyens y éprouvent de plus en plus de difficultés à s’identifier à leurs représentants. Dans ce type de démocratie représentative qui va de pair avec une société de plus en complexe, les clivages se multiplient de sorte qu’aucun parti ne peut plus représenter une catégorie stable de la population. « Les choix politiques ou idéologiques des citoyens sont de plus en plus fluctuants, difficiles à identifier et souvent ne trouvent pas à s’exprimer dans les termes proposés par l’’offre’ électorale »103. Les candidats sont alors moins tenus par un programme politique déterminé qu’incités à jouer sur le registre de la séduction pour conquérir un public parmi un électorat de plus en plus flottant.
§31 C’est l’occasion de creuser plus en profondeur dans le riche vivier des significations de la représentation politique. Dominique Rousseau nous met sur la piste quand il écrit que la représentation « institue la scène où se construit la figure du citoyen qui est une des conditions de possibilité de la démocratie »104. C’est tout l’intérêt du livre de Myriam Revault d’Allonnes de mettre l’accent sur ce quatrième sens. Elle le fait en soulignant les limites de la représentation-miroir. La représentation ne consiste pas seulement à rendre présent un élément ou un ensemble d’éléments qui ne sont pas présents tels quels, à les rendre sensibles « à l’aide d’une image ou d’une figure », selon l’idéal de la mimesis chère à Platon, celui du rapport entre le modèle et la copie. Elle désigne aussi l’acte de mise en scène que l’on peut penser avec Aristote à l’aune de la mimesis théâtrale comme une performance. Elle consiste alors à « intensifier et renforcer la présence » en se montrant, en mobilisant « la puissance de l’imaginaire et de la fiction » comme une représentation théâtrale peut le faire105.
Dans cette seconde perspective, on sait que le pouvoir aime se donner en représentation pour montrer sa puissance. Mais il faut reconnaître que le pouvoir donne aussi « figure à la nécessité, pour une communauté politique, de se représenter soi-même et de constituer son ‘identité’ »106. Ainsi les débats en séance plénière dans les assemblées parlementaires exercent bel et bien une fonction théâtrale en dramatisant les conflits politiques, en les rendant ainsi visibles par le grand public et en lui permettant d’accéder de cette manière au processus politique. Les décisions prises sont alors situées « dans l’espace des raisons publiques politiques » disponibles dans la collectivité politique en cause « (par exemple sur un axe gauche/droite) », tandis que les partis et organisations d’opposition porteurs de solutions alternatives plus ou moins possibles mettent à disposition « la mémoire des intérêts et des raisons qui ont été écartés par les décisions majoritaires (…) pour des combats futurs »107.
§32 Outre les mécanismes par lesquels les citoyens sont représentés par des représentants, il faut avoir égard à ceux par lesquels ils se représentent eux-mêmes comme des sujets politiques, ceux par lesquels ils se vivent comme citoyens en manière telle que la communauté politique s’éprouve comme telle. Cela renvoie certainement à « des affects, des croyances (confiance et/ou défiance), des identifications (et) des modes de reconnaissance » qui excèdent les procédures formelles d’organisation juridico-politique108. Myriam Revault d’Allonnes appelle ainsi nos sociétés politiques à faire preuve d’imagination pour donner figure à « l’être-en-commun »109, pour passer de « l’impossible ‘figuration’ d’un commun qui, sans cesse se dérobe », à une « re-figuration ». Mais il nous semble que ce sont aussi des mécanismes institutionnels complémentaires à ceux de la démocratie représentative qui peuvent y contribuer. C’est ainsi que nous comprenons cette proposition de la même philosophe : « Le déficit de représentation tant souligné dans les démocraties contemporaines relève plus d’une difficulté de la puissance d’agir des sujets politiques à s’inscrire dans le réel des institutions que d’une inadéquation des représentés aux représentants, pensée implicitement sur le mode du reflet ou du miroir »110. À notre estime, et comme allons brièvement le montrer dans la dernière partie de cette étude, une progression des procédures de démocratie directe et de démocratie aléatoire, pour autant qu’elles soient bien articulées avec les mécanismes de la démocratie représentative et que celle-ci demeure au centre du dispositif, peut contribuer à combler cet inévitable déficit de la représentation-miroir par une intensification de la présence de la communauté politique et une diversification des modes d’exercice de l’autonomie collective. Auparavant, nous devons insister sur la centralité que doit conserver la démocratie représentative et sur les conditions à satisfaire pour qu’elle continue à la mériter.
La démocratie représentative au centre de l’idéal de l’autogouvernement du peuple
§33 Il s’agit maintenant d’énoncer les raisons pour lesquelles nous assignons à la démocratie représentative la position centrale et décisive au cœur de l’idéal de l’autogouvernement du peuple (§34-40), non sans ajouter que cette position menacée aujourd’hui ne résistera pas à l’essor de ce que l’on appelle la « gouvernance multi-niveaux » sans de profondes réformes qu’il est urgent de concevoir et de mettre en œuvre (§41-44).
Ce qui justifie la position centrale de la démocratie représentative
§34 Nous venons de reconnaître non moins de quatre fonctions à la représentation politique assurée par nos élus : une fonction permanente d’interprétation de la volonté générale ; à la suite de la fonction prospective d’habilitation que l’élection exerce, une fonction rétrospective de reddition des comptes par les élus à l’issue de laquelle ils seront réélus ou sanctionnés par leur non-réélection ; une fonction de reflet des différentes tendances présentes parmi le corps électoral ; et une fonction de mise en scène des termes des débats politiques qui divisent la communauté politique, cette mise en scène ayant pour effet de représenter au sens d’intensifier et même d’incarner cette communauté.
C’est parce qu’il est en mesure, théoriquement du moins, de réaliser ces quatre performances, que le régime représentatif s’impose, de notre point de vue, comme un instrument incontournable pour permettre l’expression de l’unité collective. Certes, le principe du régime représentatif n’a pas à s’appliquer à toutes les autorités publiques, mais il postule qu’ « une institution, centrale et décisive, soit organisée selon le principe représentatif »111.
§35 Cela dit, nous n’ignorons évidemment pas combien les mécanismes de la démocratie représentative font aujourd’hui, et à vrai dire depuis l’adoption du suffrage universel112, l’objet d’une profonde crise de confiance113. Celle-ci s’explique notamment par le déficit délibératif que l’on doit souvent reprocher aux procédures parlementaires. Selon le principe de délibération qui est régulièrement mis en avant aujourd’hui114, la première vertu que l’on est en droit d’attendre de la loi ne réside pas dans son origine parlementaire, mais dans la qualité de la délibération qui a produit la norme, tant sous l’angle de l’idéal démocratique que celui de l’État de droit. Ce qui fait cette qualité, c’est sa rationalité procédurale. Celle-ci dépend d’abord d’un organe qui assure la représentation ou d’un processus qui comporte la consultation de toutes les composantes du segment de la population auquel la norme va s’appliquer. Elle tient ensuite à des règles d’examen et de discussion qui permettent la prise en considération de tous les arguments et la mise en balance minutieuse et équilibrée de tous les intérêts en présence, sous l’éclairage du droit des droits de l’homme, des études d’incidences ex ante et des évaluations ex post appropriées. L’espoir placé dans ce principe de délibération, c’est que son application ne manquera pas de produire des normes satisfaisant aux critères d’accessibilité, de clarté et de prévisibilité que les lois doivent respecter selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, celle-ci ne pouvant pas exiger des lois au sens formel, mais seulement au sens matériel.
Munis de cet instrument d’évaluation, on est bien obligé de constater que le règlement d’une matière par une loi formelle adoptée, par définition, par une assemblée représentative élue au suffrage universel ne permet absolument pas de présumer le respect du principe de délibération démocratique ainsi défini. Ce n’est pas parce qu’une matière a été réglée par la loi formelle qu’un débat parlementaire de qualité a eu lieu, que la loi a fait l’objet des concertations souhaitables et qu’elle est accessible, transparente et intelligible. Mais faut-il pour autant assimiler ce principe de la délibération avec l’idéal démocratique lui-même ? Autrement dit, faut-il amalgamer État de droit et démocratie en considérant que le principe démocratique est satisfait dès lors que la législation, de quelque législateur qu’elle émane, est élaborée au terme d’une procédure respectueuse de ce principe de délibération115 ? À nos yeux, ce serait méconnaître le caractère dialectique de la relation entre démocratie et État de droit. L’on s’explique.
§36 Force est de constater que les idéaux de l’État de droit peuvent être atteints par un régime constitutionnel de séparation des pouvoirs qui place hors de l’emprise du pouvoir politique un ensemble de règles et de décisions pour les confier à des institutions indépendantes coupées de la chaîne électorale directe ou indirecte de légitimation, et exclusivement soumises à des contrôles juridictionnels. Dans la mesure où il se prête à un encadrement juridique précis, le principe de la délibération démocratique s’inscrit dans la droite ligne des idéaux de l’État de droit, mais si on le déconnecte de l’exigence démocratique incontournable des délibérations parlementaires, l’on risque fort de tomber dans le piège de la dépolitisation que nous tenons à dénoncer avec Marcel Gauchet. En effet, si la chaîne de la responsabilité politique qui doit relier les détenteurs de la fonction normative à l’assemblée législative élue est rompue ou absente, la question de savoir si cette rupture est acceptable au regard du principe démocratique devrait être plus systématiquement posée. À notre sens, l’exigence démocratique comporte celle du maintien dans les mains de cette assemblée de la fonction de centre de gravité ou au moins de tour de contrôle du système.
