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Volume n°1

Le juge d’instruction face au pouvoir

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Alors que le juge, du fait de sa fonction en retrait dans les procès, a rarement droit aux honneurs sur le grand écran dans le cinéma français, le juge d’instruction fait figure d’exception. Malgré la réduction du nombre d’affaires qu’il est amené à traiter, l’importance et la médiatisation de certains crimes ou d’affaires politico-financières font qu’ils sont souvent connus du grand public. De plus, leur statut particulier, à la fois enquêteur et juge, facilite la représentation à l’écran, notamment en reprenant les codes du film policier. Il a ainsi pu être représenté dans un premier temps comme un pouvoir incarnant une justice de classe inique, puis subit un changement de paradigme en incarnant à partir des années 1970 la figure d’un contre-pouvoir, à travers notamment la figure du petit juge.

« Aucune puissance humaine, ni le roi, ni le garde des sceaux, ni le premier ministre ne peuvent empiéter sur le pouvoir d’un juge d’instruction, rien ne l’arrête, rien ne le commande. C’est un souverain soumis uniquement à sa conscience et à sa loi »1.

§1 Alors que l’analyse des relations entre droit et culture populaire remonte au milieu des années 19802, développée notamment dans les facultés de droit, le principal objet des études sur le sujet porte sur la représentation de la justice et de son personnel, le cinéma jouant un rôle important dans la perception populaire du système judiciaire. En outre, la projection d’œuvres cinématographiques qui représentent le fonctionnement du système judiciaire tend à se généraliser dans la formation des étudiants des écoles de droit, notamment des magistrats3. À ce titre, la représentation de la justice sur le grand écran devient donc un phénomène juridique à part entière, qui influe aussi bien sur la perception des institutions judiciaires par le grand public que les professionnels du droit4.

§2 Dans les films judiciaires de fiction, notamment ceux issus des pays de common law, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, le juge n’assume souvent qu’un rôle en retrait. Cantonné à une fonction passive, il reste discret et n’est qu’un simple exécutant de la loi5. Ceci s’explique en partie par le modèle accusatoire du procès qui caractérise les pays de common law, où une place prépondérante est laissée aux parties dans la recherche de la preuve. Par conséquent, le juge y joue plus un rôle d’arbitre que d’inquisiteur. Cela se reflète dans sa représentation au cinéma: ainsi, le juge est souvent représenté comme désabusé6, soumis au pouvoir7, voire dans certains cas comme violateur de la loi qu’il est censé appliquer8. À l’inverse, l’avocat, le policier ou le procureur, qui participent activement à l’instruction, sont les véritables protagonistes des films judiciaires.

§3 Cependant, il est un magistrat qui incarne régulièrement une figure centrale dans le cinéma français : le juge d’instruction, dont le rôle est campé par des acteurs abonnés aux premiers rôles9. En premier lieu, cette singularité s’explique par la différence de système juridique : si dans les pays de common law le juge est cantonné à un rôle relativement passif, dans les systèmes continentaux de droit civil il revient au magistrat d’instruire les affaires pénales. En second lieu, le juge d’instruction français a la particularité d’instruire à charge et à décharge afin d’établir la vérité, et est de ce fait doté de pouvoirs importants inhérents à l’accomplissement de sa tâche. Ces caractéristiques en font donc un personnage particulièrement intéressant pour le cinéma, contrairement aux pays appartenant à un système juridique différent, où la fonction n’existe pas.

Le nombre de films mettant en scène ce magistrat au centre de l’intrigue s’est multiplié depuis une quinzaine d’années en France, alors que celui-ci n’instruit plus qu’environ 4 % des affaires judiciaires. Deux explications à cela : tout d’abord, bien que le nombre de ces dossiers soit faible, il constitue la totalité des affaires criminelles, c’est à dire les plus graves et les plus médiatisées10. Ce renouvellement du genre correspond également à la dérégulation financière des années 1980 et à l’explosion du nombre d’affaires liées à ce phénomène, instruites par les juges d’instruction, qui a eu pour effet de les mettre en avant11. Ainsi, contrairement à ce qui a pu être affirmé pour d’autres systèmes juridiques12, il existe, du moins en France, un courant cinématographique ayant pour figure centrale le juge d’instruction qui, à ce titre, mérite une analyse particulière13. C’est pourquoi nous nous cantonnerons dans cet article à analyser la représentation du juge d’instruction dans le cinéma français.

Alors que l’acte de naissance de la fonction est à dater de la loi du 7 pluviôse an IX (27 janvier 1801), celle-ci n’apparaît dans son terme actuel qu’avec le Code d’instruction criminelle en 180814. Toutefois, il a peu intéressé le cinéma jusqu’à son émancipation du parquet en 195815. Si ce magistrat particulier a ainsi régulièrement bénéficié d’une représentation positive à l’écran comme symbole d’opposition au(x) pouvoir(s), c’est donc tout d’abord en raison de son indépendance. De plus, le juge d’instruction réalise lui-même un travail d’enquête en amont du procès, ce qui le rapproche du travail d’un policier ou d’un avocat16 et favorise la représentation de son évolution personnelle ainsi que sa confrontation à des choix difficiles. Dans les systèmes juridiques où la fonction de juge d’instruction n’existe pas, l’indépendance de l’instruction est incarnée par le procureur, dont la représentation à l’écran se rapproche de celle du juge d’instruction et qui souligne l’importance de ces caractéristiques pour la narration17.

§4 Cependant, cette liberté est également représentée de façon négative car, du fait de son indépendance, le pouvoir du juge d’instruction, qui instruit et juge, n’est pas contrebalancé par un autre pouvoir. Selon la formule de Robert Badinter, le magistrat est ainsi simultanément Maigret et Salomon, et possède par conséquent une puissance considérable18. Si, pour être menée à bien, l’instruction se doit d’être indépendante du pouvoir, qu’il soit politique, économique ou mafieux, le juge est souvent hors de contrôle et peut être amené, comme tout pouvoir, à en abuser. Ses choix sont d’autant plus soumis à l’arbitraire qu’il est indépendant. La fonction a fait d’ailleurs l’objet de nombreuses critiques, « l’homme le plus puissant de France » – expression souvent reprise sans que l’on ne sache qui de Balzac ou de Napoléon en est le véritable auteur – possédant de fait un pouvoir étendu. La fonction a ainsi été supprimée dans de nombreux pays européens, tandis que ses prérogatives ont diminué et que sa suppression a été évoquée en France19. Le juge d’instruction est-il alors un élément de pouvoir ou de contre-pouvoir ?

Nous analyserons ainsi la question des rapports au pouvoir qu’entretient le juge d’instruction. Cet article s’intéressant à la représentation du juge d’instruction dans le cinéma hexagonal, nous analyserons le réalisme de ces représentations à l’écran à l’aune des témoignages d’anciens juges et des textes de loi en vigueur. Nous nous intéresserons donc tout d’abord à la description du juge d’instruction en tant que pouvoir dans le 7e art, pour ensuite évoquer son rôle de contre-pouvoir.

Le juge d’instruction, incarnation du pouvoir

§5 Une critique récurrente au cinéma assimile la justice telle qu’elle est administrée par les juges à celle de la classe dominante. Le magistrat estime cependant agir en vertu de principes universels.

La personnification d’une justice de classe

§6 Le magistrat instructeur, dans sa représentation négative, est dépeint comme issu des couches les plus aisées de la société. La réalisation recourt alors à des procédés de décalage pour révéler l’abîme existant entre l’inquisiteur et ceux soumis à son autorité, issus d’un monde différent.

Un magistrat représentant des classes dominantes

§7 Le juge d’instruction, quand celui-ci incarne une justice de classe, est issu d’un milieu très aisé voire noble dans certains cas20. Il ne cache ainsi pas sa répugnance et son mépris pour les gens de basse extraction, dont la condition sociale est un motif manifeste de culpabilité à ses yeux21. Cette justice de classe s’exerce avec la complicité de l’ensemble des forces de la « bourgeoisie » ainsi que des autres magistrats, et notamment du procureur22, jusqu’aux médecins. Les témoins qui ne se montrent pas assez coopératifs ou dont le récit ne correspond pas à la vision sociétale de l’inquisiteur se voient systématiquement qualifiés de « communistes ». La moralité des pauvres étant par nature sujette à caution, leurs témoignages seront ainsi écartés.

À travers ce personnage, présenté par certains réalisateurs eux-mêmes comme « un notable salopard »23, certains films s’attachent à dénoncer le comportement des élites républicaines à une époque particulière, notamment sous la IIIe République. Selon l’œuvre, seront notamment dénoncés la boucherie à laquelle furent envoyées les classes populaires durant la Première Guerre mondiale, tandis que les plus aisés restaient, eux, à l’abri24 ; l’Eglise, l’antisémitisme, les lois scélérates25 ; ou encore la colonisation26. Le juge d’instruction incarné par Jacques Villeret dans Les Âmes grises fait montre d’un comportement inique en épargnant les membres de sa caste, y compris le procureur, pour lesquels il nourrit pourtant une profonde inimitié27, et sa justice s’exerce continuellement au détriment des plus démunis. La réalisation cherche alors à souligner l’antagonisme existant entre les justiciables et les exécutants de la loi par le biais de procédés de décalage.

Le recours à des procédés de décalage entre le juge et les justiciables

§8 Afin d’accentuer l’opposition entre ceux qui rendent la loi et ceux qui la subissent, la réalisation recourt en premier lieu à l’apparence des personnages : le juge bourgeois tel qu’il pouvait exister sous la IIIe République est un homme adipeux arborant des vêtements propres à sa condition (costume, manteau fourré, chapeau haut de forme), tandis que ses victimes sont vêtues de haillons ou d’habits rapiécés de faible qualité28. Il vit dans une opulence illustrée par des scènes de sa vie quotidienne et des aperçus de son appartement, et affiche des goûts de luxe, en fréquentant certains restaurants particuliers réservés aux gens de sa condition, ou en fumant le cigare. Il est cependant à noter que son apparence physique est sensiblement différente dans les œuvres cinématographiques dont l’action se situe après 1958 : le juge d’instruction, homme ou femme, est systématiquement un personnage mince. Ce décalage ne se limite donc pas à sa physionomie.

Des différences d’expression langagière existent également, avec d’un côté un magistrat s’exprimant à voix posée avec des mots choisis, et de l’autre des individus commettant de nombreuses fautes, au vocabulaire pauvre, à la voix gouailleuse et ayant recours à des formes de langage populaires comme l’argot et le verlan, que le juge ne comprend pas toujours29. Enfin, le goût étant une phénomène social30, l’acteur et réalisateur Albert Dupontel prend le parti d’en rire à travers le choix du prénom de l’enfant à naître : si le repris de justice et futur père Bob Nolan affiche sa préférence pour Steve ou Kevin, la juge portant son enfant ne semble pas l’approuver31.

Le représentant d’un pouvoir extérieur

§9 Parfois, ce sera l’origine géographique qui lui est reprochée, car elle induit sa méconnaissance du lieu, des gens et par conséquent de leurs mœurs. Les gens de la campagne ou des petites villes, « où tout le monde se connaît » comme le veut la formule consacrée, voient souvent d’un mauvais œil l’arrivée d’un magistrat étranger à leur univers dont ils ignorent tout et qui, issu d’un milieu différent et plus aisé, est investi d’un pouvoir de contrainte et s’immisce dans leurs vies. Ils adoptent par conséquent un comportement de défiance à son égard, y compris les fonctionnaires de police placés sous son autorité, qui ne manquent pas de rappeler au juge d’instruction qu’il est issu d’un autre endroit. La loi incarnée par le juge est ainsi mal perçue dans la mesure où elle diffère des coutumes locales et priment sur elles32.

Ce comportement à l’écran semble correspondre à une certaine réalité. La juge Isabelle Prévost-Desprez témoigne ainsi y avoir été confrontée, notamment dans certaines affaires en Guadeloupe et en Corse où elle fut accusée de stigmatiser leurs ressortissants et d’instruire arbitrairement33.

L’image d’une instruction partiale comme symbole d’une justice inéquitable

§10 Le déroulement de l’instruction est fonction de la personnalité du magistrat, ce qui se traduira dans les méthodes employées par celui-ci et la démonstration de son autorité. L’ambition personnelle ainsi que le manque d’humanité du juge d’instruction fait également l’objet d’une représentation récurrente à l’écran.

Une instruction conditionnée par la personnalité du juge

§11 L’article L111-5 du Code de l’organisation judiciaire dispose que « [l]’impartialité des juridictions judiciaires est garantie par les dispositions du présent code et celles prévues par les dispositions particulières à certaines juridictions ainsi que par les règles d’incompatibilité fixées par le statut de la magistrature »34. Le droit au procès équitable est quant à lui garanti par l’article 6, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le juge d’instruction étant à la fois enquêteur et juge, l’impartialité de la procédure repose essentiellement sur sa seule personne, ce qui peut poser problème au regard de ces textes35.

