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Volume n°5

Les étrangers face à leurs juges. Représentations réalistes et allégoriques de l’altérité à l’écran

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§1. Avec celle du chômage et de l’exclusion sociale, la question de l’immigration constitue sans doute l’une des thématiques les plus débattues au sein de nos démocraties contemporaines, situation qui a encore été exacerbée ces dernières années à la suite de la montée en puissance de mouvements politiques d’extrême droite ou appartenant à la mouvance national-populiste et des diverses « crises migratoires » qui ont émaillé l’actualité (les secondes étant instrumentalisées par les premiers dans leurs discours politiques). Si les représentations des étrangers ou des personnes d’origine étrangère à l’écran ont suscité quelques études en langue française1, il ne semble pas qu’on se soit intéressé à la représentation au cinéma d’une confrontation singulière : celle qui survient entre l’étranger et le juge chargé de statuer sur son sort. Or, l’intérêt de cette rencontre est indéniable. Dans un État de droit, il appartient en effet généralement à un juge, en cas de contestation, de porter une évaluation finale sur la décision administrative prise par les organes compétents et qui a scellé le sort du candidat réfugié. En outre, la situation de vulnérabilité dans laquelle l’étranger (éventuellement sans-papiers) se trouve fréquemment est de nature à multiplier les occasions de rencontre entre celui-ci et les magistrats chargés d’appliquer la loi.

§2. Les représentations de l’étranger à l’écran étant abondantes2, plusieurs limites ont dû être fixées à cette investigation. Premièrement, cette étude aborde uniquement le cinéma de fiction et n’explore pas le cinéma documentaire. Ce choix me conduit ainsi à m’intéresser davantage à la manière dont notre imaginaire collectif est façonné par des œuvres de fiction3, en laissant de côté les œuvres documentaires qui entretiennent vis-à-vis du réel un rapport différent. Une attention particulière est en outre accordée au cinéma contemporain, même si quelques incursions dans le cinéma des années 1970 sont proposées. Deuxièmement, cette étude se concentre sur les films dans lesquels les étrangers représentés à l’écran sont confrontés à un processus de justice, se retrouvent « face au juge » (ou, à tout le moins, à la perspective d’être prochainement amenés devant un tel acteur institutionnel chargé de statuer sur leur sort). Troisièmement, l’examen est restreint aux films où un étranger est à la recherche d’une vie meilleure, tente d’échapper à une situation de détresse de nature économique ou politique. La figure de l’immigré ou du migrant est donc étudiée, c’est-à-dire une personne installée ou souhaitant s’installer dans un pays autre que celui dont elle est originaire. Sont ainsi laissées de côté les nombreuses œuvres dans lesquelles des étrangers sont confrontés à la justice dès lors que ces réalisations ne concernent pas, de près ou de loin, le phénomène migratoire4. Ces critères sont bien sûr cumulatifs : parmi les nombreux films qui concernent le phénomène migratoire ou la question du franchissement des frontières, cette étude se penche sur les films qui mettent en scène un processus de justice, un juge et éventuellement un procès, et se focalise par ailleurs sur certaines œuvres particulièrement illustratives.

§3. Malgré ces limites, le matériau cinématographique mobilisé est assez foisonnant à la fois du point de vue des genres cinématographiques rencontrés, de la nationalité des films et de leur qualité sur le plan esthétique. L’analyse de ce matériau fait apparaître une représentation dominante de l’étranger à l’écran : les cinéastes insistent en effet, dans leur majorité, sur la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve l’étranger, et en particulier le migrant ou l’immigré. Ce constat étant posé, on observe que la justice est abordée soit comme une instance de domination, soit comme une ressource qui peut être mobilisée par l’étranger dans sa lutte pour la reconnaissance. Comme nous le constaterons, à côté de réalisations qui abordent de façon réaliste ce parcours de reconnaissance, le cinéma en propose également des représentations plus allégoriques. Dans celles-ci, la situation existentielle de l’étranger au sein de nos sociétés contemporaines est abordée de manière plus elliptique : le récit filmique se présente alors comme une « fable », des déplacements de perspectives étant suggérés au moyen de divers artifices cinématographiques.

§4. Une distinction entre un cinéma qui aborde la question de l’altérité de façon réaliste, d’une part, et de façon allégorique, d’autre part, est ainsi dressée. Au sein de la première catégorie, une distinction supplémentaire est proposée entre deux approches du rôle de la justice vis-à-vis des étrangers en quête de protection, l’une critique, l’autre apologétique. Dans les films qui s’inscrivent dans une veine critique, la justice est présentée comme une instance de domination, potentiellement oppressive vis-à-vis des personnes étrangères ou d’origine étrangère. Dans d’autres films, moins nombreux, qu’on peut rattacher à une autre tendance que je propose de qualifier d’apologétique, la justice est perçue comme une ressource qui peut être mobilisée pour surmonter les préjugés et la stigmatisation dont les immigrés (ou les enfants d’immigrés) sont l’objet. D’autres œuvres se caractérisent par la prise de distance qu’elles supposent vis-à-vis des représentations réalistes de la question de l’accueil ou du rejet de l’étranger, examinées dans la première partie de cette étude. L’analyse de ces représentations allégoriques de l’altérité à l’écran permet de mettre en lumière des stratégies originales mises en œuvre par les cinéastes pour illustrer la thématique de l’hospitalité. La « fable cinématographique »5 permet alors, au-delà des intentions esthétiques qui constituent son ressort premier, d’aborder conjointement les dimensions éthique, juridique et politique de cette problématique.

Représentations réalistes de l’altérité à l’écran

§5. D’un point de vue temporel, une évolution est remarquable s’agissant du regard posé par les cinéastes sur l’étranger ou la personne d’origine étrangère. Dans le cinéma français, par exemple, après une série de réalisations mettant le plus souvent en lumière la vulnérabilité de l’ouvrier étranger dans les années 19706, des films en viennent à stigmatiser les étrangers et véhiculent un certain nombre de stéréotypes à leur égard. Dans le cinéma français des années 1980, on repère ainsi une constellation de films, qui s’inscrivent souvent dans le genre policier, dans lesquels les délinquants sont bien souvent des étrangers ou des personnes d’origine étrangère7. Ces œuvres ont pour particularité de ne pas faire de la question migratoire et du thème de l’intégration leur sujet principal, la justice et ses acteurs demeurant également fort en retrait. Dans une telle veine, citons par exemple La Balance8, Tchao pantin9, Les Ripoux10 et Ripoux contre ripoux11.

§6. Dans le cinéma contemporain à vocation populaire, on peut également épingler des représentations des étrangers (ou des personnes d’origine étrangère) qui, sous couvert de porter un message de tolérance, se font en réalité l’écho de divers stéréotypes. La filmographie de Philippe de Chauveron, qui a signé durant les années 2010 plusieurs succès publics, est à cet égard particulièrement évocatrice. On y trouve une vision à la fois stéréotypée et racialisée d’un certain nombre de protagonistes. Après Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?12, Débarquement immédiat !13 et plus encore À bras ouverts14 ont suscité des interrogations. Par la suite, Qu’est-ce qu’on a encore fait au Bon Dieu ?15 s’est exposé au même type de critiques qu’avait suscité le film dont il prolonge l’intrigue. On ne trouve toutefois pas de représentations de la justice dans ce cinéma qui a pour particularité de se focaliser, le plus souvent, sur la sphère familiale.

§7. Ces films exceptés, on observe dans le cinéma contemporain, qu’il soit français ou non, une tendance à présenter le parcours de reconnaissance de l’étranger de façon moins monolithique que par le passé. La question du rôle que peut être amenée à jouer l’institution judiciaire peut alors être posée : dans sa quête d’inclusion politique, le juge et la justice sont-ils pour l’étranger des ressources ou des instances de domination voire d’oppression ? Les cinéastes se positionnent différemment par rapport à cette question.

Approches critiques de la justice

§8. Au sein de cette catégorie qui regroupe les approches critiques de la justice, une distinction supplémentaire peut être établie : soit l’étranger est confronté à son « juge naturel », le juge des étrangers (la question du séjour, de l’accès au territoire est alors mise en avant), soit l’étranger est mis en présence d'un autre type de juge, souvent pénal, les cinéastes dénonçant alors un phénomène de criminalisation de l’altérité.

L’étranger face à son juge

§9. Bien souvent, l’immigré ne rencontre pas un juge, mais est uniquement engagé dans des démarches de nature administrative. C’est le cas, par exemple, dans La Faute à Voltaire16, d’Abdellatif Kechiche. Lorsqu’un processus de justice est représenté à l’écran, la critique de la justice est souvent élargie à une critique de l’État et de ses différents organes. Le film Illégal17, d’Olivier Masset-Depasse, s’intéresse ainsi aux personnes qui sont dites « illégales », car elles ne disposent pas d’un titre régulier pour résider sur le territoire belge.

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§10. Dans ce film, sont dépeintes les conditions d’enfermement des étrangers en centre fermé, qui sont en réalité des conditions carcérales. Le rôle de l’Office des étrangers, qui n’est pas une juridiction, mais une administration, y est également souligné. C’est en effet cette administration (et non un juge) qui décide du placement des étrangers en détention. Ces personnes sont alors privées de liberté pendant le déroulement de la procédure qui les concerne. Il peut s’agir, par exemple, d’un demandeur d’asile qui sollicite que lui soit reconnu le statut de réfugié. L’héroïne de ce film, Tania (Anne Coesens) présente la particularité d’être ce qu’on appelle dans le jargon juridique et administratif « un cas Dublin », ce qui lui est rappelé par son avocat (Frederik Haùgness). Cela implique qu’elle relève de l’application du règlement européen « Dublin II »18. Ce texte organise une répartition des demandeurs d’asile entre les États de l’Union européenne : le premier pays dans lequel une personne est entrée sur le territoire de l’Union européenne est, en principe, celui dans lequel sa demande d’asile doit être introduite. Ce n’est donc pas à un juge qu’est confrontée l’héroïne de ce film, mais à des règles techniques qui impliquent son renvoi vers un État autre que celui dans lequel elle vit depuis de nombreuses années. Ce film vise en outre à dénoncer une réalité politique, celle du sort tragique qui est réservé à certains demandeurs d’asile, en s’inspirant de l’affaire Semira Adamu, demandeuse d’asile décédée en 1998, à l’âge de 20 ans, étouffée par deux policiers qui tentaient de la neutraliser à l’aide d’un coussin, à l’aéroport de Zaventem, lors d’une expulsion forcée.

