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Volume 8

Trêve hivernale des expulsions, entre nécessité et juste indemnité

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La présente contribution reprend la jurisprudence arrêtée au 29 février 2024. L'autrice s'exprime à titre personnel, ses propos n'engagent en rien les institutions dont elle relève. Elle tient à adresser ses plus chaleureux remerciements à Véronique van der Plancke, avocate, et Nicolas Bernard, professeur et doyen à l'USL-B. Nos échanges sont une source inépuisable de réflexion et d'énergie.

Introduction

§1 Le logement a ceci de particulier qu'il constitue à la fois un bien essentiel conditionnant la participation de l'individu à la société mais aussi une importante source d'investissement financier1.

Toute tentative de réglementation d'une des composantes du logement - sa perte ou son rendement par exemple - est source d'oppositions fortes et l'objet d'importantes luttes politiques. Le juge, loin de rester étranger à ces antagonismes, y tient un rôle essentiel tantôt en soutien du droit au logement tantôt au contraire, comme garant de cet investissement.

§2 Un avis du Conseil d'État du premier février 20232 rendu sur un avant-projet d'ordonnance visant à réglementer les expulsions de logement illustre bien ce phénomène. Si dans un premier temps la section de législation a confirmé la compétence de la Région bruxelloise pour réglementer les expulsions et reconnu le caractère proportionné des modifications de la procédure, elle a ensuite conclu au caractère disproportionné de la trêve hivernale, laquelle impose une charge excessive sur le droit du propriétaire. Le raisonnement du Conseil d'État ne tient toutefois pas compte de la réalité concrète dans laquelle naît la demande d'expulsion et des avantages de cette mesure sur l'intérêt collectif.

La présente contribution se propose d'analyser cette légisprudence à la lumière de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour européenne des droits de l'homme.

§3 En préambule de notre réflexion, nous citons deux évènements qui attestent du caractère éminemment politique mais aussi potentiellement arbitraire des expulsions de logement.

§4 Trois jours avant l'adoption en séance plénière au parlement bruxellois du projet d'ordonnance faisant l'objet de l'avis commenté, plusieurs juges de paix adressent un courrier au Président du parlement pour « souligner la présence de nombreux écueils juridiques et pratiques du projet »3.

Tant la forme que le fond de ce courrier interpellent. N’hésitant pas à donner leur avis en opportunité sur le budget alloué au fond d'indemnisation ou sur les moyens de recouvrement de ces indemnités auprès des locataires, les juges se font l'écho notamment des griefs suivants :

« Les mesures prévues au projet d’ordonnance donnent l’impression que le législateur souhaite mettre la responsabilité et la charge financière pour la garantie de ce droit [le droit au logement] à charge des bailleurs ce qui a pour conséquence que l’équilibre entre les droits et obligations respectifs résultant du bail est perturbé ».

Et encore : « Il y a également lieu de se poser la question s’il est encore indiqué de lier le moratoire d’expulsion à la période d’hiver. La recherche d’un autre logement n’est pas plus facile en été qu’en hiver. En hiver, il est prévu des places d’accueil pour ceux qui se trouveraient en rue. C’est moins le cas en été et surtout les services sociaux sont moins disponibles à cause des congés de leurs collaborateurs ».

Finalement et c'est peut-être la critique la plus intéressante, les auteurs du courrier rejettent les dispositions du projet qui visent à uniformiser la jurisprudence en matière d'expulsion :

« le projet nie le rôle sociétal du juge de paix qui par son expérience parvient à faire la distinction entre les diverses situations et qui, en fonction de celles-ci va accorder des délais, remettre l’affaire, renvoyer vers le CPAS, les services de médiation, ... ».

Ce courrier témoigne d'une vision spécifique de certains juges. Celle d'un équilibre entre les droits des bailleurs et des locataires tel que résultant du contrat de bail et, du juge en tant qu'acteur « sociétal », à même de débusquer les situations de vulnérabilité et d'assurer un traitement adéquat en conséquence.

§5 La seconde anecdote a lieu quelques semaines plus tard, lors de la présentation du texte de l'ordonnance adoptée le vingt-deux juin 20234 au secteur du logement. Un avocat intervient, il se présente comme un conseil régulier de locataires menacés d'expulsion, et affirme que le législateur fait fausse route. Le problème à l'origine des expulsions n'est pas, selon lui, l'accès à la justice ou au logement des plus démunis mais le fait que les pauvres n'affectent pas leurs revenus au paiement du loyer et préfèrent par exemple, s'acheter des écrans plats plus grands et plus récents que celui que lui-même possède.

Cette remarque soulève un argument fréquent, celui de l'incompétence économique des pauvres. Il fait par ailleurs écho à une crainte soulevée par les juges de paix, celle de l'assistanat et de la déresponsabilisation des plus démunis.

§6 Ces deux évènements révèlent le fossé qui peut surgir entre la réalité concrète dans laquelle intervient la demande d'expulsion et le traitement de cette demande par les acteurs de la justice. Nous reviendrons sur chacun des arguments mis en exergue par ces deux évènements. Il s'impose toutefois de rappeler que la pauvreté est en premier lieu un problème d'accès au droit5. Or, l'accès au droit est inégalitaire et varie fortement en fonction des différences sociales et économiques de l'individu, de sa compréhension du droit ou de la possibilité qu'il a ou non de recourir à un expert du droit6. 90% des parties défenderesses ne se présentent pas devant la justice de paix à Bruxelles7. Ce taux est de 60% en matière locative et seul 10% des locataires sont conseillés par un avocat8 contre 70% pour les bailleurs9. Il ne peut dès lors être affirmé que le droit et le contrat de bail sont à même de rééquilibrer les inégalités sociales et économiques des co-contractants ou que les juges de paix sont à même de prononcer des décisions adéquates en connaissance de cause. Le marché du logement abordable connaît ensuite une crise aiguë : « les ménages dont les revenus ne dépassent pas 1 500 € consacrent en moyenne 60 % de leurs revenus au logement, alors que les ménages disposant de plus de 3 000 € n’y consacrent que 25 % en moyenne » 10.

La problématique des expulsions, loin de résulter d'une incompétence budgétaire individuelle des locataires, trouve dès lors son origine dans le fonctionnement de la justice et des politiques du logement.

§7 Nous conclurons cette introduction avec Camille François pour qui « les affaires d'expulsion sont un bon observatoire des inégalités sociales face à la justice, et des conditions dans lesquelles les personnes pauvres peuvent, ou non, être reconnues comme de véritable "sujet de droit" »11.

Une trêve hivernale nécessaire sur les expulsions

§8 Si la France s'est dotée d'une trêve hivernale sur les expulsions de logements dès 195612, le parlement belge a été saisi de la question à partir de 1995. Le sénateur Jacques Santkin déposait alors une première proposition de loi visant entre autres, à instaurer une interdiction des expulsions du premier novembre au vingt et un mars lorsqu'aucune solution de relogement n'était disponible13. La mesure était justifiée comme suit : « si l'angoisse de l'expulsion qui participe de la souffrance humaine et familiale vécue par les plus pauvres d'entre nous est déjà intolérable, l'expulsion en période de froid constitue une menace plus grave encore. En effet, dans ces circonstances, au-delà des difficultés d'existence, c'est leur survie qu'ils doivent alors assurer ».

Depuis la première proposition de 1995, trois autres propositions furent déposées en vain14. Une circulaire ministérielle adoptée en 2000 prévoyait toutefois une trêve hivernale du premier décembre au vingt-huit février sur le logement social à Bruxelles15. Pendant la période spécifique de pandémie due au Covid-19, plusieurs arrêtés du Ministre-Président de la Région bruxelloise16 et un arrêté de pouvoirs spéciaux de la Région de Bruxelles-Capitale17 ont en outre suspendu temporairement les expulsions18.

Le 31 août 2023 est entrée en vigueur l'ordonnance qui impose un moratoire hivernal du premier novembre au quinze mars pour tous les logements. La section qui suit expose brièvement les dispositions de cette nouvelle ordonnance19.

§9 L'ordonnance faisant l'objet de l'avis commenté insère dans le Code bruxellois du Logement les règles de procédures applicables aux expulsions judiciaires en remplacement des articles 1344 bis et 1344 septies du Code judiciaire.

La procédure judiciaire de demande d'expulsion est allongée pour favoriser, selon le législateur, un accompagnement effectif du locataire. L'envoi d'une mise en demeure, écrite et détaillée, un mois avant l'envoi de la requête en expulsion est désormais obligatoire20. Le délai de comparution est augmenté à quarante jours21 en cas de demande d'expulsion pour permettre au CPAS de réaliser une enquête sociale et d'intervenir en soutien du locataire menacé d'expulsion dès l'audience introductive. Enfin, le délai entre l'avis d'expulsion et l'expulsion est augmenté à quinze jours22.

