De Marie-Victoria Walmacq à Umit Goktepe : la sanction d’une jurisprudence excessivement répressive de la Cour de cassation de Belgique
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Cet article fait partie de « Le juge réactionnaire »
En 1909, la Cour de cassation a consacré, dans le chef des participants à un vol aggravé par le meurtre, l’automaticité de leur responsabilité pénale du chef de cette circonstance aggravante, alors même qu’ils n’y auraient pas pris part, qu’ils auraient ignoré l’éventualité de sa survenance, voire même s’y seraient opposés. Cette jurisprudence a entraîné des condamnations trop sévères à l’encontre d’accusés dont il avait été établi qu’ils étaient demeurés étrangers à ce meurtre. De nombreux pourvois en cassation ont invité la Cour à opérer un revirement de jurisprudence pour en revenir au principe de la personnalité de la responsabilité pénale. L’issue de cette saga judiciaire est venue de Strasbourg, en 2005, par le biais du droit à un procès équitable. La Cour européenne des droits de l’homme a constaté l’incompatibilité avec l’exercice des droits de la défense de l’automaticité de la responsabilité pénale de tous les participants au vol du chef des circonstances aggravantes réelles.
§1 Ce numéro de la Revue de droit et de criminologie de l’Université libre de Bruxelles est dédié à l’existence de jurisprudences réactionnaires en Europe et, notamment, en Belgique. La pensée réactionnaire est entendue comme la dénonciation de la décadence des idées nouvelles pour prôner un retour vers un passé idéalisé. Cette forme de pensée est illustrée, dans la sphère juridique ou judiciaire, à travers la figure de l’antithèse du juge perçu comme un agent d’évolution et de développement des droits individuels. Nous sommes d’avis que la réaction ne se cantonne pas à la volonté de retour vers le passé. Elle peut également prendre la forme de la réticence à évoluer avec les idées de son temps. En droit pénal belge, la Cour de cassation a adopté, nous semble-t-il, une attitude réactionnaire lorsqu’elle a refusé d’abandonner, malgré les excès qu’elle présentait, une jurisprudence particulièrement répressive qu’elle avait adoptée en 1909 en contrariété à un principe fondamental de droit pénal.
Nous nous proposons de revenir sur une théorie qui a mis à mal le principe de la personnalité de la responsabilité pénale. Nous pensons à l’automaticité de la responsabilité pénale des participants à une infraction du chef des circonstances aggravantes réelles qui l’assortissent. En vertu de la théorie de l’emprunt matériel de criminalité, les participants, c’est-à-dire ceux qui ont aidé à la commission d’une infraction selon l’une des formes énumérées aux articles 66 et 67 du Code pénal, devaient pénalement répondre de ces circonstances aggravantes réelles alors même qu’ils étaient demeurés étrangers à leur survenance, voire même les auraient ignorées ou se seraient opposés à leur réalisation.
La jurisprudence Marie-Victoria Walmacq de 1909 et ses conséquences
§2 Aucune disposition du Code pénal n’énonçait cette règle. Toutefois, le rapport consacré au chapitre VII du livre Ier du Code pénal, rédigé en 1849 à la demande du gouvernement par la Commission de Fernelmont, avait promu, dans l’hypothèse des circonstances aggravantes inhérentes à l’infraction, la théorie de l’emprunt matériel de criminalité. Alors que ce rapport, dû à la plume du professeur Jacques-Joseph Haus, de l’Université de Gand, avait affirmé que si, « en théorie, pour que toute la criminalité de l’acte puisse s’étendre à tous les codélinquants, chacun d’eux doit avoir connu, au moment de l’action, non seulement le crime mais encore les circonstances aggravantes qui l’ont accompagné », il avait néanmoins immédiatement ajouté qu’il n’est ni nécessaire ni utile que la loi consacre ce principe. Et de proposer alors, contre toute attente, la solution inverse, selon laquelle « les circonstances aggravantes (...) qui tiennent au fait même, qui lui sont inhérentes (...), se communiquent à tous ceux qui ont pris à ce crime une part égale ou inégale, encore bien qu’ils aient ignoré ces circonstances »1. Lorsque l’infraction principale avait été commise par plusieurs personnes, il suffisait que l’un d’eux ait réalisé la circonstance aggravante pour que l’aggravation de peine se communique à tous2. La question s’est singulièrement posée dans l’hypothèse du vol aggravé par le meurtre, incriminé à l’article 475 du Code pénal.