§37 Certes, la montée en puissance, dans le cadre de ce que l’on appelle la « gouvernance multiniveaux », des organisations internationales, des juridictions supranationales et nationales, des autorités indépendantes de régulation plus ou moins soucieuses de la représentativité de tel ou tel segment de la population116 et de divers forums associant acteurs privés et publics, peut se justifier au regard de certains critères de légitimité, comme ceux de l’impartialité et de la soumission à des règles rigoureuses de délibération. Les idéaux de l’État de droit y trouvent leur compte, mais au-delà d’un certain seuil, cette fragmentation de la société politique en une multitude de lieux de délibération déconnectés d’un projet politique global participe d’un mouvement de « déconstitution du politique par le droit »117 incompatible avec l’exigence démocratique. Avec Marcel Gauchet, nous considérons en effet que l’idéal proprement démocratique de l’autogouvernement du peuple passe nécessairement par « les dimensions de la généralité publique et de l’unité collective »118. Une chose est de rendre un avis éclairé ou de prendre une décision sur une question bien circonscrite ; « une autre est de mener en parallèle des réflexions sur des sujets très variés, qui peuvent en partie se recouvrir et qui appellent des réponses coordonnées, comme doivent le faire le gouvernement et le Parlement »119.
§38 Concrètement et en parfait accord avec le remarquable argumentaire du philosophe Hervé Pourtois démontrant que les élections restent essentielles à la démocratie, nous considérons que des matières aussi décisives que l’encadrement normatif des fonctions régaliennes et la détermination des objectifs politiques prioritaires dans la conduite des politiques publiques, notamment lors de l’adoption des budgets, nécessitent des « instances permanentes généralistes qui disposent formellement du pouvoir d’orienter l’action publique dans tous les domaines et d’en assurer la continuité et la visibilité pour et au nom de l’ensemble du dèmos »120.
Les procédures de la gouvernance en réseau ne sont pas seulement critiquables en raison de la fragmentation qu’elles infligent à la scène politique généraliste dont la démocratie a besoin. Elles le sont aussi par les déficiences qui les caractérisent souvent sous l’angle des fonctions d’habilitation et de responsiveness dont nous avons souligné l’importance plus haut. En effet, d’une part, les procédures d’habilitation des acteurs de cette forme de gouvernance, depuis les juges des juridictions internationales jusqu’aux représentants des secteurs de la société civile qui y sont associés, sont souvent opaques ou discutables121 . À l’inverse, l’habilitation des mandataires politiques par l’élection bénéficie en principe de toutes les garanties de rectitude, de publicité et de contrôle du droit électoral122.
D’autre part, ces mêmes procédures de gouvernance à niveaux multiples se prêtent mal à « l’identification d’agents responsables des décisions »123, celles-ci résultant de multiples interactions entre un nombre considérable d’intervenants dont les statuts sont souvent hétérogènes. On l’a dit, la représentation politique issue de l’élection présente au contraire l’avantage de satisfaire la fonction de reddition de comptes. Ajoutons qu’elle procure en même temps « un certain degré de personnalisation du pouvoir »124 qui est indispensable en démocratie, même si l’on doit en fustiger les excès.
§39 Avec le philosophe Jean-Claude Monod, on doit en effet dénoncer l’illusion de croire que l’on pourrait faire l’économie de « la part personnelle de la décision politique » en ne misant que sur « la rationalité impersonnelle d’un système de normes, de droit et de délibération »125. Sans céder à une quelconque illusion « personnaliste » ou « providentialiste »126 et sans ignorer la dangerosité extrême de la glorification des leaders charismatiques dans les régimes autocratiques, cet auteur prend au sérieux, avec le sociologue Max Weber, l’hypothèse selon laquelle une telle « résorption » de la part personnelle coïnciderait « avec une certaine fin de la politique et de la démocratie ». Max Weber plaidait en effet contre « une démocratie acéphale » qui « perdrait avec sa ‘‘tête’’, sa capacité de faire écho aux demandes de transformation profonde du peuple »127. Il jugeait souhaitable de « trouver un équilibre entre, d’un côté, ces dimensions nécessaires que sont, à ces yeux, le parlementarisme et l’organisation en partis, et d’un autre côté, un certain principe de ‘‘personnalisation’’ charismatique permettant à des leaders d’assumer la responsabilité d’une politique, de prendre des décisions et d’éviter (…) une ‘‘démocratie acéphale’’ entièrement administrée, en fait, par une bureaucratie ». Il s’agissait aussi pour lui d’opposer la contre-force du charisme « à la ‘‘loi sans loi’’ de la domination économique pure »128.
§40 L’indispensable confection de « lois bien faites pour articuler les éléments de l’action collective »129 rend ainsi le régime représentatif proprement incontournable parce qu’il permet, ou du moins il devrait permettre, de participer par la médiation des élus à des choix collectifs effectués en connaissance de cause sur la base d’une précieuse mise en représentation des termes du débat à l’échelle de la communauté politique entière130. Avec Alain Eraly, soulignons – et nous y allons revenir dans un instant – que « la démocratie participative ne s’oppose pas à la démocratie représentative », mais « elle y trouve son ancrage nécessaire »131. À quoi il faut ajouter, parce que l’on finit parfois par les perdre de vue tant la presse rend mal compte aujourd’hui des débats parlementaires, tous les avantages que procurent les principes procéduraux qui régissent ces débats, quand bien même ils sont le plus souvent affaiblis par le « fait majoritaire » et la discipline partisane : publicité des séances, transparence des travaux des commissions et des auditions des experts sollicités, mise en discussion des motifs, droit d’amendement des élus, sauvegarde des droits de l’opposition, un temps de délibération en principe suffisant pour permettre aux citoyens, aux organisations de la société civile et aux médias de réagir.
Ce qui conditionne la position centrale de la démocratie représentative
§41 Toutefois, et il faut le dire avec force, ces acquis ne suffisent pas. Avec Alain Eraly, nous considérons que si le développement de la démocratie citoyenne exclut le « contournement » de la démocratie représentative, elle n’en passe pas moins « par une réforme en profondeur »132. Reconnaissons que cette réforme reste largement à inventer. Elle devrait mobiliser plus activement la créativité des constitutionnalistes. Avec Mathias El Berhoumi, nous avons avancé plusieurs idées pour renforcer la qualité de la fonction législative assurée par nos parlementaires. Le lecteur les trouvera dans la Revue belge de droit constitutionnel 133. De leur côté, Xavier Delgrange et Luc Detroux ont soutenu pas moins de dix pistes à cette fin. Nous les présentons brièvement ici, tant elles nous semblent pertinentes, renvoyant à leur étude pour de plus amples développements : 1° la prise au sérieux des vertus potentielles de la procédure de la seconde lecture134 ; 2° un dispositif permettant aux parlements de s’opposer aux techniques des lois-programmes, des cavaliers budgétaires et des lois individuelles135 ; 3° l’instauration d’une obligation pour les gouvernements de livrer aux parlementaires le résultat des procédures participatives qu’ils ont suivies, ainsi que les motifs qui les ont conduits à les prendre ou non en compte dans leurs projets136 ; 4° une extension et un meilleur encadrement juridique des expériences en cours qui consistent à associer aux commissions parlementaires des panels de citoyens tirés au sort137 – nous allons évidemment y revenir – ; 5° un soin plus effectif que celui aujourd’hui réservé à la mise en œuvre des normes qui imposent aux législateurs une évaluation ex ante des incidences des législations en projet138 ; 6° une pratique systématique et rigoureuse de l’évaluation législative ex post139 ; 7° une soumission des propositions de loi émanant des parlementaires aux consultations préalables auxquelles elles peuvent se dérober aujourd’hui, quand elles atteignent le stade du travail en commission140 ; 8° une obligation pour les gouvernements de répondre aux recommandations ou aux objections exposées dans les avis du Conseil d’État141 ; 9° l’imposition aux législateurs du devoir d’énoncer expressément leurs objectifs dans le dispositif même des lois qu’ils adoptent142 ; et 10° la compétence que la Cour constitutionnelle devrait se voir reconnaître, au-delà des contrôles auxquels elle accepte de se livrer aujourd’hui, notamment dans le cadre des principes de proportionnalité et de standstill143, pour contrôler le respect du principe de délibération démocratique par les législateurs, de sorte que ceux-ci ne pourraient plus s’écarter d’un standard minimal de « minutie » législative sans encourir le risque d’une annulation ou d’une déclaration d’inconstitutionnalité144.
§42 En ce qui concerne les larges délégations souvent consenties par les législateurs élus aux exécutifs avec la bénédiction de la jurisprudence, avec Jeroen Van Nieuwenhove, nous considérons qu’il serait vain de les condamner. Compte tenu de la discipline des partis de la majorité et de l’opposition, de la complexité des matières en jeu et de la subtilité des équilibres à ménager entre les intérêts en cause, ce n’est pas, nous dit-il, en donnant plus de travail aux élus à la faveur d’une interprétation plus stricte des critères conditionnant la validité de ces délégations que l’on va voir les parlements mieux travailler et influencer plus substantiellement le processus décisionnel. Le réalisme nous interdit de lui donner tort. Mais il reconnaît que les lois qui se contentent de ratifier les arrêtés qui portent sur des éléments essentiels relèvent d’un rituel très formaliste en l’absence d’un véritable contrôle du parlement. Celui-ci peut théoriquement modifier les arrêtés, mais cela ne se produit pratiquement jamais, sauf quand le gouvernement le demande lui-même. Jeroen Van Nieuwenhove avance alors une suggestion inspirée par l’exemple des Pays-Bas : que les élus cessent de se déchaîner en questions parlementaires sur des cas particuliers et des situations de fait pour consacrer cette énergie à un contrôle de la réglementation adoptée par le pouvoir exécutif. Le parlement pourrait être ainsi investi du droit de se voir communiquer les projets d’arrêtés. Il pourrait aussi inviter le gouvernement à s’expliquer sur les lignes de force des projets de loi en préparation145. Nous ne pouvons qu’appuyer cette idée. Son succès présuppose toutefois que les parlementaires de la majorité, et non seulement ceux de l’opposition, aient le courage d’encourir le risque d’irriter quelque peu les ministres de leur bord en exerçant leur vigilance sur ces projets. Cette culture politique n’est pas encore acquise, c’est le moins que l’on puisse dire.