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§11. Le film français Welcome19 narre la rencontre improbable, dans la ville de Calais, entre Simon, un maître-nageur (Vincent Lindon), et Bilal (Firat Ayverdi), un migrant kurde, originaire d’Irak. Le cinéaste Philippe Lioret explore les implications morales de cette rencontre et propose une réflexion sur la criminalisation, en France, de l’aide aux personnes se trouvant en situation irrégulière, qu’on appelle aussi le « délit de solidarité ». Comme le rappelle Danièle Lochak20, cette expression a été popularisée en France, en 2003, lorsqu’a été diffusé le « manifeste des délinquants de la solidarité » qui pointait une « attitude de suspicion généralisée envers les étrangers » dans le chef des institutions étatiques. Ce manifeste dénonçait également la criminalisation de l’aide apportée aux étrangers « De plus en plus, ceux et celles qui défendent l’État de droit et la nécessité de l’hospitalité sont menacés de poursuites, quand ils ne sont pas mis en examen, par exemple pour avoir seulement hébergé gratuitement un étranger en situation irrégulière »21.

§12. L’article L 622-1 du Code français de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit en effet que : « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros ». Il est intéressant de noter que Welcome date de 2009 et qu’en 2012 une réforme législative est intervenue afin d’élargir les possibilités d’exemptions au principe énoncé par cette disposition légale. Suite à l’adoption de la loi du 31 décembre 2012, l’article L 622-4 a en effet été modifié afin de prévoir que l’aide au séjour irrégulier d’un étranger est licite « lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ». Le législateur français a ainsi opté pour une dépénalisation partielle de ce délit pour raisons « humanitaires ». Le film Welcome a donc été l’un des éléments d’un débat public, toujours en cours (et sur lequel je reviendrai d’ailleurs dans la suite de cette étude), sur la légitimité d’une criminalisation de l’aide apportée aux personnes sans titre de séjour.

§13. La figure du juge présentée dans Welcome est négative et quelque peu monolithique. Bilal est conduit devant son juge (Jean-Pol Brissart), accompagné par son avocate. S’il est amené devant le juge, c’est parce qu’il a tenté de « passer » au Royaume-Uni avec un groupe de migrants se trouvant dans sa situation. Le camion dans lequel ces derniers se trouvaient a toutefois été intercepté par les forces de police. Bilal n’est donc pas un candidat réfugié, car il ne souhaite pas s’installer en France. Et s’il est conduit devant un juge pénal, c’est bien sa situation administrative qui est placée au centre de la (courte) audience à laquelle nous assistons. Le juge adopte, à cette occasion, un discours assez agressif. La fonction diégétique de ce personnage est clairement de susciter une prise de distance dans le chef du spectateur vis-à-vis de l’institution elle-même. Le juge mis en scène ne souhaite pas « humaniser » la décision qu’il entend prendre à l’égard de l’étranger, de surcroît mineur d’âge, qui est amené devant lui au cours de cette audience :

Conformément aux dispositions relatives aux personnes issues de pays en guerre, vous échappez aux mesures de reconduite à la frontière. Mais il faut que vous sachiez qu’ici des mesures policières très strictes ont été prises pour inciter les gens comme vous à rentrer dans leur pays d’origine. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ? Puisque vous n’avez pas d’antécédents judiciaires, je ne vous place pas en rétention cette fois-ci, mais je vous préviens que je ne veux plus vous voir. Je ne sais pas ce qu’on vous a raconté chez vous, mais vous ne pourrez pas entrer en Angleterre, ça ne passe plus, c’est fini, il faut rentrer chez vous. Ça vous évitera de gros problèmes, compris?

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§14. Aucun des autres protagonistes qui assistent à la scène, qu’ils soient magistrats ou avocats, ne semble par ailleurs prêt à défendre une autre conception du rôle qui devrait être celui du juge en de telles circonstances. Certes, l’avocate de Bilal tente de rappeler que celui-ci, en sa qualité de mineur, pourrait être pris en charge dans un foyer d’accueil, s’il le souhaite. Le juge écarte d’un revers de la main une telle hypothèse, en rappelant que l’objectif poursuivi par le jeune Kurde est de traverser la frontière, non de demander l’asile en France.

§15. Dans le film Samba22 d’Éric Toledano et Olivier Nakache, on trouve également une représentation d’une juge (Catherine Davenier) en retrait, froide et distante, qui ne semble éprouver aucune empathie ni percevoir la dimension humaine de la situation à laquelle elle est confrontée. Comme souvent dans ce type de films, le relais est alors pris par le monde associatif, c’est-à-dire par la société civile, voire par la sphère intime dès lors qu’une romance surgit entre le candidat réfugié Samba (Omar Sy) et Alice, la travailleuse sociale qui l’accompagne dans ses démarches (Charlotte Gainsbourg). Cette comédie ne parvient cependant pas s’émanciper d’une vision figée et stéréotypée des rôles joués par les différents protagonistes en présence.

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§16. Une approche plus originale et stimulante peut être trouvée dans un film français presque contemporain : Cherchez Hortense23 de Pascal Bonitzer. Damien Hauer, le personnage central joué par Jean-Pierre Bacri, est un bourgeois un peu bougon, mais sympathique, spécialiste de civilisation chinoise. Sa femme (Kristin Scott Thomas) lui demande d’aider une jeune femme qui souhaite voir sa situation régularisée. Zorica (Isabelle Carré), de nationalité serbe, risque d’être expulsée du territoire français à tout moment suite à un divorce. Le père de Damien occupe en effet un poste important au Conseil d’État et, après quelques hésitations, Damien se décide à demander de l’aide à ce père dont il n’est pas très proche. Il lui rend visite au Conseil d’État, sur son lieu de travail. La caméra de Pascal Bonitzer nous invite à pénétrer dans le décor majestueux de la haute juridiction administrative. Lors de cette première entrevue, le père de Damien, Sébastien Hauer (Claude Rich), met en avant un « emploi du temps surhumain ». Il détourne ensuite la conversation de sorte que son fils ne peut lui expliquer la raison de sa visite. Sébastien Hauer ne fera que reporter et reporter encore cette entrevue avec son fils.

§17. Damien finit par se rebeller : agacé, il débarque au Conseil d’État, refuse de se soumettre aux contrôles de sécurité, interrompt son père qui était en pleine réunion. Ce dernier l’emmène par une porte dérobée, une sorte de passage secret dissimulé au sein de la bibliothèque du Conseil d’État. Et dans une magnifique salle d’audience, ils finissent par avoir cet entretien tant attendu. La symbolique de la porte dérobée est évocatrice : en faisant preuve d’entêtement, accéderait-on enfin aux coulisses du pouvoir ? Le père est en réalité impuissant, comme il l’avoue à son fils. Il ne peut rien faire pour aider cette Zorica. Et le personnage haut placé dans l’appareil d’État – un certain Henri Hortense (Philippe Duclos), ce qui explique le titre du film –, dont Damien espérait tant, s’avérera quant à lui peu disposé à lui venir en aide. La courte entrevue que Damien finira par obtenir auprès de lui n’aura qu’une conséquence : écorner encore un peu plus les représentations de l’autorité paternelle et de la nature des hommes de pouvoir qui étaient celles de Damien avant cette série d’aventures. La seule personne qui peut secourir Zorica, c’est finalement Damien lui-même, qui empêche son arrestation en provoquant des policiers qui sont sur le point de vérifier ses papiers, et ce afin de détourner leur attention. Défiant l’autorité de l’État après avoir défié celle de son père, Damien franchit par ce geste la frontière de classe qui le sépare de la jeune femme.

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§18. À côté d’une lecture politique – la majesté de la justice n’est qu’un paravent à son impuissance –, une lecture psychanalytique de cette intrigue peut être proposée : le fils se confronte au père et découvre qu’il n’est pas tout-puissant24. Sans qu’il soit nécessaire d’en dévoiler toutes les subtilités, on peut indiquer que ce film narre l’histoire d’une libération, celle qu’expérimente un fils vis-à-vis de la toute-puissance fantasmée de son père25. De la même manière, le passage d’une justice de majesté et mythifiée à une justice de proximité, suggérée par cette œuvre, fait signe vers une libération à l’égard d’un mythe tenace dans notre imaginaire collectif suivant lequel un droit et une justice infaillibles seraient à la portée des êtres humains26.

§19. Je signale enfin un film signé par le réalisateur finlandais Aki Kaurismäki : Le Havre27. Un personnage doit attirer l’attention en particulier, celui du policier joué par Jean-Pierre Daroussin, qui est une figure archétypale du policier zélé, serviteur de l’État, qui poursuit résolument sa mission de maintien de l’ordre, avant de décider de désobéir et de venir en aide à l’enfant migrant qu’il poursuivait auparavant avec acharnement. Il passe ainsi de L’Autre côté de l’espoir28, nom du film suivant réalisé par le réalisateur finlandais, lui aussi centré sur la question de la migration. Dans ce récit filmique, la rencontre de l’Autre est, pour l’autochtone, l’occasion d’une amélioration sur le plan moral, thématique que l’on retrouve dans l’ensemble des films cités ci-dessus – ainsi que dans d’autres réalisations qui abordent la figure du migrant sans mettre toutefois au centre de leur propos la question de la justice29.

§20. L’étude de cette filmographie fait ainsi apparaître une vision plutôt négative de la justice, cette série de cinéastes préférant valoriser les ressources qui peuvent être puisées par l’étranger en quête de reconnaissance dans la sphère privée ou intime. Si l’étranger reçoit de l’aide, elle provient de certaines personnes sensibilisées à sa situation. La justice reste quant à elle au mieux distante, froide et inaccessible, au pire une instance qui l’opprime et refuse de façon obstinée d’écouter ses revendications.

