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Volume 8

Démocratiser, confisquer, monopoliser les élections. Le rôle et les fonctions des partis politiques dans les grandes réformes électorales en Belgique (1830-1948)

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§1 A l’origine de nos recherches, comme c’est d’ailleurs bien souvent le cas, il y a un paradoxe apparent.

Premier versant du paradoxe : lorsque l’on s’intéresse aux partis politiques, en Belgique comme ailleurs, on se trouve face à une vaste littérature scientifique, politologique1, juridique2, voire à une production jurisprudentielle3, qui fait des partis politiques un élément central, nécessaire et incontournable du régime représentatif. Ce consensus est bien installé, puisqu’il date au moins de la fin du XIXème siècle et se poursuit encore jusqu’à nos jours.

Cela dit, et c’est le deuxième versant du paradoxe, si l’on en croit les enseignements classiques, les pères fondateurs des régimes représentatifs, que ce soit en France, aux États-Unis ou en Belgique, semblent au mieux méfiants, au pire particulièrement hostiles vis-à-vis des partis politiques, qu’ils accusent entre autre de diviser la Nation4.

On se trouve donc en présence de partis politiques aujourd’hui considérés comme indispensable au fonctionnement du régime représentatif, alors que les architectes de ce dernier ne voyaient dans les partis au mieux qu’un mal nécessaire, mais le plus souvent un danger5.

§2 Ce constat a naturellement fait naître une question : comment a-t-on basculé d’un versant à l’autre du paradoxe ? Quand ce basculement a-t-il eu lieu ? Quand les partis sont-ils devenus à ce point indispensables alors qu’ils ne devaient jouer à l’origine aucun rôle – comme en témoignerait, pour le cas belge, leur absence de la Constitution ?

Une analyse historique du discours parlementaire

§3 Pour essayer de mettre au jour ce point de basculement, notre première intuition a été de nous tourner vers le droit électoral. L’élection est en effet au cœur de l’activité des partis politiques, et c’est probablement au cours de certaines réformes électorales que le rôle des partis a pu se développer au point de devenir indispensable.

§4 L’identification des réformes à analyser a été relativement simple : nous avons pris en compte ce que la littérature scientifique qualifie généralement de « grande réforme »6, c’est-à-dire les réformes qui touchent au cœur même du système électoral, en ce compris aux questions de l’extension de l’électorat.

Ont donc été investiguées (1) l’adoption de la Constitution et de la première loi électorale, en 1830-31 ; (2) la loi sur le secret du vote et sur les fraudes électorales de 1877, qui a donné naissance à l’isoloir, aux témoins des partis et aux bulletins de vote imprimés à l’avance ; (3) la réforme constitutionnelle de 1893-94 lors de laquelle on adopte le suffrage masculin tempéré par le vote plural – c’est -à-dire que tous les hommes de 25 ans obtiennent le droit de vote, mais certains (les plus riches ou les plus instruits) peuvent cumuler jusqu’à trois voix et lors de laquelle on crée la catégorie des sénateurs provinciaux ; (4) la loi de 1899 qui abroge le scrutin majoritaire et le remplace par un scrutin proportionnel ; (5) la vaste réforme de 1919-1921, qui débute par la consécration légale du suffrage universel masculin, se poursuit par la constitutionnalisation de ce dernier et de la représentation proportionnelle et s’achève par une réforme du Sénat qui crée diverses catégories d’éligibles ainsi que les sénateurs cooptés ; et enfin (6) l’admission tardive, en 1948, des femmes dans les isoloirs.

§5 L’analyse de ces réformes a été doublée d’une investigation du contexte dans lequel elles ont pris place. Ainsi, par exemple, il est utile de rappeler les dates de naissance officielles des trois principaux partis belges lors de cette période : 1846 pour le Parti libéral, 1885 pour le Parti catholique et 1886 pour le POB, ancêtre du parti socialiste. La question qui nous a guidé, dans cette analyse, est celle de déterminer l’objectif des parlementaires lorsqu’ils révisent le droit électoral : ont-ils pour but, explicitement ou non, de renforcer le rôle des partis ? Dans l’affirmative, comment justifient-ils ce renforcement ?