§10 Le moratoire hivernal est, quant à lui, introduit par l'article 233 duodecies, il vise une interdiction des expulsions de logement du premier novembre au quinze mars. Trois exceptions sont prévues : l'état dangereux du bien, le comportement de l'occupant et la force majeure qui met en péril le droit au logement du bailleur. Comme toutes les exceptions, celles-ci sont d'interprétation restrictive et doivent faire l'objet d'une justification dans la décision autorisant l'expulsion. À la suite de l'avis du Conseil d'État, une quatrième exception est ajoutée : l'abandon du bien.

Le texte prévoit une compensation du bailleur auprès d'un fonds régional pour toutes les mensualités échues pendant le moratoire hivernal et non payées par le locataire23.

Avis du Conseil d'État sur le moratoire hivernal, oui peut-être ?

§11 L'avis du Conseil d'État est brièvement résumé avant d'analyser chacun des trois griefs formulés à l'encontre du moratoire hivernal.

L'avis du Conseil d'État 72.557/3 du 1er février 2023

§12 Le Conseil d'État confirme, en premier lieu, la compétence de la Région non seulement pour réglementer les expulsions dans le cadre d'un bail d'habitation mais aussi pour reporter temporairement l'exécution des décisions judiciaires d'expulsion dans des circonstances exceptionnelles24. Une restriction au droit de propriété et au droit d'accès à un juge est ensuite soulevée25. La conformité d'une ingérence dans le droit de propriété appelle un double examen du Conseil d'État. L'objectif poursuivi doit être légitime et d'intérêt général. Il doit ensuite exister un juste équilibre entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi doit dès lors exister.

§13 L'objectif énoncé dans l'exposé des motifs, de « concrétisation du droit au logement pour toutes et tous », conformément à l'article 23, alinéa 3, 3° de la Constitution, est déclaré légitime et conforme à l'intérêt général par la section de législation. La mesure, en ce qu'elle est limitée aux baux d'habitation et aux baux commerciaux portant sur un bien qui sert également d'habitation, est en outre déclarée adéquate et proportionnée à cet objectif.

§14 Une analyse précise des mesures susceptibles d'imposer une atteinte disproportionnée au droit de propriété est ensuite réalisée. Premièrement, sur le délai d'un mois entre la signification du jugement et l'expulsion, la section de législation estime que la mesure n'entraîne pas de restriction excessive, même cumulée avec l'augmentation du délai entre l'avis d'expulsion et l'expulsion à quinze jours. Ces deux délais ne se suivent pas et peuvent se superposer pour expirer ensemble si l'huissier de justice informe le preneur de l'expulsion pendant le premier délai d'un mois26.

Le Conseil d'État estime toutefois que l'indemnité d'occupation fixée par le juge doit être raisonnablement déterminée et le propriétaire dont l'expulsion du locataire est suspendue par une décision individuelle doit avoir accès au fonds de solidarité sous peine de procéder à une différence de traitement non justifiée.

Finalement, la mesure visant à interdire les expulsions du premier novembre au quinze mars impose une charge disproportionnée sur les propriétaires, selon le Conseil d'État et ce, pour un triple motif. Premièrement, une interdiction générale et impérative n'est pas nécessaire dès lors que le législateur prévoit une faculté pour le juge de suspendre les expulsions individuellement lorsque la situation du preneur le justifie. Ensuite, les exceptions au moratoire sont trop restrictives. La situation financière du bailleur doit pouvoir faire obstacle au moratoire hivernal selon le Conseil d'État. Troisièmement, l'indemnité d'occupation garantie par le fonds régional pendant toute la durée de la trêve ne suffirait pas à compenser l'atteinte au droit de propriété, sauf à garantir que l'indemnité corresponde au montant du loyer ou à tout le moins couvre les frais d'entretien27.

Une interdiction générale des expulsions, inutile et excessive

Une trêve (inutile) pour protéger les personnes expulsées pendant l'hiver

§15 Le Conseil d'État estime que l'article 233 undecies, §1 nouveau du Code du Logement qui autorise une suspension temporaire de l'exécution de l'expulsion dans les situations individuelles particulières- telles que le grand âge du locataire ou son handicap - suffit pour atteindre l'objectif de protection des personnes vulnérables pendant l'hiver en sorte qu'une suspension générale et abstraite des expulsions ne se justifie pas.

La critique n'est pas nouvelle. La proposition d'ordonnance conjointe de 2019 visant à instaurer un moratoire hivernal du premier novembre au trente et un mars28 prévenait d'ailleurs la remarque en ces termes29:

« Même si l’article 1344quater du Code Judiciaire accorde aux juges de paix le pouvoir de prolonger à la demande du preneur le délai d’expulsion sur base des "circonstances d’une gravité particulière ", en réalité, ce pouvoir n’est pas utilisé fréquemment.

Ces circonstances sont reprises de manière exhaustive : "les possibilités de reloger le preneur dans des conditions suffisantes respectant l'unité, les ressources financières et les besoins de la famille, en particulier pendant l'hiver. Dans ce dernier cas, le juge fixe le délai dans lequel l'expulsion ne peut pas être exécutée, en tenant compte de l'intérêt des deux parties et dans les conditions qu'il détermine".

Néanmoins, de nombreuses expulsions seront exécutées pendant la période hivernale. Ces locataires demandent en urgence de l’aide au CPAS. Les dégâts sociaux et humains causés par une expulsion qui ne serait pas accompagnée d’une solution de relogement sont la plupart du temps irréparables. De plus, les CPAS sont confrontés à une liste d’attente de logements d’accueil d’urgence et de logement de transit. Les locataires seront parfois hébergés temporairement dans des maisons d’accueils, dans des hôtels, à charge des pouvoirs publics ».

§16 Le rapport Bru-Home réalisé par l'ULB et la VUB a permis d'objectiver le phénomène des expulsions à Bruxelles. Les chercheurs ont analysé tous les jugements prononcés en 2018 par les 18 justices de paix bruxelloises. Il résulte de cette étude deux constats importants.

Premièrement, les mois de novembre et de janvier concentrent les nombres les plus élevés de jugements d'expulsion avec respectivement 459 et 441 expulsions 30.

Deuxièmement, très peu de jugements octroient un délai supplémentaire au délai d'exécution d'un mois par défaut. Seul 9% des jugements d'expulsion augmentent ce délai alors que 10% de ces mêmes jugements prévoient une réduction du délai d'un mois31. Les chercheurs ne mentionnent pas les motifs justifiant l'octroi d'un délai supplémentaire ou la réduction du délai d'un mois, selon la doctrine toutefois, la période hivernale ne fonde que rarement l'octroi d'une suspension de l'expulsion32.

Ces chiffres rendent compte de l'inefficacité d'une suspension des expulsions au cas par cas pour atteindre le but poursuivi par le législateur. Une alternative est donc bien nécessaire. Objectiver l'échec d'une disposition légale ne permet toutefois pas d'attester de la pertinence de l'alternative proposée. Il est dès lors essentiel de s'interroger sur les raisons pour lesquelles les juges de paix n'octroient pas une suspension de l'expulsion en raison de la période hivernale. Un détour par la sociologie du droit est à cet égard intéressant.

§17 Le Code judiciaire conditionne l'augmentation ou la réduction du délai légal d'un mois à la demande d'une des parties. Or, le rapport Bru-Home renseigne que 60% des locataires menacés d'expulsion ne sont pas présents ou représentés à l'audience et dans les 40% qui sont présents, seuls 10% ont eu recours aux services d'un avocat33. Ces chiffres ne sont pas propres à Bruxelles. Les Etats-Unis et la France témoignent des mêmes données effrayantes. Matthew Desmond énonce qu'aux Etats-Unis 90% des locataires menacés d'expulsion n'ont pas recours aux services d'un avocat et qu'une minorité d'entre eux se déplace au tribunal34. Camille François35 dans son étude sur la Ville de Paris témoigne, pour sa part, que seul 43% des locataires menacés d'expulsion se sont présentés à l'audience et 6% d'entre eux ont eu recours aux services d'un avocat.

Les taux importants de défaut dans plusieurs villes et pays attestent du caractère structurel du non-recours au droit au logement des personnes vulnérables. L'Observatoire de la Santé et du Social36 a identifié plusieurs motifs fondant l'absence de recours à la justice des personnes précarisées : la non-connaissance de leurs droits, les barrières psychologiques (épuisement, découragement, humiliation, perte de confiance dans la justice etc.…), les obstacles financiers, administratifs et linguistiques et les discours stigmatisant et culpabilisateurs à l'égard des plus vulnérables.