La criminalisation de l’altérité

§21. Si l’on considère cette autre catégorie de films, on peut dire que les cinéastes produisent des films à charge, développent une vision critique de la justice, mettent en évidence les préjugés sur lesquels les décisions de justice reposent en réalité, selon eux. On peut opérer une distinction entre, d’une part, des situations de ruptures du pouvoir, dans lesquelles un État autoritaire instrumentalise la justice pour atteindre des objectifs politiques et, d’autre part, des critiques du caractère orienté ou biaisé de la justice dans le cadre des États de droit démocratiques.

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§22. La première situation peut être illustrée par le film Section spéciale30 de Costa-Gavras qui se déroule dans la France de Vichy. En août 1941, un attentat est commis dans le métro parisien par des militants communistes. Un officier allemand est abattu sans que les coupables ne puissent être arrêtés. Le régime de Vichy décide alors de créer des juridictions spéciales chargées de réprimer la résistance communiste. La section spéciale parisienne, organisée en toute hâte, se voit ainsi confier une mission bien singulière : condamner six communistes faisant l’objet de poursuites pénales pour d’autres faits, afin d’envoyer un signal de fermeté et d’intransigeance et d’éviter des représailles de l’occupant allemand. Les personnes mises en jugement n’ont, en réalité, joué aucun rôle dans l’attentat du métro Barbès. Les dossiers sont sélectionnés de façon arbitraire et dans la précipitation, comme le montre par le menu Costa-Gavras dans son film, qui dénonce ainsi le caractère tout à la fois anticommuniste et antisémite de cette instrumentalisation de la justice.

§23. Lors de la première audience de la section spéciale de Paris, le régime de Vichy a prévu de condamner à mort six communistes. Les procès sont conduits à huis clos et de façon expéditive, en violation de certains des principes juridiques les plus essentiels du droit français. Finalement, trois condamnations à mort sont prononcées lors de la première session de la section spéciale.

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§24. Mais la stigmatisation de l’étranger peut également survenir dans le cadre d’une autre configuration politique, celle d’un État de droit démocratique. On constate que la critique de la justice prend alors souvent la forme d’une dénonciation d’une erreur judiciaire31. Dans un certain nombre de cas, une affaire réelle est portée à l’écran, l’erreur judiciaire étant alors soit avérée, soit simplement postulée, comme c’est le cas dans le film Omar m’a tuer32, inspiré de l’affaire Omar Raddad33. En 1991, Ghislaine Marchal est retrouvée morte dans sa maison. On accuse son jardinier marocain en raison d’une inscription retrouvée sur les lieux du crime, écrite avec le sang de la victime et contenant une faute d’orthographe. Omar Raddad – qui est incarné à l’écran par Sami Bouajila – est condamné, en 1994, à dix-huit ans de réclusion criminelle. Deux ans plus tard, il bénéficie d’une grâce partielle et s’emploie depuis à obtenir une révision de son procès, sans succès jusqu’à ce jour. Parmi les avocats de la défense figure le célèbre Jacques Vergès (Maurice Bénichou). Dans une scène qui figure au début du film de Roschdy Zem, l’avocat dresse un parallèle entre ce dossier et l’affaire Dreyfus : « Il y a cent ans, on condamnait un jeune officier qui avait le tort d’être juif, aujourd’hui, on condamne un jardiner parce qu’il a le tort d’être maghrébin »34.

§25. Toujours dans le cadre de ces films qui relatent une erreur judiciaire, ou plutôt, dans ce cas, une controverse judiciaire, une œuvre sur laquelle il convient de s’arrêter plus longuement, car elle s’avère centrale dans le cadre d’une réflexion sur la justice de classe, est le film Sacco et Vanzetti35. Dans cette affaire coïncident une lutte politique d’inspiration anarchiste, et sa répression, et ce que j’ai nommé plus haut une criminalisation de l’altérité. Un premier extrait souligne le caractère injuste et même révoltant du procès de Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, tel qu’il a été porté à l’écran par Giuliano Montaldo en 1971.

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§26. Dans une scène, est notamment mise en évidence la question de l’absence de patriotisme des accusés. Durant la Première Guerre mondiale, Sacco (Riccardo Cucciolla) et Vanzetti (Gian Maria Volontè), se sont en effet enfuis au Mexique au moment de l’entrée en guerre officielle des États-Unis aux côtés de la Triple-Entente, en 1917. Ce comportement leur est reproché durant le procès, en particulier par le procureur (Frederick Katzmann, joué par Cyril Cusack). En outre, l’avocat de la défense (Fred Moore, incarné par Milo O’Shea) insiste sur la lutte que l’État mène à travers ce procès non seulement contre le mouvement anarchiste, mais aussi contre certaines catégories d’immigrés36. L’interrogatoire de Vanzetti auquel se livre le procureur est à cet égard particulièrement évocateur :

Vanzetti : Les anarchistes aspirent à un monde sans frontières.

Le procureur : Je vois.

Vanzetti : On est objecteurs de conscience.

Le procureur : Aimez-vous le gouvernement des États-Unis ?

Vanzetti : Je ne l’aime pas.

Le procureur : Alors vous lancez des bombes contre les ministres, les banquiers, l’État ?

Vanzetti : Je n’ai jamais lancé de bombes ni tiré sur personne.

Le procureur : Vous ne lancez pas de bombes… Vous ne croyez pas aux bombes ?

Vanzetti : Je crois à l’anarchie.

Le procureur : Mais à quel type d’anarchie croyez-vous donc ? Expliquez-le à la cour.

Vanzetti : L’anarchie, c’est la liberté, l’abolition des classes sociales, le respect d’autrui… Voilà ce qui compte dans la vie. Et j’essaie de vivre en accord avec ces principes.

§27. Tandis que Bartolomeo Vanzetti explique au procureur le sens profond de ses convictions anarchistes, l’accusation distribue des photographies aux jurés, qui dépeignent les conséquences d’un attentat anarchiste à la voiture piégée. Ceci suscite la colère de l’avocat de la défense qui dénonce l’instrumentalisation du procès par le procureur ainsi que le non-respect des balises procédurales qui avaient été fixées pour celui-ci. Par la suite, le procureur insiste sur le manque de fiabilité des témoins de la défense. Ce sont des immigrés italiens et, à ce titre, ils ne sont pas dignes de confiance, affirme-t-il en substance. La violence symbolique véhiculée dans cette scène est particulièrement frappante.

§28. La partialité du juge (Webster Thayer, incarné par Geoffrey Keen) dans cette affaire est ici tout à fait claire et il s’agit d’ailleurs d’un fait bien documenté. L’impartialité tant du juge que du jury dans ce procès a en effet été remise en cause. Ces deux hommes ont ainsi été jugés plus en raison de leur appartenance à une catégorie politique et ethnique, qu’en raison des faits qu’ils avaient prétendument commis. Ce film doit assurément être replacé dans le contexte du cinéma italien engagé des années 1970. En cette période de luttes d’émancipation politique et sociale, la résonance du symbole Sacco et Vanzetti est évidente et elle ressort également de manière non seulement éclairante, mais aussi poétique de la bande originale signée par deux grands noms de la musique populaire : Joan Baez et Ennio Morricone.

§29. Un extrait du texte issu de cette bande originale noue d’ailleurs de manière particulièrement nette différents thèmes, à savoir la question du droit et de la justice, celle de la lutte entre classes sociales, celle enfin des préjugés qui frappent certains groupes ethniques, Sacco et Vanzetti appartenant en l’occurrence à l’une des catégories les plus stigmatisées aux États-Unis durant les années 1920 :

And now I’ll tell you what’s against us

An art that’s lived for centuries

Go through the years and you will find

What’s blackened all of history

Against us is the law

With its immensity of strength and power

Against us is the law!

Police know how to make a man

A guilty or an innocent

Against us is the power of police!

The shameless lies that men have told

Will ever more be paid in gold

Against us is the power of the gold!

Against us is the racial hatred

And the simple fact that we’re poor37.

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§30. L’erreur judiciaire peut aussi être totalement fictionnelle. Dans cette catégorie, on peut s’arrêter sur un film signé par un cinéaste dont il sera encore question dans cette étude : Lars von Trier. Dancer in the Dark38 – dont la bande originale a aussi fait date39 – raconte l’histoire de Selma (Björk), une femme tchécoslovaque réfugiée aux États-Unis. Elle souffre d’une maladie qui la rend progressivement aveugle, ce qui ne l’empêche pas de travailler courageusement à la chaîne dans une usine. Dans des circonstances qu’il serait difficile de résumer, cette femme est accusée d’un crime qu’elle n’a pas commis, en tout cas pour lequel elle devrait être légalement excusée. Elle est condamnée à mort après un procès mené devant un jury populaire, dont je propose ci-dessous un extrait particulièrement illustratif du processus de stigmatisation de l’étranger dont le système judiciaire peut se faire le vecteur. Pour comprendre cette scène, il faut savoir que l’innocence de Selma ne fait aux yeux du spectateur aucun doute. Selma est une victime absolue, c’est elle qui a été l’objet d’un vol et d’une tentative de chantage de la part d’une personne, un policier, l’un de ses voisins et amis (Bill, joué par David Morse), qu’elle a fini par tuer de façon accidentelle. Le représentant du procureur (incarné par Željko Ivanek) la dépeint pourtant au jury sous un angle bien différent.

§31. Les stéréotypes habituels qui sont accolés à la figure de l’étranger ou de l’étrangère – Selma étant à la fois femme et étrangère –, sont ici instrumentalisés dans le cadre d’une procédure judiciaire. La critique de la justice est portée à son point d’incandescence, Lars von Trier ne nous épargnant dans ce film aucun des aspects, y compris les plus pathétiques, de la chute de son héroïne.

Hommages rendus à la justice

§32. J’aborde à présent diverses réalisations dans lesquelles sont mises en évidence, en quelque sorte à rebours de ce qui est souligné dans les œuvres précédemment évoquées, les capacités de l’espace judiciaire à incarner un espace de reconnaissance.