§6 Dès lors, il nous a fallu nous tourner vers les Annales parlementaires – les retranscriptions des séances de la Chambre et du Sénat – et vers les Documents parlementaires – les documents de travail utilisés par les députés et sénateurs, comme des rapports, exposés des motifs ou encore amendements – pour identifier cette intention. Nous avons donc dépouillé plus de 320 séances des deux Chambres et analysé plus de 250 documents parlementaires dans notre inlassable quête du point de basculement.

§7 Cette analyse documentaire a permis de mettre en évidence le fait que les parlementaires confiaient en réalité un certain nombre de rôles ou de fonctions7 aux partis, et ce depuis 1830. A chaque fois qu’une intervention parlementaire nous semblait symptomatique de l’attribution d’une fonction aux partis, nous l’avons recensée.

A titre illustratif, isolons la séance de la Chambre des représentants du mercredi 2 mars 1921. Le député libéral Fulgence Masson, lors de son intervention relative à la révision constitutionnelle, s’exclame : « Toute élection dans notre pays est organisée par les associations politiques : c’est là que ce fait le grand travail préalable, le choix des candidats, leur classement et les éliminations » 8. C’est donc, d’après ce libéral, aux partis politiques de choisir les candidats, ce qui implique également « l’élimination » de citoyens des listes, et donc l’impossibilité pratique pour eux de se présenter aux élections. Dans son esprit, c’est donc une mission – ou une fonction – de recrutement des individus amenés à siéger dans les hémicycles – et donc, de l’élite politique – qui est confiée aux partis politiques. Les exemples de ce type peuvent être multipliés, et ce pour toutes les fonctions que nous avons pu mettre en évidence.

Les fonctions des partis politiques issues du discours parlementaire

§8 L’accumulation de ces interventions a, petit à petit, permis de brosser un tableau assez précis du rôle que doivent jouer, dans l’imaginaire des parlementaires belges, les partis politiques au sein du système. Prenant au sérieux la métaphore du tableau, nous avons compilé, dans le Tableau 1 (ci-dessous), les enseignements de nos analyses en matière de fonctions des partis politiques. Plutôt que de le commenter case par case – exercice qui reviendrait à reproduire ici une bonne partie de notre thèse de doctorat de manière extensive –, nous nous proposons d’en extraire les enseignements transversaux les plus intéressants.

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§9 Premier enseignement : dès 1830-31, les partis se voient attribuer un rôle – limité, certes, et sans commune mesure avec ce qui se développera par la suite, mais un rôle tout de même. Cela signifie donc que, contrairement à ce que l’on enseigne classiquement, les partis existaient dès avant la naissance de l’État belge – sous une forme ou l’autre, et certes pas dans l’acception moderne du terme – et qu’on leur attribuait déjà des fonctions.

§10 Deuxième enseignement : le nombre de fonctions attribuées aux partis croît rapidement et ne semble jamais diminuer : lorsque les partis politiques se voient attribuer une fonction dans le discours parlementaire, ils ne la perdent pas. La dynamique générale est donc une dynamique d’extension du rôle des partis, dans une logique cumulative.

§11 Cette dynamique d’extension constante se double – et c’est le troisième enseignement – d’une logique d’approfondissement du rôle des partis. Dans notre tableau, plus la couleur d’une case est intense, plus la fonction qui y est liée est intense aussi – soit parce que les parlementaires y font des références plus nombreuses, soit qu’ils la modalisent de manière plus approfondie. Cela signifie que non seulement les partis conservent toutes les fonctions qu’ils se voient attribuer, mais que leur rôle dans l’exercice de ces fonctions est, dans le discours parlementaire, de plus en plus prégnant.