Toutefois, comme l’a démontré le sociologue Pierre Bourdieu, « les agents disposent toujours d’une marge objective de liberté (qu’ils peuvent ou non saisir selon leurs dispositions “subjectives”) […] : à la différence du simple rouage d’un appareil, ils peuvent toujours choisir, du moins dans la mesure où leurs dispositions les y incitent, entre l’obéissance perinde ac cadaver et la désobéissance (ou la résistance et l’inertie) et cette marge de manœuvre possible leur ouvre la possibilité d’un marchandage, d’une négociation sur le prix de leur obéissance, de leur consentement »36. Mutatis mutandis, la neutralité de la justice n’existe pas et la mise en œuvre de la norme est fonction de ses exécutants. Quand bien même le juge s’en tiendrait à une application stricte de la loi, son interprétation est le fruit de certaines orientations conditionnées par son habitus37.

À titre d’illustration, dans une scène du Juge et l’Assassin, le juge Rousseau incarné par Philippe Noiret dicte une lettre à sa mère :

– La mère, reprenant les derniers propos du juge : « On punit les ouvriers en grève, on ne punit pas assez les vagabonds ».

– Le juge Rousseau, continuant à dicter : « Pour éviter d’autres Bouvier, il faut des lois plus répressives, des peines de prison beaucoup plus importantes contre les cheminots […], ces parasites qui ne pensent qu’à deux choses : satisfaire leur faim et leur plaisir sexuel ».

– La mère : « Ah ben dis donc ça devient une affaire politique ».

– Rousseau : « Maman je te l’ai dit cent fois : je ne fais pas de politique ».

On voit là que l’attitude du juge, « sans qu’il en soit conscient, est entièrement déterminé par le monde auquel il appartient »38. Alors que les convictions conservatrices d’Emile Rousseau transparaissent dans ce dialogue, celui-ci pense rester neutre. Tavernier nous dit d’ailleurs que ce film « permettait de poser un regard précis, aigu et moral sur les rapports qu’entretient une certaine justice qui se prétend non politique avec le monde qui l’entoure, avec la folie, avec l’Histoire »39.

§12 Il est toutefois rare que les juges d’instruction au cinéma soient membres de partis politiques. Tout au plus apprend-on qu’une magistrate a manifesté contre certaines réformes à une époque où elle n’était pas encore en fonction40, ou qu’un autre est soutenu par un syndicat41. Ses opinions transparaissentt plutôt à travers des dialogues ainsi que lors des auditions qu’il est amené à effectuer ; le juge trahit alors son intime conviction par certains mots orientés lors de ces entretiens. De la même façon, les juges d’instruction s’opposant au pouvoir pensent agir dans le cadre d’une démarche républicaine, en se contentant d’appliquer le droit42. Sauf qu’il est souvent difficile ne pas y voir en corollaire la réalisation d’une justice sociale. Si le juge n’a pas conscience d’agir selon des valeurs qui lui sont propres43, ce n’est pas le cas de ses opposants. Les « puissants » le qualifient ainsi fréquemment de « rouge », tandis que les miséreux se méfient et préfèrent éviter d’avoir affaire à lui, les magistrats représentant un danger pour eux.

Il en est ainsi également dans la pratique. Alors que son auteur nie avoir été animé par un quelconque combat idéologique44, un passage de l’ouvrage de l’ancien juge Eric Halphen est à ce titre éloquent :

« Après les nouvelles infractions, on a donc vu apparaître une nouvelle engeance de justiciables, ceux qui, selon la formule consacrée, ont une place dans la société, y jouent un rôle non négligeable. Médecins, cadres, ingénieurs, chefs d’entreprise, décideurs, hauts fonctionnaires, élus : tous ont eu, dès lors, à connaître des commissariats et des palais de justice. Ils se croyaient à l’abri, ils sont tombés de haut. Pas seulement parce qu’ils ont découvert, horrifiés, le fonctionnement de la justice. Insalubrité des locaux de garde à vue, délabrement des prisons, port des menottes en public, atteinte à la présomption d’innocence, lenteur extrême, on n’en parlait jamais dans les dîners en ville, avant. Du moment que seuls les plus démunis étaient concernés, tout se passait comme si ça n’existait pas, tout le monde s’en moquait. Laissés pour compte, dit-on. Ceux dont le sort n’intéresse personne »45.

Il omet de préciser qu’en réalité de nombreux juges se sont lancés en politique par la suite, révélant au grand jour les opinions de ces magistrats se voulant neutres, avec d’un côté des juges de droite (tels que Georges Fenech, Jean-Paul Garraud et Philippe Courroye) et de l’autre ceux de centre-gauche (comme Eva Joly, Eric Halphen et Isabelle Prévost-Desprez), dont les dissensions mènent souvent à des querelles personnelles46. Alors que dans leurs ouvrages respectifs les juges Fenech et Halphen ont étalé leur inimitié réciproque, le premier, qui a notamment enquêté sur le financement du Parti socialiste, est devenu par la suite membre de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP), tandis que M. Halphen, qui s’est illustré dans l’affaire dite des HLM de Paris, qui impliquaient plusieurs cadres de ce qui était alors encore le Rassemblement pour la République (RPR), s’est présenté sur les listes de M. Chevènement, et est donc plutôt classé à gauche. Bien que ces exemples ne suffisent pas à tirer des conclusions définitives, ils éveillent des doutes sur l’impartialité et la rationalité affirmées de certains juges d’instruction47. Ce manque d’objectivité transparait notamment à travers les méthodes employées.

Le caractère subjectif de l’instruction menée

§13 Bien que le juge se doive, au contraire du procureur qui instruit à charge, de rester objectif, l’instruction se trouve soumise à ses choix et par conséquent à une certaine forme d’arbitraire. Comme nous venons de l’évoquer, le juge est conditionné par son habitus et ne peut agir de façon parfaitement objective. En fin de compte, quand bien même ses intentions sont louables, le magistrat n’est que rarement impartial. Son indépendance et la mainmise sur l’instruction permettent en effet ce pouvoir discrétionnaire, qui n’est toutefois pas pour autant intrinsèquement gage d’une mauvaise instruction. Pour se faire une opinion, et ce même en l’absence d’éléments tangibles, celui-ci examine le dossier des mis en cause, étudie leurs modes de vie (condition sociale, orientations sexuelles, problèmes d’argent, de drogue ou d’alcool), leurs fréquentations et même leurs gestes pour se faire une idée de leur culpabilité. Si ces éléments ne sont pas probants, ils constituent des indices pour l’enquêteur qui s’oriente en fonction d’eux. À titre d’exemple de ces éléments montrés dans les films mettant en avant un juge d’instruction, un suspect qui donne une gifle à une enfant renforcera l’idée qu’il n’est pas capable de maitriser ses pulsions48 ; la consultation de sites à caractère pornographique gays suggèrera qu’un suspect puisse se livrer à des attouchements sur mineurs49 ; l’utilisation d’expressions identiques pour décrire l’accident par différents témoins qui mettront le magistrat instructeur sur la voie, sans pour autant constituer des preuves tangibles50. Comme on le voit, la palette d’éléments susceptibles de jouer dans la manière d’instruire du juge est large.

Plusieurs degrés peuvent être relevés dans cet arbitraire. Tout d’abord, l’intime conviction du juge le pousse à chercher dans certaines directions, voire à déformer la réalité. Certains indices, pourtant faibles, renforcent son intime conviction, ce qui l’amène alors à négliger les autres pistes pour démontrer sa thèse de départ. Plus inquiétante est l’hypothèse selon laquelle le juge écarte des éléments en accordant plus d’importance à certains témoignages qu’à d’autres, ou en remettant en cause des rapports d’expertise qui ne correspondraient pas à son intime conviction. Néanmoins, si ce comportement est fautif, le magistrat n’en demeure pas moins de bonne foi, et bénéficiera d’une certaine indulgence du spectateur, qui se contentera de le considérer comme incompétent.

En revanche, alarmant est le cas où celui-ci falsifie un dossier en toute connaissance de cause. Le procédé est alors le suivant : s’assimilant au bras armé de la Justice, le juge s’affranchit du carcan procédural que lui imposent les textes. Les éléments assemblés ne permettant pas de valider ses thèses, il oriente délibérément l’instruction à sa guise en refusant d’entendre des témoins à décharge51, en s’opposant à une contre-expertise par un médecin de crainte qu’il ne décèle une maladie mentale52, en délivrant des mandats d’arrêts à blanc53 ou encore en harcelant ses adversaires dans des moments de vie privée, etc.54. Si ces comportements constituent des manquements caractérisés, le juge n’a pas conscience de commettre une faute pour autant. Son intime conviction ne pouvant être que juste et son rôle étant de faire condamner les coupables, le résultat justifie les moyens utilisés.

§14 En France, c’est le rôle des avocats ainsi que du juge des libertés et de la détention (JLD) et plus largement de la chambre de l’instruction que d’encadrer l’arbitraire du juge d’instruction. Lors des auditions, lorsque l’emploi de certains termes trahit la pensée du juge et contrevient à la présomption d’innocence dont les personnes auditionnées bénéficient, c’est à l’avocat qu’il incombe de signaler certains propos tendancieux et des questions trop orientées au juge, quitte à l’irriter. La loi prévoit d’ailleurs certains recours pour les mis en examen, qui ont la possibilité de déposer une requête en suspicion légitime55. Le JLD, peu représenté à l’écran car de création récente56, a quant à lui pour fonction de statuer sur l’opportunité du placement en détention après saisine par ordonnance motivée du juge d’instruction. Cependant, ces garde-fous ne remplissent pas toujours leur rôle et, dans les faits, le juge d’instruction conserve un pouvoir considérable sur la détention57.

§15 Finalement, un grand nombre des juges enfreignent la loi, sans que ces violations ne bénéficient pour autant de la même perception par le public. Avec des procédés similaires, un juge peut bénéficier d’une perception positive ou négative selon les informations communiquées au spectateur en amont : étant souvent omniscient, il connaîtra d’autres éléments qui lui permettront de condamner ou d’approuver les méthodes du juge58. À l’opposé, ses méthodes illégales et brutales recevront l’approbation du public si ses adversaires ont été auparavant présentés de façon négative à l’écran. Les juges Michel59, Fayard60 et Muller61, montrés comme héroïques62, enfreignent la loi de manière souvent bien plus grave que MM. Rousseau et Mierck, dont les méthodes sont pourtant condamnées63.

  1. Cette dénonciation des méthodes en dépit de la culpabilité des « victimes » se rapproche de celle effectuée dans Touch of Evil, Orson Welles, États-Unis, 1958 sur les méthodes policières. Dans ce film, le capitaine de police Hank Quinlan n’hésite pas à falsifier les preuves lorsqu’il est convaincu de la culpabilité d’une personne. Si celui-ci s’avère avoir raison, le procédé n’en est pas moins condamnable.

Alors que les juges sont régulièrement sanctionnés pour leur manquement à la loi, ils ne le sont pas toujours de la même façon. Le juge partisan des puissants subit ainsi une sanction somme toute légère, tandis que son pendant ayant eu l’audace de désobéir en paie le prix fort. Dans les cas des juges Fayard et Muller/Michel, incarnation à l’écran des juges Renaud et Michel64, leurs assassinats répondent aux exactions des juges, qui se sont amplement écartés de leurs fonctions et ont abusé de leur pouvoir. En conclusion, le juge des faibles ne peut l’emporter en dehors du cadre légal ; pour l’emporter, il se doit donc d’utiliser les armes qui sont les siennes et user de son autorité.

Une figure autoritaire

§16 Selon Marcel Oms, « le Juge est celui à qui chacun s’en remet, se transfère. C’est l’image idéale du père absolu »65. En effet, le juge d’instruction incarne parfois dans le cinéma français une figure paternelle voire paternaliste, chargée de protéger l’humain contre lui-même. Cette image est d’autant plus manifeste quand il a affaire à des mineurs, comme l’attitude des juges dans Les risques du métier et La French l’illustre. Le juge âgé et à l’aspect débonnaire du premier film a ainsi tendance à croire sur parole les jeunes filles accusant l’instituteur Doucet. Dans le second, le juge Michel, alors encore juge des mineurs, outrepasse ses fonctions en tentant d’aider personnellement une mineure à se sortir de l’héroïne, en la protégeant de ceux qui la maltraitent et en continuant à la suivre alors qu’il n’est plus en charge de son dossier. Dans ces films, l’autorité du juge est ainsi évoquée de façon positive.