Le non-recours au droit est renforcé en matière de logement par la pénurie de logements abordables. «1 % seulement du parc est accessible aux 40 % des ménages aux revenus les plus faibles (quatre premiers déciles de revenu) »37. Les personnes les plus vulnérables sont dès lors contraintes, indépendamment de la connaissance qu'elles ont de leurs droits, d'accepter des logements trop chers ou inadaptés. La liberté contractuelle n'est alors plus qu'une fiction : la pauvreté rend le locataire entièrement captif de son habitat. C'est ce que Pierre Bourdieu signifiait lorsqu'il énonçait que « le défaut de capital intensifie l'expérience de la finitude : il enchaine à un lieu »38 et 39.

En confrontant le type de décisions d'expulsion avec le caractère contradictoire ou non du jugement, les chercheurs ont effectivement constaté une corrélation directe entre la décision plus ou moins favorable au preneur et sa présence ou non à l'audience. Ainsi, les jugements autorisant une expulsion conditionnée au non-respect d'un plan d'apurement, soit la décision d'expulsion la moins attentatoire au droit au logement du locataire, ont été prononcés contradictoirement dans 93% des cas alors que pour les décisions d'expulsion immédiate, les locataires étaient présents dans 21% des cas40.

Le faible taux de « termes et délais » octroyés par le juge peut donc s'expliquer partiellement par le taux important de défaut et de non-demande. Outre la nécessité de renforcer l'accès à la justice des locataires menacés d'expulsion, se pose dès lors la question de l'opportunité d'autoriser le juge à octroyer d'office un tel délai et ce, en lieu et place d'une interdiction impérative et générale des expulsions.

§18 L'expérience française bien que différente semble plaider pour une réponse négative. En matière d'expulsion pour dette, la loi française autorise le juge à accorder des délais de paiement en l'absence même du locataire à l'audience41. Pourtant, seul un tiers des jugements analysés par Camille François accorde un tel délai en l'absence du locataire42. Deux justifications sont avancées par les magistrats pour expliquer ce refus. Premièrement, le principe du droit civil qui veut que le juge adopte une position de retrait par rapport aux demandes des parties et qu'il ne statue pas en dessous ou au-dessus de ce que ces dernières demandent. Deuxièmement, l'absence d'information du juge quant à la situation du locataire et sa capacité de paiement.

Camille François ajoute une troisième explication43, le biais de perception de certains juges quant à la figure du petit propriétaire. Les seuls propriétaires présents à l'audience sont bien souvent des particuliers issus de la petite classe moyenne ou des petits indépendants, qui comparaissent sans avocat. Ces derniers peu habitués au rituel judiciaire commettent plus facilement des erreurs de procédure et ont parfois même des difficultés à s'exprimer et à structurer leur dossier. Il y aurait donc un prisme déformant du propriétaire qui guiderait les décisions des magistrats selon Camille François. Le simple fait d'être logé par un particulier augmente de près de trois fois les chances du locataire d'être expulsé à Paris et le taux de « termes et délais » diminue lorsque le propriétaire est un particulier y compris lorsque ce dernier ne démontre aucun problème financier ou n'est pas présent à l'audience. A Bruxelles, 70% des propriétaires sont représentés pas un avocat devant la justice de paix et une faible minorité seulement se déplace à l'audience alors que ce chiffre est respectivement de 10% et 29% pour les locataires44.

La jurisprudence en matière d'expulsion est ensuite très hétérogène et révèle des pratiques et des sensibilités distinctes en fonction des juges. Camille François souligne en ce sens qu'un locataire n'a pas les mêmes chances d'être expulsé et d'obtenir des délais de paiement en fonction du juge appelé à connaître de l'affaire. Selon l’auteur, « les différences de style et de décisions judiciaires ont en grande partie à voir avec la trajectoire et les caractéristiques sociales des juges »45.

§19 Les motifs qui précèdent contredisent l'argument selon lequel les juges sont à même, du fait de leur expérience, d'apprécier la situation de vulnérabilité du locataire et de prendre des décisions d'expulsion en conséquence. L'article 806 du Code judiciaire46 ou les biais de perception de certains magistrats font obstacle, nous l'avons dit, à la prise en compte par le magistrat de la situation de vulnérabilité du locataire absent et non représenté à l'audience dans la majorité des affaires.

Il s'ensuit qu'indépendamment de la situation de nécessité ou non du locataire ou de la capacité du magistrat à se saisir d'office de la question, l'octroi de termes et délais ne sera pas traité de la même façon par les juges. Les intérêts des propriétaires, attestés ou non, justifient majoritairement ce refus alors que la situation de vulnérabilité du locataire n'est que rarement questionnée. L'objectif de protection des personnes expulsées pendant l'hiver n'a dès lors que peu de chance de se concrétiser via une suspension au cas par cas de l'exécution des décisions d'expulsion même lorsque ces termes et délais peuvent être octroyés d'office par le juge47.

L'indemnité d'occupation ne peut être inférieure au montant du loyer

§20 Selon le Conseil d'État, l'indemnité d'occupation fixée par le juge en contrepartie de la suspension de l'expulsion doit correspondre au montant du loyer ou au minimum, être suffisante pour garantir l'entretien du bien.

Or, la correspondance, établie par le Conseil d'État, entre la justesse de l'indemnité et le montant du loyer fixé contractuellement ne va pas de soi. Sauf à admettre qu'un bailleur puisse être indemnisé pour des loyers abusifs, le montant d'une juste indemnité doit pouvoir être fixé par le juge eu égard notamment à l'état du bien et sa valeur marchande.

§21 Le droit de propriété connaît une interprétation évolutive. Si traditionnellement, la limitation à la maîtrise et la jouissance d'un bien n'entrainait une indemnisation que dans les situations prévues par le législateur48, aujourd'hui la jurisprudence sanctionne toute charge excessive imposée aux propriétaires. L'indemnisation est alors appréciée dans le cadre d'un examen de proportionnalité entre l'atteinte au droit de propriété et les avantages procurés à l'intérêt général.

La Cour constitutionnelle a défini le caractère juste de l'indemnité eu égard notamment à la durée et la gravité de l'atteinte, à l'objectif visé par le législateur et aux garanties procédurales.

Dans un arrêt du 20 avril 200549 portant sur le droit de gestion publique mis en place par la Région bruxelloise, la Cour a estimé que l'imposition d'un loyer encadré dont sont déduits les frais de gestion, n'impose pas une charge excessive sur le propriétaire et ce, en ces termes :

« En ce qui concerne le montant du loyer, le Gouvernement est chargé de déterminer une grille de loyer maximum, compte tenu de la situation du bien et de la situation des occupants.

Quant à l’affirmation des parties requérantes que ce loyer pourrait être symbolique, la Cour constate que la mesure manquerait son objectif social si le législateur venait à fixer des montants exorbitants pour les locataires sociaux.

La circonstance que le gestionnaire public peut, sur cette somme, récupérer les investissements consentis ne rend pas non plus la mesure disproportionnée dès lors qu’au terme des neuf années prévues pour le droit de gestion, le propriétaire peut retrouver un bien revalorisé par les travaux de réhabilitation entrepris par l’opérateur. Il ne pourrait en outre être admis que celui-ci assume quotidiennement la charge de cette gestion sans récupérer les frais qu’elle engendre »50.

A noter toutefois que la circonstance que le droit de gestion publique ne cible que les logements insalubres, inhabitables ou inoccupés après plusieurs mises en demeure, semble avoir pesé lourdement dans l'appréciation de la Cour.

Dans un arrêt du 18 avril 2007 portant sur le droit d'achat accordé par le législateur flamand aux locataires sociaux sur le bien qu'ils occupent, la Cour constitutionnelle a admis que la valeur de marché du bien puisse constituer une juste indemnité à l'exclusion d'autres éléments invoqués par les bailleurs sociaux tels que notamment, les valeurs de convenance51 ou de réemploi52 ou la perte de rendement. La Cour justifie sa décision par la personnalité publique du bailleur et les dispositions du Code du Logement qui garantissent une protection contre l'appauvrissement de patrimoine du bailleur public53.

L'enseignement le plus intéressant est celui donné à l'occasion de l'arrêt du 14 juillet 2022 portant sur le moratoire sur les expulsions pendant la crise sanitaire liée au Covid-19. D'une durée prolongée de cinq mois sans autre forme de compensation que les loyers échus, la suspension des expulsions est jugée proportionnée et ce, en ces termes :

« la disposition attaquée n’a pas empêché que « le loyer ou une indemnité d’occupation forfaitaire ou correspondant à l’état du bien reste dû pendant la période temporaire d’interdiction d’expulsion » ni que l’intéressé doive également continuer à respecter toutes les autres obligations lui incombant.