Démocratiser, confisquer, monopoliser les élections

§12 Cette double dynamique d’extension et d’approfondissement du rôle des partis ne va pas sans influer sur le rôle attribué à d’autres acteurs politiques. Dans certains cas, en effet, les partis se substituent à d’autres acteurs dans l’exercice des fonctions mises au jour ; dans d’autres cas, ils empêchent d’autres intervenants de jouer leur rôle. C’est pourquoi il nous a semblé possible d’analyser cette évolution du rôle des fonctions des partis comme un triple mouvement qui sert de lame de fond à l’histoire constitutionnelle et électorale belge : les partis ont participé à démocratiser les élections, mais également à les confisquer et à les monopoliser. Avant de nous appesantir sur chacun de ces termes, précisons que par « élections », nous visons ici non seulement l’acte électoral lui-même, mais aussi ses conséquences politiques, à savoir la création d’une majorité parlementaire, la formation d’une équipe gouvernementale et la détermination de la politique générale menée par cette équipe.

Démocratiser les élections

§13 Cette précision effectuée, les partis se sont attelés à démocratiser les élections. L’entreprise de démocratisation des élections, menée par les partis politiques (ou par les tendances progressistes des partis), est indéniable. Tant le droit de vote que celui d’éligibilité ont fait l’objet de mesures visant à augmenter le nombre de leurs titulaires.

§14 Entre 1831 et 1948, aussi bien le nombre absolu d’électeurs que le taux d’électeur par habitant a drastiquement augmenté, en particulier à deux moments-clef : d’abord, l’adoption du suffrage universel masculin tempéré par le vote plural, lors de la réforme constitutionnelle de 1893-1894 ; ensuite lors de l’accession (tardive) des femmes à l’électorat législatif en 1948 (elles voteront effectivement pour la première fois en 1949). Comme l’illustre le graphique ci-dessous, le nombre absolu d’électeurs a bondi d’environ 46 000 en 1831 à 1 354 829 aux élections de 1894 pour atteindre 5 030 886 électeurs et électrices au scrutin de 1949. En termes relatifs, cela représente le progrès d’une proportion d’électeur par habitant d’environ 1 % (en 1831) à 21 % (en 1894) pour atteindre 68 % en 1949.

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Outre différents éléments de contexte qui peuvent dans une certaine mesure expliquer cette évolution, la lutte des franges progressistes de tous les partis belges de l’époque a permis ces avancées. En particulier, la pression mise par le Parti ouvrier belge (POB), né hors du Parlement et manipulant l’arme de la grève générale, relayée dans les travées parlementaires par les libéraux progressistes (on pense à Paul Janson ou Émile Feron) et appuyée par la sensibilité catholique sociale (l’abbé Daens ou Joris Hellepute) s’est révélée décisive.

Toutefois, si ces progressistes ont œuvré à la démocratisation du droit de vote pour les hommes, les lignes de fracture en ce qui concerne le vote féminin sont toutes différentes. Dès 1919, lorsqu’il devient évident que le suffrage plural sera supprimé et que l’adage « un homme, une voix » deviendra réalité en Belgique, des voix s’élèvent pour réclamer le vote des femmes. Ces voix, ce sont celles des catholiques, et en particulier des catholiques conservateurs. Ces conservateurs, Charles Woeste en tête, se sentent-ils soudain l’âme de démocrates ? Pas exactement : ils espèrent que le vote féminin sera catholique, les femmes restant soumises à l’influence du curé, et noiera ainsi le vote socialiste ou libéral. L’analyse est partagée, d’ailleurs, par les socialistes et les libéraux, ce qui explique leur longue résistance acharnée à l’idée d’accorder l’accès à l’isoloir aux femmes.

§15 Quant à l’éligibilité, elle est théoriquement universelle à la Chambre dès 1831. Cette prétendue universalité connaît cependant à tout le moins trois tempéraments. D’abord, il faut attendre 1919 pour que l’on pose explicitement le principe selon lequel, même privées du droit de vote, les femmes peuvent être élues. Ensuite, dans le cadre d’un système censitaire, il est difficile d’imaginer qu’un électeur – par définition, riche – accorde sa voix à un non-électeur ouvrier qui tenterait de défendre l’intérêt de ses pairs. Enfin, la faiblesse de l’indemnité accordée aux députés empêche de facto toute personne vivant de son salaire de briguer un mandat public – puisqu’il se trouverait ainsi dans une large mesure privé de ressources financières.