Cependant, dans d’autres films le mettant en scène, la manifestation de cette autorité dérive souvent en autocratie. Détenteur d’une autorité légitimée, le juge impose ses décisions et sa façon de procéder de façon autoritaire. Sans forcément avoir à hausser la voix, il sait se montrer autoritaire, mais également cassant et méprisant. Il rappelle ainsi qu’il est le chef, et que ceux qui l’assistent ne sont pas des collaborateurs mais bien des subalternes. Il peut ainsi par exemple refuser toute initiative des auxiliaires de justice66; lors de reconstitutions, c’est lui qui est aux manœuvres, avec un comportement nécessairement dirigiste67 ; parfois même il insulte les mis en examen et les témoins. Il use de son autorité pour écourter certaines procédures, notamment la relecture du procès-verbal de l’audition par la personne auditionnée. Également, il s’énerve lorsque les autres critiqueront sa façon de mener l’instruction et mettra fin au conflit lorsque deux personnes se disputent en sa présence, en les rappelant à l’ordre. De manière générale, le juge d’instruction au cinéma outrepasse ses fonctions en émettant des avis sur le comportement de ses interlocuteurs, leurs manières ou leur façon de penser. Il a donc tendance à « juger » la personne pour ce qu’elle est, et non pour les faits qui lui sont soumis, comme son rôle l’exige pourtant.

Démonstration d’une rivalité personnelle entre le juge et les autres protagonistes

§17 Le juge est, du moins au cinéma, en grande partie poussé par son orgueil et est en concurrence avec d’autres personnages, notamment ceux remettant en cause son monopole de dire le droit et de mener l’instruction. L’Ivresse du pouvoir illustre les jeux d’ego et de pouvoir qui peuvent s’établir entre le juge et les différentes personnes liées à l’affaire. Alors que la juge Charmant-Killman emménage dans de nouveaux locaux plus spacieux, le président du tribunal vient lui annoncer qu’elle travaillera désormais en binôme avec une autre juge :

– Le président du tribunal : « Je voulais te dire : tu vas être contente, tu ne seras plus seule. Je t’ai adjoint quelqu’un. Elle a beaucoup d’expérience, surtout avec les politiques ».

– Jeanne Charmant-Killman : « Elle ? C’est qui elle ? ».

– Le président du tribunal : « Venez, je vais vous présenter. (…) Erika Aymard, Jeanne Charmant. Mes deux juges préférées ».

– Erika Aymard : « C’est bien nous sommes au même étage ».

– Jeanne Charmant-Killman : « Vous êtes là depuis quand ? (…) René Lange c’est pour moi, hein, je veux terminer ce que j’ai commencé ».

– Erika Aymard : « Mais on se le repassera, y a pas de problèmes. Vous êtes comme moi, vous voulez le faire plonger non ? ».

– Jeanne Charmant-Killman : « Je veux faire plonger tous ceux qui s’imaginent savoir nager ».

§18 Ses adversaires sont, de façon récurrente, et en dehors bien évidemment des malfaiteurs, le procureur, les autres juges, les avocats ainsi que les commissaires de police68. Les avocats lui font d’ailleurs parfois remarquer qu’il fait du dossier une affaire personnelle, afin de dénigrer son instruction69. Loin de conserver une distance par rapport aux dossiers qu’il est amené à traiter, le juge d’instruction au cinéma se réjouit de l’avancée de l’instruction et des « victoires » qu’il remporte, tout en prenant ses « défaites » à cœur. L’entourage du juge lui fait également souvent le reproche de pécher par orgueil et d’apprécier qu’on parle de lui dans les médias. Dans un registre un peu différent, les petits juges sont souvent soupçonnés par les puissants d’agir par frustration et de vouloir prendre une revanche sociale70. Les adversaires du juge peuvent ainsi être amenés à jouer de cet ego, en instrumentalisant notamment la concurrence existante entre magistrats71.

Vers une incarnation nouvelle de la machinerie judiciaire

§19 Une critique qui s’est développée au cours des dix dernières années porte sur l’inhumanité de la justice, incarnée par un juge d’instruction apparaissant comme le plus froid de tous les monstres froids72. À titre d’exemple, dans Présumé coupable, le juge d’instruction Burgaud est interrogé par l’avocat d’Alain Marécaux devant la Cour sur son instruction. Alors que ses erreurs sont manifestes, le juge Burgaud ne laisse transparaitre aucun sentiment et s’explique méthodiquement sur sa procédure.

– Me Hubert Delarue : « Mais vous êtes d’une naïveté inouïe ! En somme tout pour vous s’est bien passé ?! Chaque semaine Madame Badaoui et les enfants vous disent des choses de plus en plus folles et scabreuses, la police belge ne retrouve pas la ferme, le prétendu crime reste sans cadavre… ça fait pas tilt chez vous, vous n’avez jamais eu de doute ? ».

– Le juge Burgaud, d’une voix neutre : « Il est vrai que les investigations en Belgique ont été vaines mais ça ce n’est qu’une partie du dossier ».

– Me Hubert Delarue : « Oui mais derrière tout ça il y a de l’humain, hein, il y a des vies brisées (…). Qu’est-ce que ça vous inspire tout ça ? ».

– Le juge Burgaud réfléchit, puis répond : « On ne fait pas une instruction dans l’émotion (…) ».

– Me Hubert Delarue : « Vous n’avez aucun état d’âme hein ? Vous vous réfugiez sans cesse derrière d’autres magistrats ».

§20 Le juge est dans ce cas, contrairement à ce que nous avons constaté concernant sa représentation dans les œuvres cinématographiques dont l’action se déroule avant 1945, d’apparence physique mince, sobrement vêtu et affiche un visage fermé. Cette neutralité du personnage peut là encore servir deux propos différents : cela peut soit contribuer à l’objectivisation de ses décisions, et ainsi justifier son comportement auprès du public, comme nous l’avons vu pour *Z *; au contraire, dans le cas qui nous occupe ici, cela le dessert et a pour fonction de dénoncer son inhumanité, en le rattachant à un personnage dénué de sentiments et ne cédant à aucun plaisir, même celui de la bonne chère.

Le personnage qui illustre le mieux cette évolution est le juge Burgaud de Présumé coupable. À aucun moment celui-ci ne laisse transparaitre le moindre sentiment ou signe d’humanité. Le juge d’instruction continue son instruction implacablement, en ignorant tous les éléments incidents qui ne touchent pas à l’affaire73. Visiblement, l’absence de regrets, ou plus exactement d’excuses, du juge Burgaud a heurté le réalisateur du film Vincent Garenq qui a ressenti le besoin de dénoncer cette attitude à l’écran74. Bien que cela puisse évidemment choquer, il est cependant attendu du juge d’instruction un certain détachement ; nous avons vu précédemment les dangers que peuvent entrainer une trop grande implication du juge75. Pour l’ancienne juge Isabelle Prévost-Desprez, Renaud Van Ruymbeke, magistrat médiatisé du fait du rôle qu’il a joué dans les affaires Urba, des frégates de Taiwan ou plus récemment Clearstream, représente « l’archétype de la fonction. Voilà comment les choses devaient être, voilà l’espace naturel du juge d’instruction, pas d’excès, de la mesure, la stricte observance de la procédure. De plus, sa personnalité calme, presque taciturne, en faisait un personnage d’autant plus crédible. Il ne partait pas sabre au clair »76. Sous la plume de celle-ci, un personnage qui pourrait paraître dénué de sentiments devient calme et réservé.

Parce que les films ont un effet certain sur l’imaginaire collectif et que Présumé coupable transpose à l’écran une affaire réelle et récente qui a marqué les esprits, un commentaire semble nécessaire. Ce film a en effet d’autant plus d’importance qu’il est adapté de l’affaire d’Outreau, qui a considérablement influencé la perception par le grand public du magistrat instructeur77. Tout d’abord, les actes du juge Burgaud ont tous été validés par le juge des libertés et de la détention ainsi que par la chambre de l’instruction, qui sont donc également impliqués dans cette faillite judiciaire. Hormis les magistrats, les avocats de la défense n’ont pas davantage rempli leur rôle de garde-fou en s’opposant de façon efficace au juge d’instruction78. Loin de l’automate que certains films en font, ces erreurs révèlent la faillibité de leur jugement et, par conséquent, leur humanité79.

§21 Enfin, il est important de relever que ce sont souvent des femmes qui campent ces juges froids, distants, autoritaires et cassants avec leurs interlocuteurs, alors que, pour ces films, c’est un homme qui se trouve derrière la caméra. Si le nombre de leurs représentations dans la fonction de juge s’est multiplié depuis 200680, ces femmes sont rarement des personnages sympathiques au premier abord. Le choix d’Isabelle Huppert ou de Sandrine Kiberlain, actrices aux physiques « froids », pour camper ces personnages, n’est d’ailleurs pas dû au hasard. Les femmes juges sont souvent castratrices et ne montrent aucun intérêt pour les plaisirs, notamment charnels81, tandis que ce sont systématiquement des hommes qui viennent humaniser ces « monstres ».

Dans de nombreuses œuvres cinématographiques, le juge d’instruction incarne donc un personnage au(x) pouvoir(s) étendu(s). La fonction fait ainsi l’objet d’une représentation négative en tant qu’incarnation d’une justice inique reflétant la puissance des dominants sur les dominés. L’hypocrisie des institutions judiciaires sera soulignée à travers l’arbitraire du juge d’instruction, ses méthodes et sa personnalité, symbole de l’inégalité devant la justice. Cependant, à l’opposé de ce que nous venons d’évoquer, un autre courant, apparu dans les années 1970, mit en avant la figure du « petit juge » comme contre-pouvoir efficace.

L’incarnation d’un contre-pouvoir républicain

§22 Le juge d’instruction, de par son indépendance et les pouvoirs dont il bénéficie, représente également un contre-pouvoir au cinéma. Le personnage est notamment repris dans les « films à thèse », dont la figure centrale est le « petit juge ». Si celui-ci incarne une justice idéale, correspondant au respect scrupuleux des textes, il connaît souvent une fin tragique.

La figure du juge d’instruction au service du film à thèse

§23 Le film à thèse est le pendant cinématographique du roman à thèse, qui peut être définit comme œuvre « réaliste (…) qui se signale au lecteur principalement comme porteur d’un enseignement, tendant à démontrer la vérité d’une doctrine politique, philosophique, scientifique ou religieuse »82. Il s’agit alors d’un film engagé qui vise à nourrir la réflexion sur une réalité, à dénoncer des faits réels et à exposer une théorie de l’auteur à travers une œuvre. Le réalisateur recourt alors à « une mise en scène et en images d’une histoire bien racontée susceptible à la fois de toucher le grand public, de l’émouvoir, et de l’amener à réfléchir »83. Il s’agit donc de toucher le public le plus large possible par le biais des instruments du divertissement, pour susciter un intérêt à des questions définies84. Le film à thèse est issu de la pièce à thèse, qui était elle-même le fruit du développement du courant réaliste dans les arts à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Si la réciproque n’est pas toujours vraie, le film à thèse est souvent un « film à clef ». Bien qu’étant une œuvre de fiction exprimant la vision de son réalisateur, l’adossement à des évènements réels sert à dénoncer plusieurs choses : la justice de classe, les collusions entre les pouvoirs politique, économique et judiciaire, voire la mafia*.* Le film à thèse vise donc des faits bien réels, et cherche à sensibiliser son public à des problématiques particulières.

§24 Z, sorti en 1969, marque un tournant en mettant pour la première fois en scène un juge d’instruction au centre d’un film à thèse. Ce film fit des émules durant la décennie 1970, avec des films comme Le Juge Fayard dit « Le Shériff » et Les Assassins de l’ordre85. Si aucun pays n’est cité, le film de Costa-Gavras assume se référer à une réalité, à savoir l’assassinat du député Grigoris Lambrakis en 1963 et la dictature des colonels en Grèce : « Toute ressemblance avec des événements réels, des personnes mortes ou vivantes n’est pas le fait du hasard. Elle est VOLONTAIRE » est ainsi précisé dès l’introduction de Z. Afin de souligner l’aspect dérangeant, pour le pouvoir, de son film*,* Yves Boisset évoque la surveillance étroite dont le tournage du Juge Fayard dit « Le Shériff » fit l’objet, avec notamment la présence d’officiers des renseignements généraux sur le plateau86. Également, comme pour confirmer l’exactitude de sa « thèse », le réalisateur s’enorgueillit de la présence des truands dont le film s’inspirait dans le public assistant au tournage. Un membre des renseignements généraux lui aurait ainsi confié : « On ne peut pas y toucher. Il est protégé par le SAC de Pasqua. Comme dans votre scénario ». Et le réalisateur de conclure qu’« (u)ne fois de plus, la réalité rejoignait d’une manière inquiétante la fiction »87. Si certains réalisateurs assument ce statut, d’autres nient tout engagement politique et déclarent avoir agi par réaction, par sentiment88. Alors qu’Albert Dupontel et Marcel Carné nient avoir voulu réaliser des films à thèse89, leurs films dénoncent une justice de privilégiés qui cachent mal leur mépris pour les classes populaires à travers des procédures se voulant rationnelles, de même que les violences policières90.