S’il est vrai que, dans les circonstances où le bailleur demande la rupture du contrat de bail et obtient l’expulsion, la probabilité est forte que l’intéressé soit insuffisamment solvable pour payer ce loyer ou cette indemnité à court terme, il n’en demeure pas moins que celui-ci ou celle- ci reste dû, exigible et recouvrable.

Enfin, conformément à l’article 144 de la Constitution, il appartient au juge ordinaire d’apprécier si une indemnisation sur la base du principe de l’égalité des citoyens devant les charges publiques est justifiée, et il lui appartient également d’en fixer le montant.

En vertu de ce principe, l’autorité ne peut, sans compensation, imposer des charges qui excèdent celles qui doivent être supportées par un particulier dans l’intérêt général. Il découle de ce principe que les effets préjudiciables disproportionnés – c’est-à-dire le risque social ou entrepreneurial extraordinaire s’imposant à un groupe limité de citoyens ou d’institutions – d’une mesure de coercition qui est en soi régulière ne doivent pas être mis à charge des personnes lésées, mais doivent être répartis de manière égale sur la collectivité.

Une compensation en vertu de ce principe n’est requise que lorsque et dans la mesure où les effets de la mesure excèdent la charge qui peut être imposée à un particulier dans l’intérêt général. Il appartient au juge ordinaire d’apprécier in concreto, en tenant compte de tous les aspects particuliers et publics de chaque cas, si la charge qui résulte de la disposition attaquée pour le bailleur peut faire l’objet d’une compensation »54.

La Cour constitutionnelle a confirmé cette jurisprudence dans un arrêt récent du 9 novembre 202355 concluant au rejet du recours en annulation introduit contre le décret de la Région wallonne du 22 septembre 2022 « relatif à la suspension de l’exécution des décisions d’expulsions administratives et judiciaires » pendant l'hiver 2023.

§22 Il résulte de la jurisprudence précitée que la Cour constitutionnelle reconnaît au législateur une large marge d'appréciation pour mener à bien sa politique du logement. Pour toute limitation du droit de propriété, le législateur peut fixer le montant de l'indemnité, s'il l'estime nécessaire, en fonction des caractéristiques particulières entourant la mesure.

§23 La seule faculté du juge de réduire le montant de l'indemnité en fonction des circonstances de l'affaire ne permet dès lors nullement de conclure au caractère excessif de cette atteinte. Il est en effet fréquent dans la pratique que le juge de paix fixe une indemnité pour l'occupation du logement après la résolution du contrat de bail. Cette indemnité correspond le plus souvent au montant du loyer fixé entre parties mais pas nécessairement. Un manquement du bailleur peut par exemple justifier la réduction du loyer fixé contractuellement, en cas de non-respect de son obligation de louer un logement conforme aux normes de salubrité, de sécurité et d'équipement notamment. En réponse à l'avis du Conseil d'État, l'auteur du texte énonce en ce sens que « le juge a une obligation de fixer une indemnité raisonnable et adéquate en fonction des circonstances de l'affaire, notamment la situation financière du bailleur, la composition familiale du preneur et l'état du bâti » et que la grille des loyers est à cet égard un bon indicateur »56.

§24 La nécessité pour le juge de tenir compte de l'état du logement n'est pas anecdotique. Aucune étude ne porte sur la qualité du bâti à Bruxelles, toutefois les caractéristiques des bâtiments laissent présager une proportion de logements insalubres supérieure à 2% et allant jusque 30%57. Le bâti bruxellois est en effet ancien. La capitale compte 38% de logements construits avant 1945, et nous ne savons rien des dynamiques de rénovation qui ont été portées sur ces logements. 26% des appartements appartiennent par ailleurs à la classe la plus énergivore (G), 28% des logements sont sujets à des problèmes d’humidité et 11 % des locataires perçoivent leur logement comme en très mauvais ou en mauvais état (soit 30.000 logements) et 57 % l’estiment au contraire bon ou très bon.

L’enquête EU-SILC 2021, énonce ainsi que « la part de la population vivant dans un logement « inadéquat », c’est-à-dire ayant soit des fuites dans la toiture, soit des murs, sols ou fondations humides, soit de la pourriture dans les châssis de fenêtre ou le sol, s’élève à 26 % en Région bruxelloise, contre 12 % en Flandre et 19 % en Wallonie. En outre, 6 % des bruxellois ne parviennent pas à chauffer convenablement leur logement, un pourcentage équivalent à celui de la Wallonie, mais plus élevé qu’en Flandre (2 %)»58.

§25 Conformément à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle précitée du 14 juillet 202259, le juge statue en équité en ayant égard aux intérêts des deux parties - locataire et bailleur - et aux circonstances de l'affaire conformément à l'article 144 de la Constitution. Le droit au logement impose de tenir compte de l'état du bâti dans la fixation du montant de l'indemnité d'occupation. Les normes de salubrité sont d'ailleurs d'ordre public60. Si une charge excessive devait résulter d'une indemnité d'occupation trop basse force est alors de constater, avec l'auteur du texte, qu'elle résulterait de la décision du juge et non du Code du logement ainsi modifié.

§26 Le Conseil d'État soulève encore une rupture du principe d'égalité entre les bailleurs dont l'expulsion du locataire est suspendue en application du moratoire hivernal et qui bénéficient de l'intervention du fonds régional et ceux dont l'expulsion du locataire est suspendue par une décision judiciaire et qui ne bénéficient pas de la garantie de paiement du fonds de solidarité.

Le législateur a estimé que ces deux catégories de bailleurs n'étaient pas comparables. Le moratoire hivernal s'impose à tous de manière générale et automatique sans qu'une analyse contextuelle ne soit réalisée, ce qui justifie selon l'auteur du texte, une indemnisation également automatique. En revanche, le juge qui octroie des termes et délais, le fait au terme d'une analyse concrète des faits et des intérêts en présence. Le bailleur a eu l’occasion de soumettre au juge ses arguments et de faire valoir son opposition, le cas échéant, à la suspension du délai d'expulsion. La faculté est d'ailleurs donnée au bailleur de solliciter une réduction du délai légal d'un mois. Le législateur cite ensuite le faible taux de termes et délais octroyés par les magistrats comme autant de preuve de la prudence de ces derniers61. Comme énoncé précédemment 9%62 des décisions d'expulsion à Bruxelles suspendent l’exécution de l'expulsion pour un délai médian de 40 jours et de délai moyen de 56 jours63, soit un délai relativement réduit par rapport à la trêve hivernale de 135 jours.

Des exceptions trop restrictives

§27 Le troisième et dernier grief du Conseil d'État porte sur le caractère trop restrictif des exceptions au moratoire hivernal, notamment sur l'absence de prise en compte de la situation financière du bailleur. Le législateur a prévu quatre obstacles à la suspension temporaire des expulsions en hiver : l'abandon du bien, l'état du bâtiment qui met en péril la sécurité des occupants, le comportement du locataire qui porte atteinte au bien ou trouble la jouissance du voisinage et la force majeure qui entrave le droit au logement du bailleur.

Selon le législateur, la situation financière du bailleur ne peut être ajoutée au titre d'exception sous peine de remettre en question l'effectivité même de la mesure64. Du reste, que recouvre l'expression « situation financière du bailleur » ? Le moratoire est compensé à hauteur de l'indemnité d'occupation fixée par le juge de paix. La perte financière pour le bailleur est dès lors circonscrite. Le droit au logement du bailleur est en outre garanti puisque sa mise en péril fait obstacle au moratoire.

§28 La question des exceptions est intéressante car elle réintroduit une marge d'appréciation du juge pour écarter l'imposition générale d'un moratoire sur les expulsions. Deux juges de paix ont ainsi commenté le moratoire wallon sur les expulsions instauré pendant l'hiver 2022-2023, en soulignant que les juges de première instance « n’hésitent pas à appliquer les exceptions au moratoire, pour autant qu’elles soient sollicitées et documentées »65. Cette jurisprudence confrontée au taux très important de défaut et de non-représentation des locataires en justice est évidemment interpellante.

Dans un jugement récent prononcé contradictoirement66, le juge de paix de Molenbeek a fait droit à la demande du bailleur d'expulser le locataire pendant la trêve hivernale au motif que le bien mis en location est manifestement insalubre et infesté de vermine. L'état de ce même bien ne s'opposera toutefois pas à l'octroi d'un délai supplémentaire avant l'expulsion de trente-huit jours au vu de la situation personnelle du locataire. Il résulte de cette jurisprudence que le bailleur peut invoquer son comportement infractionnel pour déroger à des dispositions protectrices du droit au logement avec pour conséquence une négation concomitante du bénéfice de ces mêmes dispositions pour le locataire dont il est pourtant reconnu par le même juge qu'il est dans une situation exceptionnelle de vulnérabilité.