§43 On le sait, tel est le principal obstacle qui nuit à la qualité délibérative des débats dans les assemblées parlementaires : « une division rigide du parlement le long de lignes partisanes rend improbable la tenue d’un véritable échange de raisons entre les représentants, ce qui affaiblit la justification publique » des décisions146. Le grand défi à relever si l’on veut préserver la centralité du régime représentatif qui présuppose un minimum de qualité délibérative, consiste donc à exploiter toutes les ressources du droit parlementaire et même en inventer de nouvelles pour ouvrir aux élus des possibilités d’agir à l’abri de la logique de l’affrontement majorité contre opposition147. Des députés provenant de partis différents, mais partageant des positions communes, doivent pouvoir agir ensemble plus souvent. Des élus en désaccord avec la ligne officielle adoptée par les leaders du parti doivent pouvoir contribuer à la qualité des échanges d’arguments entre députés en motivant publiquement leur désaccord sans mettre en péril la survie du gouvernement148.
§44 Dans notre esprit, l’articulation des procédures de démocratie directe et de démocratie aléatoire que nous allons évoquer maintenant avec celles de la démocratie représentative devrait constituer un de ces nouveaux moyens de limiter la logique de l’affrontement majorité contre opposition et de favoriser la qualité délibérative des débats au sein des assemblées composées d’élus.
Deux autres modalités complémentaires mais accessoires de l’idéal de l’autogouvernement du peuple : les démocraties référendaire et aléatoire
§45 A notre estime, les techniques de la démocratie référendaire (§46-52) et celles de la démocratie aléatoire (§53-56) ne trouvent leur pleine légitimité en tant que modalités complémentaires de l’idéal de l’autogouvernement du peuple qu’à la condition de respecter la centralité du régime représentatif.
La démocratie référendaire
§46 On connaît les principaux griefs adressés aux procédures référendaires. Leur caractère binaire, alors que les problèmes politiques sont complexes et qu’ils nécessitent le plus souvent, d’abord, des délibérations approfondies, que l’on mène bien mieux dans des assemblées parlementaires, et ensuite des solutions de compromis sans gagnant ni perdant. Leur quasi irréversibilité, alors que la démocratie représentative permet l’alternance des majorités, l’apprentissage par l’expérience et la correction des erreurs. Les difficultés auxquelles se heurte la formulation claire et honnête des questions soumises aux participants qui doivent pouvoir saisir les conséquences de leur vote. Le risque des campagnes d’informations mensongères. Celui des dérives plébiscitaires. Et, last but not least, la possibilité pour le citoyen interrogé d’utiliser son suffrage pour servir d’autres objectifs que l’apport d’une réponse à la question qui lui est posée149.
§47 Si la consultation populaire au Royaume-Uni sur le Brexit a offert une sinistre illustration de tous ces défauts, il faut reconnaître que cette liste ne rend pas du tout justice aux virtualités les plus positives des techniques référendaires auxquelles un nombre croissant d’États de par le monde recourt150. Comment ne pas leur reconnaître une « fonction civique » dès lors qu’elles font « prendre conscience aux citoyens de leur responsabilité dans la détermination de la politique de leur pays »151 ? Comment nier qu’une campagne référendaire conduite loyalement sert une fonction pédagogique sans équivalent ? L’on sait aussi qu’elles permettent parfois de sortir d’une crise ou d’un blocage du système représentatif152. Last, but not least, l’« atout majeur » des référendums, leur « vertu unique, par rapport aux autres instruments participatifs », ne peut être ignoré : ils élargissent « la base participante à la fois à la décision et au débat qui la précède »153.
§48 Une distinction essentielle doit être faite entre les référendums déclenchés par une autorité politique dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et ceux qui sont rendus obligatoires dans des cas prédéterminés par la Constitution ou qui permettent à des citoyens d’en prendre l’initiative dans un cadre juridique rigoureux. Les seconds sont moins vulnérables aux griefs rapportés que les premiers154. Plus encore, il faut, à nos yeux, dans la droite ligne de notre propos, distinguer les techniques référendaires en fonction des articulations qui les relient ou non à celles de la démocratie représentative.
§49 La caractéristique majeure qui différencie le régime représentatif de la démocratie directe, c'est bien sûr l’indépendance relative des représentants par rapport aux représentés. C’est donc, potentiellement, un certain « écart entre la décision publique et la volonté populaire »155. Cet écart est légitime, on l’a dit, parce que sans lui, la discussion argumentée et la recherche des indispensables compromis sont impossibles. On l’a relevé, l'interdiction du mandat impératif qui va de pair et qui est consacrée en droit positif belge par l'article 42 de la Constitution156, est une constante du régime représentatif. Les mandats sont dès lors irrévocables pendant l'intervalle des élections157.
§50 Faut-il en déduire, avec Bernard Manin, qu’il y aurait une opposition « principielle » entre la démocratie directe et la démocratie représentative 158 ? Nous ne partageons pas ce point de vue159. Plus précisément, il convient d'en limiter la pertinence à la période antérieure à l'instauration du suffrage universel. À partir du moment où l'idée-force de la démocratie, l'égalité, produit son implication politique, le suffrage universel 160, le régime représentatif devient inséparable d'un souci de représentativité réelle qui ne s'explique pas autrement que par la volonté de poursuivre cet idéal proprement démocratique de l'autogouvernement du peuple. Comme nous l’avons souligné plus haut et comme le reconnaissait déjà Carré de Malberg, depuis cette consécration du suffrage universel, « par les élus, c'est le sentiment du corps populaire qui se manifeste »161. La remise en cause périodique de la désignation des premiers pour veiller à leur représentativité signifie que le second est investi d'un « pouvoir de décision qui va au-delà du choix des personnes »162.
Il convient donc d'analyser la démocratie directe et la démocratie représentative comme deux modalités différentes pour approcher l'idéal de l'autogouvernement du peuple163. Dans sa version radicale et utopique, la première exclut toute représentation et exige que le peuple exerce seul et directement l'intégralité des pouvoirs. Nul n'y a cru, même pas Rousseau164. La seconde cherche à réaliser le même idéal, mais en recourant à la médiation des élus et en excluant tout mandat impératif. Autrement dit, l'écart maintenu entre les représentants et les représentés ne signifie pas que les premiers peuvent ignorer la volonté des seconds, mais seulement que la meilleure manière de donner forme à cette volonté réside dans l'instauration d'une sorte de relation dialectique entre les uns et les autres.
Il n'y a donc pas d'opposition principielle entre le régime représentatif et les techniques référendaires. Certes, recourir à ces techniques en certaines circonstances, c'est suspendre, au moment de la votation, le régime en question, puisqu'elles ont pour effet d'éliminer, sur quelques points déterminés, toute possibilité d'écart entre la volonté des représentants et celle des représentés. Les premiers peuvent, sur ces points, être empêchés de vouloir ce qu'une majorité des seconds refuse formellement. Mais la centralité du régime représentatif demeure car ce point tranché par le peuple est totalement encerclé par les institutions et les procédures de ce régime : c’est ce dernier qui institue les techniques référendaires ; c’est lui qui peut et même, à nos yeux, devrait permettre d’éclairer le peuple par les délibérations parlementaires préalables aux votations ; et c’est lui qui régit les conséquences qui seront attachées à la décision directement prise par le corps électoral. Comme l’écrivent Auer, Malinverni et Hottelier, « une démocratie directe sans élément représentatif n’est (…) pas concevable »165.
§51 La récente étude que Vincent Martenet consacre à l’intrication des procédures de démocratie représentative et directe en Suisse illustre parfaitement le propos166. Pour ne prendre qu’un exemple de procédure parmi d’autres, « l’Assemblée fédérale, composée du Conseil national et du Conseil des États, se prononce sur la validité d’une initiative populaire, recommande son approbation ou son rejet, peut élaborer un contre-projet direct ou indirect et, enfin, met généralement en œuvre les révisions constitutionnelles à la suite du référendum », non sans disposer d’une « grande marge de manœuvre »167. Contrairement au grief de binarité, les techniques référendaires ne sont donc pas nécessairement incompatibles avec la négociation de compromis. La soumission des lois fédérales à la possibilité d’un référendum abrogatif conduit en outre à un partage de l’agenda politique entre la majorité et l’opposition, celle-ci pouvant réunir les signatures d’électeurs en nombre nécessaire pour en provoquer le déclenchement. Du coup, la majorité peut être incitée à passer des compromis avec l’opposition pour prévenir un vote de rejet168. Ou quand rejet il y a, le parlement fédéral peut corriger le texte de loi initial en adoptant un paquet législatif plus équilibré politiquement et donc plus propice à passer le cap d’un nouveau référendum abrogatif169.