À travers la figure du juge d’instruction, c’est un métasystème qui est critiqué. Alors que la dénonciation d’une justice de classe faite par les riches pour les riches est sans doute le thème le plus récurrent91, ces films révèlent des problématiques historiquement situées : si la question de l’internement des « fous » est posée dans Le Juge et l’Assassin92, le film suit de peu la parution d’Histoire de la folie à l’âge classique93 et s’inscrit dans une époque de popularisation de ces questions. Sorti à une époque où les questions du traitement des marginaux et de leur enfermement étaient en vogue, le film souligne les difficultés avec lesquelles la justice appréhende les malades psychiatriques94. Suite aux scandales financiers ayant éclaté à partir des années 1980, ceux-ci seront plus souvent abordés à partir de la décennie 200095.

Si, comme nous l’avons évoqué, les critiques se sont concentrées durant la dernière décennie sur le fonctionnement de l’appareil judiciaire96, la critique peut également porter sur une époque particulière97. Alors que le juge d’instruction tel qu’il existait avant 1958 est représenté comme le fer de lance des puissants, son indépendance lui a offert la perspective d’endosser un rôle positif. À la lecture de lutte des classes qui imprégnaient les premiers films à thèse98, est privilégiée l’affirmation des principes républicains et d’égalité de tous devant la loi dans les œuvres plus récentes, avec le personnage dit du « petit juge ».

La figure du petit juge

§25 Le personnage central du film à thèse est le petit juge. Celui-ci est un magistrat idéaliste de condition relativement modeste – du moins en comparaison à ses adversaires – inspiré par des principes moraux99.

Tout d’abord, pour ce qui est de son apparence, au contraire de ce que nous avons vu précédemment concernant le juge comme homme de pouvoir, dans sa représentation positive, le juge d’instruction, s’il arbore costume sombre et cravate, est d’une apparence plus austère que ses adversaires riches et puissants. Il appartient alors à la classe moyenne et a des goûts populaires qui accentuent l’opposition entre lui et ses adversaires. On voit par exemple le juge Bernard Level dans un appartement à l’apparence assez simple regarder un match de football en fumant des cigarettes et se saouler dans un bar populaire avec des amis de son fils100. À l’opposé, le juge qui s’attaque au pouvoir emploie également un langage populaire et peut être amené à utiliser des termes tels que « poulet » en lieu et place de policier, ou « brique » pour parler de sommes d’argent101. Confronté à plus puissant que lui, c’est alors lui qui fait l’objet du mépris de ses adversaires, ce qui selon le témoignage de l’ancienne juge Isabelle Prévost-Desprez correspond à ce qu’elle a pu ressentir lors d’auditions de personnes issues de milieux privilégiés, qui soupçonnaient les juges, faiblement rémunérés, de jalousie et d’aigreur à leur égard102.

La condition du succès de l’instruction est la constitution d’un dossier irréprochable. Le juge d’instruction est donc assidu à la tâche, travaille constamment et connaît ses dossiers par cœur. Les raisons de cet acharnement au travail peuvent être multiples : ambition de carrière, goût du métier mais aussi engagement moral. Le magistrat peut être amené à travailler tard dans son bureau, voire y passer la nuit, pour finalement confondre vie privée et professionnelle. Outre les nombreuses scènes où l’on voit le protagoniste continuer à travailler sur des dossiers chez lui, la montagne de travail et l’importance de l’affaire sont fréquemment soulignées par les piles de dossiers qui s’accumulent sur son bureau103.

Ce travail harassant exige une personne en bonne condition physique. Ainsi, le décret du 1er mars 1852 indique « qu’à ses qualités morales un juge d’instruction doit ajouter des conditions d’activité physique, indispensables surtout dans les pays d’accès difficile ou dans les arrondissements très étendus »104. Dans la réalité comme dans la fiction, y compris littéraire105, la moyenne d’âge des juges d’instruction a considérablement baissé avec le temps : de plus de 50 ans dans les années 1960, elle est passée à moins de 40 ans en 1987106. Les films dont l’action de déroule avant 1958 en font des personnages en chair et relativement âgés107. Ultérieurement, le magistrat instructeur est un personnage mince, plutôt jeune et dynamique. Le juge d’instruction se déplace également en permanence, ce qui en fait, d’un point de vue cinématographique, un personnage plus intéressant que le juge du siège, classiquement montré au tribunal ou à la cour108.

§26 Le juge d’instruction étant par nécessité jeune et se consacrant pleinement à son travail, il est également souvent seul. Cette solitude est parfois indiquée par des scènes tournées dans son appartement trop grand pour lui, ce qui a pour effet d’accentuer le sentiment de vide autour du personnage. Sa vie de famille est plutôt réduite et se limite à sa compagne ou son compagnon. Il n’a que rarement des enfants, et souvent pour des raisons propres à la dramaturgie. Marcel Carné justifie ainsi le choix de créer le personnage du fils : « Cet homme qui vivait seul avait besoin d’une sorte de confident et nous avons imaginé les rapports du père et du fils tels qu’ils sont »109. Son travail l’amène à négliger sa vie de couple et sa vie de famille en général. Le juge est en effet sous pression, perpétuellement nerveux, avec des conséquences néfastes pour ses relations personnelles. Cela crée des tensions avec ses proches, qui se traduiront par des disputes à l’écran. Là encore, la solitude du magistrat instructeur est corroborée par les témoignages d’Isabelle Prévost-Desprez110 et d’Eric Halphen111.

  1. est évocateur.

Montrer la vie privée du juge suscite indubitablement la sympathie du spectateur. Le juge d’instruction est toujours un bon père de famille et un mari aimant, comme si sa fonction exigeait une conduite morale irréprochable sur tous les aspects. On voit ainsi parfois le juge embrasser sa compagne ou encore s’occuper de ses enfants112 ; au contraire, ses adversaires sont fêtards et volages. Pour souligner l’antagonisme qui existe entre les deux adversaires, la réalisation a tendance à alterner les scènes montrant les personnages dans leur intimité, afin de souligner que tout les oppose. Dans Le juge, le spectateur voit ainsi Rocca, à la tête de la French connection, ramener une jeune et belle femme chez elle, dont on soupçonne qu’il ne s’agit pas de sa femme, avec laquelle il a un comportement autoritaire. À l’opposé, le juge François Muller a une vie de famille on ne peut plus classique, et se montre aimant avec sa femme113.

§27 De caractère, le petit juge est un personnage intègre. Loin d’être indifférent à sa mission, il est inspiré par un esprit de justice, conçue non comme le droit positif mais comme un droit idéal et moral différent des textes de lois en vigueur. Sa soif de justice et son intégrité lui servent d’éléments moteurs, au cinéma comme dans la littérature114. Le juge Lebel résume ainsi son combat : « J’ai tenu parce que je pensais que le droit vaincrait sa vieille ennemie, la force. Mais j’ai perdu mes illusions. La justice n’est que l’équilibre entre les mensonges »115. L’opposition ne se fera toutefois pas la plupart du temps entre droit et force, mais plutôt entre loi et ordre. Dans les films mettant en scène le petit juge, l’existence d’intérêts supérieurs, notamment l’ordre, sont avancés par ceux qui s’opposent à la vérité. Le juge des Âmes grises se contente ainsi de trouver deux coupables qu’il sait innocent, bien que ses soupçons portent sur le procureur. Ses motivations personnelles et son souci de l’image de la justice et de ses magistrats l’emportent sur la recherche de la vérité. Dans Z, le « procureur général du pays » tente de dissuader une dernière fois le juge, en arguant qu’inculper des officiers apportera le discrédit sur la justice et la police, à un moment où le pays serait envahi par des « voyous aux cheveux longs, des athées et des drogués au sexe indéfini ».

C’est le combat contre l’impunité et pour l’égalité de tous devant la loi qui anime le petit juge. La juge Charmant-Killman déclare ainsi ne pas s’intéresser à l’image de la justice, mais à la justice elle-même116. Pour empêcher le petit juge de parvenir à ses fins, ses puissants adversaires useront de tous les moyens à leur disposition. Révélateurs de l’étendue de leur pouvoir, ils agiteront la carotte, souvent une promotion ou plus rarement la remise d’une somme d’argent, ou le bâton, à travers diverses sanctions allant du dessaisissement de l’affaire à la mutation, jusqu’à l’assassinat. Bien qu’il puisse être tenté de céder, le petit juge se montrera incorruptible, refusera les honneurs et les promotions117. Il renoncera à son bonheur personnel et se sacrifiera pour sa conception de la justice. On retrouve là le principe du dilemme tragique : placé devant un choix difficile, le héros préfère se sacrifier par fidélité à ses idéaux118. Au cinéma, la vérité a souvent un prix : à l’ordre et au confort personnel, le petit juge privilégiera la justice et la vérité.

Les réalisateurs assument de croire en des vertus cardinales. Il en est ainsi de Vincent Garenq et de Marcel Carné, qui revendiquent un idéalisme lié aux valeurs qu’on enseigne aux enfants119. Cette vision du juge d’instruction est moins naïve qu’il ne pourrait y paraître au premier abord ; elle correspond même grandement à la réalité. Dans un ouvrage retraçant son parcours et ses motivations, l’ancienne juge d’instruction Isabelle Prévost-Desprez parle d’un besoin de justice, d’une quête d’impartialité et de la recherche de la vérité120.

Le respect de la procedure au service de l’intégrité du juge d’instruction

§28 À l’opposé du juge qui abuse de sa puissance évoqué précédemment, l’intégrité du petit juge est représentée à travers son respect de la procédure. Celle-ci ne présentant dans l’ensemble pas grand intérêt pour le septième art, les films se concentreront sur trois moments en particulier.

La procédure comme moyen d’objectivisation de l’instruction

§29 Dans une scène aujourd’hui classique de Z, les officiers ayant ordonné l’assassinat du député défilent un à un sur une musique de Mikis Theodorakis dans le bureau du juge d’instruction incarné par Jean-Louis Trintignant. Tous s’offusquent que le petit juge leur demande systématiquement leurs noms et prénoms alors que la machine du greffier enchaine les procès-verbaux et que les inculpations tombent. C’est à présent le général, le plus haut gradé, qui se trouve devant le juge.

– Le général : « Vous devez bien comprendre que pour moi il n’y a qu’une alternative : ou je suis lavé de tous soupçons, ou je me suicide, pour éviter le déshonneur ».

– Le juge : « Nom, prénom, profession ».

Alors que le général est outré, son avocat lui explique : « C’est l’usage, mon général ».

Puis le juge l’interroge sur son emploi du temps le jour de l’assassinat. Alors que le général nie tout lien avec un groupuscule fasciste, le juge lui montre une photo le montrant participant à une des réunions du groupuscule.

– Le général : « Cette photo est truquée. De toute façon ce n’est pas une preuve ».

– Le juge : « Vous êtes inculpé d’homicide volontaire avec préméditation et abus de pouvoir ».

Le juge Van Ruymbeke décrit ainsi son métier au journaliste dans L’Enquête : « Le plus difficile est de trouver le fil qui va tout déclencher (numéro de compte, virement suspect), puis déterminer d’où vient cet argent, où il va, et qui se cache derrière ». En bon enquêteur, un juge d’instruction essaie tout d’abord de trouver un fil puis de le suivre et de dérouler la pelote de laine afin de dévoiler l’ensemble de l’affaire. Dans Z, on voit ainsi les décorations des militaires qui défilent dans le bureau du juge, qui les met en examen, afin de faire comprendre au spectateur que le magistrat progresse dans un ordre croissant, en commençant par les sous-fifres pour enfin atteindre les principaux responsables.

Dans le premier cas, il y a pour certains réalisateurs le souci d’objectiviser l’action du magistrat, en insistant sur son respect de la procédure. Comme nous l’avons vu, le juge ne pense pas être animé par des raisons personnelles extérieures à l’affaire qu’il est chargé d’instruire et se défend en affirmant n’appliquer que strictement la loi. C’est elle, ainsi que de façon extensive les procédés, qui permettront dans certains cas de différencier le bon du mauvais juge. L’archétype du juge idéal est celui incarné par Jean-Louis Trintignant dans *Z *: celui-ci, le regard caché en permanence derrière des lunettes fumées, est désincarné et ne montre à aucun moment une quelconque émotion. On ne sait rien de sa vie privée, si ce n’est que son père était un militaire, ce qui permet d’écarter l’éventualité qu’il soit un communiste inspiré par ses convictions politiques. Celui-ci respecte la procédure à tout moment, requalifiant les faits d’« accident » tant que les preuves ne permettent pas encore de conclure à l’assassinat, demande systématiquement les nom, prénom, et profession de ses interlocuteurs lors des auditions pour le procès-verbal, et ce même quand leur identité est connue de tous. De façon similaire, le juge Jean-Marie Fayard se retranche derrière la procédure pour justifier sa décision de placement en détention d’un patron121. Le petit juge d’instruction est donc animé par un sens du devoir plus que par une sensibilité à l’injustice122.