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§33. Le récit au centre de La Neige tombait sur les cèdres40 met en lumière la stigmatisation de la population d’origine japonaise pendant et après la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis41. À partir du 7 décembre 1941, à la suite de l’attaque de Pearl Harbour et de l’entrée en guerre des États-Unis, les immigrés japonais présents sur le sol américain ont été, pendant la durée des hostilités, placés dans des camps de détention et soumis à un régime juridique dérogatoire du droit commun. L’intrigue du film se déroule en 1950. Sur une île du nord-ouest des États-Unis, un Américain d’origine japonaise est accusé du meurtre d’un pêcheur qui aurait refusé de lui vendre une terre. Lors du procès qui lui est fait, le dossier de l’accusation étant assez fragile, le procureur insiste lourdement sur l’origine de l’accusé ; s’adressant au jury, il dit : « Regardez-le dans les yeux. Examinez son visage. Et demandez-vous, chacun de vous : “quel est mon devoir de citoyen de cette île ? De ce pays ? D’Américain ?” ». Aux insinuations racistes du procureur, l’avocat de la défense, incarné par Max von Sydow, oppose un plaidoyer centré sur une dénonciation des préjugés.

§34. Une autre représentation intéressante de la justice peut être trouvée dans le film Droit de passage42. Une magistrate (incarnée par Maree Cheatham) est ici présentée comme une interlocutrice politique et symbolique de premier ordre, car elle est chargée du bon déroulement de la prestation de serment des nouveaux citoyens. Il s’agit alors de rappeler aux citoyens non seulement les droits, mais aussi les devoirs et les responsabilités qui s’attachent à ce nouveau statut, tout en affirmant la vocation historique des États-Unis à être une terre d’accueil. Une musique solennelle vient par ailleurs souligner la dimension hautement symbolique de ce rite de passage au cours duquel le pouvoir judiciaire est invité à jouer le premier rôle :

« Bonjour à tous. Mon nom est Leslie Freeman, de la cour fédérale de district. J’ai le grand plaisir de vous accueillir aujourd’hui. Vous, qui êtes assis ici, avez une chose en commun : vous avez choisi de votre propre chef de devenir citoyens de cette grande nation. Pour nombre d’entre vous, la route pour atteindre ce bonheur a été semée d’embûches. Il m’incombe de vous rappeler vos nouvelles responsabilités de citoyens et aussi, que la citoyenneté américaine ne garantit pas la réussite, mais est plutôt la promesse d’innombrables chances. J’ai toujours soutenu que l’Amérique était une nation d’accueil, un pays qui accepte tout nouveau citoyen empreint de bonne foi. Vous pourrez indéfiniment poursuivre vos rêves tant que vous obéirez aux règles de notre société ».

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§35. Ces films, dans lesquels le potentiel de l’espace judiciaire comme espace de reconnaissance est reconnu, sont beaucoup moins nombreux que ceux que j’ai qualifiés de « critiques ». Il s’agit en outre de films américains. L’explication est sans doute à chercher du côté de la valorisation du juge et du système judiciaire dans la culture juridique de common law, et en particulier américaine43. Dans Droit de passage, la représentation positive de la juge chargée du bon déroulement de la séance de prestation de serment des nouveaux citoyens a ainsi partie liée avec l’attachement voire le culte que suscite la Constitution auprès d’une large partie de la population états-unienne. Concernant La Neige tombait sur les cèdres, il est clair que la question de la moralité s’avère centrale, au sens d’un ensemble de valeurs et de principes démocratiques que le juge et le jury doivent reconnaître et incarner. À cet égard, ce film ne se distingue pas des nombreux films de prétoire américains qui valorisent le potentiel non seulement démocratique, mais aussi éthique de l’organisation populaire de la justice aux États-Unis. Je songe ici aux œuvres qui mettent en évidence les aptitudes de la procédure accusatoire à l’américaine à faire éclater la vérité et à faire triompher la justice44.

  1. ou encore dans Du silence et des ombres (Robert Mulligan, To Kill a Mockingbird, États-Unis, 1962).

Représentations allégoriques de l’altérité à l’écran

§36. Les films qui ont été analysés jusqu’ici renvoient à des représentations réalistes de l’altérité à l’écran (qui empruntent d’ailleurs souvent leurs codes esthétiques au genre documentaire) et qui visent à mettre en évidence le potentiel tantôt oppressif, tantôt inclusif du système judiciaire. Dans certains films, la question de l’altérité est en revanche abordée de manière plus allégorique. Un espace de pensée est alors offert au spectateur au sein duquel de nouvelles questions peuvent émerger. Plutôt qu’une illustration des préjugés dont sont victimes les étrangers, ces réalisations entendent proposer une réflexion sur les dimensions existentielles de cette situation. Plutôt qu’une thèse à laquelle il conviendrait d’adhérer, ces expériences cinématographiques invitent davantage à un libre questionnement sur les notions d’étranger, de frontière, de communauté politique. Suivant quelles modalités l’étranger peut-il être dépeint, dans une organisation politique donnée, comme un élément perturbateur, voire comme un bouc émissaire45 ? Quel est le rôle que la justice est susceptible de jouer à cet égard ? Quelles sont les conséquences sur la condition politique de l’étranger de l’absence du juge, considéré en tant qu’acteur institutionnel établi dans une position de tiers ?

Quand l’étranger devient un bouc émissaire : que fait le juge ?

§37. Dans le cinéma français, le juge est traditionnellement un personnage qui se fond dans une institution et qui assume sa fonction de façon relativement désincarnée, contrairement au juge américain, par exemple. La fonction de juger est en effet aux États-Unis davantage personnifiée, ce dont rend admirablement compte le cinéma : il n’est pas rare que, dans un film ou une série américains, le juge s’exclame : « cela ne se passera pas comme ça dans mon tribunal ! »46. En revanche, dans les films français qui décrivent les rouages de la justice, le personnage du juge est, en règle générale, secondaire et passif. Les scénaristes ne lui attribuent pas une véritable épaisseur psychologique, mais préfèrent le présenter de façon monolithique : le juge, presque toujours incarné par un homme47, y est généralement froid, sévère, parfois hautain voire condescendant vis-à-vis des justiciables qui sont conduits devant lui ; il conserve ses distances vis-à-vis de ces derniers. Le juge se pose clairement en gardien de l’ordre établi et de la morale publique. Cette représentation de la figure du juge, que l’on retrouve très régulièrement au cinéma, je propose de la nommer : gardien du temple48. Elle correspond à un juge qui s’érige en conservateur jaloux du temple de la Justice, en défenseur des valeurs sociales élémentaires sur lesquelles repose l’ordre politique et juridique de l’État49.

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§38. Si l’on essaie d’avoir une vue panoramique du cinéma français – ou d’expression francophone – depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on s’aperçoit que cette figure y est récurrente50. Un exemple contemporain peut être puisé dans le film d’animation Ernest et Célestine51. La thématique centrale de ce métrage n’est pas tant la question de la justice que celle de l’altérité. Cette problématique n’y est en outre pas abordée de façon réaliste, mais allégorique. Ernest, un ours, et Célestine, une souris, évoluent dans deux mondes séparés de façon étanche, et que tout oppose : le monde des ours se situe en haut, en surface, et celui des souris en bas, dans un univers souterrain. L’amitié qui se noue entre les deux héros, marginaux chacun à leur manière, a ainsi pour effet de bouleverser l’ordre établi dans chacune de ces deux sociétés.

§39. Ernest et Célestine sont tous deux mis en jugement, de façon simultanée, Ernest dans le palais de justice se trouvant en bas (chez les souris) et Célestine dans le palais de justice situé en surface (chez les ours). Des séquences courtes se déroulant dans l’un et l’autre de ces tribunaux sont proposées au spectateur, de façon alternée, ce qui accentue un jeu de miroir que viennent souligner les dialogues truculents de Daniel Pennac.

§40. S’exprime ici une critique de la justice et de l’ordre établi sur lequel elle repose. Toutefois, comme on l’observe également dans cet extrait, la situation, dans son extrémité même, permet un retour des deux juges à une position d’ouverture (et non de fermeture) quant à la question de l’altérité. Le tribunal des souris prend feu, l’incendie se propage au tribunal des ours, un étage plus haut. Ce sont les accusés eux-mêmes qui viennent au secours des juges et qui, de cette façon, font brusquement voler en éclats les préjugés dont ils avaient été les cibles. La relation entre l’ours Ernest et la souris Célestine est finalement acceptée par l’autorité politique. L’incendie peut être interprété comme une métaphore de la destruction des institutions publiques dès lors qu’elles en viennent à renier leur portée démocratique.

§41. Ce renversement de situation mis à part, la représentation de la justice et du juge qui est véhiculée dans cette œuvre est assez négative : les juges sont les gardiens d’un ordre, ce qui explique leur rigidité, leur impatience dès lors qu’ils sont confrontés à des comportements marginaux, ou à tout le moins inhabituels, leur conservatisme. Il est également intéressant de remarquer qu’au cours de ces deux procès parallèles, les fonctions d’accusation et de jugement ont fusionné, ce qui est d’ailleurs l’une des marques de la justice quand elle est rendue dans un régime autoritaire52 : le juge est à la fois le représentant de la société et le tiers investi de la mission de trancher un différend. La critique de la justice est enfin ici générale, elle vise l’ensemble des protagonistes du procès : magistrats, mais également avocats et jury populaire, ainsi que le public qui, par sa seule présence, rend possible le spectacle de la justice ou son instrumentalisation.

Quand l’étranger devient un bouc émissaire : où est le juge ?

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§42. Dans Dogville53, le cinéaste danois Lars von Trier, déjà évoqué plus haut, propose une approche allégorique de la figure de l’étranger qui prend la forme d’une expérimentation politique54. Grace, incarnée par Nicole Kidman, est poursuivie par une bande de gangsters. Elle parvient à se réfugier à Dogville, petite ville américaine située dans les Montagnes Rocheuses, où elle rencontre Tom Edison (Paul Bettany), un écrivain en devenir, qui décide de la prendre sous son aile. Tom propose aux habitants du village de l’accueillir et espère ainsi leur démontrer les vertus de l’hospitalité et de l’ouverture. Au départ, les choses se passent plutôt bien : Grace travaille pour les habitants de la ville et conquiert progressivement leur confiance. Cependant, l’hospitalité qui lui est accordée reste toujours liée à l’engagement qui est le sien d’accomplir certaines tâches ménagères et éducatives.