Pareille solution, telle qu’elle avait été formulée, heurtait le principe de la personnalité de la responsabilité pénale. Adopté sans discussion par les deux chambres, ce rapport pouvait donner l’impression de refléter la position du législateur belge, même si cette théorie n’a jamais été consacrée comme telle dans la loi.
Quelle allait être l’approche de la Cour de cassation ? Allait-elle faire primer la personnalité de la responsabilité pénale sur cette déclaration d’intention ? Ou allait-elle consacrer cette thèse du professeur gantois que nous qualifierons de réactionnaire ?
§3 En 1909, le procureur général Edmond Janssens, alors avocat général, a invité la Cour de cassation à faire sienne la doctrine du professeur Haus3, ce que la Cour fera dans son arrêt Walmacq le 11 mai 19094, considérant que tous les participants à l’infraction principale sont automatiquement pénalement responsables des circonstances aggravantes de l’infraction à laquelle ils ont participé, en l’occurrence du meurtre commis pour faciliter le vol ou en assurer l’impunité, et alors même qu’ils n’auraient ni participé au meurtre, ni même eu l’intention de donner la mort à la victime. Dans cette affaire, Marie-Victoria Walmacq avait été condamnée par la cour d’assises d’Anvers à une peine de dix ans de travaux forcés du chef de complicité d’un vol aggravé par la circonstance de meurtre alors que les jurés l’avaient pourtant déclarée non coupable du meurtre de la victime. Sa lourde peine découlait de la seule circonstance que ce meurtre avait été commis par autrui pour faciliter ledit vol ou pour en assurer l'impunité.
Faisant leur cette jurisprudence, tant les cours d’assises que la doctrine ont improprement considéré le meurtre comme une circonstance aggravante réelle du vol et non comme une infraction à part entière devant répondre aux règles de la responsabilité pénale. Les premières années, l’arrêt Walmacq n’avait cependant pas convaincu l’ensemble de la communauté des juristes, à commencer par la Cour elle-même qui, dans un arrêt prononcé en 19135 mais malheureusement demeuré isolé, sur les conclusions conformes de l’avocat général François Pholien, avait soulevé un moyen d’office qui aurait pu initier un revirement de jurisprudence lorsqu’elle avait vu dans le meurtre une infraction à part entière et non une simple circonstance aggravante du vol. La question était à ce point discutable que le procureur général Paul Leclercq, en 1922, avait vu le meurtre comme un fait principal qui n’a pas le caractère de fait secondaire qui accompagne l’événement principal, le vol qualifié, considérant à juste titre que le meurtre est en réalité la réalisation d’une intention, celle de donner la mort, distincte de celle dont le vol est l’exécution, l’intention de soustraire le bien d’autrui6.
Il faut croire, sans doute, que l’injustice qui a résulté de cette théorie n’a guère ému les magistrats de cassation. Faut-il voir dans l’excès de souci de sécurité juridique leur refus de revoir cette jurisprudence ? Ainsi, en 1928, le même Paul Leclercq, dans une toute autre affaire, n’a pas hésité à dire que la Cour « n’est pas une académie discutant indéfiniment de l’interprétation la plus correcte qui peut être donnée à telle disposition légale », de sorte que, une fois sa jurisprudence fixée, elle ne discute plus la solution arrêtée, à moins qu’un fait nouveau se soit produit. Selon lui, la Cour n’a vocation à reprendre « l’examen d’une difficulté ancienne et déjà résolue (que) quand, par suite de la vie même, du mouvement des idées ou des changements dans les choses, il peut être opportun soit de revoir des solutions d’une sévérité contraire à l’esprit social nouveau, soit de préciser la portée de certaines règles à appliquer à des situations de fait qui n’existaient pas lors des interprétations premières »7. Sans doute s’impose-t-il de considérer que cette jurisprudence sévère ne l’était pas au point de heurter la conscience sociale.