Ceci ne signifie évidemment pas que les procédures suisses dont il ne faut jamais oublier qu’elles s’intègrent dans un régime directorial pourraient s’exporter facilement dans n’importe quel régime parlementaire ni que l’on ignore les obstacles qui s’opposent à pareille exportation dans le contexte constitutionnel et politique belge170. Nous raisonnons ici au niveau des principes. Sur ce plan, précisément, dans la droite ligne de la centralité du régime représentatif que nous soutenons ici, nous défendons l’idée qu’aucun référendum ni aucune consultation populaire ne devrait être organisé sans avoir été précédé d’une délibération par l’assemblée représentative en manière telle que le peuple appelé à trancher en dernière instance sera dûment éclairé par l’échange des arguments que cette délibération devrait favoriser. Bien sûr, les élus doivent alors supporter d’être exposés au risque d’être désavoués par la majorité du corps électoral. Si la représentation est bien comprise comme elle doit l’être, c’est-à-dire une représentation-écart et non une représentation-fusion, cette hypothèse ne devrait rien comporter de dramatique. Une telle possibilité de désaveu est parfaitement normale dans le cadre de la relation dialectique entre représentants et représentés.
Comme l’écrit Francis Hamon, « le peuple sait désormais que, au moins sur certains sujets, il peut avoir une volonté collective différente de celle des représentants qu’il a élus. Et si l’on ne lui permet pas de l’exprimer directement en organisant des référendums, nombre de citoyens auront tendance à adopter dans le domaine civique une attitude purement négative, consistant soit à s’abstenir lors des élections, soit à voter pour des candidats qualifiés de ‘populistes’ en raison de leur hostilité à l’égard de l’establishment politique »171.
§52 Ce lien avec la délibération parlementaire s’impose à nos yeux d’autant plus que la démocratie directe présente l’inconvénient de supprimer toute possibilité de responsabilité politique. Celle-ci présuppose la distinction entre « deux corps, celui des représentants qui prend les décisions et celui du peuple devant lequel et par lequel s’exercent le contrôle et la responsabilité ». Par définition, dans un référendum, « le corps devant lequel le peuple pourrait rendre compte de ses décisions » manque172. Il doit donc être d’autant plus éclairé par les délibérations parlementaires.
À cet égard, nous sommes très critique à l’égard des dispositifs en vigueur en Belgique173. Les règles qui régissent les consultations populaires que ce soit au niveau communal, au niveau provincial ou au niveau régional s’abstiennent en effet d’exiger cette antériorité.
Eu égard à la définition liminaire que nous avons proposée de la démocratie, une autre règle qui nous paraît indispensable pour assurer la légitimité des procédures référendaires consiste dans le contrôle préalable de la conformité des questions avec les exigences du droit national, européen et international des droits de l’homme. Nous saluons à cet égard la pertinence de l’article 4, §1er et 2, du décret spécial du 19 juillet 2018 de la Région wallonne.
La démocratie aléatoire
§53 Nul ne peut l’ignorer aujourd’hui : les expériences de recours à des commissions délibératives composées de citoyens tirés au sort se multiplient. Les avantages de cette forme aléatoire de démocratie sont bien connus174. On peut les résumer schématiquement comme suit. Primo, puisqu’elle donne à chacun des individus parmi lesquels la sélection a lieu une égale probabilité d’être retenu, elle se conforme parfaitement à la règle de l’égalité dont nous avons rappelé qu’elle est cardinale dans la définition de la démocratie. Secundo, sous l’importante réserve d’un pourcentage élevé de citoyens qui sont tirés au sort, mais qui refusent de participer aux opérations175, la démocratie aléatoire honore aussi la règle de l’égalité en ce qu’elle est à même de produire une assemblée statistiquement représentative de la diversité économique, sociale et culturelle qui caractérise la collectivité au sein de laquelle la sélection a été opérée, cette représentativité étant supérieure à celle des assemblées d’élus qui ont majoritairement un niveau de revenu et un niveau d’études supérieur à la moyenne des citoyens représentés176. Tertio, les participants reçoivent une formation. Résultent de cet avantage et du précédent une qualité épistémique des débats provenant de la diversité des perspectives, des expériences et des savoirs présents dans ces commissions, ainsi que d’une humilité propice à solliciter des avis d’experts, des témoignages du terrain et des informations sur les enjeux et les conséquences des décisions à prendre. Quarto, aux antipodes du jeu des discussions parlementaires souvent stérilisées par le clivage partisan entre majorité et opposition, des garanties sont données pour que les échanges d’arguments au sein de ces assemblées obéissent aux exigences d’une délibération de qualité. Quinto, contrairement aux élus, les citoyens tirés au sort ne doivent pas se livrer à des calculs stratégiques ou tactiques étrangers aux sujets débattus dans le but de maximiser leurs chances d’être réélus. Leur indifférence à la perspective d’une réélection leur procure en outre plus de liberté pour prendre en considération les intérêts de long terme. Il faut le souligner, cet avantage est particulièrement appréciable pour « affronter démocratiquement les défis inédits de la transition écologique »177.
§54 Les inconvénients de la démocratie aléatoire ne sont pas moins frappants. Primo, si le recrutement des mini-publics tirés au sort est plus égalitaire que la désignation des représentants par l’élection, il écarte fatalement toutes les personnes qui n’ont pas été sélectionnées, c’est-à-dire l’immense majorité des citoyens. « Le suffrage universel ne donne pas à chacun une probabilité égale, mais une possibilité effective relativement égale de participer. (…) En assurant une égalité d’influence, il confère aussi une égalité de statut : il contribue à ce que les citoyens se reconnaissent mutuellement comme des égaux »178. Autrement dit, à la différence du tirage au sort, l’acte de voter contribue à la constitution d’une communauté politique. Secundo, la démocratie aléatoire fait perdre le premier des avantages majeurs de l’élection : son usage prospectif. En effet, les membres de ces commissions délibératives tirés au sort n’ont pas été habilités pour vouloir au nom et pour le compte des citoyens de la collectivité politique concernée. Tertio, la démocratie aléatoire fait perdre aussi le deuxième avantage majeur de l’élection : son usage rétrospectif. Les représentants tirés au sort sont irresponsables devant les citoyens, n’ayant aucun compte à leur rendre à l’issue de leur mission. Quarto, même si les participants à des assemblées citoyennes font des progrès impressionnants en peu de temps179, ils n’ont pas la motivation à apprendre qui est celle des candidats à une élection, ceux-ci devant répondre aux interpellations des citoyens, des concurrents, des groupes et des médias pendant la campagne électorale. Quinto, à la différence des élus qui peuvent voir leur mandat renouvelé, les citoyens tirés au sort ne sont pas incités à s’informer sur les besoins et aspirations des électeurs et à faire circuler l’information vers ceux-ci. Ils ne sont pas soumis à la vigilance et à la critique permanente des citoyens et des organisations de la société civile. Ils ne sont pas en mesure de mobiliser des groupes aux aspirations hétérogènes autour d’un projet commun. Ils ne bénéficient pas non plus de l’accumulation des expériences politiques qui contribue à l’expertise des élus.
§55 Tout donne ainsi à penser que la démocratie aléatoire ne devrait jamais remplacer la démocratie représentative, mais seulement la compléter. La seconde doit demeurer centrale. Les élus disposent d’une légitimité supérieure. Il y va d’une « légitimité d’autorisation » et « de redevabilité »180, habilités qu’ils sont à prendre des décisions pendant la durée de leur mandat au nom des citoyens qui ont contribué à leur élection et tenus de rendre des comptes à ceux-ci. Comme le souligne Hervé Pourtois, « les décisions politiques majeures ne peuvent être arrêtées que par des acteurs qui, dans l’exercice de ce rôle, peuvent être contrôlés et sont redevables à chaque citoyen, quel qu’il soit. La pratique de l’élection, directe ou indirecte, des gouvernants ne fait que traduire cette exigence. Elle met en place un mécanisme de redevabilité globalisant : c’est à l’ensemble des citoyens de sanctionner l’action des gouvernants en vertu des considérations normatives que chacun de ces citoyens juge prioritaires »181. La « légitimité de similarité » des représentants tirés au sort ne fait pas le poids face à cette double légitimité des élus. À la différence du tirage au sort, l’élection donne à chacun des électeurs une part de responsabilité dans le fait que tel ou tel gouvernement exerce le pouvoir et elle permet de contester quant au fond ce que décident les élus. Le tirage au sort ne permet pas au citoyen de poser le moindre choix. Il le déresponsabilise et il ne lui laisse aucun motif de contestation politique des décisions prises (en dehors de la procédure suivie pour sélectionner les tirés au sort et organiser leur délibération)182. Il exige une « déférence aveugle » à l’égard du jugement des représentants tirés au sort, alors que « la dynamique électorale, quant à elle, peut contribuer à la formation raisonnée du jugement politique des citoyens »183.
§56 Mais la démocratie aléatoire peut venir utilement compléter la démocratie représentative184. Les vertus égalitaires, délibératives et épistémiques propres à la démocratie aléatoire apportent un complément bienvenu aux vertus égalitaires, délibératives et épistémiques distinctes de la démocratie représentative. Pierre-Etienne Vandamme résume parfaitement les principaux traits de cette complémentarité : « Le tirage au sort apporte une plus-value en termes de diversité, de délibérations, d’humilité et de prise en compte du long terme. Les élections apportent quant à elles une plus-value en termes de redevabilité, de circulation de l’information, de formation du jugement politique et de filtre de compétence »185.
