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Volume 8

Les récits de la drogue. Au cœur des mondes symboliques des consommateurs

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Introduction

§1 L’être humain est toujours situé dans un rapport au monde, à autrui et à soi. Ce rapport est singulier et dynamique, façonné par la biographie de son sujet en fonction du sens qu’il lui donne. Les substances psychoactives ont universellement conquis ce rapport : l’usage de drogues est une pratique normale au sens durkheimien du terme, une « habitude universelle dans le temps et dans l’espace »1. De tout temps et en tous lieux, l’individu a drogué sa psyché dans une quête de plaisir ou un besoin d’anesthésier ses souffrances. D’abord en cueillant ou en cultivant les plantes de son environnement naturel afin d’en faire usage dans le cadre de rites religieux, de pratiques thérapeutiques ou festives2. Ces usages sont alors régulés par la tradition et la coutume à l’abri des hétéro-contrôles médicaux et légaux3. Avec l’avènement de la chimie organique au XIXème siècle, les sociétés modernes commencent à isoler les principes actifs de ces plantes magiques4. Cette domestication des drogues marque une rupture qui s’accompagne d’usages qui ne s’inscrivent plus dans des rituels collectifs, mais relèvent de plus en plus d’expériences individuelles5. Celles-ci commencent alors à poser un « problème social » qui avive des contrôles formels qui s’articulent à la confusion entre la notion hygiéniste de « toxicomanie » et celle d’« usages » de drogues.

§2 A partir du XIXème siècle, le rapport entre les individus et la drogue est appréhendé médicalement, à travers une lecture « pharmacocentriste » le faisant reposer sur les seules propriétés pharmacologiques du produit consommé6. Le paradigme pénal associe, ensuite, les drogues illicites à la marginalité et à la délinquance7, les propriétés de la substance consommée étant censées mener l’usager à vivre hors-société. Produit de constructions politique, légale et médiatique reposant sur son association à la marginalité sociale, au crime et à l’aliénation, le « toxico-délinquant » est alors inexorablement perçu comme porteur d’une pathologie individuelle et sociale. Si la toxicomanie est une construction8, cette dernière produit des effets et « contamine » les personnes qui en sont étiquetées : elles se voient réduites à leurs traits toxicomaniaques et affublées d’un stigmate qui les discrédite9. Figure de l’exclusion sociale et morale, le toxicomane est alors mis au rang de l’anormalité sous le poids des paradigmes dominants. Le drogué, comme le fou ou le vagabond, devient une manière symbolique que « les sociétés modernes emploient pour désigner l’envers de leur idéal de la personne »10.

§3 Cette construction monolithique s’effrite pourtant au contact des recherches sociologiques et ethnologiques qui fournissent, depuis les années 1930 aux Etats-Unis, « suffisamment d’arguments permettant de récuser l’idée selon laquelle l’usage de drogues est une conduite toujours identique [qui] ferait perdre, à jamais, le contrôle de soi »11 et condamnerait l’usager à l’isolement social. Une autre construction de l’usager existe : celle qui en fait un « sujet social »12. La construction sociologique de l’usager de drogues, notamment en s’intéressant à des populations à l’endroit desquelles le système pénal n’est pas intervenu, nous permet, en effet, de prendre distance par rapport aux définitions médicales et pénales. Plusieurs facettes d’une même identité semblent ainsi coexister et concourir à l’éclatement du profil de l’usager de drogues. Il ne s’agit pas uniquement d’individus appartenant à une population marginalisée prisonnière d’un produit, ni exclusivement à une population intégrée parvenant à gérer et arrêter sa consommation après un calcul raisonné. L’usager de drogues n’existe pas en soi, pas plus que le consommateur d’alcool ou de tabac ; « la drogue n’est pas seulement un produit (que l’on fume, boit, inhale, s’injecte ou mange), c’est aussi une relation à soi et à autrui, c’est un mode d’être ou une série de modes d’êtres »13. Tout au plus, l’usager de drogues est une figure molle que chaque paradigme construit sous un regard particulier. La construction médicale du toxicomane-malade cherche à le guérir, la construction pénale du toxicomane-délinquant à le punir – ou à le guérir sous peine de punition14. La construction sociologique a, elle, contribué à l’émergence de l’usager-acteur et cherche à comprendre le sens de sa consommation.

§4 L’exploration de ce sens laisse entrevoir un univers parsemé d’incalculables mondes symboliques. S’il est possible de situer l’hégémonie d’une signification donnée à l’usage de drogues à certaines périodes15, les sens des consommations ne peuvent être réduits à un jeu de chaises musicales où une signification sociale prendrait la place de l’autre. Aujourd’hui, les significations renvoyant à l’hédonisme, à la contestation contre-culturelle, à la souffrance sociale ou encore au dopage sportif et professionnel se côtoient. Dans des sociétés modernes, au sein desquelles les individus doivent trouver leur place et leur identité au lieu de les recevoir par avance16, les significations de la drogue se brouillent. L’individu est condamné à la pluralité17 ; non seulement d’un point de vue des rôles sociaux qu’il doit jouer, mais également des registres symboliques qu’il doit mobiliser18 pour donner sens à une vie éclatée entre une multitude de mondes sociaux.