§4 Malgré ce léger remous, ce bruissement, la Cour de cassation s’est refusée de se départir de sa jurisprudence, rejetant les nombreux moyens de cassation qui lui ont été soumis tout le long du XXème siècle. L’on considérait, à l’époque, qu’il était préférable de privilégier la sécurité juridique à un revirement de jurisprudence qui eut pourtant été salutaire, s’inspirant sans doute de la position défendue en 1926 par le procureur général vicomte Georges Terlinden, sous forme d’exhortation adressée aux magistrats de cassation en guise de testament judiciaire : « méfiez-vous des innovations, des emballements, des nouveautés dangereuses. Une Cour de cassation doit être traditionnaliste »8. A la même audience solennelle de rentrée, le premier président Vicomte Paul van Iseghem avait, lui aussi, fait montre d’une extrême prudence lorsqu’il avait affirmé que « la Cour de cassation (…) agit avec une prudence extrême ; la stabilité est commandée par le principe même de son institution, qui est de maintenir la fixité et l’unité dans l’interprétation et l’application des lois. Le changement de jurisprudence doit être imposé par le redressement d’une erreur d’interprétation ou par la nécessité d’appliquer la loi à une situation nouvelle que le législateur n’a pas prévue ou à des besoins nouveaux. Il faut que chacun fasse à cette règle le sacrifice de ses préférences personnelles »9.
§5 La Cour a invariablement confirmé sa jurisprudence à moult reprises, considérant que la circonstance aggravante est une circonstance impersonnelle10, inhérente au fait principal11, intrinsèque à l’infraction12, qui s’y rattache de telle façon qu’elle fait en quelque sorte partie de sa matérialité13, en accroît la gravité et, partant, aggrave la responsabilité pénale du participant comme de l’auteur principal14, indépendamment de la personnalité de celui qui l’a commise15. C’est parce qu’elle est réelle qu’elle pèse en tant que telle sur tous ceux qui ont participé à l’infraction principale16. Conséquemment, la Cour en avait déduit que l’implication du participant dans sa survenance découlait de sa seule implication dans la commission de l’acte ou de l’abstention qui caractérise l’infraction principale17.
§6 Selon cette jurisprudence, la responsabilité pénale du participant à l’infraction principale du chef des circonstances aggravantes réelles était subordonnée à la connaissance de la nature et du but de l’infraction principale18. Par contre, la Cour ne requérait ni qu’il ait directement et personnellement participé à leur réalisation19, ni qu’il les ait voulues20, ni même qu’il en ait eu connaissance21 ou en ait été informé22. Il devait en répondre alors même qu’il les aurait ignorées23 ou aurait été jusqu’à tenter d’en empêcher la réalisation24 pourvu qu’il ait sciemment et volontairement coopéré à la commission de l’infraction principale de vol25. La critique semblait inaudible et la jurisprudence irrémédiablement fixée. Une telle jurisprudence apparait réactionnaire non seulement en ce qu’elle heurte de front le principe de la personnalité de la responsabilité pénale mais encore parce que les occasions n’ont pas manqué de l’abandonner.
§7 Au fil des années, les demandeurs en cassation ont mobilisé nombre de règles de droit pénal afin d’amener la Cour à revoir sa position. Ils ont ainsi invoqué la violation du principe général de la personnalité des peines26, de la présomption d’innocence27, des règles relatives à la charge de la preuve en matière répressive28, du principe de la légalité des incriminations et des peines29, du principe général relatif au respect des droits de la défense30 ou encore du droit à un procès équitable31. Ils ont également critiqué la complexité et l’ambiguïté des questions posées aux jurés32 et le refus de les individualiser à l’égard de chacun des participants33. Les moyens de cassation se succédaient, sans résultat. Pendant quatre-vingts dix ans, des accusés, convaincus de participation à un vol mais qui n’avaient en rien contribué au meurtre de la victime, tentèrent, en vain, d’émouvoir la Cour sur le sort injuste qui leur avait été réservé.