Il reste alors à imaginer les bonnes articulations entre démocratie représentative et démocratie aléatoire186. On se contentera ici de mentionner quatre parmi les différentes techniques utilisables dans le respect de la centralité qui doit revenir à la démocratie représentative. Selon la première, les commissions délibératives composées de citoyens tirés au sort font des recommandations aux élus et ceux-ci sont tenus de justifier publiquement leur décision de les suivre ou non187. Selon la seconde, même s’ils ne sont pas formellement des décideurs politiques, les citoyens tirés au sort sont associés directement, en tant qu’ « invités », aux travaux d’une commission parlementaire composée d’élus188. Selon la troisième, le bicamérisme est aménagé pour flanquer l’assemblée législative élue d’une assemblée tirée au sort, le pouvoir du dernier mot revenant à la première189. Selon la quatrième, à côté de l’assemblée délibérante élue au suffrage universel, l’autre assemblée est composée pour moitié d’élus et pour l’autre moitié de représentants tirés au sort, la loi n’étant adoptée qu’en cas d’accord entre les deux assemblées. Personnellement, nous sommes favorables à ce dernier dispositif parce qu’il cumule les avantages de la démocratie représentative et ceux de la démocratie aléatoire en partageant, dans une des deux assemblées, le pouvoir de décision entre les élus et les tirés au sort et en forçant les élus dans cette seconde assemblée à entrer dans une véritable délibération avec les tirés au sort, tout en accordant, au total, la prépondérance aux élus.
Nous n’ignorons pas que les spécialistes de la démocratie aléatoire recommandent qu’au moins deux tiers des sièges au sein de l’assemblée mixte soient réservés aux citoyens tirés au sort pour que ces derniers ne se sentent pas d’emblée en situation d’infériorité face aux « professionnels » et pour que ceux-ci comprennent que seule la force de l’argumentation a quelque chance de rallier une majorité, plutôt que les allégeances ou l’intimidation190. Il nous semble toutefois que pareille composition augmenterait le danger de voir l’assemblée des élus et l’assemblée mixte entrer en conflit. Le pouvoir du dernier mot devant revenir à la première, l’assemblée mixte perdrait alors de son attrait. Par ailleurs, mettre les élus en position de minorité dans une assemblée mixte contredirait la supériorité de principe qui caractérise leur légitimité.
Conclusion
§57 Nous avons exposé toutes les raisons qui nous incitent à penser primo que l’idéal démocratique de l’autogouvernement du peuple demeure pertinent pour les sociétés contemporaines ; secundo qu’il passe encore par la centralité du régime représentatif ; tertio, que celui-ci ne mérite de conserver cette position centrale qu’à la condition de bénéficier de plusieurs réformes qu’il est grand temps de mettre en œuvre ; et quarto que ce régime représentatif a tout à gagner à s’adjoindre des compléments tirés de la démocratie référendaire et de la démocratie aléatoire, mais à la condition que ces compléments s’articulent avec lui sans remettre en cause sa centralité.
§58 Il reste une question décisive que nous avons délibérément laissée de côté : celle que l’usage du terme « peuple » pose dans l’expression « autogouvernement du peuple » et que Catherine Colliot-Thélène nous force à aborder quand elle prétend que « la pluralisation du kratos rend le demos inassignable » aujourd’hui. L’idéal démocratique de l’autogouvernement du peuple est-il viable ou suffisamment adaptable et transposable en dehors du modèle de l’État-nation caractérisé par l’unicité du peuple appelé à s’autogouverner, que ce soit dans le contexte d’une fédération plurinationale comme l’Union européenne ou dans celui d’un État fédéral plurinational comme la Belgique ? C’est le défi majeur des démocraties post-nationales et l’objet d’autres travaux dans lesquels nous nous réjouissons de continuer à nous impliquer191.
Sur la place décisive de l'autonomie collective et de l'égalité parmi les principes essentiels de l'idéal démocratique, voyez l'excellent ouvrage de Gérard P., Droit et démocratie. Réflexions sur la légitimité dans la société démocratique, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1995, et notre compte rendu dans Revue interdisciplinaires d'études juridiques, n° 39, 1997, pp. 189-206. ↩
Lacroix J., Pranchère J.-Y., Les droits de l’homme nous rendent-ils idiots ?, Paris, Seuil, 2019, p. 16. ↩
Gérard P., Droit et démocratie. Réflexions sur la légitimité dans la société démocratique, op. cit., p. 129. ↩
Voyez en ce sens Girard C., Délibérer entre égaux. Enquête sur l’idéal démocratique, Paris, Vrin, 2019, pp. 8-36. ↩
Kelsen H., La démocratie. Sa nature, sa valeur, trad. fr. Ch. Eisenmann, Paris, Dalloz, 2004 [1929], p. 30. Voyez aussi les auteurs, à commencer par l’économiste J. Schumpeter, analysés par Girard C., Délibérer entre égaux. Enquête sur l’idéal démocratique, op. cit., pp. 41 et suivantes. ↩
Colliot-Thélène C., La démocratie sans ‘‘demos’’, Paris, P.U.F., 2011. ↩
Gauchet M., L’avènement de la démocratie, IV Le nouveau monde, Paris, Gallimard, 2017, p. 675. Voyez dans le même sens Eraly A., Une démocratie sans autorité ?, Toulouse, Erès, 2019. ↩
Gauchet M., La religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité, Paris, Gallimard, 1998, p.127. ↩
Manin B., « Résilience de la démocratie représentative », RFDL, 2015/2, p. 415. ↩
Girard C., Délibérer entre égaux. Enquête sur l’idéal démocratique, op. cit., p. 254. ↩
Gauchet M., L’avènement de la démocratie, IV Le nouveau monde, op. cit., p. 675. ↩
Ibidem, p. 668. ↩
Hayek F.A., Droit, législation et liberté, (trad.), Paris, P.U.F., 1981, vol. 2, p. 32. ↩
Ibidem, vol. 2, p. 105. ↩
Voyez ibidem, vol. 1, pp. 45-46. ↩
Voyez ibidem, vol. 1, p. 50, p. 129 et vol. 2, p. 48. ↩
Ibidem, vol. 1, p. 110. ↩
Ibidem, vol. 1, p. 172. ↩
Voyez ibidem, vol. 2, p. 103. ↩
Ibidem, vol. 2, p. 116. ↩
Ibidem, vol. 2, p. 84. ↩
Ibidem, vol. 2, p. 100. ↩
Ibidem, vol. 3, p. 180. F.A. Hayek recommande de composer l’assemblée législative « d’hommes et de femmes âgés de 45 à 60 ans, dont un quinzième serait remplacé chaque année » (ibidem, vol. 3, p. 135). Ne seraient donc éligibles que des personnes âgées de 45 ans, la durée du mandat étant fixée à 15 ans, afin qu’elles « n’aient pas la préoccupation de leur réélection » (ibidem, p. 134). Ne seraient électeurs que les personnes âgées de 45 ans, « les contemporains d’un individu » étant « ses juges les plus équitables » (ibidem, p. 135). ↩
Ibidem, vol. 3, p. 164. ↩
Ibidem, vol. 3, p. 47. ↩
Sur cette distinction, voyez ibidem, vol. 2, p. 15. ↩
Ibidem, vol. 2, pp. 19-20. ↩
Manin B., « Friedrich-August Hayek et la question du libéralisme », Revue française de science politique, 1983, p. 57. ↩
Ibidem, pp. 53-54. ↩
Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, p. 100. ↩
Ibidem, p. 104. ↩
Lefort C., « Les droits de l’homme en question », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1984, n°13, p. 42. ↩
Voyez Hayek F.A., Droit, législation et liberté, op. cit., vol. 2, pp. 121 et suivantes. Sur la conception très étroite des droits de l’homme de Hayek, voyez Lacroix J., Pranchère J.Y., Les droits de l’homme rendent-ils idiots ?, op. cit., pp. 31-39. ↩
Colliot-Thélène C., La démocratie sans ‘‘demos’’, op. cit., p. 9 citant Brunkhorst. ↩
Ibidem, p. 10. ↩
Ibidem, p. 12. ↩
Voyez ibidem, p. 8. ↩
Voyez ibidem, pp. 16-17. ↩
L’auteur admet que les institutions représentatives et les droits politiques qui les rendent possibles ont la vertu d’offrir « un moyen permettant d’obliger certaines catégories de dirigeants à rendre des comptes auprès des populations sur lesquelles s’exerce leur pouvoir ». Ce moyen fait partie de l’ensemble diversifié des pratiques démocratiques, mais il n’en formerait nullement « le noyau » (p. 19). ↩
Ibidem, p. 10. ↩
Ibidem, p. 8. ↩
Ibidem, p. 21. ↩
Colliot-Thélène C., « L’Europe est-elle démocratisable ? », in Aubert I., Kervégan J.-F. (dir.), Dialogues avec Jürgen Habermas, Paris, CNRS, 2018, p. 48. ↩
Ibidem, p. 54. ↩
Girard C., Délibérer entre égaux. Enquête sur l’idéal démocratique, op. cit., p. 35. ↩
Voyez Bailleux A., Dumont H., Le pacte constitutionnel européen, t. 1, Fondements du droit institutionnel de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 445-495. ↩
Voyez sur ce thème Vauchez A., Démocratiser l’Europe, Paris, Seuil, 2014. ↩
Colliot-Thélène C., « L’Europe est-elle démocratisable ? », op. cit., p. 49. L’auteur renvoie sur ce point à l’étude de von Bogdandy A., « The European Lesson for International Democracy », European Journal of International Law, vol. 23, n° 2, 2012, pp. 315-334, mais à vrai dire, il nous semble qu’elle déforme la pensée de ce dernier. ↩