§30 Comme nous l’avons vu précédemment, le mauvais juge peut être celui qui ne respecte pas la procédure délibérément. Ainsi du juge Rousseau, qui est persuadé de son bon droit : selon lui, il s’agit d’un assassin multirécidiviste et qu’il faut donc l’empêcher de nuire par tous les moyens123. Le juge Emile Fourquet, dont est inspiré le juge Rousseau à l’écran, a d’ailleurs par la suite écrit des mémoires dans lesquelles il montre son incompréhension face aux critiques qui lui ont été faites suite à cette affaire, alors qu’il s’attendait à une récompense à la mesure de son travail124. La principale arme du juge pour faire triompher sa cause n’est pas la violation manifeste du droit, mais sa capacité en bon juriste d’interpréter les règles en sa faveur pour constituer le meilleur dossier possible125.

Les étapes d’objectivisation de l’instruction

§31 Trois étapes importantes de la procédure serviront de moyen d’objectivisation afin de ranger le spectateur du côté du juge : l’autopsie, la reconstitution et l’audition.

Dans les cas de meurtre, l’autopsie par le médecin légiste constitue une étape importante de la procédure. Les coupables s’y opposent systématiquement, ce qui a pour effet de révéler leur mauvaise foi et leur perception négative par le spectateur, tandis que son aspect scientifique objectivise l’action du petit juge, car la science est dénuée de la subjectivité que peuvent avoir par exemple les témoignages. Le légiste déclare au juge Lebel qu’il n’a aucun doute sur le fait que la cause du décès soit un « passage à tabac »126, de même que les médecins de Z sont certains que le député est décédé des suites d’un coup de matraque, et non d’une chute127. Après l’autopsie, la version officielle de l’accident se retrouve ainsi infirmée par la science et le spectateur se trouve de façon incontestable en présence d’un meurtre. À contre-pied, le refus par le juge Emile Rousseau de laisser examiner le suspect par des médecins de peur qu’ils ne concluent à sa folie contribue à la représentation négative de sa manière d’instruire128. Par l’autopsie, le spectateur sait ainsi immédiatement de quel côté se trouve la vérité et cela déterminera sa perception de l’action du juge.

§32 La reconstitution est une étape de la procédure qui intéresse particulièrement les cinéastes. Dans les cas où le spectateur ne connaît pas plus d’éléments que le juge d’instruction, elle permet tout d’abord d’associer le spectateur à l’enquête, qui s’identifiera ainsi plus facilement au juge en progressant à son rythme. La principale fonction du juge étant d’enquêter, on peut appliquer par analogie les codes du thriller à son instruction129. Dans ce genre de films, l’intrigue repose en effet sur l’enquête et sur le maintien d’une certaine tension ; le spectateur ne doit par conséquent pas en savoir plus que le protagoniste.

La reconstitution permet notamment au juge d’observer les réactions de chacun, de vérifier l’exactitude des récits. Cela contribue également à légitimer l’instruction : si le juge se fie en partie à son libre-arbitre, les faits, eux ne mentent pas. La reconstitution sert non seulement à faire progresser l’enquête130, mais révèle également la mauvaise intuition du juge131 ou, au contraire, confirme que celui-ci est sur la bonne voie132. Enfin, cela expose au grand jour la duplicité de son ou ses antagoniste(s), dont la simple volonté du magistrat de comprendre la réalité des faits en procédant à une reconstitution suscite l’hostilité.

§33 Les auditions sont des moments importants des films du genre : elles offrent un moyen de confrontation direct entre les deux antagonistes et permettent de créer une certaine tension.

Lors de l’audition, le magistrat a pour méthode de répéter les mêmes questions méthodiquement, sans violence, et confronte éventuellement la personne auditionnée aux incohérences de son récit lorsque celle-ci ment. Conservant une voix posée, y compris lorsqu’on le menace, il fait toujours face à son interlocuteur, contrairement aux policiers qui n’hésitent pas à hausser la voix et dont une des méthodes classiques d’interrogatoire consiste à se placer dans le dos de la personne interrogée pour la déstabiliser. Alors que ces derniers cherchent l’aveu par le moyen de la force133, le juge d’instruction recoupe méthodiquement les preuves et les récits que font les personnes auditionnées, pour mettre leurs interlocuteurs face à leurs contradictions. À la suite d’un échange violent avec un suspect, ce dernier hurle au juge Muller : « Allez-y, tapez-moi dessus pendant que vous y êtes. Allez-y, cognez comme un flic, vous allez voir si je vous parle ou pas ». Avant d’ajouter : « Vous avez une tête de flic, des méthodes de flic. Vous puez le flic, je vous crache dessus monsieur le Juge. Vous êtes un tout petit petit flic (…) »134.

Nous constatons le souci dans plusieurs films de donner une représentation réaliste de ces auditions. Cela passe tout d’abord par les personnages en présence : outre le juge d’instruction et la personne auditionnée, se doivent d’être présents le greffier, qui consigne dans un procès-verbal l’ensemble de l’audition, et son avocat, à moins que l’individu ne soit entendu comme simple témoin135. Les deux personnages sont ainsi systématiquement représentés dans ces films, et l’absence du greffier pour accomplir certains actes est parfois signalée au juge136. En raison de la narration, la réalisation se permet parfois, volontairement ou non, des entorses à la procédure. Le juge Michel de La French interroge ainsi « Perretti » seul dans son bureau, en l’absence du greffier, de l’avocat et des officiers de police. La juge Charmant-Killman remet également son propre dossier sur l’affaire à un avocat, ce qui ne correspond aucunement à la procédure pénale prévue137.

Le comportement des personnes interrogées correspond également à une certaine réalité, comme on le constate à travers le témoignage de l’ancienne juge d’instruction Isabelle Prévost-Desprez : « Dans ce type d’affaires, les personnes mises en cause avouent rarement. Il existe toujours, selon elles, de bonnes raisons à tel abus de biens sociaux ou telle manipulation comptable »138. Nous retrouvons sur grand écran une scène illustrant parfaitement ce propos : dans L’Enquête, Imad Lahoud justifie, lors de son audition, ses actes par l’explosion de la bulle internet et sa peur de tout perdre. La juge qui l’auditionne n’est cependant pas dupe, réagit en conséquence et lui rétorque: « Moi je crois que la crise a bon dos. Ce qui ressort de ce dossier est que vous avez systématiquement dissimulé votre mauvaise gestion », avant de le mettre en examen pour escroquerie aggravée139.

Enfin, on retrouve à l’écran à travers ces scènes les évolutions des auditions par le juge d’instruction, ainsi que l’encadrement progressif de son pouvoir à travers le développement des droits de la défense. Avec un certain anachronisme, Emile Rousseau évoque devant l’assassin Bouvier son droit à l’assistance d’un avocat lors de son audition, comme le permet une nouvelle loi140.

§34 En dehors de l’audition, le juge d’instruction est dans un rapport de manipulation permanent, qui s’apparente à une méthode propre au juge d’instruction. Comme le reconnaît le juge Rousseau, mentir fait partie du métier ; c’est pourquoi il manipule l’assassin en créant une relation de proximité et de confiance avec lui afin que celui-ci lui décrive les meurtres et ses motifs, tout comme il manipule la presse et les médecins, sans aucun scrupule141. Si le procédé peut apparaître dérangeant aux yeux du public, certains juges l’assument d’une façon gênée. Bertrand Tavernier nous confie ainsi avoir « (…) été très touché par la réaction de certains juges d’instruction. Le fameux juge Charrette, par exemple : “Pendant tout le film, je me suis identifié à Philippe Noiret. C’est tout ce que je ne voudrais pas être comme juge d’instruction, et pourtant, je comprenais sa démarche. J’avais l’impression que j’agirais comme lui, avec ce mélange de fausses complicités pour obtenir des aveux” »142.

Alors que dans l’exemple qui vient d’être cité le procédé est dénoncé, la majorité des films en font l’apologie. La manipulation est l’apanage du petit juge, pour lequel le rapport de force direct avec un pouvoir plus puissant ne peut tourner à son avantage. Il doit faire preuve de subtilité et manipule donc ses interlocuteurs pour arriver à ses fins : Jean-Marie Fayard n’hésite pas à séduire l’employée des archives pour accéder à un dossier sans autorisation143 ; le juge incarné par Jean-Louis Trintignant provoque son interlocuteur en le traitant de communiste, pour que celui-ci s’offusque et lui révèle à quelle organisation d’extrême droite il appartient144 ; le juge Michel de La French propose au ministre Gaston Defferre de lui faire attribuer les avancées de l’affaire afin de récupérer le dossier ; le juge Muller arrive à convaincre un détenu en se rendant dans sa cellule que lui confier des informations ne revient pas à « balancer » et qu’il est là pour l’aider145.

Le jeu de manipulation peut être toutefois réciproque : ses antagonistes, et plus rarement certains soutiens146, recourent aux mêmes procédés147, et ce afin d’écarter ce magistrat gênant.

Le recours aux codes de la dramaturgie

§35 En héros tragique, la quête du juge d’instruction ne peut réussir148. Alors qu’il est représenté de façon héroïque, son combat prend souvent un sens dramatique. Le prêteur est contraint de renoncer à sa quête face à son trop grand adversaire, ou du moins y laisser des plumes. Même si celui-ci réussit à surmonter les nombreuses embûches en constituant un dossier irréprochable à charge contre le pouvoir, la force triomphe en partie de la justice et les coupables sont immédiatement relâchés à la suite du procès ou bénéficient de sentences légères. Le juge est quant à lui sanctionné, en étant muté, rétrogradé ou, dans le pire des cas, assassiné.

Malgré cette apparence d’échec, les représentations de ces affaires à l’écran se veulent positives. Alors que les policiers n’ont pas été inquiétés et le juge Lebel muté149, le réalisateur Marcel Carné affirme avoir voulu conclure de façon positive : « Cela se termine sur l’espoir. Cet homme n’est pas vaincu »150. Effectivement, si le juge ne peut remporter seul un affrontement par trop inégal, son combat est repris par d’autres, souvent des magistrats, et il finit par triompher à titre posthume. S’il n’arrive jamais totalement à ses fins, il a eu le mérite de révéler certaines affaires, d’ouvrir le champ des possibles et de démontrer que personne n’est intouchable. La conclusion de ces films est qu’une personne isolée, fût-ce l’être le plus puissant de France151, ne peut rencontrer le succès. La condition de sa réussite est la mobilisation collective, à travers le soutien d’autres magistrats et de l’opinion publique152.

§36 Simultanément symbole de pouvoir et contre-pouvoir, le juge d’instruction est devenu un enjeu démocratique important. De par leur importance, les affaires qu’il est amené à traiter sont symboliques du fonctionnement des institutions judiciaires et de l’égalité de tous devant la loi153. Alors qu’entre 1970 et 2008 la charge a été réformée tous les trois ans en moyenne154 et que les partisans de sa suppression se font de plus en plus entendre, les films ayant pour personnage central le juge d’instruction se multiplient, contribuant à développer un genre nouveau tout en démontrant l’intérêt grandissant du cinéma et du public pour les questions judiciaires155.

Au début du siècle précédent, l’avocat Vincent de Moro-Giafferri, dans une phrase devenue célèbre, s’écriait : *« L’opinion publique ? Chassez-la, cette intruse, cette prostituée qui tire le juge par la manche ! C’est elle qui, au pied du Golgotha, tendait les clous aux bourreaux, c’est elle qui applaudissait aux massacres de septembre et, un siècle plus tard, crevait du bout de son ombrelle les yeux des communards blessés... *». La magistrature, tenue au secret, a parfois pris des allures de Grande Muette, ce qui a parfois permis de taire certaines affaires gênantes.

Si certaines critiques ont insisté sur les défauts des films à thèse ayant pour figure centrale le juge d’instruction, notamment sur la trop grande personnalisation de ces affaires156, les procédés utilisés se justifient par des besoins de narration assumés157 ainsi que par les choix artistiques de leurs réalisateurs158. Par le biais du divertissement*,* ces films sensibilisent un large public à la justice et à son fonctionnement, tout en participant au débat politique et deviennent avec le temps des témoignages historiques159. Certes, ces films ne se suffisent pas, et ne permettent pas au spectateur de se faire une opinion construite de ces affaires et de l’ensemble des enjeux qu’elles impliquent160, mais l’efficacité de la popularisation de ces thèmes par le cinéma a été démontrée161.

§37 Il n’existe pas nécessairement d’opposition systématique entre bons et mauvais juges aux caractéristiques diamétralement opposées. Un même personnage peut être simultanément dans une situation de pouvoir et de contre-pouvoir, et abuser de son autorité dans sa lutte contre les puissants. Les films de ce genre particulier sont donc loin d’être aussi caricaturaux qu’on pourrait le penser au premier abord, et ont souvent le mérite de donner une image crédible des institutions judiciaires ainsi que de leur fonctionnement, comme le laisse penser l’utilisation par l’ENM de cet outil dans la formation des futurs magistrats.