Il fut ainsi invoqué, en 1913, la violation de l’article 475 du Code pénal, en ce que les questions posées au jury avaient institué une corrélation arbitraire entre les deux faits principaux et distincts, à savoir le meurtre et le vol, ainsi que la complexité de la question relative à la commission du meurtre qui n’avait pas été rattachée à la culpabilité personnelle de chacun des accusés mais avait été formulée de manière impersonnelle et purement objective34. 85 ans plus tard, en 1999, la formulation des questions posées au jury n’avait pas progressé puisqu’un accusé avait encore soutenu, en vain, que le jury n’avait pas été en mesure de se prononcer sur la culpabilité personnelle de chacun des accusés quant aux faits à eux reprochés alors qu’il estimait avoir le droit à une appréciation individuelle de son implication dans les faits qui lui étaient imputés35. Tout au long du XXème siècle, il avait paru inadmissible aux demandeurs en cassation que l’on ait pu les condamner à une lourde peine du chef de vol aggravé par un meurtre alors même que les jurés avaient pu admettre qu’on ne pouvait leur reprocher le meurtre, de sorte que cette jurisprudence avait eu pour conséquence que la peine qui leur avait été infligée avait été prononcée, du moins pour partie, du chef de faits de violence commis par un autre36. Un cri de désespoir fut même poussé en 1978 par un accusé dont il avait été établi qu’il avait tenté d’empêcher, en vain, son comparse de donner la mort à la victime37. Outre qu’il avait souhaité, à raison, convaincre de l’injustice qui lui avait été faite, il avait encore essayé de sensibiliser la Cour quant à l’intérêt d’opérer un revirement de jurisprudence, profitable aux victimes, lorsqu’il avait soutenu que le fait, pour un voleur, de savoir « qu'il ne sera pas automatiquement condamné comme coauteur du meurtre mais que la possibilité s'offre à lui de n'être condamné que du chef de vol (…) peut l'entraîner à faire un effort pour sauver la vie de la victime »38. Rien n’y fit. Etonnement car les objections tant juridiques que d’équité auraient dû convaincre la Cour.
La jurisprudence Umit Goktepe de 2005 et ses conséquences
§8 Il est regrettable que la délivrance ait dû, en quelque sorte, être imposée à la Cour de cassation depuis le Palais des Droits de l’homme de Strasbourg, à l’occasion de l’arrêt Umit Goktepe rendu contre la Belgique39. Ce requérant est le dernier, à notre connaissance, à avoir fait les frais de la jurisprudence Walmacq40. Il a, lui aussi, été condamné du chef de vol aggravé par le meurtre de la victime et condamné à trente ans de réclusion, ainsi que ses co-accusés, alors pourtant que sa participation aux violences à l’origine du meurtre n’avait pas été démontrée et qu’il ne l’avait pas voulu.
La Cour européenne des droits de l’homme a indéniablement fait preuve de créativité puisque la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne s’intéresse pas, du moins pas directement, aux règles de droit pénal des Etats membres du Conseil de l’Europe. C’est par le biais du droit à un procès équitable que la Cour va, en 2005, faire voler en éclat cette jurisprudence presque séculaire. « En matière pénale, a-t-elle dit, le procès équitable voulu par l’article 6, §1, implique pour l’accusé la possibilité de discuter les preuves recueillies sur des faits contestés, même relatifs à un aspect de la procédure. Il en va de même de la qualification juridique donnée à ces faits. En effet, le respect du contradictoire implique, pour l’accusation comme pour la défense, la faculté de faire connaître les éléments qui sont nécessaires au succès de leurs prétentions et le droit de toute partie de présenter ses arguments ne peut passer pour effectif que si ces arguments sont dûment examinés par la juridiction saisie. Le tribunal a l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre ».