§43. L’originalité de ce film sur le plan formel mérite d’être soulignée, car elle est indissociable de sa dimension politique55. Le dispositif scénique de Dogville est en effet particulier : les délimitations qui structurent la ville et ses habitants – murs, clôtures, routes – sont représentées au moyen de marques au sol et d’inscriptions, ce qui permet au spectateur d’accéder à une vue tantôt panoramique, tantôt transversale de l’action, dans tous les cas panoptique56. L’objectif de ce dispositif est notamment de disséquer la manière dont une personne étrangère à une communauté y est accueillie.

§44. Comme on l’observe déjà dans cet extrait, la situation de Grace, qu’on peut suivre dans ses diverses tâches et activités, se détériore rapidement. Le spectateur est de plus en plus convaincu qu’elle n’est pas considérée comme une citoyenne comme les autres. Lars von Trier propose de pousser cette idée jusqu’à ses ultimes conséquences logiques. Grace est victime de diverses vexations, puis de sévices particulièrement graves, notamment de plusieurs viols. On lui attribue des mauvaises actions qu’elle n’a pas commises. Elle finit par devenir l’esclave de cette communauté : chaque citoyen ou presque cherche à abuser d’elle, à exploiter sa situation de vulnérabilité. Le symbole le plus éclatant de cet asservissement est un collier que les habitants de Dogville finissent par poser autour de son cou, qui étant relié à une lourde roue en métal, fait obstacle à sa fuite au-delà des frontières de la ville.

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§45. Au cours d’une réunion du conseil du village organisée par Tom, Grace dénonce les sévices dont elle est la victime de plus en plus désespérée. Les villageois se défendent : ils estiment que les allégations de Grace renvoient à de purs et simples mensonges. Proposant une version inversée de la simple vérité factuelle – comme le représentant du procureur dans Dancer in the Dark –, les habitants de Dogville affirment que c’est précisément l’arrivée d’une étrangère dans la communauté qui a amené en son sein la discorde.

§46. C’est finalement la victime elle-même, Grace, qui brandit un glaive vengeur. Si elle a cherché refuge dans cette petite ville, c’était parce qu’elle était poursuivie par une bande de gangsters. Tom, au moment d’abandonner Grace à son sort et de la livrer aux bandits qui la recherchent avec assiduité, découvre ainsi avec surprise que la jeune femme est la fille du chef de cette bande criminelle. C’est à ce titre qu’elle est recherchée par ceux-ci avec tant d’ardeur et depuis si longtemps. Grace, après une conversation aux allures de mise en abîme philosophique avec son père (incarné par James Caan) sur le sens de la morale, de la justice et de la responsabilité humaines, se réconcilie avec ce dernier, ce qui la conduit à exercer sa vengeance : la ville est incendiée et ses habitants assassinés. Seul survit le chien Moïse.

§47. Au moyen de ce récit filmique, Lars von Trier souhaite mettre en lumière, avec les moyens qui sont ceux du cinéma, les conséquences qui peuvent découler d’un communautarisme exacerbé57. Voici ce que le réalisateur a pu affirmer à ce sujet. À cette époque, des débats ont lieu dans son pays, le Danemark, sur la thématique de l'immigration. Des personnalités politiques, soutenues par une partie de la population, expriment des vues conservatrices à ce sujet et réclament un durcissement de la politique migratoire :

« Je pense que c’est honteux, d’autant plus que nous sommes l’un des pays les plus riches du monde. C’est méprisable. Le libéralisme dont ils sont tous si fiers est basé sur la liberté de se déplacer où les opportunités existent. Lorsque les pauvres du monde voient comment nous vivons, il est peu surprenant qu’ils essaient de se rendre ici, c’est seulement la nature humaine. Je pense qu’il est très dangereux d’essayer de résoudre ces problèmes simplement en traçant des frontières. C’est immoral et stupide. Bien sûr, les problèmes deviennent de plus en plus gros et, enfin, il y a une éruption. Ces problèmes doivent être abordés de façon humanitaire, c’est le seul moyen. [Lars von Trier, qui est devenu profondément engagé dans la discussion, fait une courte pause.] Oui, c’était politiquement correct ![^58] ».

§48. Dogville constitue ainsi un laboratoire politique dans lequel des expériences sur les interactions humaines sont menées58. Au sein de ce dispositif, Grace renvoie à une figure radicale de l’exclusion politique et c’est à partir de l’expérience qui est la sienne que Lars von Trier propose de poser la question de l’hospitalité59. Il s’agit aussi d’interroger, en quelque sorte par contraste, la notion même de droits humains. Ce qui est dénié à Grace, c’est son droit le plus élémentaire à l’inclusion politique, qu’Arendt a nommé, dans l’un de ses textes les plus célèbres60, le « droit d’avoir des droit »61, c’est-à-dire ce droit d’être admis dans une collectivité politique déterminée, de ne jamais dépendre de l’abstraite nudité d’un être humain et rien qu’humain. La situation dans laquelle Grace est plongée, à l’instar des réfugiés et plus généralement des migrants, dès lors qu’ils demeurent aux marges de la légalité, est une situation existentielle radicale qui s’apparente à une sortie hors des frontières de l’humanité.

§49. Une autre question que Dogville permet de poser à nouveaux frais est celle du juge, considérée non à partir de sa manifestation phénoménale, mais à partir de son absence même. Dans le dispositif que met en place Lars Von Trier, est en effet frappante l’absence, à tout le moins à première vue, d’un acteur institutionnel incontournable au sein de nos États de droit : le juge. Si Dogville ressemble à une ville ordinaire, une loi supérieure semble pourtant y régner en maître. Selon celle-ci, préséance sera toujours accordée, contre tout autre droit ou intérêt, à la défense de l’intérêt supérieur de la communauté et de ses habitants. Cette loi suprême explique que les nombreuses violations des droits humains les plus élémentaires commises à l’encontre de Grace ne semblent même pas être perçues en tant que telles par ceux qui s’en rendent coupables. À partir du moment où est refusé à Grace son droit d’avoir des droits, lui est automatiquement refusé tout accès à la communauté humaine, tout comme les migrants, dans nos sociétés contemporaines, sont rejetés aux marges de la société.

§50. Qui est le juge dans Dogville ? Cela a été noté, c’est finalement la victime elle-même, Grace, qui prend position en faveur d’une solution radicale, littéralement génocidaire : l’élimination physique de l’ensemble des habitants de Dogville, sans distinction ni mesure. N’y a-t-il pas place ici, en filigrane, pour un appel au juge, un juge qui aurait été rétabli dans sa condition de tiers, chargé tout à la fois de séparer les protagonistes d’un différend et de les rassembler62 ? Un juge qui assumerait sa fonction éminente d’opérateur de reconnaissance au sein de la Cité63 ? L’œuvre exigeante que constitue Dogville ne se ramène-t-elle pas, finalement, à une parabole sur les conséquences politiques de l’absence du juge ? La question d’un tiers pouvoir64 tenu de réguler l’espace d’interaction entre les êtres humains constitue assurément l’une des thématiques que ce film invite à interroger. Seul un tiers indépendant et impartial pourrait écouter la plainte de cette « sans-part »65 absolue qu’incarne Grace, évaluer la légitimité de son appel et faire obstacle à une régression vers des procédés aussi brutaux que la vengeance ou même le rite sacrificiel66.

§51. Ce film extrêmement riche nous met également sur la voie d’une réflexion sur le sens politique de la notion d’étranger. L’étranger n’est pas uniquement celui qui se situe au-delà d’un certain nombre de frontières instituées matériellement ou symboliquement. Bien que nous ayons du mal à percevoir une telle évidence, les étrangers sont également ceux qui naissent sans cesse au sein de la communauté elle-même. Les générations ne sont ainsi pas uniquement amenées à se succéder dans le temps (perspective diachronique), mais aussi à cohabiter (perspective synchronique)67. Nous naissons étrangers au monde. Nous nous y humanisons parce que nous y sommes accueillis et que nous y prenons notre place singulière.

Conclusion

§52. Une clé théorique pour aborder cette thématique, telle que les cinéastes nous invitent à la penser, est la notion d’hospitalité. Aujourd’hui, celle-ci est en crise et une authentique conception politique de l’hospitalité reste très largement à inventer. Ce qui est frappant quand on se tourne vers le cinéma, c’est l’importance qu’acquiert la dimension individuelle de l’hospitalité, cette dernière étant censée pallier une carence de l’État, une défaillance dans la gestion collective de l’accueil des nouveaux arrivants, carence qui se double parfois d’une franche hostilité à l’égard des étrangers dont témoignent l’État, ses organes et une partie de la population à l’égard des étrangers. Le cinéma s’est depuis longtemps emparé de cette question.