Au Sénat, l’éligibilité est en revanche tout à fait aristocratique, et le cens d’éligibilité exigé pour devenir sénateur exclut en droit l’énorme majorité des citoyens belges. Cette barrière sera progressivement levée, ou en tout cas allégée ; même si, dans la période qui nous intéresse, elle ne fera que changer de visage et non disparaître. De plus, si à partir de 1921, les sénateurs perçoivent une indemnité (le mandat sénatorial était avant cela totalement bénévole), cette indemnité est expressément modeste. À nouveau, cet allègement est dû aux volontés de démocratisation portées principalement par le POB et les franges progressistes des deux autres partis.

Confisquer les élections

§16 Cela étant posé, il faut se prémunir contre une vision naïve de l’histoire : la seule augmentation du nombre de titulaires des droits de vote et d’éligibilité n’implique pas en soi une véritable démocratisation de l’élection. En effet, les partis ont progressivement exercé des fonctions qui étaient, à l’origine, confiées à d’autres acteurs, opérant ainsi une confiscation de l’élection. On peut identifier à cet égard à tout le moins deux types de victimes : certaines institutions formelles, d’une part, et les électeurs, d’autre part.

§17 En ce qui concerne les institutions formelles, il s’agit par exemple du Roi, qui devait disposer, sinon d’un pouvoir de décision unilatéral, à tout le moins d’une marge de manœuvre importante en matière de nomination des ministres, et donc de formation du gouvernement. Or, cette marge de manœuvre a progressivement été réduite par l’action des partis, qui sont presque, à la fin de la période, les seuls maîtres à bord en la matière. De la même façon, là où cette équipe gouvernementale devait en principe être contrôlée par le Parlement, c’est, en 1948, aux partis que les ministres répondent principalement, et ce sont les partis, et non la Chambre ou le Sénat, qui décident de la vie ou de la mort des gouvernements.

De là à y voir les prémices de ce que l’on qualifiera, après la deuxième guerre mondiale, de « particratie », il n’y a qu’un pas qu’il ne nous semble pas excessif de franchir – malgré les ambiguïtés et la polysémie du terme9.

§18 Si le nombre d’électeurs augmente, mais que leur influence10 sur la composition de l’assemblée ou du gouvernement diminue, alors le mouvement de démocratisation est tempéré – voire annulé – par un mouvement de confiscation à l’égard de ces mêmes électeurs. C’est précisément à cette dynamique de confiscation que les partis politiques ont adhéré.

En effet, ils ont d’abord imposé, en 1877, aux candidats potentiels de réunir un certain nombre de signatures pour pouvoir figurer sur les bulletins de vote. Auparavant, tout citoyen éligible, qu’il soit officiellement candidat ou non, pouvait récolter des voix. Avec la réforme de 1877, seuls les candidats adoubés par les partis (qui sont les seuls à pouvoir garantir de recueillir un nombre suffisant de signatures pour déposer une liste électorale) sont, à voir concrètement les choses, éligibles. Les partis confisquent donc une partie de l’influence de l’électeur en limitant drastiquement les noms qui peuvent recueillir des suffrages.

Ils se sont ensuite positionnés comme acteurs centraux du système électoral en adoptant le principe de la représentation proportionnelle en 1899 : puisque le score électoral est d’abord calculé par parti, puis par candidat, l’élection devient explicitement en premier lieu la lutte des partis. Par ailleurs, en affublant la case de tête (qui existe depuis 1877) d’un effet dévolutif, qui protège l’ordre dans lequel les candidats sont présentés par le parti pour qu’il corresponde à l’ordre d’élection desdits candidats, ils se sont assuré la mainmise sur la désignation des élus. « Avec la représentation proportionnelle », ricane-t-on à la Chambre en 1920, « on désigne les élus avant les élections ».