Après ce rappel de portée théorique, la Cour s’est ensuite attaquée à la jurisprudence Walmacq tant décriée en ces termes : « du fait du refus de la cour (d’assises) de poser des questions individualisées sur les circonstances aggravantes, le jury ne pouvait se prononcer sur celles-ci qu’à l’égard de tous les accusés. Or, une réponse affirmative aux questions posées à cet égard entraînait une aggravation automatique et substantielle des peines encourues : si la peine d’emprisonnement est fixée entre un mois et cinq ans en cas de vol simple, un vol avec violences et menaces est passible d’une réclusion de cinq à dix ans et un vol avec meurtre de la réclusion à perpétuité. La question de l’implication personnelle du requérant, qui a toujours nié avoir porté les coups ayant conduit au décès de la victime, était donc déterminante pour l’exercice de ses droits de la défense. Telles que libellées, les questions plaçaient pourtant le jury dans l’impossibilité de déterminer individuellement la responsabilité pénale du requérant quant aux circonstances aggravantes qui pouvaient être retenues et l’empêchaient d’avoir égard aux conclusions par lesquelles le requérant avait dénié toute implication dans les coups portés ». Par ce rappel du principe de la personnalité de la responsabilité pénale, c’en était fini de l’automaticité de la responsabilité pénale du chef des circonstances aggravantes réelles consacrée en 1909 par la jurisprudence Walmacq.
§9 Beau joueur, la Cour de cassation s’est inclinée. Elle a immédiatement adopté une lecture diamétralement opposée à celle qu’elle avait jusqu’ores développée pour se conformer à cette jurisprudence strasbourgeoise. Chose rare, elle a, en quelque sorte, resitué ce revirement de jurisprudence dans le contexte de ses précédents lorsqu’elle a relevé que « les articles 468, 474 et 475 du Code pénal définissent des circonstances qui, accompagnant le vol, entraînent une aggravation de la peine. Ces circonstances aggravantes étaient précédemment considérées par la jurisprudence comme étant objectives, c’est-à-dire applicables au coauteur ou au complice indépendamment de leur implication personnelle ; le droit à un procès équitable consacré par les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne permet pas cette interprétation de la loi. Au contraire, ils requièrent une appréciation distincte de ces circonstances dans le chef de chaque coauteur ou complice »41. Rédaction didactique qui positionne clairement sa nouvelle approche en rupture avec le passé.
Un arrêt de 2019 énonce que « le droit à un procès équitable (…) s'oppose à une imputabilité automatique des circonstances aggravantes objectives à tous les participants au vol et ce, indépendamment du fait qu'ils aient admis ces circonstances aggravantes en connaissance de cause ou qu'ils aient été impliqués dans leur exécution »42. « Il en résulte que lorsqu’une personne est prévenue d’avoir commis un vol avec une des circonstances aggravantes prévues aux articles 468 et 475 du Code pénal, le juge du fond doit, à ce sujet, procéder à une analyse individualisée du comportement de chaque prévenu. La requalification en vol commis à l’aide de violences sans la circonstance aggravante de meurtre est légalement justifiée lorsque le participant n’a pu en prévoir la commission »43. Elle a ainsi dit pour droit, en 2008, que chaque participant a le droit « de contredire (tant) son implication personnelle dans les faits (que) l’existence d’un lien entre l’infraction principale et la circonstance aggravante de l’article 475 du Code pénal »44. Il n’est dès lors plus contradictoire de considérer qu’un coauteur ou complice n’a pas participé à une circonstance aggravante de l’infraction mais qu’il a, en revanche, pris une part active dans le fait principal45 ou que la qualification des faits doit être distincte dans le chef d’un participant par rapport à celle retenue à l’égard des autres participants à l’infraction principale46. Cette « appréciation distincte, pour chaque participant, des circonstances aggravantes réelles (…) suppose une analyse individuelle du comportement de chacun »47. La Cour a ainsi admis qu’une cour d’assises puisse, sans se contredire, estimer, eu égard à la nature des violences exercées par deux accusés au préjudice de deux personnes âgées et visiblement vulnérables, qu’ils n’avaient pu ignorer que les coups étaient susceptibles de causer le décès des victimes tandis que le troisième accusé qui, certes, avait accepté la possibilité du recours à des violences avait pu ne pas avoir conscience de leurs conséquences létales48.