§53. Une telle situation fait bien sûr écho à notre réalité, qu’elle soit politique, législative ou encore judiciaire. Concernant la sphère judiciaire, l’actualité du « délit de solidarité » peut être notée, avec la saga judiciaire dans laquelle a été engagé le militant Cédric Herrou68. Ce dernier a déjà été arrêté à onze reprises pour être venu en aide à des migrants. Il a été condamné par le tribunal correctionnel de Nice en mars 2017 à une peine de 3 000 € d’amende avec sursis pour avoir pris en charge des migrants sur le territoire italien et les avoir amenés en France. À l’issue de ce procès en première instance, Cédric Herrou a été relaxé des autres charges pesant contre lui. Le parquet avait requis à son encontre huit mois de prison avec sursis. Le militant a annoncé qu’il n’entendait pas mettre fin à son combat. Il a notamment déclaré que si l’État avait mis en place des frontières, il s’abstenait de gérer les conséquences qu’une telle fermeture du territoire impliquait sur le plan humanitaire. Si, en août 2017, la peine de Cédric Herrou a été alourdie par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui l’a condamné à quatre mois de prison avec sursis, cette décision n’a pas mis fin à son parcours judiciaire. À la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel, à la demande de Cédric Herrou et de Pierre-Alain Mannoni, un autre citoyen se trouvant dans une situation comparable, la haute juridiction constitutionnelle a été amenée à consacrer sur le plan juridique le principe de fraternité, à savoir l’un des éléments de la devise nationale française69. Cédric Herrou, par son action, a ainsi « vu son nom entrer dans l’histoire du droit public »70, contribuant ainsi à la mise en cause du « délit de solidarité » tel qu’il a été évoqué plus haut71. Suite à la décision du Conseil constitutionnel, l’activiste français a été rejugé par la cour d’appel de Lyon, qui a appliqué la nouvelle réforme mise en œuvre par le législateur français afin de répondre à l’invitation lancée par le Conseil constitutionnel de concilier le principe de fraternité et celui de sauvegarde de l’ordre public, tous deux de valeur constitutionnelle. Concernant les infractions qui lui étaient reprochées en lien avec l’aide apportée aux migrants, Cédric Herrou a été relaxé (il a par ailleurs été dispensé de peine pour des faits d’occupation d’un terrain appartenant à autrui, en l’espèce une colonie désaffectée de la SNCF, la Société nationale des chemins de fer français).

§54. Cette affaire fait écho à celle des hébergeurs de migrants en Belgique72. Ces personnes, parmi lesquelles figurent deux journalistes, ont été mises en cause par la justice et accusées d’avoir facilité des activités liées à un trafic d’êtres humains. Il leur était notamment reproché d’avoir accueilli chez elles des migrants organisant des transferts vers le Royaume-Uni et d’avoir mis à leur disposition un téléphone, un ordinateur ou encore une carte routière73. Les quatre personnes poursuivies ont été acquittées par le tribunal de première instance de Bruxelles le 12 décembre 201974. Le parquet a fait appel de cette décision. Le 26 mai 2021, la cour d’appel de Bruxelles a acquitté les quatre personnes qui avaient hébergé à leur domicile des migrants et a, par ailleurs, prononcé des peines allégées à l’encontre des migrants mis en cause en raison de l’aide qu’ils avaient apportée à d’autres migrants qui souhaitaient se rendre au Royaume-Uni .

§55. De tels procès permettent de relier un ou plusieurs cas individuels à un combat politique et donc collectif. Dans le procès de Nice, il est intéressant de noter que le procureur a précisément reproché à Cédric Herrou d’utiliser le prétoire comme une tribune politique. Une telle remarque est quelque peu surprenante dès lors que tel est précisément l’objectif que poursuivent ceux qui pratiquent la désobéissance civile : utiliser le forum judiciaire pour faire entendre une voix discordante et contestataire dans l’espace public75. La désobéissance civile revient en effet à violer le droit au nom des principes mêmes qui se situent au fondement de celui-ci76. Si l’invisibilité sociale est la condition de certaines catégories d’étrangers, en raison d’institutions créées ou de décisions prises par les pouvoirs publics (pensons à la création des centres fermés ou aux multiples opérations dites de démantèlement de ce qu’on nomme la « jungle » de Calais), le retentissement médiatique de telles affaires est une manière d’attirer à nouveau l’attention de l’opinion publique tant sur une question touchant à l’intérêt général que sur des destins singuliers.

§56. D’une certaine manière, c’est ce que permet également le cinéma, car il donne chair, au moyen de divers récits filmiques, aux questions liées de l’accueil, de l’hospitalité, de la reconnaissance de l’autre et de l’inclusion politique. Il peut le faire au moyen d’œuvres qui offrent une plongée dans la réalité ou, plus exactement, dans une certaine représentation de la réalité. L’exemple du film Welcome constitue à cet égard une indéniable réussite, à la fois succès public77 et œuvre mobilisée par des spécialistes inscrits dans diverses disciplines pour illustrer des réflexions plus théoriques relatives à la notion d’hospitalité78. Dans l’espace public français, ce film a ainsi contribué à éclairer le débat alors en cours sur le « délit de solidarité » ainsi que, plus généralement, la situation existentielle des sans-papiers – sans tomber dans le travers courant qui consiste à essentialiser leur vulnérabilité, les personnes migrantes étant alors assignées au groupe dont elles sont issues plutôt que considérées en tant qu’individus à part entière. Welcome ne fait cependant pas de la rencontre entre le migrant et son juge sa thématique centrale. Et si la justice est représentée dans ce film, elle l’est par référence à une vision quelque peu stéréotypée : le juge y apparaît furtivement et s’avère froid, insensible, distant. Une telle représentation est dominante dans le paysage cinématographique contemporain, même si certains films s’intéresse au rôle que peuvent potentiellement jouer les enceintes judiciaires dans le parcours de reconnaissance de la personne étrangère ou d’origine étrangère.

§57. Certains récits filmiques abordent quant à eux de façon plus allégorique la condition de migrant ou d’étranger. Ernest et Célestine joue ainsi avec les imaginaires, tout en rapprochant les générations dans une interrogation commune. Avec habileté, les cinéastes mettent en lumière une représentation idéal-typique de la justice, figurée par le juge gardien du temple, pour mieux la questionner. À partir d’un film inscrit dans un registre cinématographique on ne peut plus éloigné, Dogville de Lars von Trier, j’ai tenté de montrer comment une réflexion sur les notions liées d’hospitalité, d’inclusion politique et de droits humains pouvait être initiée avec profit. À partir de mon interprétation de cette œuvre, la question du rôle du juge au sein de la Cité a également pu être posée. Est en effet frappante, dans le dispositif filmique mis en place par le cinéaste danois, l’absence d’un juge qui pourrait jouer son rôle de tiers, prendre en charge le conflit qui émerge entre les personnages, le structurer en un différend susceptible d’être appréhendé politiquement. Dogville s’apparente ainsi à une parabole qui évoque non seulement le problème de l’hospitalité à partir d’une situation existentielle concrète et extrême, mais aussi les conséquences politiques et sociales de l’absence du juge. Le juge, plutôt qu’un oppresseur en puissance, pourrait-il se faire le garant d’un monde commun ?


  1. Gastaut Y., « Cinéma de l’exclusion, cinéma de l’intégration. Les représentations de l’immigré dans les films français (1970-1990) », in Hommes et Migrations, Vol. 1231, 2001, pp. 54-66 ; Savarase É., « Réinventer l’Autre : le corps des Maghrébins dans le cinéma français de 1962 à nos jours », Hermès, Vol. 30, n° 2, 2001, pp. 177-185 ; Türkmen C., « L’évolution de la représentation des migrants au cinéma et dans les séries télévisuelles », in Hommes et Migrations [En ligne], Vol. 1277, 2009, mis en ligne le 29 mai 2013, consulté le 1er novembre 2020 in [http://journals.openedition.org/hommesmigrations/175] ; Mijailovic S, « Les représentations des couples franco-étrangers dans le cinéma français : des années 1990 à nos jours », Diversité urbaine, Vol. 13, n° 2, 2013, pp. 49–65 ; Bou Hachem, A. ; « Les étrangers dans la fiction française : regards sociologiques », Sociétés, Vol. 96, n° 2, 2007, pp. 29-39. 

  2. Voy. notamment Épinoux E., Lefebve V. et Flores-Lonjou M. (dir.), Frontière(s) au cinema, Paris, Mare & Martin, coll. « Droit & cinéma », 2019. 

  3. Gastaut Y., « Cinéma de l’exclusion, cinéma de l’intégration. Les représentations de l’immigré dans les films français (1970-1990) », op. cit., pp. 54, 62 et 66. 

  4. Par exemple, la figure de l’étranger est souvent présente dans les films qui abordent des thématiques comme le terrorisme. Pensons également au cas du touriste qui se livre à des activités illicites et qui est lourdement sanctionné, comme dans Midnight Express d’Alan Parker (États-Unis/Royaume-Uni, 1978). La situation spécifique des crimes contre l’humanité peut enfin être évoquée : Adolf Eichmann, de nationalité allemande, comparaît par exemple devant un tribunal israélien dans le film Hannah Arendt de Margarethe von Trotta (Allemagne/France, 2013). 

  5. Rancière J., La fable cinématographique, Paris, Seuil, 2001. 

  6. Gastaut Y., « Cinéma de l’exclusion, cinéma de l’intégration. Les représentations de l’immigré dans les films français (1970-1990) », op. cit., pp. 55-57. 

  7. L’immigré est alors souvent présenté sous un jour négatif : il est « celui qui trouble l’ordre, celui dont il faut se méfier, susceptible de détruire la cohésion sociale et de porter atteinte à la nation », ibid., p. 61. 

  8. Bob Swaim, France, 1982. Quelque peu oublié aujourd’hui, ce long-métrage a obtenu le César du meilleur film en 1983. 

  9. Claude Berri, France, 1983. 

  10. Claude Zidi, France, 1984. Le film reçoit trois César dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur. 

  11. Claude Zidi, France,1990. 

  12. France, 2014. Le critique belge Hubert Heyrendt a pu qualifier Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? de « comédie qui tombe à pic dans la France […] des manifs contre le mariage pour tous, de la montée du Front national et, plus généralement, de la libération de la parole raciste ». Il indique également que le visionnage de ce film laisse « un petit arrière-goût désagréable, celui d’une comédie paternaliste rétrograde qui, malgré sa morale de boy-scout, ne fait peut-être malheureusement que renforcer les stéréotypes… » (« “Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu” : Rire du racisme ordinaire », La Libre Belgique, 16 avril 2014, consulté le 1er novembre 2020 in [https://www.lalibre.be/culture/cinema/qu-est-ce-qu-on-a-fait-au-bon-dieu-rire-du-racisme-ordinaire-534be7bf3570aae038b701a9]). 