§5 Cette pluralité des significations de l’usage de drogues ne semble cependant pas être un phénomène qui se répartit de manière égale au sein de la société. Les recherches s’intéressant aux « usagers gestionnaires »19 soulignent leur capacité à donner des sens conventionnels à l’usage de drogues, leur permettant ainsi de faire cohabiter cette pratique avec des engagements « conformistes » (vie de famille, vie professionnelle, etc.). Peut-on alors en déduire que ceux que Robert Castel et al.20 nomme les « toxicomanes avérés » en seraient incapables ? Quelles différences peut-on observer en analysant les productions symboliques d’usagers de drogues situés dans des rapports à la drogue et des mondes sociaux hétérogènes ?

§6 Ces sont ces questions qui ont guidé notre recherche doctorale21. Afin d’y répondre, nous avons opté pour des méthodes d’enquête nous permettant d’aller au contact des acteurs sociaux étudiés : l’entretien sous sa forme la plus libre de récits de vie, et l’observation accompagnée d’entretiens informels. La constitution du corpus empirique de notre recherche a été guidée par un critère clé de la recherche qualitative : la diversification22. Notre souci premier a été de « diversifier les cas de manière à inclure la plus grande variété possible, indépendamment de leur fréquence statistique »23. Nous avons rencontré quarante individus (dans le cadre de récits de vie et/ou d’observations) ayant des rapports à la drogue diversifiés et situés dans différents mondes de la drogue. Contrairement à certaines recherches24, nous n’avons pas rencontré exclusivement des individus étant sortis de la toxicomanie. Contrairement à certains auteurs, nous ne nous sommes pas uniquement intéressé à des personnes qui témoignent d’un contrôle ou d’une gestion de leur consommation leur permettant de conserver un rapport non douloureux au produit consommé25. Notre recherche ne s’est pas non plus concentrée uniquement sur des individus faisant ou ayant fait l’objet d’une intervention pénale26 et/ou issus des « mondes populaires de la drogue »27. Tout en nous inspirant grandement et modestement des auteurs abordant ces questions dans leurs travaux de recherche, notre but a été de constituer un échantillon qui touche aux diverses réalités analysées par ceux-ci afin d’investiguer la diversification des significations que peuvent (ou pas) prendre l’usage de drogues dans des mondes sociaux hétérogènes.

Questions et objectifs de la recherche

§7 Au fur et à mesure du recueil et de l’analyse de nos données empiriques, nous avons développé, de manière inductive, une approche reposant, d’une part, sur les significations de l’usage de drogues et, d’autre part, sur les significations de l’environnement social des usagers. Cette approche a, peu à peu, pris la forme plus concrète d’une question de recherche, à savoir : quel(s) sens des usagers ayant des rapports diversifiés à la drogue et au monde de la drogue donnent-ils à leur consommation et à leur environnement social ?

§8 Afin de répondre à cette question, nous avons tenté de tisser la « trame de l’histoire »28 d’acteurs sociaux aux trajectoires de consommation contrastées. Il ne s’agissait cependant pas de simplement répertorier les différentes significations de l’usage de drogues et des « choses »29 qui composent la vie sociale des usagers, mais d’essayer de faire communiquer ces deux types de significations. Nous nous sommes alors posé trois questions : quel(s) sens les usagers de drogues donnent-ils à leur consommation ? Quel(s) sens donnent-ils à leur environnement social ? Et comment ces différentes significations communiquent-elles ? Notre questionnement repose sur le principe que les usagers ne donnent pas une seule signification à leur consommation, mais que celle-ci a (potentiellement) différents sens en fonction de la composante sociale avec laquelle elle communique30. Par exemple, l’usage de drogues n’a pas la même signification dans le cadre professionnel, dans le cadre festif, dans le cadre familial, etc. Mais l’usage de drogues n’a pas non plus la même signification pour tous les usagers lorsqu’elle est consommée dans un même cadre. La signification attribuée à la drogue lorsque son usage communique avec une composante de l’environnement social va dépendre de la signification attribuée à cette composante par les usagers de drogues. Par exemple, la signification attribuée à la consommation dans le cadre professionnel va dépendre de la signification que l’usager accorde à cette activité. S’il est épanoui au travail, l’usage de drogues peut pendre un sens négatif en tant qu’activité interdite dans ce cadre, car elle risquerait de mettre en péril cette activité. A contrario, si l’activité professionnelle est assimilée à l’épuisement physique et/ou psychique, la drogue peut alors prendre le sens de la stimulation, voire de la survie professionnelle.