§10 Il s’en déduit que la responsabilité pénale doit être appréciée distinctement selon qu’elle concerne l’infraction principale ou l’infraction connexe érigée par la loi en circonstance aggravante. Cette appréciation distincte peut avoir pour conséquence que la qualification retenue peut être différente selon les participants, en fonction de celles de ces circonstances aggravantes dont chacun d’eux a admis la survenance en connaissance de cause ou à la réalisation desquelles il a pris part49. Bien entendu, le droit à un procès équitable « ne s’oppose pas à ce que des circonstances aggravantes réelles soient reconnues dans le chef de toutes les personnes ayant participé au vol, qu’elles aient accepté ces circonstances aggravantes en connaissance de cause ou qu’elles aient été impliquées dans l’exécution de ce fait »50.
Conclusions
§11 Cet exemple illustre l’attachement dont les juristes peuvent parfois faire preuve à l’égard de certaines interprétations de la loi, une fois celles-ci arrêtées, et alors même que les motifs de la contester et de la revisiter ne manquent pas. Le regard nostalgique tourné vers le passé peut alors s’avérer être une condamnation du présent. Il est permis de penser que les peines qui ont été infligées à certains des demandeurs en cassation se sont avérées excessives, un voleur n’étant pas un meurtrier. La répression de ces infractions est précisément différenciée en raison de la gravité intrinsèque des faits. Il est, somme toute, regrettable que notre haute juridiction n’ait pas elle-même perçu tout ce qu’il y avait d’inique dans la solution que sa formation de 1909 avait pu retenir avant la Première Guerre mondiale, et ce même si son abandon n’a pas facilité, loin s’en faut, le travail des cours et tribunaux. Mais, en fin de compte, solution de facilité ne rime pas nécessairement avec solution de Justice51.
Rapport relatif au chapitre VII du livre Ier du Code pénal fait au nom de la Commission du Gouvernement par J.J. Haus, Législation criminelle de la Belgique, tome I, Bruxelles, Bruylant, 1867, p. 133, n° 304. Voyez encore : J.J. Haus, Principes généraux du droit pénal belge, Gand, Hoste, 1869, n°433 et 3ème édition, 1879, n° 571. ↩
Rapport relatif au titre IX du livre II du Code pénal fait au nom de la Commission du Gouvernement par J.J. Haus, Législation criminelle de la Belgique, tome III, Bruxelles, Bruylant, 1868, p. 492, n°7 (à propos de l’article 467 du Code pénal). ↩
Conclusions conformes du procureur général E. Janssens, alors avocat général, sous Cass., 11 mai 1909, Pas., 1909, I, pp. 233-239. ↩
Cass., 11 mai 1909, Pas., 1909, I, p. 232, conclusions conformes de l’avocat général E. Janssens. ↩
Cass., 1er décembre 1913, Pas., 1914, I, p. 18. ↩
Conclusions conformes du procureur général P. Leclercq, alors premier avocat général, sous Cass., 27 février 1922, Pas., 1922, I, pp. 177-181, spéc. pp. 180-181 (« Dans la réalité, le meurtre est un fait principal ; (...) ; le meurtre n’a pas ce caractère de fait secondaire qui accompagne l’événement principal, le vol qualifié (...) ; le meurtre est la réalisation d’une intention autre que l’intention dont le vol est l’exécution : d’une part, il y a intention de donner la mort, d’autre part, l’intention de s’emparer du bien d’autrui »). ↩