C’est encore plus assumé au Sénat : les différentes réformes de la haute assemblée ont abouti à y voir siéger, outre des sénateurs élus directement par la population, des sénateurs désignés par les conseils provinciaux (et donc, par les membres des partis politiques qui y siègent), puis des sénateurs cooptés (et donc désignés par les autres sénateurs, eux-mêmes membres d’un parti politique). Le recours massif à l’élection indirecte implique qu’en 1948, les électeurs et électrices n’ont d’influence directe sur la nomination que de 60% des sénateurs.

Monopoliser les élections

§19 Enfin, les partis représentés au Parlement se sont aussi attachés à minimiser l’impact de l’électeur lorsqu’il s’agit de faire émerger de nouveaux concurrents électoraux, dans une dynamique qui rappelle (en anticipant de quelques décennies) ce que Richard Katz et Peter Mair qualifieront de cartel party (dans sa dimension systémique)11 : une série de partis, au moyen d’une entente collusive – intentionnelle ou non –, s’arrangent pour limiter la concurrence électorale, mais aussi les coûts d’une potentielle défaite – voire les occurrences d’une défaite.

§20 Pour le cas belge, cette dynamique semble se mettre en place dès les premières velléités d’apparition d’un parti qui ne soit ni catholique, ni libéral : non seulement le nombre de parrainage exigé (et déjà évoqué plus haut) est spécifiquement pensé pour écarter des bulletins de vote les candidats isolés, ces « enfants perdus du scrutin », mais en plus divers mécanismes électoraux sont mis en place afin de favoriser les grands partis et donc limiter l’implantation parlementaire de nouvelles formations.

D’abord, le choix du diviseur d’Hondt comme formule électorale n’est pas neutre : il avantage tendanciellement les formations qui recueillent le plus de voix (pas autant, il est vrai, que d’autres diviseurs, comme le diviseur Imperiali, mais bien plus que d’autres systèmes, comme le quotient de Hare ou Sainte-Laguë). Par ailleurs, le fait d’ajouter à ce système une possibilité d’apparentement provincial, en 1919, vise à favoriser les formations moyennes (à l’époque, explicitement les libéraux). Or, les formations petites ou locales, incapables de présenter des listes dans plusieurs arrondissements, ne peuvent bénéficier de l’apparentement.

Enfin, la composition du Sénat reflète aussi un désir de monopolisation des élections : puisque près de la moitié des sénateurs sont désignés par des représentants des partis politiques déjà installés (soit dans les conseils provinciaux, soit au Sénat), il est évident que près de la moitié des sénateurs sera constituée de membres des partis politiques les plus puissants – on imagine mal, par exemple, un sénateur catholique proposer la désignation d’un ouvrier ayant créé sa propre formation politique.

Conclusions

§21 En conclusion, l’analyse de l’évolution des fonctions des partis a permis de mettre en évidence un triple mouvement qui sert de lame de fond à l’histoire des relations entre partis et élections. Ce mouvement, qui est continu, progressif et cumulatif, permet de répondre à notre question initiale : il n’y a pas de réel basculement soudain, mais plutôt un glissement continu d’extension et d’approfondissement du rôle des partis. En chemin, nous avons également pu nuancer certains enseignements classiques du droit constitutionnel : d’abord, les partis existaient avant d’exister, pour ainsi dire : dès 1830, les parlementaires en parlent et leur confient un rôle. Ensuite, les discussions parlementaires permettent de mettre au jour un statut constitutionnel, certes implicite et imprécis, des partis politiques. Enfin, il faut bien constater que le paradoxe qui nous a servi de point de départ se trouve nuancé par notre recherche : les pères fondateurs, en Belgique n’étaient pas si antipartisans que cela, finalement. C’est peut-être là, en définitive, l’enseignement le plus poétique de nos recherches : retourner à la question qui, il y a plus de cinq ans, a piqué notre intérêt, et en nuancer les termes.


  1. Voy. not. Bryce J. Modern Democracies, New York, MacMillan, 1921, p. 119; Kelsen H., La démocratie : sa nature - sa valeur, Paris, Dalloz, 2004, pp. 20-21 ; Schattschneider E., Party government: American government in action, [1942], New Brunswick, Transaction Publishers, 2004, p. 1 ; Katz R. et Crotty W., « Introduction », in Katz R. et Crotty W. (éds.), Handbook of Party Politics, Londres, Sage Publications, 2006, p. 1. 