À leur visionnage, on constate que la perception de la violence est passée de visible et physique à symbolique et économique. Dans cette lutte, les juges d’instruction ont été progressivement amenés à jouer un rôle nouveau. D’instrument du pouvoir en place, ceux-ci sont devenus un contre-pouvoir effectif que l’« opposition a toujours chéri »162. Si de rouge dans les films des années 1970 ce magistrat est devenu suspect de frustration et d’envie depuis la fin de la Guerre froide, ses adversaires restent les mêmes. Les films du genre ont le mérite de montrer que le droit et son application reflètent des rapports de force extérieurs au droit, notamment économiques163, et que la façon dont est rendue la justice sert toujours les intérêts d’un groupe au détriment d’un autre.

§38 Autour de la figure du juge d’instruction, c’est également la vérité et la justice comme principes moraux qui sont en jeu. Le bon juge est souvent celui qui cherche à établir cette vérité, tandis que le mauvais cherche à la dissimuler. Si pour beaucoup, vérité est synonyme de Justice, certains films soulèvent un problème d’ordre philosophique : existe-t-il une vérité objective déterminable par un juge ? Rashômon164 montre ainsi la difficulté pour un juge de se déterminer en fonction des récits des différents témoins, qui varient d’une personne à l’autre. Et quand bien même celle-ci existerait, toute vérité est-elle bonne à dire, et est-ce le rôle des institutions judiciaires de le faire ? Si elle peut être louable, cette soif de la vérité peut également dans certains cas être destructrice d’un certain ordre qui peut lui être préférable.

En 2009, alors que l’affaire dite d’Outreau avait sérieusement remis en cause la charge du juge instructeur et que bon nombre du personnel politique semblait vouloir sa suppression, un sondage réalisé en mars révéla que 71 % des Français étaient opposés à celle-ci et que 55 % d’entre eux estimaient que le supprimer entrainerait le renforcement du contrôle exercé par le pouvoir politique sur les affaires les plus importantes165. La sensibilisation d’un large public à ces affaires par le biais des moyens cinématographiques a sans nul doute contribué à la perception positive par le public du juge d’instruction, considéré aujourd’hui comme un contre-pouvoir démocratique important. Par conséquent, avec les outils du divertissement, ces films contribuent au débat sur le fonctionnement de la justice, au cœur du pacte républicain.


  1. Balzac H., Splendeurs et misères des courtisanes. Où mènent les mauvais chemins, Explorer la Comédie humaine. Cité par J.-J. Clère et J.-C. Farcy, Le juge d’instruction. Approches historiques, Dijon, éditions universitaires de Dijon, Dijon, 2010, p. 5. 

  2. Robson P., « Law and Film Studies : Autonomy and Theory », in Freeman M. (éd.), Law and Popular Culture, Vol. 7, Oxford, Oxford University Press, 2004, pp. 21-46, p. 23. 

  3. L’École nationale de la magistrature inclut ainsi dans ses formations la projection de films sur les magistrats et la justice en général. Sur le rôle du cinéma dans la formation des magistrats, voir Robson P., op. cit., p. 46 ; Denvir J., « What movies can teach law students », p. 183-193, in Freeman M. (éd.), op. cit., p. 183. 

  4. Robson P., « Law and Film Studies : Autonomy and Theory», op. cit., pp. 23-24. 

  5. Dans le même sens : Black D. A., « Narrative Determination and the Figure of the judge », in Freeman M. (éd.), op. cit., p. 677-685, p. 679. 

  6. Comme dans The Verdict (Sidney Lumet, États-Unis, 1982) et Erin Brockovich (Steven Soderbergh, États-Unis, 2000). 

  7. A man for all seasons (Fred Zinnemann, Royaume-Uni, 1966). 

  8. Black D. A., « Narrative Determination and the Figure of the judge », op. cit., p. 679. On peut citer à titre d’exemple Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (Robert Zemeckis, États-Unis, 1988) ou Sweeney Todd : Le Diabolique Barbier de Fleet Street (Tim Burton, États-Unis/Royaume-Uni, 2007). 

  9. Le juge d’instruction a été incarné à l’écran entre autres par Philippe Noiret, Jacques Villeret, Jean-Louis Trintignant, Jacques Brel, Patrick Dewaere, Sandrine Kiberlain, Isabelle Huppert, Jean Dujardin et Charles Berling. 

  10. Guilloux A., in Rouger M. (éd.), Le juge d’instruction : échec et mat ? Les entretiens de Royan, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 65 ; Delahousse M., in Rouger M. (éd.), Le juge d’instruction : échec et mat ?, op. cit. , p. 139 : « Les journalistes ont la particularité de ne s’intéresser qu’aux 4 % des affaires (…) criminelles et aux affaires politico-financières, ou mettant en cause des puissants et des célébrités en tous genres. Jusqu’à une date récente, l’ensemble de ces affaires était confié aux juges d’instruction (…) ». 

  11. Ainsi pour Isabelle Prévost-Desprez, ancienne juge d’instruction qui fut notamment en charge de l’affaire des ventes d’armes à l’Angola ou encore du Volter fund, et est à ce titre représentée dans « L’enquête » : « La mise en avant du juge coïncide avec l’irruption puis le triomphe de l’argent roi, incarné par des figures aussi flamboyantes que douteuses, mais valorisées à l’époque par un pouvoir socialiste nouvellement converti au libéralisme économique », Prévost-Desprez I. et Follorou J., Une juge à abattre, Paris, Fayard, 2010, p. 78. 

  12. « The judge is at most a necessary, never a sufficient, component of a genre » : Black D. A., op. cit., p. 680. 

  13. Tout en étant conscient des limites que cette analyse peut avoir, comme il a pu être souligné autre part : « Legal scholar who write about film span a wide range of erudition and depth of research on the subject. The median, however, is fairly low. Part of this may have to do with the widespread notion that “everyone’s an expert” when it comes to film »: Black D. A., Law in Film. Resonance and Representation, Urbana and Chicago, University of Illinois Press, p. 131. 

  14. Clère J.-J. et Farcy J.-C. (éd.), op. cit., p. 7. Nous retrouvons cependant une première mention d’un juge instructeur dans l’ordonnance de Villers-Cotterêts, en 1539. Celui-ci remplaça alors le lieutenant criminel, institué en 1522. 

  15. Rouger M. (éd.), Le juge d’instruction : échec et mat ?, op. cit., p. 

  16. Dans un pays de système accusatoire, où les parties se doivent d’apporter elles-mêmes les preuves. 

  17. Ainsi, le procureur est le personnage central de nombreux films. On peut citer à l’appui JFK (Oliver Stone, États-Unis, 1991) ou I… comme Icare (Henri Verneuil, France, 1979), dont l’action se déroule dans un pays fictif évoquant les États-Unis. 

  18. Badinter R., « La mort programmée du juge d’instruction », in Le Monde, 21 mars 2009. 

  19. S’il existe encore un Ermittlungsrichter, dont les prérogatives sont déterminées aux paragraphes 125 et 162 du Strafprozessordnung (Code de procédure pénale), le législateur allemand a supprimé en 1975 le juge d’instruction tel qu’il existe en France. Ainsi, l’Ermittlungsrichter actuel est un juge de l’instruction, et n’enquête pas lui-même. L’Italie a également supprimé cette fonction en 1989, ainsi que la Suisse en 2011. 

  20. Dans 9 mois ferme (Albert Dupontel, France, 2013), la juge interprétée par Sandrine Kiberlain est issue d’une famille bourgeoise, dont elle a les valeurs, et habite un appartement cossu. Un de ses collègues, Godefroy de Bernard, est lui issu de la noblesse. 

  21. Jean-Luc Douin le décrit de façon suivante : « Cet arriviste homme de loi est un chasseur. Il traque les juifs, les facteurs de désordre, les honneurs et les suspects, et considère chaque chômeur comme un coupable notoire. C’est un inquisiteur sans scrupules, à la justice expéditive : “Est-ce qu’il y a quelque chose de plus bête, mou, ignare, borné, qu’un témoin ?” (…) L’efficacité de ce magistrat écœuré par la routine confine à l’immoralité. », Douin J.-L., Tavernier, Paris, Edilig, 1988, p. 21. 

  22. Le procureur étant directement soumis au ministre de la Justice dans le système judiciaire français, il offre au cinéma l’exemple du magistrat soumis au pouvoir. 

  23. Centre régional de documentation pédagogique de l’Académie de Strasbourg, « Entretien avec Yves Angelo », consulté le 28 octobre 2015 in [http://www.crdp-strasbourg.fr/main2/arts_culture/cinema/documents/ames_grises_presse.pdf], p. 6. 

  24. Les Âmes grises, Yves Angelo, France, 2005. L’action du film se déroule dans une ville de l’Est de la France proche de la ligne de front à l’hiver 1917, période qui correspond à un moment de démoralisation dans l’armée française, qui entraîna de nombreuses désertions et mutineries sévèrement réprimées. L’histoire effectue un parallèle entre le meurtre qui en constitue la trame et la violence omniprésente. 

  25. Nom donné aux lois répressives adoptées entre 1893 et 1894 en réaction aux attentats anarchistes en France. 

  26. Le Juge et l’Assassin, Bertrand Tavernier, France, 1976. L’action se déroule en 1893, une année où la répression s’était durcie avec l’adoption des « lois scélérates » visant les groupes anarchistes, durant laquelle le protectorat du Laos était créé. Le film dénonce également l’antisémitisme de l’époque, alors que l’affaire Dreyfus éclatait un an plus tard. Voir Douin J.-L., ibid., pp.  21 et 94. 

  27. De façon étonnante, Stephan Hay y voit un juge, à travers la relation entretenue avec l’ouvrière Rose, préoccupé par le sort des oppressés. Hay S., op. cit., p. 63. S’il semble effectivement la traiter avec un certain respect, et finit d’ailleurs par l’épouser, celui-ci ne montre pour autant aucune empathie pour les classes inférieures. Sa relation à Rose est celle d’un dominant sur une dominée, et il n’hésite pas à la violer. Le film se clôt d’ailleurs sur une grève des ouvriers, où Rose se range du côté des ouvriers de la fabrique et se met en opposition à son mari. 

  28. Les Âmes grises, Yves Angelo, France, 2005 ; Le Juge et l’Assassin, Bertrand Tavernier, France, 1976. 

  29. Voir par exemple Commis d’office, Hannelore Cayre, France, 2009, où le juge ne comprend pas les expressions utilisées dans le procès-verbal. 

  30. Bourdieu P., La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Editions de Minuit, 1979. 

  31. 9 mois ferme, Albert Dupontel, France, 2013. 

  32. Les Granges Brûlées, Jean Chapot, France, 1973 ; Je fais le mort, Jean-Paul Salomé, France, 2013. Dans La French (Cédric Jimenez, France, 2014), un commissaire rappelle également au juge Michel qu’il n’est pas de Marseille et n’en connait pas les codes. 

  33. Prévost-Desprez I. et Follorou J., op. cit., p. 153. Or, si l’autorité est d’autant plus mal accueillie qu’elle est détenue par un inconnu, le caractère étranger du juge est nécessaire à l’impartialité de l’instruction. N’ayant pas de rapports personnels avec les personnes impliquées, celui-ci se laissera moins facilement influencer par des amitiés ; si celui-ci était ancré localement, son jugement risquerait d’être faussé et il s’exposerait à des conflits d’intérêts. Farcy J.-C., Quel juge pour l’instruction?, in Clère J.-J. et Farcy J.-C. (éd.), op. cit., pp. 93-124, pp. 106-107. 

  34. Créé par l’ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006. 

  35. Si le juge d’instruction possède un pouvoir discrétionnaire, ses décisions sont toutefois soumises à un contrôle, notamment du juge de la détention et des libertés. 

  36. Bourdieu P., « Droit et passe-droit. Le champ des pouvoirs territoriaux et la mise en œuvre des règlements », in Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 81, mars 1990, pp. 86-96. Les italiques sont d’origine. 

  37. « Comme le texte religieux, philosophique ou littéraire, le texte juridique est un enjeu de luttes du fait que la lecture est une manière de s’approprier la force symbolique qui s’y trouve enfermée à l’état potentiel » : Bourdieu P., « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », in Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 64, septembre 1986, pp. 3-19. Le rôle des acteurs dans l’application du droit a notamment été étudié par le courant dit du Legal realism. Nous nous référons à ce sujet à la contribution de M. Ndior dans ce dossier sur « Les représentations du juge dans les séries judiciaires américaines ». 

  38. Nuttens J.-D., Bertrand Tavernier. Film après film, le parcours d’un cinéaste humaniste et en prise avec son temps, Rome, Gremese, 2009, p. 22. 