Conclusions conformes du procureur général P. LECLERCQ sous Cass., 26 janvier 1928, Pas., 1928, I, pp. 63-67, spéc. pp. 64 et 65. ↩
Vicomte G. Terlinden, « Adieux », mercuriale prononcée à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation le 15 septembre 1926, pp. 3-26, spéc. p. 23. ↩
Discours prononcé par le premier président vicomte P. van ISEGHEM à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation le 15 septembre 1926, pp. 27-32, spéc. p. 28. ↩
Cass., 11 mai 1909, Pas., 1909, I, p. 232 (article 475 du Code pénal). ↩
Cass., 16 mars 1908, Pas., 1908, I, p. 125 ; Cass., 8 novembre 1886, Pas., 1886, I, p. 398 (articles 529 et 530 du Code pénal). ↩
Cass., 11 mai 1909, Pas., 1909, I, p. 232 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 24 septembre 1894, Pas., 1894, I, p. 286. ↩
Cass., 8 novembre 1886, Pas., 1886, I, p. 398 (articles 529 et 530 du Code pénal). ↩
Cass., 16 mars 1908, Pas., 1908, I, p. 125. ↩
Cass., 13 janvier 1913, Pas., 1913, I, p. 60 (article 475 du Code pénal). ↩
Cass., 24 juin 1992, Pas., 1992, I, p. 954 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 18 avril 1978, Pas., 1978, I, p. 929 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 20 mai 1913, Pas., 1913, I, p. 254 (article 475 du Code pénal). ↩
Cass., 16 février 1999, Pas., 1999, I, p. 209 (article 475 du Code pénal). ↩
Cass., 18 avril 1978, Pas., 1978, I, p. 929 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 14 juillet 1924, Pas., 1924, I, p. 481 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 20 mai 1913, Pas., 1913, I, p. 254 (article 475 du Code pénal). ↩
Cass., 6 janvier 1993, Pas., 1993, I, p. 15 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 28 novembre 1979, Pas., 1980, I, p. 401 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 18 avril 1978, Pas., 1978, I, p. 929 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 1er juillet 1942, Pas., 1942, I, p. 164 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 14 juillet 1924, Pas., 1924, I, p. 481 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 20 mai 1913, Pas., 1913, I, p. 254 (article 475 du Code pénal). Dans le même sens, implicitement : Cass., 11 mai 1994, Pas., 1994, I, p. 464 (article 376 du Code pénal) ; Cass., 19 octobre 1988, Pas., 1989, I, p. 185 (article 400 du Code pénal) ; Cass., 24 novembre 1987, Pas., 1988, I, p. 363 (article 469 du Code pénal) ; Cass., 13 janvier 1913, Pas., 1913, I, p. 60 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 8 novembre 1886, Pas., 1886, I, p. 398 (articles 529 et 530 du Code pénal). ↩
Cass., 6 janvier 1993, Pas., 1993, I, p. 15 (article 475 du Code pénal). ↩
Cass., 6 janvier 1993, Pas., 1993, I, p. 15 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 20 juin 1904, Pas., 1904, I, p. 278 (article 471 du Code pénal). ↩