§9 Au cours de notre recherche, nous avons alors identifié les « choses » auxquelles les usagers de drogues donnent sens, et le sens que ces usagers donnent à ces « choses ». Cette entreprise a impliqué une sélection des éléments significatifs de la part des individus que nous avons rencontrés : « Lorsqu’on fait un récit de sa vie (…), on ordonne les évènements de façon symbolique. Le sens qu’on donne à sa vie repose sur les concepts et interprétations auxquels on accorde délibérément la primauté sur la multitude désordonnée des actes de son passé »31. Nous avons abordé l’environnement social des usagers comme un univers constitué de composantes significatives qu’ils choisissent de mobiliser pour donner sens (a posteriori) à leur trajectoire de consommation.

§10 Les composantes significatives choisies par les individus pour donner sens à leur trajectoire proviennent de la ligne biographique32 d’usager de drogues mais également d’autres lignes biographiques qui communiquent avec celle-ci. Il nous a donc fallu détisser ces lignes (vie de famille, vie amicale, vie conjugale, vie professionnelle, expérience pénale, etc.) afin de définir quelles composantes sociales sont considérées par les usagers rencontrés comme significatives pour ensuite en analyser les significations.

§11 Nous avons également analysé les significations que les usagers de drogues donnent à leur consommation lorsque celle-ci communique avec les différentes composantes de l’environnement social (quel(s) sens prend la consommation dans un cadre professionnel, familial, amical, etc. ?). Nous appréhendons le phénomène de communication entre le sens donné à l’environnement et celui donné à la consommation sous le terme de communication entre significations. Il ne s’agit pas ici d’une communication entre deux individus au cours de laquelle la signification des choses est transmise, mais d’une communication entre significations : celle(s) de l’environnement et celle(s) de l’usage de drogues.

Problématisation de la pluralité symbolique de l’individu : un « continuum de significations »

12§ L’analyse de nos données nous a permis de parvenir à des résultats qui problématisent la pluralité symbolique de l’individu.

13§ Les acteurs sociaux sont la somme de l’addition des interactions qui composent et recomposent leur identité. En principe, cette somme n’est jamais figée : elle fluctue au rythme des différentes transitions biographiques de l’individu (séparations amoureuses, recompositions des cercles d’amis, changements de travail, etc.). Elle semble cependant (temporairement) gelée chez certains individus que nous avons rencontrés. Pour ceux-ci, les transitions se font rares ou, en tout cas, ne sont pas (ou plus) de nature à opérer un enrichissement ou une modification identitaire importante. Nos résultats de recherche posent ainsi la question de la pluralité sociale de l’individu33, mais aussi, et avec encore plus d’acuité, la question de sa pluralité symbolique.

14§ En principe, « l’expérience de la pluralité des mondes a toutes les chances, dans des sociétés différenciées, d’être vécue précocement »34. L’individu fait ainsi partie au cours de sa vie de différents mondes sociaux35 et peut mobiliser différents « univers de discours »36, différents « sets of meaning »37 ou encore différentes « provinces de significations »38 lui permettant de donner des significations multiples à son environnement social et à ses actions. Cependant, l’épaisseur des textures sociales varie au sein d’une même société. Comme l’énonce Martuccelli, ces textures « forment l’ensemble des couches de significations culturelles sédimentées et pliées dans chaque conduite ou fait social »39 . Nos données empiriques nous font dire que l’épaisseur de ces « textures » varie d’un individu à un autre. Et donc si « la subjectivité est [en principe], pour chacun d’entre nous, un mélange de couches de significations historiquement diverses »40, certains individus vivent dans une réalité symbolique moins riche que d’autres.

15§ Nous proposons d’approcher ces différences de « richesse symbolique » à partir d’un « continuum de significations ». A un pôle de ce continuum, nous situons les individus dont les significations de l’usage de drogues sont totalisantes et peu diversifiées, c’est-à-dire qu’elles dominent les différentes identités de cet individu. La figure-type de ce pôle est l’usager qui donne la seule signification de l’automédication à la consommation de drogues, en réponse à un environnement auquel il donne la seule signification de la douleur.

16§ A l’autre pôle de ce continuum, nous situons les usagers qui parviennent à donner des significations diverses à leur consommation (socialisation, fête, performance, romantisme, etc.) et à leur environnement social. Ceux-ci ne sont, dès lors, pas enfermés dans un registre symbolique, mais parviennent à donner des significations plurielles et valorisantes à leur environnement et à leur consommation.