  13. France, 2016. 

  14. Belgique/France, 2017. Le petit arrière-goût désagréable repéré par Hubert Heyrendt dans les précédentes réalisations de Philippe de Chauveron s’est alors, selon le critique de cinéma, radicalement accentué : « "Dégueulasse!" On ne peut qu’être d’accord avec le mot de fin du film “À bras ouverts”, sorti mercredi en salles. Après le carton de “Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?”, qui avait fait plus de 12 millions d’entrées en France en 2014, Philippe de Chauveron s’attaque donc cette fois aux Roms. À l’époque, on s’interrogeait déjà sur cette prétendue dénonciation du racisme ordinaire qui ne faisait, en fait, que réactualiser les clichés les plus éculés sur les Juifs, les Arabes, les Noirs, les Asiatiques... Ici, c’est pire. “À bras ouverts” est non seulement une comédie franchouillarde d’une rare médiocrité et d’une épouvantable vulgarité – on est habitué – mais qui ne prend plus aucune forme pour faire rire grassement d’une minorité déjà largement stigmatisée » (« “A bras ouverts” : se rire du racisme ou rire avec les racistes? », La Libre Belgique, 6 avril 2017, consulté le 1er novembre 2020 in [https://www.lalibre.be/culture/cinema/a-bras-ouverts-se-rire-du-racisme-ou-rire-avec-les-racistes-58e64d2acd70812a6544088e]). Dans le même sens, voy. la critique de Thomas Sotinel dans Le Monde : « Ça le travaille, Philippe de Chauveron, tous ces gens venus d’ailleurs (ou dont les parents sont venus d’ailleurs) qui vivent en France. À bras ouverts est le troisième film d’affilée qu’il consacre à cette préoccupation, et le plus déplaisant » (« “À bras ouverts” : racisme à dose allopathiques », Le Monde, 5 avril 2017). Dans Le Figaro, Marie-Noëlle Tranchant qualifie quant à elle le film de « farce bien vue, bien écrite » (« Pourquoi on a aimé À bras ouverts, la nouvelle comédie de Philippe de Chauveron », Le Figaro, 5 avril 2017, consulté le 1er novembre 2020 in [https://www.lefigaro.fr/culture/2017/04/05/03004-20170405ARTFIG00279--bras-ouverts-bienvenue-chez-les-precieux-ridicules.php]). 

  15. France, 2019. 

  16. France, 2000. 

  17. Olivier Masset-Depasse, France/Belgique/Luxembourg, 2010. 

  18. Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, JOUE, n° L. 050, 25 février 2003. 

  19. Philippe Lioret, France, 2009. 

  20. Lochak D., « La solidarité, un délit ? », Après-demain, 2013, Vol. 27-28, n° 3, pp. 7-9. Voy. également Donnarumma M. R. , « Le “délit de solidarité”, un oxymore indéfendable dans un État de droit », Revue française de droit constitutionnel, Vol. 117, n° 1, 2019, pp. 45-58. 

  21. Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (Gisti), « Manifeste des délinquants de la solidarité », mis en ligne le 27 mai 2003, consulté le 1er novembre 2020 in [https://www.gisti.org/spip.php?article834]. 

  22. Éric Toledano et Olivier Nakache, France, 2014. 

  23. Cherchez Hortense, Pascal Bonitzer, France, 2012 ; voy. également Gounin Y, « Franchir les frontières européennes au cinéma », op. cit. 

  24. Goedert N., « “Nul n’est bon citoyen, s’il n’est bon fils, bon père, bon frère, bon époux”, autorité paternelle et puissance publique dans Cherchez Hortense de P. Bonitzer », in Flores-Lonjou M. et Épinoux E. (dir.), La famille au cinéma. Regards juridiques et esthétiques, Paris, Mare & Martin, Coll. Droit & cinéma, 2016, pp. 115-138, p. 134. 

  25. Ibid., pp. 135 et s. 

  26. Frison-Roche M.-A., « Le désir de justice et le juge. Entre romantisme judiciaire et politique institutionnelle », Le banquet (« La justice en procès »), 1999, Vol. 14, pp. 99-112, p. 107 ; Pech T., « L’homme de lettres aux assises : Gide, Mauriac, Giono », in La cour d’assises, Paris, La Documentation française (Association française pour l’histoire de la justice), Coll. Histoire de la justice, 2001, pp. 193-211, p. 211. 

  27. Finlande/France/Allemagne, 2011. 

  28. Toivon tuolla puolen, Finlande, 2017. Pour ce film, Aki Kaurismäki a obtenu l’Ours d’argent du meilleur réalisateur au Festival du film de Berlin en 

  29. Dans le cinéma italien, voy. en particulier Une fois que tu es né (Quando sei nato non puoi più nasconderti), Marco Tullio Giordana, Italie/Royaume-Uni/France, 2005 et Terraferma, Emanuele Crialese, Italie/France, 2011 ; Paganini G., « La frontière traversée : un point de non-retour », in Épinoux E., Lefebve V. et Flores-Lonjou M. (dir.), Frontière(s) au cinema, op. cit., pp. 339-359. 

  30. Section spéciale, Costa-Gavras, France/Italie/Allemagne de l’Ouest, 1975 ; voy. Lefebve V., « Droit, morale et politique dans Section spéciale de Costa-Gavras. La justice à l’épreuve de divers dispositifs d’écriture de l’histoire », in Jouve E. et Miniato L. (dir.), Chronique judiciaire et fictionnalisation du procès. Discours, récits et représentations, Paris, Mare & Martin, Coll. Libre droit, 2017, pp. 241-258. 

  31. Inchauspé D., L’erreur judiciaire, préf. Ventre A.-M., Paris, PUF, Coll. Questions judiciaires, 2010 ; Salas D., Erreurs judiciaires, Paris, Dalloz, Coll. À savoir, 2005. 

  32. Omar m’a tuer, Roschdy Zem, France, 2011. 

  33. Inchauspé D., L’erreur judiciaire, op. cit., pp. 229-269. 

  34. Le film reprend les propos exacts de Jacques Vergès à la suite de la décision rendue par la Cour d’assises des Alpes-Maritimes, le 2 février 1994, qui condamne Omar Raddad à dix-huit ans de prison. Jacques Vergès fera l’objet d’une information judiciaire pour ces déclarations, en raison du discrédit qu’il a ainsi jeté sur une décision de justice, et ce en vertu de l’article 226 du Code pénal français. Cette disposition, telle qu’elle était rédigée à l’époque, prévoyait la prononciation d’une peine d’un à six mois de prison et de 500 à 30 000 francs d’amende à l’encontre des personnes ayant « publiquement par actes, paroles ou écrits, cherché à jeter le discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance ». 

  35. Giuliano Montaldo, Italie, 1971. 

  36. Hélie-Martel A., « Le processus de racialisation du cas Sacco-Vanzetti : entre pouvoir et résistance », Cahiers d’histoire, Vol. 33, n° 2, 2016, pp. 97–120. 

  37. The Ballad of Sacco and Vanzetti (part 2), Ennio Morricone et Joan Baez. Traduction libre : « Et maintenant, je vais vous dire ce qui est contre nous/Un art qui vit depuis des siècles/Traversez les années et vous trouverez/Ce qui a noirci l’ensemble de l’Histoire /Contre nous est la loi/Et son immensité de force et de pouvoir/Contre nous est la loi !/La police sait comment faire d’un homme un innocent ou un coupable/Contre nous est le pouvoir de la police !/Les mensonges sans scrupules que les hommes ont proférés seront encore payés d’or/Contre nous est le pouvoir de l’or !/Contre nous est la haine raciale/Et le simple fait que nous sommes pauvres ». 

  38. Lars von Trier, Danemark/Suède, 2000. 

  39. Elle est signée par la chanteuse islandaise Björk, qui incarne aussi le rôle-titre de ce long-métrage pour lequel elle a reçu le Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes en 2000, au cours duquel le film obtiendra également la Palme d’or. 

  40. Snow falling on cedars, Scott Hicks, États-Unis, 1999. Ce film constitue une adaptation du roman éponyme de David Guterson : La neige tombait sur les cèdres, Paris, Seuil, 1996. 

  41. Smith P., Democracy on trial. The Japanese American and Relocation in World War II, Simon & Schuster, New York, 1995. 

  42. Crossing over, Wayne Kramer, États-Unis, 2009. 

  43. Garapon A. et Papadopoulos I., Juger en Amérique et en France, Paris, Odile Jacob, 2003. 

  44. Parmi de nombreux exemples, voy. la représentation de la justice proposée dans Autopsie d’un meurtre (Otto Preminger, Anatomy of a Murder, États-Unis, 

  45. Girard R., Le bouc émissaire, Paris, Grasset, Le livre de poche, Coll. Biblio essais, 1982. 

  46. Garapon A. et Papadopoulos I., Juger en Amérique et en France, op. cit., p. 65. 

  47. Truche P., v° « Cinéma », in Cadiet L. (dir.), Dictionnaire de la justice, Paris, PUF, 2004, pp. 164-167, p. 165. 

  48. L’expression est de Yann Aguilla, cité par Ost F., « Obiter dicta », op. cit., xiv ; Aguila Y., « Sur l’art de juger », Lettre de la Mission de recherche Droit et Justice, 2006, n° 24, consulté le 1er novembre 2020 in [http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2013/08/Lettre24.pdf]. 

  49. Sur le « conservatisme » des juristes, voy. Ost F., Le droit, objet de passions ? I crave the law, Bruxelles, Académie royale de Belgique, Coll. L’Académie en poche, 2018, pp. 36-37 : « Il est vrai que traditionnellement ainsi que par profession, les juristes se situent plutôt du côté de l’ordre, et que la transgression n’est pas dans leurs habitudes ». 

  50. Plusieurs films d’André Cayatte peuvent être cités : Justice est faite (France, 1950), Nous sommes tous des assassins (France, 1952), Avant le déluge (France/Italie, 1954), Le Glaive et la Balance (France/Italie, 1963), Verdict (France/Italie, 1974). Voy. aussi L’affaire Dominici de Claude Bernard-Aubert (France/Italie/Espagne, 1973) et, plus récemment, Une affaire de femmes de Claude Chabrol (France, 1988). Le thème de la justice comme composante de l’ordre établi est récurrent dans l’œuvre de Chabrol, voy. aussi Violette Nozière (France, 1978). 