Cass., 14 juillet 1924, Pas., 1924, I, p. 481 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 20 mai 1913, Pas., 1913, I, p. 254 (article 475 du Code pénal). ↩
Cass., 11 mai 1994, Pas., 1994, I, p. 464 (article 376 du Code pénal) ; Cass., 19 octobre 1988, Pas., 1989, I, p. 185 (article 400 du Code pénal) ; Cass., 8 novembre 1886, Pas., 1886, I, p. 398 (articles 529 et 530 du Code pénal). ↩
Cass., 18 avril 1978, Pas., 1978, I, p. 929 (article 475 du Code pénal). Contra : J.S.G. Nypels, Le Code pénal belge interprété, Bruxelles, Bruylant, tome I, 1867, pp. 146-147. ↩
Cass., 6 janvier 1993, Pas., 1993, I, p. 15 (article 475 du Code pénal) ; Cass., 20 juin 1904, Pas., 1904, I, p. 278 (article 471 du Code pénal). ↩
Cass., 16 février 1999, Pas., 1999, I, p. 209. ↩
Cass., 6 janvier 1993, Pas., 1993, I, p. 15. ↩
Cass., 6 janvier 1993, Pas., 1993, I, p. 15. ↩
Cass., 6 janvier 1993, Pas., 1993, I, p. 15. ↩
Cass., 16 février 1999, Pas., 1999, I, p. 209 ; Cass., 6 janvier 1993, Pas., 1993, I, p. 15. ↩
Cass., 16 février 1999, Pas., 1999, I, p. 209. ↩
Cass., 16 février 1999, Pas., 1999, I, p. 209 ; Cass., 1er juillet 1942, Pas., 1942, I, p. 164 ; Cass., 14 juillet 1924, Pas., 1924, I, p. 481 ; Cass., 20 mai 1913, Pas., 1913, I, p. 254. ↩
Cass., 16 février 1999, Pas., 1999, I, p. 209. ↩
Cass., 20 mai 1913, Pas., 1913, I, p. 254. ↩
Cass., 16 février 1999, Pas., 1999, I, p. 209. ↩
Cass., 16 février 1999, Pas., 1999, I, p. 209. ↩
Cass., 18 avril 1978, Pas., 1978, I, p. 929. ↩
Cass., 18 avril 1978, Pas., 1978, I, p. 929. ↩
Cour eur. D.H., arrêt Goktepe c. Belgique du 2 juin 2005 rendu à l’unanimité, §§ 25 et 28, J.L.M.B., 2005, p. 1556, obs. N. Colette-Basecqz, R.D.P.C., 2005, p. 1247, obs. M. Neve, J.T., 2005, p. 713, obs. P.P. Renson, R.A.B.G., 2005, p. 1465, obs. D. Van Der Kelen et L. Gyselaers, N.j.W., 2006, n° 134, p. 28, T. Strafr., 2006, p. 78, obs. P. Herbots, R.C.J.B., 2008, p. 206, note F. Kuty. L’enseignement de cet arrêt a été confirmé par l’arrêt suivant : Cour eur. D.H., arrêt Delespesse c. Belgique du 27 mars 2008 rendu à l’unanimité, § 28, N.C., 2008, p. 260, obs. J. Rozie, R.C.J.B., 2008, p. 206, note F. Kuty. ↩
Cass., 16 février 1999, Pas., 1999, I, p. 209. ↩
Cass., 17 juin 2008, Pas., 2008, p. 1546, N.C., 2008, p. 284, conclusions conformes du premier avocat général M. De Swaef, R.A.B.G., 2009, p. 14, obs. D. Van der Kelen et L. Gyselaers. Voy. encore : Cass., 20 juin 2018, J.T., 2018, p. 717, obs. F. Kuty. ↩
Cass., 9 avril 2019, A.C., 2019, p. 817, Pas., 2019, p. 784 (la traduction française est inexacte). ↩
Cass., 20 juin 2018, J.T., 2018, p. 717, obs. F. Kuty. ↩
Cass., 27 février 2008, Pas., 2008, p. 543. ↩
Cass., 20 juin 2018, J.T., 2018, p. 717, obs. F. Kuty. ↩
Cass., 9 novembre 2022, J.LM.B., 2023, p. 785. ↩
Cass., 9 novembre 2022, J.LM.B., 2023, p. 785 ; Cass., 9 avril 2019, Pas., 2019, p. 784. ↩
Cass., 9 novembre 2022, J.LM.B., 2023, p. 785. ↩
Cass., 9 novembre 2022, J.LM.B., 2023, p. 785. ↩
Cass., 9 novembre 2022, J.LM.B., 2023, p. 785. ↩
Les opinions exprimées par l’auteur lui sont personnelles et n’engagent en rien les institutions auxquelles il appartient. ↩