Voyez à ce propos nos analyses dans Dumont H., « De la crise du principe de légalité à son redéploiement à l’aune d’un nouvel équilibre entre État de droit et démocratie », in Detroux L., El Berhoumi M., Lombaert B. (dir.), La légalité, un principe de la démocratie belge en péril ?, Bruxelles, Larcier, 2019, pp. 835-880 et du même auteur, « La démocratie, moteur des mutations de l’État de droit et vice-versa. Points de repère pour penser une relation dialectique équilibrée », in Leysen R., Muylle K., Theunis J. (éd.), Semper perseverans. Liber Amicorum André Alen, Antwerpen-Gent-Cambridge, Intersentia, 2020, pp. 79-94. ↩
Voyez par ex. Dumont H., « La question du demos dans un État fédéral plurinational et dans une Fédération plurinationale : une comparaison entre l’État belge et l’Union européenne », in Denizeau C. (dir.), L’idée fédérale européenne, Paris, Édition Panthéon-Assas, 2019, pp. 73-101. ↩
Voyez par exemple les « bons esprits » évoqués par Jaume L., v° «Représentation », in Alland D., Rials D. (dir.) Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, p. 1338 ; la contribution de Turpin D. in « Le régime représentatif », Pouvoirs, n° 7, 1978, p. 9 et Miaille M., v° « Représentation », in Arnaud A.-J. (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, , Paris, LGDJ, 1993, pp. 525-526. Contra à juste titre, voyez Avril P., « Note sur les origines de la représentation », in d'Arcy. F. (dir.), La représentation, Paris, Economica, 1985, p. 102. Comparez avec l’observation plus fine de Rosanvallon P., Le peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France, Paris, Gallimard, 1998, p. 41, note 1 : la représentation est fondée sur une « fiction nécessaire » parce qu’elle est « une condition pour pouvoir intégrer toute la diversité du social dans l’unité du corps politique ». On notera que la thèse de la fictio iuris avait déjà été défendue plus tôt par J. Bentham : voyez à ce propos Dumont H., « J. Bentham, premier théoricien de la démocratie libérale ? Réflexions sur le principe de majorité », in Gérard P., Ost F., Van de Kerchove M. (dir.), Actualité de la pensée juridique de Jeremy Bentham, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1987, pp. 489-548. ↩
Pour la démonstration complète, voyez Dumont H., « Le concept de démocratie représentative : de Sieyès à la Constitution belge de 1831 », in Bouhon F., Reuchamps M. (dir.), Les systèmes électoraux de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp. 29-62. ↩
Revault d’Allonnes M., Le miroir et la scène. Ce que peut la représentation politique, Paris, Seuil, 2016, p. 10. ↩
Ibidem, p. 169. ↩
Voyez supra note 52. ↩
Voyez les textes commentés par Brunet P., Vouloir pour la nation. Le concept de représentation dans la théorie de l'Etat, Paris-Bruxelles, L.G.D.J.-Bruylant, 2004, pp. 94 et suivantes. ↩
E.J. Sieyès, cité par ibidem, p. 100. ↩
E.J. Sieyès, cité par ibidem, p. 98. ↩
E.J. Sieyès, cité par Pasquino P., Sieyès et l'invention de la Constitution en France, Paris, Odile Jacob, 1998, pp. 45-46 (souligné par Sieyès). ↩
Barnave, cité par Brunet P., op. cit., p. 133. ↩
Sur les erreurs des entreprises de démystification appliquées à certains concepts juridiques qui ignorent la notion d'idéal régulateur, voyez Dumont H., « Le mythe de la démystification en droit », J.T., 2007, pp. 290-292. ↩
Voyez not. Roels J., La notion de représentation chez Roederer, Heule, 1968, p. 189 et Revault d’Allonnes M., Le miroir et la scène. Ce que peut la représentation politique, op. cit., p. 11 et p. 41. ↩
Sur cette notion de distance, voyez la bonne étude de Haarscher G., « La crise de la représentation », A.P., 1996, T3, pp. 153-159. ↩
Sur la déconstruction de cette fausse opposition, voyez, avec les références aux travaux essentiels de Bacot G. et Brunet P., Dumont H., « Le concept de démocratie représentative : de Sieyès à la Constitution belge de 1831 », op. cit., pp. 29-62. ↩
Pasquino P., Sieyès et l'invention de la Constitution en France, op. cit., p. 43. ↩
E.J. Sieyès cité ibidem, pp. 43-44. ↩
Sur ce thème de l'égalité, Sieyès recommande au « véritable législateur » « d'empêcher les trop mauvais effets des inégalités naturelles » : « loin d'affaiblir la faiblesse et de fortifier la force, il doit garantir à la faiblesse qu'elle ne sera pas point dominée par la force, et assurer à chaque citoyen la liberté de disposer, à son gré, de sa personne et de sa propriété » (cité par ibidem, p. 48). ↩
Voyez supra, note 1. ↩
Pasquino P., Sieyès et l'invention de la Constitution en France, op. cit., p. 44 (souligné par nous). ↩
E.J. Sieyès cité par Pasquino P., Sieyès et l'invention de la Constitution en France, op. cit., p. 42. La place nous manque pour débattre plus en profondeur avec les autres grands exégètes de la pensée de Sieyès que sont Rosanvallon P., Le peuple introuvable, op. cit., pp. 27 et suivantes et Gauchet M., La Révolution des pouvoirs, op. cit., pp. 55 et suivantes. Ils ont tendance à radicaliser plus que nous l’opposition entre le « concours immédiat » et le « concours médiat ». Gauchet écrit ainsi : « Ou bien la Nation ne parle que par ses représentants, ou bien les représentants ne font que porter la parole de la Nation. Le choix est entre une logique de la substitution (Sieyès) et son symétrique inverse, une logique de la participation (Rabaut) » (p. 68). Mais Gauchet montre aussi, fort justement, tout ce qui rapproche plus en profondeur un Sieyès d’un Rabaut Saint-Etienne, ainsi que la fréquence des glissements dans les débats de la constituante entre les deux logiques. Du reste, relève-t-il, et nous le suivons entièrement sur ce point, « l’opposition entre le ‘‘concours médiat’’ de la représentation et le ‘‘concours immédiat’’ de la démocratie mérite d’être nuancée. Le gouvernement représentatif ne repose aucunement sur le transfert de compétences à la fois intégral et sans retour postulé par Sieyès dans le cadre d’un partage collectif des tâches bien compris. Il suppose une tension maintenue entre le ‘‘pouvoir commis’’ et le ‘‘pouvoir commettant’’ (…) qui, pour passer par le renoncement à la participation directe, n’en mobilise pas moins une forme d’implication où la manifestation des opinions à part et en face de celle des représentants joue un rôle essentiel (…) La revendication de démocratie directe, ou d’une insertion participante quelconque du peuple dans le processus représentatif (…) a ses racines profondes dans le nœud initial de la problématique révolutionnaire de la représentation » (p. 63 et p. 68). ↩
Manin B., « Volonté générale ou délibération ? Esquisse d’une théorie de la délibération politique », Le Débat, n° 33, 1985, pp. 72-94. ↩
Ibidem, p. 88. ↩
Ibidem, p. 90. ↩
Ibidem, p. 83. ↩
Voyez sur ce thème Revault d’Allonnes M., Le miroir et la scène. Ce que peut la représentation politique, op. cit., pp. 135-140. ↩
Manin B., « Résilience de la démocratie représentative », op. cit., p. 415. ↩
Leydet D., « Débats parlementaires et délibération démocratique », in Blondiaux L., Manin B. (dir.), Le tournant délibératif de la démocratie, Paris, Presses de Sciences Po, 2021, pp. 188-189. ↩
Manin B., « Résilience de la démocratie représentative », op. cit., p. 419. Voyez dans le même sens Revault d’Allonnes M., Le miroir et la scène. Ce que peut la représentation politique, op. cit., pp. 141-145. ↩
Manin B., « Résilience de la démocratie représentative », op. cit., p. 416 (souligné par moi). Sur ce thème, voyez aussi Revault d’Allonnes M., Le miroir et la scène. Ce que peut la représentation politique, op. cit., pp. 155 et suivantes. ↩
Manin B., « Résilience de la démocratie représentative », op. cit., p. 419. ↩
Ibidem, p. 418. ↩
Selon la suggestion de Pourtois H., « Les élections sont-elles essentielles à la démocratie ? », Philosophiques, vol. 43, 2016/2, p. 429. ↩
Ibidem, p. 419. ↩
Ibidem, p. 419. ↩
Rousseau D., Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, Paris, Seuil, 2015, p. 38. ↩
Ibidem, p. 19. ↩
Manin B., « Résilience de la démocratie représentative », op. cit., p. 420. ↩
Rousseau D., Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, op. cit., p. 37. ↩
Daugeron B., « De la volonté générale à l’opinion électorale : réflexions sur l’électoralisation de la volonté collective », Jus politicum, n° 10, 2013, p. 8. ↩
Ibidem, p. 13. ↩
Ibidem, p. 13. ↩
Voyez ibidem, p. 24. ↩
Dans cette critique, nous laissons de côté la part de l’analyse réservée par l’auteur à « la présidentialisation de la volonté électorale » dans le cadre des institutions françaises de la Vème République. ↩