A la lumière des développements qui précèdent, la crainte du Conseil d'État ne paraît pas fondée. Les dérogations au moratoire hivernal ne sont en effet pas appliquées de manière restrictive par les juges, loin s'en faut.

Le contrôle de proportionnalité ou la recherche d’un double équilibre

§29 Il résulte des griefs commentés que l'atteinte au droit du propriétaire est finement soupesée par les magistrats, et contraste avec l'absence d'analyse de l'impact de la mesure sur le droit au logement du locataire ou sur l'intérêt général.

Or, la proportionnalité d’une limitation apportée à un droit fondamental est censée s’apprécier notamment à l’aune d'un contrôle de proportionnalité au sens strict. Cet examen « postule une mise en balance des intérêts en cause : la somme des préjudices occasionnés par l’ingérence ne doit pas être disproportionnée par rapport au bénéfice généré pour l’intérêt général »67.

§30 La problématique des expulsions est pourtant interpellante dans la capitale. Alors que tous les jours, dix ménages reçoivent un jugement d'expulsion, cinquante familles sont expulsées tous les mois. Le taux d'expulsion, c'est-à-dire le taux de personnes visées par un jugement d'expulsion sur la population entière, est de 0,0040%. C'est huit fois plus qu'en Wallonie et deux fois plus qu'en Flandre68.

L'expulsion d'un ménage à Bruxelles est autorisée neuf fois sur dix alors que le juge n'a ni entendu le locataire ni vu son dossier dans six des dix affaires et dans une affaire seulement, le locataire était défendu par un avocat.

Or, il est admis que les conséquences d'une expulsion sur le droit au logement du locataire sont désastreuses. Selon une étude réalisée en 2022 par la fondation Abbé Pierre, un ménage sur trois n’a toujours pas retrouvé de logement un à trois ans après l'expulsion et vit encore dans une forme d’habitat précaire, temporaire ou même à la rue. Suite à une expulsion, 29% des personnes n’ont pu poursuivre leur activité professionnelle, 43% des ménages avec enfants ont fait face à des difficultés scolaires et 71% des ménages ont souffert de problèmes de santé ou de difficultés psychologiques69.

L'Organisation des Nations unies écrivait à ce titre, en 2011, que les expulsions devaient être considérées comme « une claire violation de l'un des plus élémentaires principes du droit à un logement adéquat »70. Pour être conforme à la Charte, le comité européen des droits sociaux a en outre précisé que «la procédure d’éviction doit prévoir une interdiction de procéder à des évacuations tant la nuit que durant l’hiver»71.

§31 L'avis commenté illustre finalement le paradoxe du contrôle de proportionnalité caractérisé tant par sa casuistique que son insécurité.

La mise en balance des intérêts en présence doit être opérée à la lumière de la réalité des faits qui font éclore ces intérêts. Le contrôle mis en œuvre par la section de législation, nous l'avons évoqué précédemment, est abstrait et déconnecté du réel tant sur la charge concrète qui pèse sur les propriétaires que sur le bénéfice procuré aux personnes expulsées.

A l'opposée, la Cour constitutionnelle a énoncé dans son arrêt portant sur le moratoire Covid, cité précédemment, que l’article premier du Protocole vise à sauvegarder des droits concrets et effectifs, de sorte qu’il convient d’aller au-delà des apparences et d’examiner la réalité de la situation des personnes visées par la mesure d’ingérence72.

Ce contrôle de proportionnalité éminemment contextuel est partant aussi, aléatoire. Il peut constituer de ce fait, un obstacle à l'effectivité des droits fondamentaux dont en l'espèce, le droit au logement. Le caractère incertain du contrôle de proportionnalité qui varie en fonction des réalités concrètes qu'il entend réguler peut empêcher une prévisibilité et une sécurité juridique. L'opposition entre la légisprudence du Conseil d'État et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle précitées en témoignent. C'est en ce sens que Sébastien van Drooghenbroeck, énonce que « l'adjudication de proportionnalité est impuissante à produire du droit, sous forme de précédent itérable, au-delà de celle-ci ». Il s'en déduit, selon l'auteur, « une temporalité fondamentalement aléatoire qui condamne les acteurs conventionnels, individus et États, à tâtonner dans un épais brouillard. (...) Se joue donc, en dernière analyse, rien moins qu'une menace sur l'effectivité de la Convention et des droits qu'elle garantit »73.

Le caractère aléatoire de ce contrôle est d'autant plus important et dangereux que les droits mis en balance sont une source d'opposition politique importante comme nous le mentionnions en entame de ce commentaire. La recherche d'un équilibre entre les différents droits et intérêts en présence doit donc se cumuler avec la recherche d'un équilibre entre l'ancrage de ce contrôle dans le réel et la production d'une méthode réflexive commune, seule susceptible de sortir les acteurs du droit de « cet épais brouillard » dénoncé par Sébastien van Drooghenbroeck.

Une résistance (politique) des juges ?

§32 Les griefs formulés à l'encontre du moratoire hivernal par les juges sont nombreux, nous l'avons mentionné. La section de législation estime premièrement que la charge qui pèse sur le bailleur et résultant de la suspension temporaire des expulsions est disproportionnée. Plusieurs juges de paix ont ensuite critiqué la mesure notamment parce que celle-ci nierait le rôle sociétal du juge et ferait peser sur le bailleur la concrétisation du droit au logement ce qui menacerait l'équilibre des droits légalement et contractuellement garantis. Finalement, il fut constaté que plusieurs juges de paix ont écarté l'application du moratoire hivernal sur la base de l'article 159 de la Constitution au motif que celui-ci serait illégal et discriminatoire74. Plus récemment, le juge de paix d'Ixelles a écarté l'application du moratoire au motif que ce dernier contreviendrait à l’article premier du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme75.

Ce contrôle de légalité d'une disposition législative par les cours et tribunaux ne manque pas de surprendre76 et traduit une opposition politique des juges qui y ont recours. Il n'appartient en effet pas au juge de paix ou au tribunal de première instance siégeant en appel d'écarter le code du logement pour un motif supposé de discrimination ou de violation du droit européen, cette compétence relevant exclusivement de la Cour constitutionnelle.

Le tribunal de première instance siégeant en appel n'a pas manqué de corriger la jurisprudence fondée sur l'article 159 de la Constitution et de confirmer l'application du moratoire hivernal77.

Notons que la Cour constitutionnelle a été triplement saisie. D'abord sur une question préjudicielle posée par la justice de paix de Molenbeek le 12 février 202478, sur une deuxième question préjudicielle posée par le juge de paix d'Uccle le 29 février 202479 et finalement sur une requête en annulation adressée par Syndicat national des propriétaires et réceptionnée par le greffe le 13 mars 2024. Étant toutefois rappelé que le délai de recours en annulation de l’ordonnance querellée expirait le 22 février 2024.

§33 L'équilibre des droits fondamentaux s'apprécie en fonction d'une hiérarchie des valeurs par essence évolutive et subjective. Jusqu'en 199780, il n’y avait pas de règles de salubrité à respecter dans le logement. De même, jusqu'en 201881, les sanctions en matière de discrimination au logement étaient inexistantes. Il est donc essentiel de réévaluer régulièrement l'équilibre d'une législation afin qu'elle corresponde aux intérêts sociétaux en vigueur.

Depuis une soixantaine d'année, la Cour européenne des droits de l'homme estime que l'ingérence dans le droit de propriété s'apprécie en ayant égard aux objectifs de justice sociale poursuivis par le législateur national. La Cour a ainsi affirmé que “les sociétés modernes considèrent le logement comme un besoin primordial dont on ne saurait entièrement abandonner la satisfaction aux forces du marché”82. Le législateur national peut donc intervenir dans les relations contractuelles pour garantir le droit au logement. De même, la lutte contre la spéculation immobilière ou la garantie d'un accès à un logement abordable financièrement constituent des objectifs de justice sociale conformes à l'intérêt général qui peuvent autoriser un encadrement des loyers pour certaines catégories de logement83.

Plus spécifiquement sur la suspension temporaire de l'exécution des décisions d'expulsion, la Cour a estimé que la mesure poursuivait un objectif légitime pour autant que le bailleur ne soit pas privé de son bien. Le maintien du locataire dans les lieux sans droit ni titre, après que la décision d'expulsion ait été prononcée, pendant treize ans emporte dès lors, selon la Cour, une charge excessive et méconnait le droit au respect des biens garanti par l’article premier du Premier Protocole additionnel84. Constitue également une atteinte excessive au droit de propriété tout ce qui est susceptible d’entraver une expulsion alors que le propriétaire est en situation de « nécessité absolue »85.