17§ Afin de nommer les deux pôles de ce continuum, nous nous sommes inspiré d’une conceptualisation récemment développée par Bernard Lahire et al.41 reposant sur les notions de « réalité augmentée » et « réalité diminuée ». Dans ses analyses, Bernard Lahire dresse les portraits d’enfants issus de classes sociales différentes (classes populaires, moyennes et supérieures) et conclut un volumineux ouvrage par le constat que « ces enfants, qui naissent dans des environnements familiaux extraordinairement différents, ne sont vraiment pas les mêmes enfants »42. Certains vivent dans ce que Bernard Lahire appelle une « réalité augmentée » et d’autres dans une « réalité diminuée », c’est-à-dire que les enfants rencontrés disposent d’un « accès socialement différencié à toutes les extensions de soi possibles, à toutes les formes d’augmentation de sa réalité ou de son pouvoir sur la réalité »43. Des différences majeures marquent alors des enfants qui ne vivent pas dans le même monde social44.

18§ Nous inspirant de ce constat, nous constatons que les usagers de drogues que nous avons rencontrés ne vivent pas dans les mêmes mondes symboliques. Les individus témoignant d’un rapport douloureux à la drogue sont prisonniers d’une interprétation de leur environnement et de leur consommation. Ils vivent dans une réalité symbolique diminuée : leur environnement social est perçu comme hostile, absent, stigmatisant, les enferme dans un rapport au monde dominé par la douleur, et leur usage de drogues prend la signification dominante de l’automédication. Cette interprétation est parfois confirmée par leur environnement : les psychologues, les psychiatres, les médecins et/ou leur famille leur fournissent des registres symboliques qui les figent parfois encore plus dans une médicalisation d’un mal-être. Le système pénal, lui, les enferme (au sens propre comme au sens figuré) dans un monde social dominé par des univers de discours dépourvus de toute signification pouvant être mobilisée pour les sortir d’une spirale symbolique « totalisante » (douleur-automédication). Nous pouvons en effet, après Robert Castel45, faire le rapprochement entre le vécu de certains usagers et le concept d’institution totale46 en lui donnant une coloration symbolique : ces individus vivent dans un monde social dominé par un registre symbolique qui gère toute activité en lien avec la drogue. Ce registre symbolique est lié à des conditions de vie et des évènements biographiques douloureux qui prennent corps au sein de leurs différentes lignes biographiques et ne leur permettent pas de mobiliser d’autres significations de leur environnement social et de la drogue.

19§ D’autres usagers rencontrés vivent, eux, dans une réalité symbolique augmentée. La perception qu’ils ont de leur environnement social est dynamique. Ce dynamisme, cette capacité à manipuler des significations, provient de leur accès à des registres symboliques pluriels. Cette pluralité découle de leurs interactions avec différentes « choses »47 qui enrichissent leur réalité symbolique. Ils ont accès à des grilles de lecture de l’usage de drogues et de l’environnement social qui leur permettent de saisir leur existence à travers des registres d’interprétation leur donnant une certaine maîtrise du monde dans lequel ils vivent. Ils ont parfois accès à des ressources scientifiques, reçues dans un cadre académique, qui leur servent à appréhender différemment leur vécu, ou encore à des interprétations de l’usage de drogues qui se nourrissent de militantisme anti-prohibitionniste. Leur consommation prend alors parfois sens dans la révolte face à un système pénal présenté comme absurde et injuste, et leur permet de se vivre et de se présenter comme des « super-héros antiprohibitionnistes ». Ces usagers ont de ce fait accès à des registres symboliques variés et valorisants, et peuvent ainsi être situés à une autre extrémité du « continuum de significations ».

20§ Cette lecture, fondée sur deux idéaux-types, ne permet cependant pas d’appréhender toute la complexité de la relation symbolique entre les acteurs sociaux et la drogue, et ce, pour au moins deux raisons. Premièrement, tout au long de sa trajectoire de consommation, un individu peut se rapprocher et s’éloigner de chacun des pôles ; la position occupée sur ce continuum n’est, en principe, jamais figée. Par exemple, un individu donnant des interprétations diverses à sa consommation peut, à certains moments, réduire son champ symbolique à une seule signification. Deuxièmement, entre chacune de ces deux extrémités se situent une pléthore d’individus. Dans certains cas, par exemple, des usagers de drogues ne donnent pas une seule signification à leur usage, mais la diversité de ces significations est fortement limitée, ce qui les rapproche du pôle de la réalité symbolique diminuée sans pour autant que leur consommation ne soit dominée par une seule signification.

21§ Les réalités symboliques des usagers de drogues ne peuvent donc se réduire à deux pôles. Pour accéder à une meilleure compréhension de celles-ci, nous en proposons une schématisation.