Selon l’expression devenue célèbre du philosophe Claude Lefort, le pouvoir « se dévoile comme un lieu vide, ceux qui en sont les dépositaires ne peuvent prétendre se l’approprier » (Lefort C., « Pour une sociologie de la démocratie », in Seurin J.-L. (dir.), La démocratie pluraliste, Paris, Economica, 1981, p. 41). ↩
Revault d’Allonnes M., Le miroir et la scène. Ce que peut la représentation politique, op. cit., p. 14. ↩
Ibidem, p. 15. ↩
Ibidem, p. 15. ↩
Ibidem, p. 117. ↩
Ibidem, p. 145. ↩
Sur cette première séquence du gouvernement représentatif, voyez l’idéaltype qu’en dessine Manin B., Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 2012, pp. 259-264. ↩
Sur cette deuxième séquence et l’idéaltype correspondant, voyez Manin B., Principes du gouvernement représentatif, op. cit., pp. 264-278. ↩
Sur cette troisième séquence et l’idéaltype correspondant, voyez ibidem, pp. 279-335 et Revault d’Allonnes M., Le miroir et la scène. Ce que peut la représentation politique, op. cit., pp. 163-169. ↩
Revault d’Allonnes M., Le miroir et la scène. Ce que peut la représentation politique, op. cit., p. 164. ↩
Rousseau D., Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, op. cit., p. 38. ↩
Revault d’Allonnes M., Le miroir et la scène. Ce que peut la représentation politique, op. cit., pp. 11-12. ↩
Ibidem, p. 159. ↩
Leydet D., « Débats parlementaires et délibération démocratique », op. cit., p. 186. ↩
Revault d’Allonnes M., Le miroir et la scène. Ce que peut la représentation politique, op. cit., p. 154. ↩
Ibidem, p. 195. ↩
Ibidem, p. 192. ↩
Manin B., « Résilience de la démocratie représentative », op. cit., p. 415. Voyez dans le même sens Revault d’Allonnes M., Le miroir et la scène. Ce que peut la représentation politique, op. cit., pp. 143-145 ; Gauchet M., L’avènement de la démocratie, IV Le nouveau monde, op. cit., pp. 738-739 et Eraly A., Une démocratie sans autorité ?, op. cit. ↩
Voyez Dumont H., van Drooghenbroeck S., « La loi », in Traité international de droit constitutionnel, tome 2 : Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, collection Traités Dalloz, 2012, pp. 529-572. ↩
Voyez not. dans une immense littérature Perin F., Germes et bois morts dans la société politique contemporaine, Bruxelles-Paris, Rossel, 1981 et notre compte-rendu « Autour de la démocratie », Revue interdisciplinaires d'études juridiques, 1982/9, pp. 219-234. ↩
Voyez notamment Blondiaux L., Manin B. (dir.), Le tournant délibératif de la démocratie, op. cit. ; Rousseau D., Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, op. cit., pp. 110 et suivantes ; Delgrange X., Detroux L., « La délibération parlementaire, gage de qualité de la loi pour une meilleure protection des droits fondamentaux », in Detroux L, El Berhoumi M., Lombaert B.(dir.), La légalité, un principe de la démocratie belge en péril ?, op. cit., pp. 739-794, n° 8-10. ↩
Quelques études, par ailleurs lumineuses, de notre collègue Patricia Popelier donnent l’impression que sa doctrine va dans cette direction : voyez « La loi aujourd’hui (le principe de légalité) », in Hachez I. et al. (dir.), Les sources du droit revisitées, vol. 2, Normes internes infraconstitutionnelles, Limal, Anthémis-Université Saint-Louis – Bruxelles, 2012, pp. 17-54, not. p. 33 et surtout « Het legaliteitbeginsel in verval ? », Detroux L., El Berhoumi M., Lombaert B. (dir), La légalité, un principe de la démocratie belge en péril ?, op. cit., pp. 823-831. Pour des éléments de discussion, voyez Dumont H., « Conclusions générales : de la crise du principe de légalité à son redéploiement à l’aune d’un nouvel équilibre entre État de droit et démocratie », op. cit., pp. 864-866. ↩
Voyez à ce sujet Slautsky E., « Principe de légalité et attribution de pouvoir à des autorités indépendantes : une relation équivoque », Detroux L., El Berhoumi M., Lombaert B. (dir), La légalité, un principe de la démocratie belge en péril ?, op. cit., pp. 593-620. ↩
Gauchet M., L’avènement de la démocratie, IV Le nouveau monde, op. cit., p. 675. ↩
Gauchet M., La religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité, Paris, Gallimard, 1998, p. 127. ↩
Buge E., « À la recherche d’une représentation démocratique. À propos de : Hélène Landemore, Open democracy. Reinventing popular Rule for the Twenty-First Century, Princeton University Press », La Vie des idées, 21 décembre 2020. ↩
Pourtois H., « Les élections sont-elles essentielles à la démocratie ? », op. cit., p. 417. ↩
Voyez dans le même sens idem. ↩
Même si des progrès sont encore à faire en ce domaine, notamment en Belgique. Voyez sur le thème : « Qui contrôle l’élection ? » le numéro spécial de A.P., 2020/1, dirigé par Mayence A., Gaudin T. et Bourgaux A.-E. ↩
Pourtois H., « Les élections sont-elles essentielles à la démocratie ? », op. cit., p. 417. ↩
Idem. ↩
Monod J.-C., Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ? Politique du charisme, Paris, Seuil, 2017, p. 15 ↩
Ibidem, p. 282 et p. 284. ↩
Ibidem, p. 15. ↩
Ibidem, pp. 57-59. ↩
Gauchet M., L’avènement de la démocratie, IV Le nouveau monde, op. cit., p. 604. ↩
Voyez ibidem, pp. 738-739 ; Manin B., « Volonté générale ou délibération. Esquisse d’une théorie de la délibération politique », op. cit., pp. 72-94 et du même auteur, « Résilience de la démocratie représentative », op. cit., pp. 413-427. ↩
Eraly A., Une démocratie sans autorité ?, op. cit., p. 219. ↩
Idem. ↩
Voyez Dumont H., El Berhoumi M., « Prendre plus au sérieux la fonction législative des parlementaires », R.B.D.C., 2014/3-4, pp. 331-347. ↩
Voyez Delgrange X., Detroux L., « La délibération parlementaire, gage de qualité de la loi pour une meilleure protection des droits fondamentaux », op. cit., n° 26-27. ↩
Voyez ibidem, n° 28-31. ↩
Voyez ibidem, n° 36. ↩
Voyez ibidem, n°37. ↩
Voyez ibidem, n° 39 à 41. ↩
Voyez ibidem, n° 42 à 46. ↩
Voyez ibidem, n° 47. ↩
Voyez ibidem, n° 48. ↩
Voyez ibidem, n° 50. ↩
Voyez ibidem, n° 15-16 et Dumont D., « Le principe de standstill comme instrument de rationalisation du processus législatif en matière sociale. Un plaidoyer illustré », J.T., 2019, pp. 601-611 et pp. 621-628. En ce qui concerne les exigences procédurales imposées par la Cour européenne des droits de l’homme, voyez van Drooghenbroeck S., Rizcallah C., « Le principe de la légalité des limitations aux droits et libertés », in Detroux L., El Berhoumi M., Lombaert B. (dir), La légalité, un principe de la démocratie belge en péril ?, op. cit., pp. 25-70. ↩
Voyez Delgrange X., Detroux L., « La délibération parlementaire, gage de qualité de la loi pour une meilleure protection des droits fondamentaux », op. cit., n° 17 et n° 51. Voyez dans le même sens Van Eeckhoutte D., Vrielinck J., « Trop de légalité tue la légalité ? Legaliteit: overdaad schaadt? », in Detroux L., El Berhoumi M., Lombaert B. (dir), La légalité, un principe de la démocratie belge en péril ?, op. cit., pp. 795-823*,* n° 17. ↩
Voyez Van Nieuwenhove J., « Repliek. Enkele beschouwingen over het legaliteitsbeginsel
en over delegaties van regelgevende bevoegdheid », in Detroux L., El Berhoumi M., Lombaert B. (dir), La légalité, un principe de la démocratie belge en péril ?, op. cit., pp. 369-387. ↩Leydet D., « Débats parlementaires et délibération démocratique », op. cit., p. 193. ↩
C’est tout l’intérêt de la thèse de doctorat de Julian Clarenne de se livrer à ce travail de façon systématique. ↩
Voyez en ce sens Leydet D., « Débats parlementaires et délibération démocratique », op. cit., pp. 193-197. ↩
Sur ces objections, dans une littérature immense, voyez not. Cohen E., Grunberg G., Manin B., « Le référendum, un instrument défectueux », Le Débat, n° 193, 2017/1, pp. 137-140. ↩
Sur ce constat et sur les avantages du référendum combiné avec la démocratie aléatoire, voyez Paoletti M., Morel L., « Le référendum : une procédure contraire à la délibération, utile à la démocratie délibérative », in Blondiaux L., Manin B. (dir.), Le tournant délibératif de la démocratie, op. cit., pp. 201-223. ↩
Rousseau D., Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, op. cit., p. 127. ↩
En ce sens, voyez ibidem, pp. 128-129. ↩
Paoletti M., Morel L., « Le référendum : une procédure contraire à la délibération, utile à la démocratie délibérative », op. cit., p. 211. ↩
Voyez en ce sens Hamon F., « Le référendum n’est-il qu’une caricature de la démocratie ? », Le Débat, n°193, 2017/1, pp. 141-151. ↩
Manin B., « Métamorphoses du gouvernement représentatif », in Pécaut D., Sorj B. (dir.), Métamorphoses de la représentation politique au Brésil et en Europe, Paris, C.N.R.S., 1991, p. 38. ↩