La trêve hivernale commentée n'emporte aucune privation du droit de propriété et autorise certaines dérogations notamment pour les situations de force majeure rencontrées par le propriétaire. Comment dans ces circonstances expliquer l'opposition des juges au texte commenté adopté par le législateur bruxellois ? Un détour par la sociologie du droit nous paraît à nouveau pertinent.

§34 Selon Pierre Bourdieu « les producteurs de lois, de règles et de règlements doivent toujours compter avec les réactions, et parfois les résistances, de toute la corporation juridique et notamment de tous les experts judiciaires »86. La réaction des praticiens aux modifications législatives et réglementaires se comprend aisément. Premièrement parce que l'expertise patiemment acquise doit être réadaptée pour prendre en compte ces modifications, lesquelles nécessitent un investissement potentiellement important de la part de ces experts. L'insécurité qui résulte de ces modifications non souhaitées peut ensuite être éprouvante voire décourageante pour ces praticiens. Finalement, le caractère performatif du droit implique que toute modification du droit impacte le réel et le référentiel des experts qui y ont pleinement adhéré puis contribué. Bourdieu décrivait cette capacité performative du droit de la manière suivante « le droit est la forme par excellence du discours agissant, capable, par sa vertu propre, de produire des effets. Il n'est pas trop de dire qu'il fait le monde social, mais à condition de ne pas oublier qu'il est fait par lui »87. La modification d'une règle de droit modifie donc la nomination du réel, l'existence de cette réalité et la vision de celle-ci. Les acteurs du droit qui ont pratiqué et éprouvé ces règles de manière continue, s'y sont pour la plupart accommodés et ont fini par les intégrer pour y adhérer pleinement. Toute modification de ce corps de règles peut dès lors être perçue comme inutile, déconnectée de la pratique, voire contre-productive. Pourtant la modification législative initiée par le pouvoir politique naît dans le réel, c'est-à-dire dans une pratique existante ou naissante. C'est en effet l'analyse critique de la norme en vigueur perçue comme lacunaire ou inadaptée qui justifiera son adaptation.

En l'espèce, c'est effectivement la réalité et les chiffres des expulsions à Bruxelles qui ont permis d'objectiver l'inefficacité et l'inadéquation des dispositions en vigueur pour fonder leur modification.

§35 La question de l'augmentation du délai de comparution à quarante jours dans le texte commenté est exemplatif de ce phénomène de résistance. Plusieurs juges de paix ont critiqué la mesure en ces termes: «La prolongation du délai de convocation de 15 à 40 jours n’apporte aucune plus-value. Les locataires qui lors de l’audience d’introduction ont déjà fait appel à l’aide du CPAS et qui apportent la preuve qu’une guidance est en cours, obtiendront certainement une remise de la cause pour leur permettre de dégager une solution avec le CPAS. Pour les autres locataires, l’audience d’introduction permet justement de les diriger vers l’aide sociale».

Le délai légal de comparution varie de huit jours à quinze jours en fonction que l'affaire est introduite via une citation88 ou une requête89. Le texte commenté prévoit d'augmenter ce délai à quarante jours lorsqu'une demande d'expulsion est formulée et ce, pour permettre au CPAS de prendre connaissance du dossier, de se positionner sur son intervention et éventuellement de prendre langue avec le bailleur pour trouver une solution qui puisse être entérinée à l'audience.

Le délai augmenté de comparution résulte d'une demande de la première ligne et des CPAS en particulier90 pour lutter contre le non-recours au droit. Nous l'avons dit, 60% des personnes visées par une demande d'expulsion ne se présentent pas devant le juge. Le délai de comparution augmenté de manière uniforme, combiné à la mention obligatoire des coordonnées complètes du locataire dans l'acte introductif notifié au CPAS et de la possibilité pour ce dernier de contacter proactivement le locataire visent à diminuer ce taux important de défaut.

Précisons que le délai actuel de comparution varie fortement en fonction de l'encombrement des justices de paix et ne respecte que rarement le délai légal91.

Il s'ensuit que bien que l'augmentation du délai de comparution soit demandée par les acteurs de terrain et n'emporte aucune modification substantielle pour les juridictions, son utilité est niée par les juges au profit d'une pratique actuelle jugée satisfaisante bien qu'elle échoue à atteindre une majorité de justiciables.

§36 Force est ensuite de constater que les résistances et critiques de la section de législation exercent une influence politique évidente.

Premièrement, à l'occasion de son examen sur la légalité des textes qui lui sont soumis, elle peut opérer une diffusion de certaines valeurs. En l'espèce, l'avis commenté traduit une vision individuelle de la propriété. Celle-ci est davantage perçue comme une fin à protéger qu'un instrument au service d'une émancipation ou d'une justice sociale.

Deuxièmement, à l'occasion de la réception de la norme. L'efficacité de la norme ou sa capacité à atteindre l'objectif fixé par son auteur, dépend de son adéquation au réel, nous l'avons souligné, mais aussi de son acceptation sociale92. En d'autres termes, c'est la reconnaissance par les acteurs de la pertinence de la norme législative à répondre à un besoin ou un intérêt établi qui déterminera sa capacité à atteindre ce but.

Un avis négatif du Conseil d'État affectera la réception de la norme par les praticiens ou destinataires de la norme. En l'espèce, la remise en question de l'utilité du moratoire, la dénonciation de son manque de proportionnalité, ou de son caractère discriminatoire ont fondé l'écartement de la disposition législative par certains juges de paix nous l'avons souligné93. Cette jurisprudence doit évidemment être questionnée non seulement quant à la compétence du juge judiciaire pour écarter une disposition ordonnancielle94 mais également au regard des commentaires que soulèvent les griefs de la section de législation et que nous avons énoncés précédemment.

Conclusions

§37 L'avis commenté, nous l'avons dit, témoigne du fossé qui peut surgir entre la réalité des expulsions domiciliaires et leur traitement par les acteurs de la justice.

Tous les jours à Bruxelles, dix ménages reçoivent un jugement ordonnant l'expulsion de leur logement. Or, sur dix expulsions demandées neuf sont autorisées par le juge sans que ce dernier n'ait entendu ou vu le locataire dans six de ces affaires et dans une seule seulement, le preneur était représenté par un avocat. Ces chiffres effrayants sont le résultat du non-accès au droit des personnes vulnérables : les politiques publiques du logement mais aussi de la justice et de la lutte contre la pauvreté, échouent à atteindre les plus précaires de notre société.

Cette problématique appelle, on le voit, des réponses structurelles. Le comportement individuel du locataire ne peut raisonnablement être convoqué pour expliquer un taux de défaut de 60% ou une non-représentation des locataires par un avocat de 90%.

L'importance du non-recours au droit cumulé à l'office du juge, empêche ce dernier de se prononcer adéquatement sur les demandes d'expulsion qui lui sont soumises. C'est donc en vain que la section de législation présume de l'adéquation et de l'efficacité des normes en vigueur organisant la procédure d'expulsion, tout comme de la correspondance entre le loyer contractuel et l’indemnité d’occupation.

§38 Michel Pâques et Cécile Vercheval estiment que « la tolérance des juges lors de l'examen du caractère proportionné » de l'ingérence est grande et que « la plupart des mesures ayant pour effet de restreindre les prérogatives du propriétaire reçoivent l'approbation des juridictions »95. L’obligation de respecter une trêve hivernale en matière d’expulsions semble pourtant faire exception. La section de législation suivie par plusieurs juges judiciaires ne semble pas suivre cette jurisprudence. A tort, puisque comme nous l'avons mentionné, la Cour constitutionnelle reconnaît au législateur une large marge d'appréciation pour mener à bien sa politique du logement. Ce dernier peut fixer le montant de l'indemnité pour toute atteinte à la propriété, en fonction des caractéristiques particulières entourant la mesure notamment la durée et la gravité de l'atteinte, l'objectif visé et les garanties procédurales. Selon la Cour toujours, le comportement du bailleur ou l'état du logement peuvent également être pris en compte dans l'analyse de la proportionnalité de la mesure ou de sa compensation. De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme a admis dès les années 80 que le logement ne pouvait être abandonné aux forces du marché”96 et plus récemment sur la suspension temporaire de l'exécution des décisions d'expulsion, la Cour a estimé que la mesure poursuivait un objectif légitime pour autant que le bailleur ne soit pas privé de son bien97.

§39 Finalement, l'avis commenté nous rappelle que l'adoption d'un texte législatif loin de constituer l'aboutissement de la protection et de la concrétisation des droits fondamentaux, ne constitue que son point de départ. L'efficacité de l'ordonnance du 22 juin 2023 dépendra en effet des praticiens et acteurs de la justice - avocats, juges de paix bruxellois et Cour constitutionnelle, pour que les droits des personnes menacées d'expulsion puissent trouver concrètement un écho au-delà d'une apparence trompeuse d'équilibre contractuel et d'une incompétence budgétaire supposée des locataires menacés d'expulsion.


