Introduction
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Cet article fait partie de « Le contrôle des lieux de privation de liberté (ONU, Conseil de l’Europe et Belgique): le cas des prisons. »
Le contrôle externe des lieux de détention a connu un développement considérable au cours des dernières décennies. L’adoption par les Nations Unies et le Conseil de l’Europe d’instruments instituant des mécanismes de contrôle direct des lieux de privation de liberté – c’est-à-dire par la mise en place de visites régulières ou ad hoc d’experts nationaux ou internationaux – a permis qu’un regard indépendant se porte derrière les barreaux et que les situations des détenus ne restent pas sous l’unique inspection des administrations nationales ou des juges. Ces mécanismes sont principalement axés sur la prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants et sont censés se développer dans un maximum de pays de par le monde.
L’instauration d’un tel contrôle n’est toutefois pas récente, du moins en ce qui concerne les prisons. En Belgique, des commissions composées de membres extérieurs à l’administration sont créées dès le 19e siècle. L’idée, très libérale, était que la société devait exercer un droit de regard sur la situation de ceux qu’elle privait d’un bien juridique le plus fondamental : la liberté. Le dispositif fut complété en 1920 avec la création du Conseil supérieur des prisons qui avait pour mission de remettre un avis sur toute question de politique pénitentiaire. Au plan international, l’exigence d’un contrôle des prisons a souvent été couplée à celle du droit de plainte. On les retrouve ainsi dans l’Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus, résolution adoptée par les Nations Unies en 1955, mais née de travaux entamés dès 1929 par la Commission internationale pénale et pénitentiaire dont les résultats furent entérinés par la Société des Nations, et poursuivis en 1951 . Et on retrouvera plus tard les mêmes exigences dans les différentes versions de règles similaires, adoptées par le Conseil de l’Europe en 1973, 1987 et 2006, et connues aujourd’hui sous le nom de Règles pénitentiaires européennes.
Le contrôle externe des lieux de détention apparaît donc au confluent de deux préoccupations : contrôler la situation des personnes privées de liberté et le respect des règles devant présider à leur traitement, en général, et prévenir la torture et les mauvais traitements, en particulier. De telles préoccupations sont largement complémentaires dès lors que la privation de liberté entraîne pour celui qui la subit une situation de vulnérabilité et de forte dépendance à l’égard des personnels chargés de sa garde, situation propice au non-respect de certains droits, parfois élémentaires, voire aux abus. Pour autant, les organes chargés de ce contrôle ainsi que leur modalités de fonctionnement ne sont pas nécessairement similaires et leur architecture peut s’avérer relativement complexe.
En cette année 2019 marquée par les 30 années d’existence du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et une réforme d’envergure du paysage du contrôle des prisons en Belgique, un dossier sur la question nous a paru utile, à la fois pour contribuer à une meilleure connaissance de celle-ci et pour en analyser les mutiples facettes ou, du moins, les plus importantes. Trois contributions ont été retenues dont l’ordre d’apparition suit non seulement l’ancienneté des dispositifs examinés, mais aussi leur niveau géo-politique.
La première, signée Olivia Nederlandt et Manu Lambert, porte sur les organes de surveillance en Belgique. Récemment réformés pour une indépendance accrue, ces organes restent néanmoins limités à la surveillance des prisons, ce qui n’est pas sans poser problème au regard du Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de l’ONU (OPCAT) qui prévoit l’instauration d’un mécanisme national de prévention compétent pour le contrôle de tous les lieux de privation de liberté. Le droit belge apparaît de surcroît comme problématique à plusieurs titres, notamment parce que les dispositions légales ne sont pas toutes en vigueur par défaut d’arrêtés royaux d’exécution adoptés. Le système reste donc fragile et les défis à relever sont grands pour les organes de contrôle dans leur nouvelle version.
A contrario, c’est un système bien rôdé qui est en œuvre au niveau européen. Ici, un contrôle indépendant et impartial réalisé par des experts a été initié par le Conseil de l’Europe dès la fin des années 80 avec la création du CPT auquel est consacrée la deuxième contribution, signée Philippe Mary et Marc Nève. Il s’agit là du premier organe de prévention doté d’une mission de contrôle effectif des lieux de privation de liberté. L’histoire du CPT permet aujourd’hui d’examiner l’impact que cet organe peut avoir, que ce soit sur la Cour européenne des droits de l’Homme, sur la définition de la torture ou sur un État comme la Belgique. Comme nous le verrons, si cet impact est statistiquement difficile à quantifier, comme le disent les auteurs, le CPT compte parmi les acteurs importants qui œuvrent pour le respect des droits et de la dignité en détention. Son influence est par ailleurs importante sur la jurisprudence de la Cour de Strabsourg qui, à plus d’un égard, se fonde sur les rapports de ce premier pour fonder ses jugements ou encore, plus fondamentalement, pour interpréter l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants.
Enfin, la troisième contribution, signée Damien Scalia et Hugues de Suremain, examine le niveau onusien, principalement fondé sur l’OPCAT, où se dessine un système de contrôle préventif des lieux de détention qui s’organise à deux niveaux : au niveau international, d’abord, est mis en place un sous comité pour la prévention de la torture qui – à l’image du CPT – effectue des visites dans les États qui ont accepté sa compétence ; au niveau national ensuite, où un mécanisme national doit être mis en place. Ce système navigue entre une volonté des États de faire bonne figure sur la scène internationale et, bien souvent, une mise en pratique faible au niveau national. Ce contrôle se développe par ailleurs en parallèle d’une normativité principalement non contraignante, ce qui n’est pas sans engendrer quelques errements des organes de contrôle. Néanmoins, tous favorisent une judiciarisation des droits des détenus sans pour autant leur donner un statut singulier nécessaire à la défense de ces droits.
Le mot de la fin sera laissé au président du CPT, Mykola Gnatovskyy.