  51. Ernest et Célestine, Benjamin Renner, Stéphane Aubier et Vincent Patar, Belgique/France/Luxembourg, 2009. 

  52. C’est notamment frappant dans le cadre du tribunal révolutionnaire qui a été mis en place en France, durant la Révolution ; voy. Lefebve V., « La Révolution en quête d’identité. Le procès de Marie-Antoinette », in Allard, J., Corten, O., Fałkowska, M., Lefebve, V. et Naftali, P. (dir.), La vérité en procès. Les juges et la vérité politique, LGDJ, coll. « Droit et société », 2014, pp. 235-256, pp. 237 et s. Une représentation cinématographique de ce tribunal d’exception a été proposée dans Danton, Andrezj Wajda, Pologne/France, 1983 ; voy. aussi La Révolution française, Robert Enrico et Richard T. Heffron, France/Allemagne de l’Ouest/Italie/Royaume-Uni/Canada, 1989 ; L’Autrichienne, Pierre Granier-Deferre, France, 1989. La figure de Marie Antoinette est d’ailleurs particulièrement intéressante dans le contexte de cette étude : « Marie-Antoinette symbolise avec beaucoup de vraisemblance la figure de l’ennemi, de l’ennemi du peuple, et ce à au moins trois titres : la reine est à la fois aristocrate, étrangère et femme, trois appartenances qui deviennent éminemment problématiques en cette fin de XVIIIe siècle » (ibid., p. 255). 

  53. Lars von Trier, Danemark/Pays-Bas/Suède/Finlande/Islande/Allemagne/France/États-Unis/Royaume-Uni/Norvège, 2000. 

  54. S’agissant de Dogville, voy. Lefebve V., « Frontières et inclusion politique à la lumière du cinéma contemporain. Une analyse en miroir du Village de M. Night Shyamalan et de Dogville de Lars von Trier », in Épinoux E., Lefebve V. et Flores-Lonjou M. (dir.), Frontière(s) au cinema, op. cit., pp. 267-293. 

  55. Delorme S., « Dogville de Lars von Trier. Le village des cyniques », Cahiers du cinéma, juin 2003, n° 580, pp. 73-75, p. 73. 

  56. Brighenti A., « Dogville, or, The dirty birth of law », Thesis Eleven, 2006, Vol. 87, n° 1, pp. 96-111 ; Astruc R., « “Effet-théâtre” et pouvoir de la représentation » (première partie de Astruc R. et Georgandas A., « Regards croisés sur Dogville et Manderlay. Le point de vue littéraire et le point de vue philosophique »), Cadrage [en ligne], 2012, consulté le 1er novembre 2020 in [http://www.cadrage.net/dossier/larsvontrier.htm]. 

  57. Bainbridge C., The Cinema of Lars Von Trier: Authenthicity and Artifice, Londres et New York, Wallflower Press, Coll. Director’s cut, 2007, pp. 6 et 141. 

  58. Astruc R., « “Effet-théâtre” et pouvoir de la représentation », op. cit. Dans la seconde partie de cet article, Alexandre Georgandas – qui présente aussi Dogville comme un « laboratoire humain » – abonde dans le même sens : « Lars von Trier, grâce à cette forme théâtralisée de représentation cinématographique […], règle la focale sur les rapports/les relations telles qu’elles s’établissent entre les acteurs qui font ici figure de cobayes humains dont on observe les réactions dans une structure fermée sur elle-même, un système » : Georgandas A., « Dans la tête de Trier » (seconde partie de Astruc R. et Georgandas A., « Regards croisés sur Dogville et Manderlay. Le point de vue littéraire et le point de vue philosophique »), Cadrage [en ligne], 2012, consulté le 1er novembre 2020 in [http://www.cadrage.net/dossier/larsvontrier.htm]. Voy. aussi Bainbridge C., The Cinema of Lars Von Trier: Authenthicity and Artifice, op. cit., p. 146. 

  59. Bradatan C., « “I was a stranger, and ye took me not in”: Deus ludens and theology of hospitality in Lars von Trier’s Dogville », Journal of European Studies, 2009, Vol. 39, n° 1, pp. 58-78 ; Atkinson A., « On the Nature of Dogs, the Right of Grace, Forgiveness and Hospitality: Derrida, Kant, and Lars Von Trier’s Dogville », Senses of Cinema [en ligne], 2005, Vol. 36 (« The Metaphysics of Violence »), consulté le 1er novembre 2020 in [http://sensesofcinema.com/2005/the-metaphysics-of-violence/dogville] ; Lattek M., « A reading of “Dogville” », Anamesa. An Interdisciplinary Journal, 2006, Vol. 4, pp. 99-115. 

  60. « Le déclin de l’État-nation et la fin des droits de l’homme », chapitre final de l’Impérialisme, deuxième tome des Origines du totalitarisme : Arendt H., Les Origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem, op. cit., pp. 561-607. 

  61. Ibid., p. 604. 

  62. Ricœur P., « L’acte de juger », in Le juste, t. I, Paris, Esprit, Coll. Philosophie, 1995, pp. 185-192. 

  63. Paul Ricœur définit ainsi le juge comme l’ « opérateur de la juste distance que le procès institue entre les parties », Ricœur P., « Avant-propos », in Le juste, op. cit., pp. 7-27, p. 15. 

  64. Salas D., Le Tiers pouvoir. Vers une autre justice, Paris, Hachette Littératures, Coll. Pluriel, 1998. 

  65. Rancière J., La Mésentente. Politique et philosophie, Paris, Galilée, 1995, pp. 63-64. 

  66. De manière suggestive, Benoît Frydman parle à cet égard d’« hospitalité judiciaire » : « L’hospitalité judiciaire », communication proposée lors du séminaire « Justice et cosmopolitisme » organisé par l’Institut des hautes études sur la justice (IHEJ) le 21 mai 2007, consulté le 1er novembre 2020 in [http://www.philodroit.be/IMG/pdf/B.FRYDMAN-_L_hospitalite_judiciaire-2.pdf], pp. 1-19. 

  67. Arendt H., « Les Origines du totalitarisme », in Les Origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem, Bouretz P. (dir.), traductions entièrement révisées (Les Origines du totalitarisme, trad. Pouteau M. [« L’Antisémitisme »], Leiris M. [« L’Impérialisme »], Bourget J.-L., Davreu R. et Lévy P. [« Le Totalitarisme »], révision Frappat H. ; Eichmann à Jérusalem, trad. Guérin A. et Brudny-de Launay M.-I., révision Leibovici M.), Paris, Gallimard, Coll. Quarto, 2002, p. 820. 

  68. Voy. le documentaire Libre qui est consacré à son action : Michel Toesca, France, 2018. 

  69. Décisions QPC n° 2018-717/718 du Conseil constitutionnel, 6 juillet 2018, J.L.M.B., 2018, pp. 1515-1519 et les observations de Martens P., Martens, P., « La fraternité : une norme juridique ? », J.L.M.B., 2018, pp. 1243-1245 ; Tulkens F., « En France, la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle », J.T., 2018, pp. 625-627 ; Philippe X., « La reconnaissance du principe de fraternité par le juge constitutionnel français : révolution ou poursuite d’une évolution ? », Rev. Trim. D. H., 2019, pp. 565-578. 

  70. Aubin E., « La fraternité occupe enfin la place qui aurait dû être la sienne », Le Monde en ligne, 11 juillet 2018, consulté le 1er novembre 2020 in [https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/07/11/la-fraternite-occupe-enfin-la-place-qui-aurait-du-etre-la-sienne_5329563_3232.html]. 

  71. Ce délit a été maintenu dans la législation française, qui fait cependant l’objet de certains adoucissements afin de se conformer à la décision du Conseil constitutionnel ; voy. : Damgé, M., « Le “délit de solidarité” maintenu dans la loi immigration », Le Monde en ligne, 2 août 2018, consulté le 1er novembre 2020 in [https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/08/02/le-delit-de-solidarite-maintenu-dans-la-loi-immigration_5338772_4355770.html]. 

  72. Macq C., « L’aide désintéressée au séjour et à la circulation d’un étranger en séjour irrégulier : passible de sanctions pénales ? », J.T., 2019, pp. 260-264 ; du Jardin M., « L’hébergement citoyen de migrants en transit sur le territoire belge : “un délit de solidarité” ? », Rev. dr. pén., 2020, pp. 341-359. 

  73. Colart L., « Procès des hébergeurs : vers un nouvel acquittement pour l’ex-journaliste Anouk Van Gestel », Le Soir en ligne, 3 septembre 2019, consulté le 1er novembre 2020 in [https://plus.lesoir.be/245595/article/2019-09-03/proces-des-hebergeurs-vers-un-nouvel-acquittement-pour-lex-journaliste-anouk-van]. 

  74. Corr. Bruxelles, 47e ch., 12 décembre 2018, n° 2018/6764. 

  75. Comme le note Xavier Philippe, la « décision Cédric H. aura donc conduit à offrir une tribune à ce que d’aucuns considéraient comme une question de société qui divisait et divise encore la société française », Philippe X., « La reconnaissance du principe de fraternité par le juge constitutionnel français : révolution ou poursuite d’une évolution ? », op. cit., p. 577. 

  76. Lefebve V., Politique des limites, limites de la politique. La place du droit dans la pensée de Hannah Arendt, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, Coll. Philosophie politique : généalogies et actualités, 2016, pp. 223-259. 

  77. Le film a attiré plus de 1 200 000 personnes dans les salles françaises. 

  78. Voy. par exemple Smith A., « Crossing the Linguistic Threshold: Language, Hospitality and Linguistic Exchange in Philippe Lioret’s Welcome and Rachid Bouchareb’s London River », Studies in French Cinema, Vol. 13, n° 1, 2013, pp. 75-90 ; Dahlberg L., « Unwelcome Welcome. Being “at Home” in an Age of Global Migration », Law-Text-Culture, Vol. 17, 2013, pp. 44-82. 

Vincent Lefebve