  1. Voir not. Périlleux H., Extraction de la rente dans le secteur de la location de logements, thèse présentée en vue de l’obtention du grade académique de docteur en sciences géographiques, Université Libre de Bruxelles, 2022-2023. L'auteur énonce notamment que le montant annuel des loyers nets des frais d’entretien est de l’ordre de 2,29 milliards € à Bruxelles. 

  2. Avis C.E. 72.557/3 du 1er février 2023 sur une ordonnance du 22 juin «insérant dans le Code bruxellois du logement les règles de procédures applicables aux expulsions judiciaires et modifiant les moyens affectés par et au profit du fonds budgétaire de solidarité», M.B., 21 août 2023, entrée en vigueur le 31 août 2023. 

  3. Le courrier est signé par la Conférence des juges de paix de l’arrondissement de Bruxelles et adressé le 13 juin 2023 au Président du parlement bruxellois. 

  4. Ordonnance du 22 juin 2023 insérant dans le Code bruxellois du logement les règles de procédures applicables aux expulsions judiciaires, M.B., 21 août 2023, entrée en vigueur le 31 août 2023. 

  5. Lire en ce sens, Le droit face aux pauvres, sous la dir. M.-F., Rigaux et F., Daoût, Limal, Anthemis, 2020. 

  6. Lire en ce sens, Pauvreté et Justice en Belgique, SPF Justice et SPP Intégration sociale, 2022. 

  7. « Jugement par défaut : la double peine », Ensemble, N° 100, septembre 2019, p.20, cité par le R.B.D.H., Justice de Paix, Bailleurs welcome! Locataires welcome ? Quand la justice peine à sanctionner l'insalubrité, p. 37. 

  8. Godart P., Swyngedouw E., Van Criekingen M., et van Heur P., Bru-Home – The prevalence and consequences of evictions for the housing precariat in Brussels, financé par Innoviris (programme Anticipate, 2019-2023), réalisé par l’IGEAT (ULB) et Cosmopolis Centre for Urban Research (VUB), 2019, 3e volet « Les expulsions de logement à Bruxelles : État des lieux chiffré et spatialisé», 13-14. 

  9. Ibidem 

  10. Lire en ce sens, Dessouroux C., Bensliman R., Bernard N., De Laet S., Demonty F., Marissal P., Surkyn J., Le logement à Bruxelles : diagnostic et enjeux, Brussels Studies, 99, 2016, §48, disponible sous ce lien 

  11. François C., De gré et de force. Comment l'État expulse les pauvres, La Découverte, Paris 2023, p. 74 

  12. Loi n°56-1223 du 3 décembre 1956. La trêve est d’abord fixée du 1er décembre de chaque année au 15 mars de l’année suivante. Cette disposition sera codifiée à l’article L613-3 du code de la construction et de l’habitation par le décret n°78-621 du 31 mai 1978. 

  13. Proposition de loi déposée le 22 décembre 1995 modifiant et complétant les dispositions du Code civil concernant les règles particulières aux baux relatifs à la résidence principale du preneur, Doc. Parl., Sénat, SO, 1995-1996, n° 1-215/1, disponible sous ce lien 

  14. Proposition de loi du 15 janvier 2001 modifiant les articles 1344ter et 1344quater du Code judiciaire, Doc. Parl., Sénat, SO, 2002-2003, n°2-621/5, disponible sous ce lien ; Proposition de loi du 8 juillet 2003 modifiant les articles 1344ter et 1344quater du Code judiciaire, Doc. Parl, Sénat, SE, 2003, 3-28, disponible sous ce lien et Proposition d'ordonnance conjointe à la Région de Bruxelles-Capitale et à la Commission communautaire commune déposée le 15 mars 2019 instaurant une trêve hivernale dans le cadre des procédures d'expulsions en Région de Bruxelles-Capitale, Doc. Parl., Ch., SO, 2018-2019, A-829/1 et B-163/1, disponible sous ce lien 

  15. Circulaire ministérielle du 16 novembre 2000 modifiée par une circulaire du 28 septembre 2018. La trêve hivernale s'étendait depuis cette dernière modification du 1er décembre au 15 mars. 

  16. Arrêté du Ministre-Président de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 mars 2020 interdisant les expulsions domiciliaires jusqu'au 3 avril 2020, modifié par un arrêté du Ministre-Président de la Région de Bruxelles-Capitale du 3 avril 2020 et un arrêté du Ministre-Président de la Région de Bruxelles-Capitale du 4 novembre 2020 modifié en dernier lieu par un arrêté du 1er avril 2021, M.B., 8 avril 2021. 

  17. Arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020 « interdisant temporairement les expulsions domiciliaires jusqu’au 31 août 2020 inclus », M.B., 20 mai 2020. 

  18. Sur la question de la légalité de ces suspensions voyez N. Bernard, « Suspendre les expulsions domiciliaires durant la crise sanitaire du Covid-19 était-il contraire au droit de propriété ? », Échos log., décembre 2021, p. 64 et s. 

  19. Pour un exposé de cette ordonnance voir N. Bernard, « La réforme du régime des expulsions de logement en Région de Bruxelles-Capitale », J.J.P., 2023/11-12, 485 et J. Lenaerts, J. et M. Holbrecht, « Le bail d'habitation en Région de Bruxelles-Capitale: nouvelles règles de procédure et de prévention des expulsions judiciaires», J.T., 2023/40, 6962. 

  20. Art. 233 quater 

  21. Art. 233 sexies 

  22. Art. 233 undecies 

  23. Art. 233 duodecies, §2 

  24. Avis C.E. 72.557/3, op. cit., 3.1.1, citant C.C., 14 juillet 2022, n°97/2022, B.13. 

  25. Avis C.E. 72.557/3, op. cit., 5.1, citant Cour eur. D.H. (grande chambre), 28 juillet 1999, Immobiliare Saffi c. Italie, §46. 

  26. Avis C.E. 72.557/3, op. cit., 5.4.1 et 5.4.2 

  27. Avis C.E. 72.557/3, op. cit., 5.5.2 et 5.5.3 

  28. Proposition d'ordonnance conjointe à la Région de Bruxelles-Capitale et à la Commission communautaire commune déposée le 15 mars 2019 instaurant une trêve hivernale dans le cadre des procédures d'expulsions en Région de Bruxelles-Capitale, Doc. Parl., Ch., SO, 2018-2019, A-829/1 et B-163/1, disponible sous ce lien 

  29. L'octroi de termes et délais était déjà prévu dans le Code judiciaire à l'article 1344 quater, dont le Code bruxellois du Logement nouvellement modifié s'est inspiré 

  30. Godart P., Swyngedouw E., Van Criekingen M., et van Heur P., Bru-Home – The prevalence and consequences of evictions for the housing precariat in Brussels, financé par Innoviris (programme Anticipate, 2019-2023), réalisé par l’IGEAT (ULB) et Cosmopolis Centre for Urban Research (VUB), 2019, 3e volet « Les expulsions de logement à Bruxelles : État des lieux chiffré et spatialisé», Juillet 2022, p. 18. Les chercheurs ont présenté leur étude au parlement bruxellois le 19 janvier 2023. Le projet d'ordonnance soumis au Conseil d'État faisait mention de ce rapport. 

  31. Godart P et al., Bru-Home – The prevalence and consequences of evictions for the housing precariat in Brussels, op. cit., p. 14. 

  32. van der Plancke V. et Bernard N., Les expulsions de logement : aspects juridiques, Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles, p. 21 

  33. Godart P et al., Bru-Home – The prevalence and consequences of evictions for the housing precariat in Brussels, op. cit., p. 14. 

  34. Desmond M., Avis d'expulsion, Enquête sur l'exploitation de la pauvreté urbaine, Lux, Montréal, 2019, p. 13 et du même auteur, « Tipping the Scales in Housing Court », New York Times, 20 novembre 2012. 

  35. François C., op. cit., pp. 80 et 92. 

  36. van der Plancke V. et Bernard N. (2019), Le (non) recours aux procédures de recours en matière de logement, Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles, p. 12. 

  37. Lire en ce sens, Dessouroux, C., Bensliman, R., Bernard, N., De Laet, S., Demonty, F., Marissal, P., Surkyn, J., op.cit, §47. 

  38. Bourdieu P. (dir.), La misère du monde, Paris, Le Seuil, 1993, cité par N. Bernard, « La pauvreté dans son rapport à l'espace: l'introuvable mixité sociale », Pensée plurielle, 2007/3. 