Des réalités symboliques schématisées

22§ Il est possible de schématiser cette grille de lecture à l’aide des deux axes élaborés en nous inspirant d’Alfred Schütz48. Selon l’auteur, la connaissance que chaque être humain a du monde se construit de manière intersubjective et dépend de sa position sociale. D’une part, lorsqu’un individu donne sens à sa vie, il ne dispose pas pour ce faire d’une réserve infinie d’évènements et d’objets ; « cela ne signifie pas que (…) nous soyons incapables de saisir la réalité du monde. Cela signifie que nous n’en saisissons que certains aspects, notamment ceux qui sont pertinents pour nous (…) pour gérer notre vie. (…) La pertinence n’est pas antérieure à la nature en tant que telle, c’est le résultat de l’activité sélective et interprétative de l’homme »49. Et surtout, d’autre part, nous ne disposons pas d’une infinité d’« outils symboliques »50 nous permettant de donner sens à ces évènements sélectionnés. Au contraire, les significations sont construites en fonction d’une position sociale : « Le "même" objet veut dire quelque chose de différent pour moi et pour n’importe lequel de mes semblables (…) parce que moi, étant "ici", suis à une autre distance des objets et en expérience d’autres aspects comme typiques que lui, qui est "là" »51. Ce qui joue dans la construction des significations ne se réduit pas seulement à la position de l’individu par rapport à l’objet auquel il attribue une signification, cette construction dépend également de la distance entre l’individu et les outils symboliques lui permettant de construire cette signification. Cette dernière ne nait pas en nous : « Seule une infime partie de ma connaissance du monde s’origine dans mon expérience personnelle. La plus grande partie vient de la société, elle m’est transmise par mes amis, mes parents, mes professeurs et les professeurs de mes professeurs »52. Il y a donc une « social distribution of knowledge »53, et chaque individu n’a pas accès aux mêmes outils afin de donner sens à sa vie.

23§ Il est possible de simplifier cette grille de lecture en affirmant que chaque individu occupe une position symbolique non figée qui est déterminée par deux axes que, par esprit de synthèse, nous nommons « axe de la distance à l’objet » et « axe de la distance aux outils symboliques ». Le contexte d’interprétation d’un individu est ainsi toujours situé quelque part sur ces axes.

24§ Dans le schéma ci-dessous, l’axe horizontal est celui de la distance à l’objet-drogue et se lit de gauche vers la droite (plus l’individu se rapproche de la drogue et est dominé par elle, plus il se situe à droite de cet axe). L’axe vertical est celui de la distance aux outils symboliques et se lit du bas vers le haut. Certains outils symboliques sont totalisants, c’est-à-dire qu’ils enferment l’individu dans une signification donnée à la drogue et leur environnement social. D’autres outils symboliques sont dynamiques, c’est-à-dire qu’ils n’enferment pas les individus dans un seul registre mais, au contraire, leur permettent de voyager entre ceux-ci afin de mobiliser différentes significations renvoyant, par exemple, à la fête ou encore à la performance professionnelle. En bas de l’axe, se situent les individus qui se trouvent à proximité d’un outil symbolique totalisant. Alors qu’en haut de l’axe, se trouvent les individus à proximité d’un outil symbolique dynamique.

25§ Le croisement de ces deux axes détermine quatre zones qui nous ont permis de situer les usagers de drogues que nous avons rencontrés.

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26§ Les individus situés dans la zone supérieure gauche maintiennent à la fois une certaine distance à la drogue et une proximité avec un outil symbolique dynamique. Ils vivent donc dans cette zone que nous avons nommée réalité symbolique augmentée. L’individu situé dans cette zone dispose de deux libertés qui communiquent : une liberté consommatoire (il n’est pas dominé par le produit) et une liberté symbolique (il n’est pas dominé par un outil symbolique totalisant).

27§ Les individus situés dans la zone inférieure droite maintiennent, eux, une proximité avec la drogue et une proximité avec un outil symbolique totalisant. Ils vivent alors dans une réalité symbolique diminuée, puisqu’ils sont enfermés dans une forte consommation qui prend, de plus, une signification qui est totalisante et qui permet difficilement de mobiliser d’autres registres symboliques.

28§ Les deux autres zones sont plus fragiles, c’est-à-dire qu’en principe les individus les occupent de manière plus transitoire.

29§ Au sein de la zone supérieure droite, l’individu entretient à la fois une proximité avec un outil symbolique dynamique et avec la consommation. Il s’agit donc d’un individu qui a de fortes consommations mais qui ne leur donne pas la signification de l’automédication. Nous avons nommé cette zone « zone de consommation élevée transitoire » car le fait que les individus qui y sont ne se situent pas dans une relation de proximité avec un outil totalisant leur permet plus facilement de rétablir une relation distante avec le produit, et de revenir du côté gauche de l’axe horizontal lorsque l’outil symbolique dynamique perd de sa légitimité. Nous pouvons citer l’exemple d’un usager rencontré qui témoigne de fortes consommations liées à sa vie professionnelle, et qui, lorsqu’il change de travail, diminue sa consommation car sa vie professionnelle ne donne plus sens à une consommation élevée. Cette zone doit donc être fortement différenciée de la zone « réalité symbolique diminuée » puisque, dans ce cas, le rapport de proximité avec un outil symbolique totalisant rend la distance avec le produit beaucoup plus difficile à maintenir.