  39. Douin J.-L., op. cit., p. 94. 

  40. Commis d’office, Hannelore Cayre, France, 2009. 

  41. Le Juge Fayard dit « Le Shériff », Yves Boisset, France, 1977. 

  42. « Il n’y a pas de juges rouges ! Il y a seulement des juges qui essaient de faire leur métier », dit le juge Fayard à sa greffière. Le Juge Fayard dit « Le Shériff », op. cit

  43. Voir Prévost-Desprez I. et Follorou J., op. cit. et Halphen E., Le bal des outrés. Propositions en réponse à ceux qui veulent tuer le juge d’instruction, Paris, Éditions privé, 2006, qui affirment ne vouloir qu’appliquer la même loi pour tous en toute objectivité. À l’opposé, le juge d’instruction au tribunal de grande instance de Créteil et ancien secrétaire général du Syndicat de la magistrature, Matthieu Bonduelle, assume la dimension politique de l’acte de juger, Bonduelle M., « Juger est un acte politique », in Le Monde diplomatique, septembre 2014, p. 28. 

  44. Halphen E., op.cit., p. 25. 

  45. Ibid., p. 32. 

  46. Les anciens juges Halphen et Fenech se critiquent ainsi mutuellement dans leurs ouvrages, tandis que Mme Prévost-Desprez s’est trouvée en conflit ouvert avec M. Courroye, devenus entre-temps respectivement vice-présidente du Tribunal et procureur de la République de Nanterre. 

  47. Madame Prévost-Desprez déplore par exemple que des juges comme Thierry Jean-Pierre et Eric Halphen se soient lancés en politique par la suite, à plus forte raison au sein de partis opposés à ceux sur lesquels ils ont instruit. Ainsi, M. Halphen, qui s’est notamment fait connaître pour son instruction sur les financements du Rassemblement pour la République (RPR, droite) est devenu par la suite secrétaire général du Mouvement républicain et citoyen, parti classé à gauche ; M. Thierry Jean-Pierre, dont la notoriété de juge est due à son action dans l’affaire Urba concernant des élus du Parti socialiste, a été élu au Parlement européen en 1994 et 1999, où il était membre du Parti populaire européen. Cet engagement politique d’anciens juges aurait ainsi contribué à brouiller les cartes et à décrédibiliser la fonction : Prévost-Desprez I. et Follorou J., op. cit., pp. 93-94. 

  48. Les Risques du métier, op. cit. 

  49. Présumé coupable, Vincent Garenq, France, Belgique, 2011. Dans Le Pull-over rouge, qui porte également sur un cas de pédophilie, un scoubidou découvert chez le suspect est interprété comme étant... un fouet par la juge d’instruction, qui le retient donc à charge contre l’accusé Christian Ranucci. Michel Drach, France, 1979. 

  50. Z, Costa-Gavras, Algérie/France, 1969. 

  51. Les Âmes grises, op. cit. 

  52. Le Juge et l’Assassin, op. cit. 

  53. La French, op. cit. 

  54. Ibid. ; Le Juge, op. cit. 

  55. Figurant aujourd’hui à l’article 356 du Code de procédure civile français, tel que modifié par le décret n° 2006-1805 du 23 décembre 2006 et entré en vigueur le 1er janvier 2007. Cette procédure est brandie comme une menace par les avocats dans Le Juge, Philippe Lefebvre, France, 1984 ainsi que dans Le Juge Fayard dit « Le Shériff », Yves Boisset, France, 1977. 

  56. La charge a été créée par la loi française renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, dite « sur la présomption d’innocence », promulguée le 15 juin 2000. Ses attributions figurent inter alia aux articles 137-1 et 145 du Code de procédure pénale. Il décide notamment du placement en détention de la personne mise en examen à partir d’une saisine par ordonnance du juge d’instruction. Ce rôle est montré dans Présumé coupable

  57. Comme on peut le voir dans Présumé coupable, op. cit

  58. Braucourt G., « Main basse sur l’Etat », in Cinéma, n° 135, avril 1969, pp. 114-116, p. 114 ; Hay S., op. cit., p. 58 ; Nuttens J.-D., op. cit., p. 

  59. La French, op. cit

  60. Le Juge Fayard dit « Le Shériff », op. cit

  61. Le Juge, op. cit

  62. Au sujet de la représentation du juge héroïque, et notamment des juges d’instruction, nous renvoyons dans ce dossier à l’analyse d’Aurélie Tardieu : « La figure héroïque du juge (l’exemple du cinéma italien) ». 

  63. Juges dans, respectivement, Le Juge et l’Assassin, op. cit., et Les Âmes grises, op. cit

  64. Le juge François Renaud a notamment instruit l’affaire du gang des Lyonnais. Le juge Pierre Michel s’est fait notamment connaitre par sa lutte contre la french connection à Marseille. Ces juges furent tous deux assassinés. 

  65. Oms M., « Les Assassins de l’ordre de Marcel Carné », in Les Cahiers de la Cinémathèque, Vol. 5, hiver 1972, p. 58. 

  66. Je fais le mort, op. cit. 

  67. À l’exception notoire de Les Risques du métier, op. cit., où celui-ci se distingue par sa passivité. 

  68. Halphen E., op. cit., p. 78-79 évoque une rivalité entre juge et commissaire, plus qu’avec les policiers de terrain. Au sujet des rivalités existantes entre praticiens du droit, voir Bourdieu P., « La force du droit », op. cit., p. 6 : « La signification pratique de la loi ne se détermine réellement que dans la confrontation entre différents corps animés d’intérêts spécifiques divergents (magistrats, avocats, notaires, etc.) et eux-mêmes divisés en groupes différents, animés par des intérêts divergents, voire opposés, en fonction notamment de leur position dans la hiérarchie interne du corps, qui correspond toujours assez étroitement à la position de leur clientèle dans la hiérarchie sociale ». 

  69. On peut citer à l’appui Les Assassins de l’ordre et Le Juge, où les avocats de la défense adressent ce reproche au juge. 

  70. Voir à ce sujet : Eric Halphen*, op.cit.*, p. 34. 

  71. Comme dans L’Ivresse du pouvoir, op. cit

  72. Voir par exemple les déclarations du réalisateur sur Ariane Felder dans *9 mois ferme *: « C’est exactement l’inverse chez elle (la juge) : elle maitrise le langage, mais son cœur reste sec. Elle a perdu le sens de l’émotion. C’est elle qui est à plaindre » : Alion Y., « Entretien avec Albert Dupontel », in L’Avant-Scène Cinéma, Vol. 606, octobre 2013, pp. 89-93, p. 93. 

  73. Présumé coupable, op. cit. 

  74. Il est à remarquer que cette attitude est justifiée par l’ancien juge Halphen. Celui-ci témoigne que les affaires de mœurs sont les plus difficiles pour les juges d’instruction, en raison de l’émotion qu’elles suscitent et de la difficulté d’obtenir des preuves. Dans ces cas particuliers, les témoignages, particulièrement ceux d’enfants victimes, jouent plus que dans les autres affaires. Loin d’être un simple exécutant dénué de sentiments, le juge Burgaud a pu être dupé par Madame Badaoui, mère d’un des enfants victimes des actes de pédophilie, par compassion pour celle-ci, issue d’un milieu très modeste, et pour ces enfants qu’il pensait devoir protéger. Emporté par ses sentiments, cela l’a mené à instruire à charge en occultant le manque d’éléments probants venant confirmer la version de l’enfant, Halphen E., op. cit., pp. 56-59. 

  75. voir supra

  76. Prévost-Desprez I. et Follorou J., op. cit., p. 98. 

  77. Sur les conséquences de l’affaire d’Outreau pour l’image des juges d’instructions, voir Prévost-Desprez I. et Follorou J., ibid., p. 41 ; Halphen E.*, op. cit. *; Rouger M. (éd.), Le juge d’instruction : échec et mat ?, op. cit

  78. Comme le souligne lui-même le juge lors de son audition devant la Cour dans le film, voy. Prévost-Desprez I. et Follorou J., ibid, p. 205 ; Inchauspé D., in Rouger M. (éd.), Le juge d’instruction : échec et mat ?, op. cit., p. 

  79. « Au cours de ma carrière de magistrate, cette prise en compte de la faiblesse me paraîtra essentielle » : Prévost-Desprez I. et Follorou J., op. cit., p. 50. 

  80. Le seul film précédant L’Ivresse du pouvoir (Claude Chabrol, Allemagne/France, 2006) qui montre une femme dans le rôle du juge d’instruction est Le Pull-over rouge, Gilles Perrault, France, 1979. 

  81. Masson A., « L’Ivresse du pouvoir. Le pouvoir de l’ivresse », in Positif, n° 540, février 2006, pp. 24-25, p. 25. 

  82. Rubin Suleiman S., Le Roman à thèse, Paris, PUF, 1983, p. 14 

  83. Cornand A., « Les risques du métier », in Image et Son. La Revue du Cinéma, Vol. 215, mars 1968, pp. 135-139, p. 135. 

  84. « Je pressentais que le film allait me permettre d’aller très loin dans ma quête d’un cinéma politique populaire. Un cinéma ancré à la fois sur la réalité sociale et sur les codes du film policier. » : Boisset Y., La vie est un choix, Paris, Plon, 2011, p. 191. À propos du rôle d’éveil auprès du public que Z entend jouer, voir Thirard P.-L., « Matière à réflexion », in Positif, n° 105, mai 1969, pp. 63-65, p. 64. 

  85. « (…) Z marque une date importante dans le cinéma français d’aujourd’hui car c’est peut-être le premier film vraiment politique d’un cinéma singulièrement dépolitisé. » : Braucourt G., op. cit., p. 114. Sur l’influence de Z, voir aussi Descamps P., « Où sont les Sartre, les Foucault ? », in Le Monde diplomatique, Mars 2015, p. 6. 

  86. Boisset Y., op. cit., p. 199. 

  87. Ibid., p. 199. 

  88. « I wasn’t interested in The Clearstream Affair as such; I was interested in the character of Denis Robert, who was investigating the world of finance, tax havens. I was also extremely fascinated by Judge van Ruymbeke, a great figure among French judges » : Garenq V., « The Clearstream Affair’s’ “Bigger, More Fundamental Issues” », entretien avec J. Hopewell, in Variety, mis en ligne le 15 janvier 2015, consulté le 26 octobre 2015 in [http://variety.com/2015/film/global/vincent-garenq-the-clearstream-affairs-bigger-morefundamental-issues-1201405797/]. 

  89. Alion Y., op. cit., p. 93. ; Oms M., op. cit., p. 56. 

  90. Dans le même sens : Binétruy P., « Flagrants délires », in Positif, n° 633, novembre 2013, p. 43 ; Tournès A., op. cit., p. 46. L’Enquête (Vincent Garenq, France, 2015) a également une volonté de sensibilisation du grand public, comme le révèle le reproche fait par Denis Robert à un projet avorté d’adaptation de son travail sur le grand écran : « En détruisant le réel ils ont détruit l’impact que pouvait avoir le film » : Guillomeau P., Rencontre avec Denis Robert et Vincent Garenq, autour du film L’Enquête. L’impact consiste ici à la sensibilisation d’un public élargi aux problématiques financières, mis en ligne le 4 février 2015, consulté le 25 octobre 2015 in [http://www.fnac.com/Rencontre-avec-Denis-Robert-et-Vincent-Garenq-autour-du-film-L-Enquete/cp25609/w-4]. 

  91. À propos de la représentation de cette grille de lecture dans Le Juge et l’Assassin, Bertrand Tavernier, France, 1976, voir Douin J.-L., op. cit., pp. 21-23. 

  92. Nuttens J.-D., op. cit., p. 21. 

  93. Foucault M., Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Plon, Collection « Civilisations d’hier et d’aujourd’hui », 1961, 674 p. 

  94. « Ce que je condamne, ce sont les méthodes qu’il a utilisées, et cette obstination rationaliste à ne pas vouloir admettre que cet homme était fou. Je ne dis pas qu’il ne fallait pas l’arrêter, mais qu’il fallait le soigner. C’est ce qu’on aurait fait s’il avait été riche. Mais en plus, il vivait à une époque où il devait expier. Il y avait des attentats anarchistes : il fallait des coupables » : Douin J.-L., op. cit., p. 94. 

  95. L’Ivresse du Pouvoir ; L’Enquête

  96. Omar m’a tuer, Roschdy Zem, France, 2011 ; Présumé coupable, *op. cit. *; 9 mois ferme, op. cit. 

  97. Sur la contextualisation dans Le Juge et l’Assassin, voir : Raspiegengeas J.-C., Bertrand Tavernier, Paris, Flammarion, 2001, p. 186 ; Nuttens J.-D., op. cit., p. 19-20 ; Hay S., op. cit., p. 59. 