  39. Sur cette question voyez not. Ch. Deligne, P. Godart, J. Moriau, P. Bacquaert, J.-M., Decroly, P. Lannoy, A. Leclercq , A. Malherbe, V. Marziali, X. May, A. Pierre, J.-P. Sanderson, E. Swyngedouw , M. Van Criekingen et B. Van Heur, Comment les politiques publiques aggravent les vulnérabilités, In : BSI Position Papers, n°5, 19/06/2023, disponible sous ce lien

  40. Godart P et al., Bru-Home – The prevalence and consequences of evictions for the housing precariat in Brussels, op. cit., p. 14. 

  41. Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, art. 24, V «Le juge peut, même d'office, accorder des délais de paiement dans la limite de trois années, par dérogation au délai prévu au premier alinéa de l'article 1244-1 du Code civil, au locataire en situation de régler sa dette locative ». 

  42. François C., op. cit., pp 101 à 103. 

  43. François C., op. cit., pp 86 et 91 

  44. Godart P et al., Bru-Home – The prevalence and consequences of evictions for the housing precariat in Brussels, op. cit., p. 13. 

  45. François C., op. cit., p. 75 

  46. Le juge a l'obligation de faire droit aux demandes des parties comparantes à l'audience sauf si un motif d'ordre public s'y oppose. 

  47. van der Plancke V., Bernard N., et al., Prévenir ou (à défaut) humaniser les expulsions de logement en Région bruxelloise, Revue pratique de l'immobilier 3/2021, p. 62. 

  48. « Une règlementation de l’usage de la propriété, conformément à l’article 544 du Code civil, n’entraîne pas la débition d’une juste et préalable indemnité », voy. Cass., 2 août 1851, Pas., 1852, I, p. 13; Cass., 16 mars 1990, Pas., 1990, I, pp. 827 et s.; C.C., 50/93, 24 juin 1993. 

  49. C.C., 69/2005, 20 avril 2005 

  50. B.17.7 

  51. Le prix d'un bien résultant de circonstances spéciales propres à l'une des parties (proximité du lieu de travail, valeur sentimentale, usage spécifique, etc.). 

  52. L'indemnité de remploi est une indemnité forfaitaire calculée en pourcentage sur le montant de l'indemnité principale, elle correspond au coût des frais nécessaires à l'achat d'un bien identique à celui exproprié. 

  53. C.C., 62/2007, 18 avril 2007, B.4.6 et B.4.7. 

  54. C.C., 97/2022, 14 juillet 2022, B.28.3 

  55. C.C., 147/2023, 9 novembre 2023, B.15.1 et suivants. 

  56. Doc. Parl., SO, 2022-2023, A-680/1, p. 8 

  57. De Keersmaecker, M.-L. (2019). Observatoire des loyers – Enquête 2018. Brussels: Observatoire régional de l’habitat, Service d’étude de la SLRB, pp. 31 et 32. 

  58. Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale (2022). Baromètre social 2021. Bruxelles : Commission communautaire commune, p. 84. 

  59. C.C., 97/2022, 14 juillet 2022 

  60. Not. J.P. Schaerbeek, 15 décembre 2021, J.L.M.B., 2022, p. 302 et Civ. Bruxelles fr., 24 novembre 2014, J.L.M.B., 2016, note N. Bernard, p. 308. 

  61. Doc. Parl., SO, 2022-2023, A-680/1, p. 10 

  62. Godart P et al., Bru-Home – The prevalence and consequences of evictions for the housing precariat in Brussels, op. cit., p. 14. 

  63. Echanges du 10 février 2023 avec P. Godart sur étude Bru-Home – The prevalence and consequences of evictions for the housing precariat in Brussels, op. cit

  64. Doc. Parl., SO 2022-2023, A-680/1, p. 11 

  65. Chevalier D., et Thomas I., « Un moratoire sur les expulsions en Région wallonne », J.T., 2023, p. 165 et 166. 

  66. J.P., Molenbeek-Saint-Jean, 20 septembre 2023, inédit 

  67. Krenc F., et Renauld B., «Les limites du droit de propriété et l'expropriation», in Renders D. (dir), L'expropriation pour cause d'utilité publique, Bruxelles, Bruylant, 2013 p. 60. 

  68. Bru-Home – The prevalence and consequences of evictions for the housing precariat in Brussels), op. cit., p. 7 

  69. Fondation Abbé Pierre, « Que deviennent les ménages expulsés de leur logement ? Des trajectoires de vie fragilisées», 2022, p. 2, https://www.fondation-abbe-pierre.fr/sites/default/files/synthese_vr.pdf 

  70. UN Habitat, 2011a, iii 

  71. C.E.D.S., Centre européen des Droits des Roms c. Grèce, 8 décembre 2004 (fond.), récl. 15/2003, §51, citée par N. Bernard, in La lancinante question de l’expulsion des Roms (et autres considérations). Comité européen des droits sociaux, Médecins du Monde – International c. France, 11 septembre 2012, « le Comité écrit cependant « la nuit ou l’hiver » mais il est difficile de croire qu’il ait accepté de ne donner à ces conditions qu’un caractère alternatif (plutôt que cumulatif)». 

  72. C.C., 97/2022, 14 juillet 2022, citant CEDH, 7 juillet 2009, Plechanow c. Pologne, § 101. 

  73. van Drooghenbroeck S., La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de l'homme: prendre l'idée simple au sérieux, Bruxelles, Publ. Fac. St Louis, 2001, 731 

  74. J.P., Uccle, 13 septembre 2023, inédit, appel pendant; J.P., Bruxelles II, 28 septembre 2023, inédit, appel pendant; J.P., Ixelles, 10 octobre 2023, inédit ; J.P., Uccle, 18 octobre 2023, inédit, tierce opposition pendante ; J.P., Ixelles, 8 novembre 2023, inédit

  75. J.P. Ixelles, 15 décembre 2023, inédit. 

  76. Lenaerts J.S., et Holbrechts M., op.cit

  77. TPI, Bruxelles, 31 janvier 2024, inédit

  78. J.P., Molenbeek, 12 février 2024, inédit 

  79. J.P., Uccle, 29 février 2024, inédit. 

  80. Arrêté royal du 8 juillet 1997 déterminant les conditions minimales à remplir pour qu'un bien immeuble donné en location à titre de résidence principale soit conforme aux exigences élémentaires de sécurité, de salubrité et d'habitabilité, M.B., 21 août 1997, abrogé pour la Région bruxelloise par l'ordonnance du 27 juillet 2018. 

  81. Ordonnance du 21 décembre 2018 modifiant le Code bruxellois du Logement afin de renforcer la lutte contre la discrimination dans l'accès au logement, M.B., 31 janvier 2019. 

  82. Cour eur. dr. h, arrêt du 21 février 1986, James e.a. c. Le Royaume-Uni 

  83. Cour eur. dr. h., arrêt du 19 décembre 1989, Mellacher et autres c. Autriche, §§ 55-56 

  84. Cour eur. dr. h., arrêt du 28 juillet 1999, Immobiliare Saffi c. Italie, § 52 

  85. Bernard N., Le droit de propriété et ses limites, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2017, p. 96, citant, Cour eur. dr. h., arrêt du 28 septembre 1995, Scollo c. Italie, § 47 

  86. Bourdieu P., « La force du droit », in Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 64, sept. 1986. De quel droit ? p. 6. 

  87. Ibidem, p. 13 

  88. Article 707 du Code judiciaire 

  89. Article 1344 bis du Code judiciaire 

  90. van der Plancke V., Bernard N., Alonso V., « Prévenir ou (à défaut) humaniser les expulsions de logement en Région bruxelloise », Revue pratique de l'immobilier, 3/2021, p. 19. 

  91. Godart P., Swyngedouw E., Van Criekingen M., et van Heur P., Bru-Home – The prevalence and consequences of evictions for the housing precariat in Brussels, financé par Innoviris (programme Anticipate, 2019-2023), réalisé par l’IGEAT (ULB) et Cosmopolis Centre for Urban Research (VUB), 2019, 3e volet « Les expulsions de logement à Bruxelles : État des lieux chiffré et spatialisé», 17. 

  92. Bourdieu P., op.cit., p. 14 

  93. not. J.P., Uccle, 13 septembre 2023, inédit, appel pendant; J.P., Ixelles, 10 octobre 2023, inédit ; J.P., Ixelles, 8 novembre 2023, inédit 

  94. Lenaerts, J. et Holbrecht, M., op. cit. 

  95. Pâques M. et Vercheval C., « XVI.C. - Le droit de propriété » in Les droits constitutionnels en Belgique (volume 1 et 2), 1e édition, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 812 

  96. Cour eur. dr. h, arrêt du 21 février 1986, James e.a. c. Le Royaume-Uni 

  97. Bernard N., Le droit de propriété et ses limites, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2017, p. 96, citant, Cour eur. dr. h., arrêt du 28 septembre 1995, Scollo c. Italie, § 47 

Valérie Eloy