30§ La zone inférieure gauche concerne des cas de figure où l’individu est à la fois éloigné du produit et proche d’un outil symbolique totalisant. Il est possible de situer certaines sorties de la toxicomanie dans cette zone. Dans ce cas, l’individu, tout en justifiant ses consommations passées à travers un outil totalisant (l’automédication), est parvenu à prendre de la distance par rapport à celles-ci suite à une cure ou un traitement de substitution. Nous avons nommé cette zone « zone de sortie précaire » car l’outil symbolique totalisant risque de redonner sens à des consommations et de rendre la sortie de la toxicomanie particulièrement précaire (ce qui permettrait de comprendre « les rechutes »).

Le pénal : un outil symbolique à faible portée ?

31§ Les représentations schématiques présentées reposent sur un principe qui donne une dimension empirique aux outils symboliques : en agissant sur les comportements des acteurs sociaux ou en justifiant (a posteriori) ceux-ci, les registres totalisants et dynamiques communiquent avec l’action par l’intermédiaire de l’acteur.

32§ Nous avons observé que le registre symbolique pénal communique très peu avec l’usage de drogues. Le seul cas de figure rencontré est celui d’usagers qui donnent à leur consommation une signification contre-culturelle en s’appuyant sur l’interdit pénal. Nous n’avons cependant croisé aucun cas où cet outil justifie une distance maintenue avec le produit. Ce constat est lié au profil de nos enquêtés et aux caractéristiques de l’interdit pénal. Nous n’avons rencontré que des personnes qui consomment (ou ont consommé) des drogues et, étant donné que le fonctionnement du système pénal repose sur un « code binaire » (légal/illégal)54, cet outil symbolique peut alors difficilement être mobilisé pour modeler l’action des individus qui sont déjà dans l’illégalité. Il peut potentiellement justifier l’inaction (ne pas consommer des drogues illégales), mais ne permet pas de façonner l’action (consommer mais garder une certaine distance par rapport à la drogue). Une fois l’acte de consommation posé, les usagers de drogues peuvent alors difficilement mobiliser le système pénal en tant qu’outil symbolique permettant de maintenir une distance « saine » avec le produit.

33§ Dans le champ de l’usage de drogues, le système pénal est donc un outil symbolique à faible portée : une fois l’acte interdit posé, cet interdit perd grandement son caractère empirique ; il n’a plus qu’une faible influence sur l’action. Il s’agit d’une réflexion qui nécessite d’être poussée, notamment en réalisant une recherche qui s’intéresse exclusivement au système pénal en tant que potentiel outil symbolique dans le cadre de l’usage de drogues. En attendant, permettons-nous de poser le constat du caractère insensé d’un système qui instrumentalise55 l’interdit de l’usage de certaines drogues afin de motiver et justifier une action qui, au lieu d’agir positivement sur les individus, provoque des souffrances qui sont, elles aussi, insensées.


  1. Hulsman L. et Van Ransbeek H., « Évaluation critique de la politique des drogues », in Déviance et société, Vol. 7, 1983, pp. 271-280, p. 271. 

  2. Morel A., « Chapitre 1. Histoire », in Morel A. et Couteron J.-P. (dir.), Addictologie: En 47 notions, Paris, Dunod, 2019. 

  3. Castel R. et Coppel A., « Les contrôles de la toxicomanie », in Ehrenberg A. (dir.), Individus sous influence. Drogues, alcools, médicaments psychotropes, Paris, Esprit, 1991. 

  4. Morel A., « Chapitre 1. Histoire », in Morel A. et Couteron J.-P. (dir.), Addictologie: En 47 notions, Paris, Dunod, 2019. 

  5. Ehrenberg A., « Dépassement permanent », in Ehrenberg A. et Mignon P. (dir.), Drogues, politique et société, Paris, Éditions Descartes et Le Monde Éditions, 1992, p. 13. 

  6. Decorte T., « Les effets adverses des politiques officielles en matière de drogue sur les mécanismes d’autorégulation des consommateurs de drogues illicites », in Drogues, santé et société, Vol. 9, 2010, pp. 295-333. 

  7. Brochu S., « Drogues et criminalité : point de vue critique sur les idées véhiculées », in Déviance et Société, Vol. 21, 1997, pp. 303-314. 

  8. Kaminski D., « Toxicomanie: le mot qui rend malade », in Déviance et société, Vol. 14, 1990, pp. 179-196. 

  9. Goffman E., Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975 [1963]. 

  10. Ehrenberg A., La fatigue d’être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 33. 

  11. Ogien A. et Weinberger M., « Le développement de la recherche sociologique et ethnologique sur les pratiques de l’usage de drogues », in Ehrenberg A. (dir.), Penser la drogue/Penser les drogues, Paris, Descartes, 1992, p. 28. 