  98. Raspiegengeas J.-C., op. cit., p. 189. 

  99. Oms M., op. cit., p. 55. 

  100. Les Assassins de l’ordre, Marcel Carné, France, 1971. 

  101. Les Assassins de l’ordre, op. cit.; Le juge, op. cit.; Le Juge Fayard dit « Le Shériff », op. cit. 

  102. Prévost-Desprez I. et Follorou J., op. cit., p. 103. 

  103. Ibid., p. 104. Ces auteurs confirment l’importante charge de travail. 

  104. Cité par Hélie F., Traité de l’instruction criminelle, Livre quatrième (« De l’instruction écrite »), tome IV, Paris, Plon, 1866, p. 65-67. Cité par Farcy J.-C., Quel juge pour l’instruction ?, in Clère J.-J. et Farcy J.-C. (éd.), op. cit., p. 93-124, p. 101. Voir le texte sur Gallica, consulté le 25 octobre 2015 in [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k449388z/texteBrut]. Dans le même sens : Farcy J. C., « Quel juge pour l’instruction ? », p. 93-124, in J.-J. Clère et J.-C. Farcy (éd.), op. cit., p. 94 ; « les fonctions de juge unique (…) réclament de l’énergie, de la vigueur, de la disponibilité » : Halphen E., op. cit., p. 68. 

  105. Dans L’interdiction, Balzac fait le portrait du juge Popinot de façon suivante : « Juge d’instruction modèle, Popinot en possède les qualités essentielles : travailleur infatigable, ayant l’esprit d’investigation, à la fois ferme et humain (…), ce qui le rend d’autant plus apte à instruire à charge et à décharge » : Farcy J.-C., « Quel juge pour l’instruction ? », in Clère J.-J. et Farcy J.-C. (éd.), loc. cit., p. 93. 

  106. Farcy J.-C., op. cit. , p. 101-106. 

  107. Villeret et Noiret jouent ainsi des juges d’instruction en fonction durant respectivement la Première Guerre mondiale et en 1893. Il est intéressant de remarquer que leur physique est associé à celui de « mauvais » juges d’instruction. 

  108. « *(…) it is in the courtroom that they attain both their greatest power over the narrative and the highest level of predictability and banality of which they are capable *» : Black D. A., op. cit., p. 679. 

  109. Oms M., op. cit., p. 54. 

  110. Prévost-Desprez I. et Follorou J., op. cit., pp. 92 et 170. 

  111. Dont le titre de l’ouvrage portant sur l’affaire des marchés truqués de l’office HLM de la Ville de Paris (Sept ans de solitude, Paris, Gallimard, 

  112. À titre d’exemple dans Les Assassins de l’ordre : « *These characters and environments stand in opposition to Level (Brel), who is shown, by contrast, as intelligent, gentle and sensitive. This is conveyed through his relationship with his son, François (Didier Haudepin), with whom he spends time working on fixing up a boat, and with his girlfriend, Laura (Paola Pitagora) *» : Driskell J., Marcel Carné, Manchester, Manchester University Press, 2012, pp. 163-164. 

  113. Un montage similaire alternant des scènes montrant le juge à la vie de famille classique avec celles du malfaiteur jouisseur et noctambule est utilisé dans La French. En effet, cela crée une opposition entre le protagoniste aux valeurs positives, et son antagoniste opposé de caractère, élément essentiel du thriller

  114. Ainsi dans l’œuvre de Balzac du juge d’instruction Camusot de Splendeur et Misère des courtisanes. « Personnage médiocre, présenté comme le mari d’une femme dévorée d’ambition qui pense souvent pour lui. Pour autant, indépendamment des pressions, de la conduite qu’il doit adopter et qui lui est signifiée par le procureur général, il ne peut se résoudre à rester dans l’ignorance » : Chauvaud F., op. cit., p. 81. On retrouve aussi cette figure du petit juge dans la bande dessinée avec, à titre d’exemple, Nury F. et Vallée S., Il était une fois en France, 6 volumes, 2007-2012 (notamment le volume 5, Le Petit Juge de Melun, 2011). 

  115. Les Assassins de l’ordre, Marcel Carné, France, 1971. 

  116. L’Ivresse du pouvoir, op. cit. 

  117. Masson A., op. cit., p. 24. 

  118. Dans le même sens concernant d’autres formes artistiques de représentation du juge d’instruction : Chauvaud F., op. cit., p. 82. 

  119. Hopewell J., loc. cit

  120. Prévost-Desprez I. et Follorou J., op. cit., pp. 56 et 118. 

  121. Le Juge Fayard dit « Le Shériff », op. cit. 

  122. Soussigne J.-P., « Z », Image et Son. La Revue du Cinéma, n° 228, mai 1969, p. 128-130, p. 129. Eric Halphen témoigne être devenu juge d’instruction « (p)ar amour du droit, d’abord. Du rationnel (…). Le droit, donc la loi. Et la certitude qu’elle doit être la même pour tous », Halphen E., op. cit., p. 33. 

  123. Nuttens J.-D., op. cit., p. 21. 

  124. Ibid, p. 19. Toutefois, même dans sa représentation positive, le juge aura, comme nous l’avons vu plus haut, tendance à s’écarter de la procédure pour agir de la façon qu’il estime être juste, quitte à tenter de légaliser ses procédés postérieurement ; ses écarts se verront même justifiés par la réalisation. 

  125. « En faisant accéder au statut de verdict une décision judiciaire qui doit sans doute plus aux dispositions éthiques des agents qu’aux normes pures du droit, le travail de rationalisation lui confère l’efficacité symbolique qu’exerce toute action lorsque, méconnue dans son arbitraire, elle est reconnue comme légitime ». Bourdieu P., « La force du droit », loc. cit., p. 8. 

  126. Les Assassins de l’ordre, op. cit. 

  127. Z, op. cit

  128. Le Juge et l’Assassin, op. cit

  129. Sur l’importance de la réflexivité et l’analogie entre le spectateur et le juge : « *When people do happen to reflect on the correspondences between the detective and themselves as viewers, they really mean the detective in the film. But people render jugdment against or return “verdicts” on films, and describe themselves as doing so, they do not appear to be mean to draw a straight line between themselves and the judge in the film. A viewer rendering such a judgment, explicitly or otherwise, is performing an action which has similarities to the actions performed by the judge in the film, but not actual connection (…). The judge in a film, in sum, proves to be both the most easily recognizable and the most abstract model of analogy among those on offer in the law film landscape *»: Black D. A., « Narrative Determination and the Figure of the judge », in Freeman M. (éd.), Law and Popular Culture, Vol. 7, Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 677-685, p. 681. 

  130. Je fais le mort, op. cit.; Les Risques du métier. 

  131. Je fais le mort, op. cit.; Le Pull-over rouge. Dans ce dernier, l’annulation par la juge de la reconstitution est présentée comme une faute professionnelle par le réalisateur, à travers les commentaires de deux journalistes présents. 

  132. Les Assassins de l’ordre, op. cit

  133. On voit les méthodes brutales utilisées lors des interrogatoires dans Présumé coupable ou Le Pull-over rouge, qui contrastent avec celles du juge. La violence utilisée lors d’un interrogatoire est toutefois au cœur de l’affaire instruite par le juge Lebel : Les Assassins de l’ordre, op. cit. L’ancien juge Halphen critique dans son livre les méthodes d’interrogatoires des policiers, qu’il assimile à « l’inquisition » : Halphen E., op. cit., p. 82. 

  134. Le Juge, op. cit

  135. Voir les articles 61 et suivants du Code de procédure pénale français. Voir aussi le témoignage d’Eric Halphen*, op. cit.*, pp. 170 et 182. 

  136. Il est intéressant de remarquer que le rôle est le plus souvent interprété par une femme, à l’exception notable de L’Ivresse du pouvoir

  137. L’Ivresse du pouvoir, op. cit. 

  138. Prévost-Desprez I. et Follorou J., op. cit., p. 104. Alors que selon Michèle Bernard-Requin, dans les affaires d’assises, les faits sont reconnus 9 fois sur 10 : Bernard-Requin M., « La prison est une peine de référence », Le Monde, 24 avril 2002. 

  139. L’Enquête, Vincent Garenq, France, 2015. 

  140. Si l’action se déroule en 1893, c’est seulement le 8 décembre 1897 que la loi Constans instaura la présence d’un avocat lors des auditions. Ce droit fut cependant rapidement contourné par le développement de placements arbitraires en garde à vue, qui ne seront légalisés dans le code de procédure pénale qu’en 1958, au moment même où le juge d’instruction gagne son indépendance. Le lecteur peut retrouver les grandes dates de l’évolution du droit pénal en France sur le site http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/justice-penale/chronologie-justice-penale/, site géré par la Direction de l’information légale et administrative (DILA), administration placée sous l’autorité du Premier ministre. Voir aussi Nuttens J.-D., op. cit.,p. 19-20. 

  141. Douin J.-L., op. cit., p. 21. 

  142. Ibid., p. 94. 

  143. Le Juge Fayard dit « Le Shériff », op. cit. 

  144. Z, op. cit

  145. Le Juge, op. cit. Cette habileté à mener les interrogatoires se retrouve également dans la littérature : Chauvaud F., op. cit., p. 83-85. 

  146. « Le syndicat » représenté par un collègue juge n’hésite pas à pousser Jean-Marie Fayard dans sa quête, quitte à le sacrifier, pour atteindre ses objectifs. Fayard en est d’ailleurs conscient, ainsi que sa compagne. Le juge Fayard dit « Le Shériff », op. cit

  147. L’Ivresse du pouvoir, op. cit. Claude Chabrol prend le parti de renvoyer tous ces gens de pouvoir, dont le juge d’instruction, dos-à-dos, dans un affrontement entre personnes placées sur un pied d’égalité. Dans son film, le réalisateur de la Nouvelle Vague s’intéresse plus aux rapports de pouvoir entre les protagonistes de l’affaire ELF qu’à l’affaire elle-même. Voir aussi L’Enquête, op. cit., dans lequel Dominique de Villepin, alors Premier ministre, utilise le juge Van Ruymbeke en lui faisant parvenir des documents par un intermédiaire, afin que le magistrat détermine l’authenticité des listings de Clearstream où figure le nom de son rival Nicolas Sarkozy. 

  148. Nous renvoyons ici à l’analyse que fait Vincent Lefebve du juge tragique dans ce dossier : « Le juge tragique. La responsabilité de juger à l’épreuve du 7e art ». 

  149. « For example, in the final scene we see him leave the courthouse after losing the case : he appears small and vulnerable in relation to the large building, with its towering pillars, placing him in opposition to a construct that signifies the strength of the legal system, a system we have seen to be flawed. This aspect of the film is enhanced by Brel’s vulnerable appearance thanks to his thin physique, large eyes, and largish teeth, which make him appear slightly awkward and clumsy » : Driskell J., ibid., p. 164. 

  150. Oms M., op. cit., pp. 51-52. 

  151. Dans L’Ivresse du pouvoir, la juge Charmant-Killman reprend cette citation en remplaçant le terme d’« homme » par « être », op. cit. 

  152. Tournès A., op. cit., p. 47 ; Marty A., « Le juge Fayard dit le Shérif, » op. cit., p. 103. 

  153. Halphen E., op. cit., p. 148 ; Prévost-Desprez I. et Follorou J., op. cit., pp. 7 et 245. 

  154. Danet J., « Le juge d’instruction, une institution sur la défensive », in Clère J.-J. et Farcy J.-C. (éd.), op. cit., pp. 281-300, p. 281. 

  155. « The very quantity of “law” films demonstrates that the human appetite for justice is just as strong as our appetites for power and sex » estime Denvir J., « What movies can teach law students », in Freeman M. (éd.), op. cit., pp. 183-193, p. 191. 

  156. Oms M., op. cit., pp. 50-59. 

  157. Rabourdin D., « Le juge Fayard », in Cinéma n° 217, janvier 1977, p. 

  158. « C’est un film sur l’affrontement de deux violences : une violence folle, déchirée, incontrôlable, provenant de l’inconscient, et une violence légale, répressive, cachée. Politique ou pas, j’ai envie de parler de choses qui me blessent, qui m’écorchent » : Bertrand Tavernier cité par Douin J.-L., op. cit., p. 99. 

  159. C’est sur ce point que Dominique Rabourdin et Bernard Cohn se trompent en estimant que le film à thèse est inutile, dans la mesure où il relate des éléments déjà connus du public (Rabourdin D., « Le Juge Fayard », in Cinéma, Vol. 217, janvier 1977, p. 65 ; Cohn B., « Les Assassins de l’ordre », in Positif, Vol. 131, p. 67, de A à Z, p. 67). L’adaptation de ces affaires à l’écran permet de toucher un public plus large sur un temps beaucoup plus long. Comment ceux qui n’ont pas connu cette époque pourraient-ils être amenés à connaître ces affaires si ces films n’existaient pas ? 

  160. Rabourdin D., loc. cit., p. 65. 

  161. Descamps P., op. cit. 

  162. Halphen E., op. cit., p. 24. 

  163. Bourdieu P., « La force du droit », op. cit. 

  164. Rashômon, Akira Kurosawa, Japon, 1950. 

  165. Voy. « 71 % des Français contre la fin du juge d’instruction », mis en ligne le 8 avril 2009, consulté le 25 octobre 2015 in [http://tempsreel.nouvelobs.com/libertes-sous-pression/20090327.OBS0948/71-des-francais-contre-la-fin-du-juge-d-instruction.html]. 

Robin Caballero