  2. Voy. not. Orban O., Le droit constitutionnel de la Belgique. Tome II : les pouvoirs de l’État, Liège, H. Dessain, 1908, p. 61 ; Wigny P., Droit constitutionnel, Bruxelles, Bruylant, 1952, p. 450 ; Ganshof van der Meersch W., Pouvoir de fait et règle de droit dans le fonctionnement des institutions publiques, Bruxelles, Ed. de la Librairie Encyclopédique, 1957, p. 170 ; Velu J., Droit public. T. 1 Le statut des gouvernants, Bruxelles, Bruylant, 1986, p. 356 ; Bourgaux A.-E., La démocratisation du gouvernement représentatif belge, une promesse oubliée, Bruxelles, Université libre de Bruxelles. Faculté de Droit (inédit), 2013, p. 332 ; Uyttendaele M., Trente leçons de droit constitutionnel, Limal, Anthemis, 2020, pp. 19‑20. 

  3. CrEDH, Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, para. 44 ; CrEDH, Refah Partisi et autres c. Turquie, Grande Chambre, 13 février 2003, para. 87 ; CrEDH, Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne, 30 juin 2009, para. 77 ; C.C., arrêt n°195/2009, 3 décembre 2009, point B.22.3. 

  4. Not. Tulkens F., « Statut juridique et financier des partis politiques. Vers la fin du non-droit ? », Revue de Droit de l’ULB, 1997, n° 16, p. 9 ; de Coorebyter V*., Les partis et la démocratie*, Dossiers du CRISP, n° 64, Bruxelles, Belgique, CRISP, 2005, p. 7. 

  5. Scarrow S., « The nineteenth-century origins of modern political parties: the unwanted emergence of party-based politics », in Katz R. et Crotty W. (éds.), Handbook of party politics, Londres, Sage Publications, 2006, pp. 16‑24. 

  6. Sur cet enjeu, voy. Witte E., « De evolutie van de rol der partijen in het Belgische parlementaire regeringssysteem », Res Publica, 1980, vol. 22, n° 1‑2, pp. 7‑33 ; de Smaele H., « Omdat we uwe vrienden zijn ». Religie en partij-identificatie, 1884-1914, Louvain, KU Leuven, 2000, pp. 38‑49 ; Pilet J.-B., Changer pour gagner ? Les réformes des lois électorales en Belgique, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2007, p. 17 ; De Prins D., Handboek politieke partijen, Bruges, Die Keure, 2011., pp. 39‑40. 

  7. Il est à noter que nous employons ici les termes « rôles » et « fonctions » dans le sens, relativement imprécis, que leur donne les études fonctionnalistes des partis politiques, c’est-à-dire la contribution objective et effective d’un acteur d’un système à la cohésion et la continuité de ce système. En d’autres termes, « la fonction est l’effet objectif de la présence ou de l’action [d’un] élément [au sein d’un système] » (Van Campenhoudt L et Marquis N., Cours de sociologie, Pyscho Sup, Paris, Dunod, 2020, p. 126). Par là, nous nous écartons donc de la définition purement sociologique du rôle et des fonctions (qui ne sont pas interchangeables). 

  8. Discussion générale des propositions de révision constitutionnelle (art. 26, 27 alinéa 2, 53, 54, 55, 56, 56bis et 57), Ann. Parl., Chambre, 1920‑1921, séance du 2 mars 1921, p. 744. 

  9. Voy. Gaudin T., « La régulation juridique des partis politiques », Courrier hebdomadaire du CRISP, 2020, vol. 2483-2484, n°38, p. 5. 

  10. Sur le concept d’influence électorale, voy. Bouhon F., Droit électoral et principe d’égalité : l’élection des assemblées législatives nationales en droits allemand, belge et britannique, Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 89-99. 

  11. Katz R.S. et Mair P., « Changing Models of Party Organization and Party Democracy: The Emergence of the Cartel Party », Party Politics, 1995, vol. 1, n° 1, pp. 5‑28. 

Thibault Gaudin