  12. Castel R. et al., Les sorties de la toxicomanie, types, trajectoires, tonalités, Fribourg, Éditions Universitaires, 1998. 

  13. Ehrenberg A., « Dépassement permanent », in Ehrenberg A. et Mignon P. (dir.), Drogues, politique et société, Paris, Éditions Descartes et Le Monde Éditions, 1992, p. 11. 

  14. Kaminski D. et Mary Ph., « Politiques (criminelles) en matière de drogues : évolutions et tendances en Belgique », in Déviance et Société, Vol. 33, 1999, pp. 205-220, p. 215. 

  15. Kokoreff M., Coppel A. et Peraldi M. (dir.), La catastrophe invisible. Histoire sociale de l’héroïne, Paris, Éditions Amsterdam, 2018. 

  16. Ehrenberg A., « Dépassement permanent », in Ehrenberg A. et Mignon P. (dir.), Drogues, politique et société, Paris, Éditions Descartes et Le Monde Éditions, 1992, p. 13. 

  17. Lahire B., L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998. 

  18. Blumer H., Symbolic interactionism: Perspective and method, Berkeley, University of California Press, 1986[1969]. 

  19. Voy. par exemple, Caiata M., « Le consommateur intégré : entre adaptation à la réalité et production de la réalité », in Faugeron C. et Kokoreff M. (dir.), Société avec drogues, Ramonville Saint-Agne, ERES, 2002 ; Decorte T., The taming of cocaine : cocaine use in european and american cities, Bruxelles, VUB Press, 2000 ; Soulet M.-H., Gérer sa consommation. Drogues dures et enjeu de conventionnalité, Fribourg, Éditions Universitaires de Fribourg, 2002. 

  20. Castel R. et al., Les sorties de la toxicomanie, types, trajectoires, tonalités, Fribourg, Éditions Universitaires, 1998. 

  21. Das Neves Ribeiro N. R., Les récits de la drogue. Au cœur des mondes symboliques des consommateurs, Thèse pour l'obtention du titre de docteur en criminologie, Bruxelles, Faculté de Droit et de Criminologie, Université Libre de Bruxelles, 2023. Le présent article constitue une version remaniée de l’allocution de présentation de la thèse de doctorat lors de sa soutenance publique (mars 2023). 

  22. Pires A., « Échantillonnage et recherche qualitative : essai théorique et méthodologique », in Poupart J., Deslauriers J.-P., Groulx L.-H., Laperrière A., Mayer R. et Pires A. (dir.), La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques, Montréal, Paris, Casablanca, Gaëtan Morin, 1997 ; Glaser B. et Strauss A., The discovery of grounded theory: Strategies for qualitative research, New York, Aldine De Gruyter, 1967 ; Michelat G., « Sur l’utilisation de l’entretien non directif en sociologie », in Revue française de sociologie, Vol. 16, 1975, pp. 229- 247. 

  23. Pires A., « Échantillonnage et recherche qualitative : essai théorique et méthodologique », in Poupart J. et al. (dir.), La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques, Montréal, Paris, Casablanca, Gaëtan Morin, 1997, p. 155, souligné par nous. 

  24. Par exemple, Castel R. et al., Les sorties de la toxicomanie, types, trajectoires, tonalités, Fribourg, Éditions Universitaires, 1998 ; Waldorf D. et Biernacki P., « The natural recovery from opiate addiction : some preliminary findings », in Journal of Drug Issues, Vol. 11, 1981, pp. 61-74 ; Cloud W. et Granfield R., Coming clean. Overcoming Addiction without treatment, New York, New York University Press, 1999 ; Biernacki P., Pathways from heroin addiction: Recovery without treatment, Philadelphia, Temple University Press, 1986. 

  25. Par exemple, Zinberg N. E., Drug, Set and Setting : the Basis for controlled intoxicant use, New Haven, Yale University Press, 1984 ; Soulet M.-H., Gérer sa consommation. Drogues dures et enjeu de conventionnalité, Fribourg, Éditions Universitaires de Fribourg, 2002 ; Decorte T., The taming of cocaine : cocaine use in european and american cities, Bruxelles, VUB Press, 2000 ; Caiata M., « Le consommateur intégré : entre adaptation à la réalité et production de la réalité », in Faugeron C. et Kokoreff M. (dir.), Société avec drogues, Ramonville Saint-Agne, ERES, 2002 ; Fontaine A. et Fontana C., « Usages de drogues (licites, illicites) et adaptation sociale », in Psychotropes, Vol. 10, 2004, pp. 7-18. 

  26. Par exemple, Devresse M.-S., Usagers de drogues et justice pénale. Constructions et expériences, Bruxelles, De Boeck-Larcier, 2006 ; Fernandez F., Emprises. Drogues, errance, prison: figure d’une expérience totale, Bruxelles, Larcier, 2010. 