Voyez Dumont H., « Le concept de démocratie représentative : de Sieyès à la Constitution belge de 1831 », op. cit., pp. 29-62. ↩
À vrai dire, il ne faut pas confondre mandat impératif et mandat révocable, même si les deux sont généralement défendus ou rejetés de pair. On pourrait admettre la révocabilité des élus sans lier pour autant à ceux-ci à un mandat impératif en admettant qu’ils disposent d’une certaine marge d’indépendance et de la possibilité de justifier leurs écarts éventuels par rapport à leurs promesses. Je remercie Pierre-Etienne Vandamme d’avoir attiré mon attention sur cette possibilité à l’occasion de sa lecture attentive de mon manuscrit. ↩
Manin B., « Métamorphoses du gouvernement représentatif », op. cit., p. 70. ↩
Pour une démonstration plus complète, Dumont H., « Le concept de démocratie représentative : de Sieyès à la Constitution belge de 1831 », op. cit., pp. 29-62*.* ↩
Voyez de Tocqueville A., De la démocratie en Amérique, t. I, Paris, Flammarion, 1981, p. 119. ↩
Carré de Malberg R., « Considérations théoriques sur la question de la combinaison du referendum avec le parlementarisme », Rev. dr. publ., 1931, p. 233. ↩
Lauvaux P., Les grandes démocraties contemporaines, Paris, P.U.F., 1990, p. 87. ↩
Voyez aussi en ce sens Bobbio N., Libéralisme et démocratie, trad., Paris, Cerf, 1966, p. 40 : « tant la démocratie directe que la démocratie indirecte découlent du même principe de la souveraineté populaire, même si elles se distinguent par les modalités et les formes dans lesquelles cette souveraineté s’exerce ». ↩
Sa fameuse phrase sur la démocratie qui présuppose « un peuple de dieux » vise précisément cette version radicale ; voyez Rousseau J.J., « Du contrat social ou Principes du droit politique », Œuvres complètes, III, Paris, Gallimard, 1964, pp. 403-406. On sait que Rousseau a fini par admettre la représentation même pour « la puissance législative », mais seulement à la condition de soumettre les représentants à des mandats impératifs ; voyez ses « Considérations sur le gouvernement de Pologne et sur sa réformation projetée », ibidem, pp. 979-980. ↩
Auer A., Malinverni G., Hottelier M., Droit constitutionnel suisse, vol. I, 3e éd., Berne, Stämpfli, 2013, p. 205. ↩
Martenet V., « La démocratie représentative et référendaire, à l’exemple de la Suisse », R.F.D.C., n° 126, juin 2021, pp. 71-94. ↩
Ibidem, p. 72 et p. 90. Sur ces notions de contre-projet direct ou indirect, voyez pp. 86-90. ↩
Voyez à ce sujet Hamon F., « Le référendum n’est-il qu’une caricature de la démocratie ? », op. cit., pp. 147-148. ↩
Voyez Martenet V., « La démocratie représentative et référendaire, à l’exemple de la Suisse », op. cit., pp. 80-82. ↩
Voyez à ce sujet Dumont H., El Berhoumi M., « Les référendums constitutionnels et constituants dans l’État plurinational belge : un parcours d’obstacles insurmontables ? », in Binette A., Taillon P. (éd.), La démocratie référendaire dans les ensembles plurinationaux, Québec, Presses de l’Université Laval, 2018, pp. 313-382. ↩
Hamon F., « Le référendum n’est-il qu’une caricature de la démocratie ? », op. cit., p. 151. ↩
Rousseau D., Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, op. cit., p. 37. ↩
Sur ceux-ci, voyez not. Gaudin T., Jacquet V., Pilet J.-B., Reuchamp M., « Consultation populaire et référendum en Belgique », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2390-2391, 2018 et Bourgaux A.-E., « La consultation populaire régionale : résistance ou résilience de la démocratie représentative », A.P., 2015/4, pp. 531-583. ↩
Voyez notamment Manin B., « Résilience de la démocratie représentative », op. cit., pp. 418-427 ; Girard C., Délibérer entre égaux. Enquête sur l’idéal démocratique, op. cit., pp. 251-254 ; Pourtois H., « Les élections sont-elles essentielles à la démocratie ? », op. cit., p. 419 ; Vandamme P.-E., « Le tirage au sort est-il compatible avec l’élection ? », Revue française de science politique, 2018/5, pp. 876 et suivantes. ↩
Le taux d’acceptation est souvent d’environ 6 % (voyez Vandamme P.-E., « Le tirage au sort est-il compatible avec l’élection ? », op. cit., pp. 879-880). Comme il serait éthiquement douteux et surtout contre-performant de rendre la participation obligatoire, il reste à recourir à des mécanismes d’échantillonnage pour corriger les biais dus au fait que ce sont souvent les moins scolarisés qui renoncent à participer. ↩
Sur ce thème de la représentativité, voyez les différentes conceptions évoquées par Jensel-Monge P., Vidal-Naquet A., « Assemblées citoyennes et assemblées parlementaires : complémentarité ou concurrence dans une démocratie représentative ? », in Les assemblées citoyennes : nouvelle utopie démocratique ? (en ligne), Aix-en-Provence, DICE Éditions, 2022 (généré le 21 juin 2022, pp. 16-20, in [https://books.openedition.org/dice/10440?langÉfr]. ↩
François B., « Utopie ou chantier en cours ? », in Les assemblées citoyennes : nouvelle utopie démocratique ?, op. cit., p. 8. ↩
Pourtois H., « Les élections sont-elles essentielles à la démocratie ? », op. cit., p. 425. ↩
Je remercie Pierre-Etienne Vandamme d’avoir aussi attiré mon attention sur ce point. ↩
Vandamme P.-E., « Le tirage au sort est-il compatible avec l’élection ? », op. cit., pp. 884-885. ↩
Pourtois H., « Démocratie délibérative et démocratie électorale », in Blondiaux L., Manin B. (dir.), Le tournant délibératif de la démocratie, op. cit., p. 169. ↩
Voyez en ce sens Pourtois H., « Les élections sont-elles essentielles à la démocratie ? », op. cit., pp. 421-422 et pp. 430-431. ↩
Ibidem, p. 432. ↩
Voyez aussi en ce sens Jensel-Monge P., Vidal-Naquet A., « Assemblées citoyennes et assemblées parlementaires : complémentarité ou concurrence dans une démocratie représentative ? », op. cit., pp. 21-33. ↩
Vandamme P.-E., « Le tirage au sort est-il compatible avec l’élection ? », op. cit., p. 884. ↩
Faute de place, nous raisonnons ici abstraction faite des questions de droit constitutionnel positif. Pour un examen des ressources et des obstacles du droit belge, voyez Clarenne J., Jadot C., « Les outils délibératifs auprès des parlements sous l’angle du droit constitutionnel belge », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2517-2518, 2021. Pour le même motif, nous n’évoquerons pas non plus les bonnes articulations à concevoir également entre la démocratie aléatoire et la démocratie référendaire, si ce n’est pour recommander qu’elles ne conduisent pas écarter la démocratie représentative. Comparez avec Paoletti M., Morel L., « Le référendum : une procédure contraire à la délibération, utile à la démocratie délibérative », op. cit., pp. 215 et suivantes et Fatin-Rouge Stefanini M., « Assemblées citoyennes et mécanismes de démocratie directe : outils complémentaires ou concurrents ?, in Les assemblées citoyennes : nouvelle utopie démocratique ?, op. cit. ↩
Voyez en ce sens le « dialogue citoyen permanent » institué par le Parlement de la Communauté Germanophone de Belgique. Voyez à ce propos Niessen C., Reuchamps M., « Le dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2426, 2019 et Stangherlin K. « La participation citoyenne dans l’état actuel du droit : le cas du Ostbelgien-modell », in Semper perseverans. Liber Amicorum André Alen, op. cit., pp. 529-545. ↩
Voyez en ce sens les commissions délibératives mixtes au sein du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, de l’Assemblée réunie de la Commission communautaire commune et de l’Assemblée de la Commission communautaire française. Voyez à ce propos Vrydagh J., Bottin J, Reuchamps M., Bouhon F., Devillers S. , « Les commissions délibératives entre parlementaires et citoyens tirés au sort au sein des assemblées bruxelloises », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2492, 2021. ↩
Voyez en faveur d’un Sénat investi d’un pouvoir d’initiative, de seconde lecture et d’amendement, mais pas de veto, Vandamme P.-E., « Un Sénat tiré au sort ? », Revue Politique, 11 mai 2017 et Sohier J., « Un Sénat tiré au sort ? », C.D.P.K., 2019, pp. 374-380. Comparez avec Van Reybrouck D., Contre les élections, Arles, Actes Sud, 2013. ↩
Je remercie Philippe Van Parys de m’avoir expliqué cet argument dans la foulée d’un débat organisé par Rethinking Belgium. ↩
Voyez Bailleux A. et Dumont H., Le pacte constitutionnel européen, t. 1, Fondements du droit institutionnel de l’Union européenne, op. cit., pp. 445-495 et Dumont H., « La question du demos dans un État fédéral plurinational et dans une Fédération plurinationale : une comparaison entre l’État belge et l’Union européenne », op. cit., pp. 73-101. ↩