  27. Par exemple, Duprez D. et Kokoreff M., Les mondes de la drogue. Usages et trafics dans les quartiers, Paris, Odile Jacob, 2000 ; Bouhnik P., Toxicos. Le goût et la peine, Paris, La Découverte, 2007 ; Jamoulle P., Drogues de rue: récits et styles de vie, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2000. 

  28. Strauss A., Miroirs et masques, Paris, Éditions Anne-Marie Métailié, 1992 [1959]. 

  29. Blumer H., Symbolic interactionism: Perspective and method, Berkeley, University of California Press, 1986[1969]. 

  30. Le verbe « communiquer » renvoie ici au lien qu’entretient la consommation avec une des composantes sociales des usagers de drogues. 

  31. Strauss A., Miroirs et masques, Paris, Éditions Anne-Marie Métailié, 1992 [1959], p. 153, souligné par nous. 

  32. La notion de « ligne biographique » a été développée par Albert Ogien (Ogien A., Le raisonnement psychiatrique : essai de sociologie analytique, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989, p. 81 ; Ogien A., Sociologie de la déviance, Paris, Presses universitaires de France, 2018, pp. 157-162). 

  33. Lahire B., L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998. 

  34. Lahire B., Dans les plis singuliers du social. Individus, institutions, socialisations, Paris, La Découverte, 2013, p. 126. 

  35. Becker H., « Art as collective action », in American sociological review, Vol. 39, 1974, pp. 767-776 ; Becker H., « Mondes de l’art et types sociaux », in Sociologie du travail, Vol. 25, 1983 [1976], pp. 404-417 ; Becker H., Les Mondes de l’art, Paris, Éditions Flammarion, 1988 [1982] ; Shibutani T., « Reference groups as perspectives », in American journal of Sociology, Vol. 60, 1955, pp. 562-569 ; Strauss A., « Une perspective en termes de monde social », in Strauss A., La trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, Paris, L’Harmatan, 1992 [1972]. 

  36. Mead G. H, Mind, self and society, Chicago, University of Chicago press, 1934. 

  37. Blumer H., Symbolic interactionism: Perspective and method, Berkeley, University of California Press, 1986 [1969]. 

  38. Schütz A, Le chercheur et le quotidien, Paris, Méridiens Klincksieck, 1987. 

  39. Martuccelli D., « Agir : le spectre des possibles », in Molénat X. (dir.), L’Individu contemporain: Regards sociologiques, Auxerre, Éditions Sciences Humaines, 2014, pp. 115-122, p. 119. 

  40. Ibid., p. 120. 

  41. Lahire B. et al., Enfances de classes. De l’inégalité parmi les enfants, Paris, Seuil, 2019. 

  42. Ibid., p. 1170, souligné par l’auteur. 

  43. Ibid., p. 1166, souligné par l’auteur. 

  44. « Pour celles et ceux qui cumulent tous les pouvoirs et toutes les ressources ou presque, c’est le temps de vie qui s’allonge, l’espace disponible qui s’étend, le temps qui se libère grâce à l’aide d’autrui, le confort qui s’accroît, l’horizon mental et sensible qui s’ouvre par l’incorporation des connaissances scientifiques et des expériences esthétiques, et finalement la maitrise du monde et d’autrui qui s’affirme. » Ibid., p. 1167. 

  45. Castel R. et al., Les sorties de la toxicomanie, types, trajectoires, tonalités, Fribourg, Éditions Universitaires, 1998. 

  46. Goffman E., Asylums: Essays on the social situation of mental patients and other inmates, New Brunswick, AldineTransaction, 1961. 

  47. Blumer H., Symbolic interactionism: Perspective and method, Berkeley, University of California Press, 1986[1969]. 

  48. Schütz A., Le chercheur et le quotidien, Paris, Méridiens Klincksieck, 1987. 

  49. Ibid., pp. 9-10, souligné par nous. 

  50. Par « outil symbolique », nous désignons tout élément social (personne, institution, évènement, grille de lecture) qui permet de construire une signification accordée à l’usage de drogues. 

  51. Ibid., p. 17. 

  52. Ibid., p. 18. 

  53. Schütz A., « Concept and Theory Formation in the Social Sciences », in The Journal of Philosophy, Vol. 51, 1954, pp. 257–273, p. 269. 

  54. Luhmann N., « Le droit comme système social », in Droit et société, n°11-12, 1989, pp. 53-67. 

  55. Kaminski D., Digneffe F., Adam Ch., Cauchie J.-F., Devresse M.-S. et Francis V., « L’instrumentalisation dans les pratiques pénales : construction et déconstruction d’un concept », in Sociologie et sociétés, Vol. 33, 2001, pp. 27–51. 

Nelson Das Neves Ribeiro