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Volume n°2

La protection des personnes majeures vulnérables et mineures : redéfinition du concept de capacité juridique au regard de celui du discernement

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Introduction

§1 Le thème de nos recherches a trait à la capacité et à l’incapacité en droit civil, plus particulièrement aux régimes dit « d’incapacité » que sont, d’une part, la minorité et, d’autre part, l’incapacité juridique d’exercice, devenue la protection des personnes majeures vulnérables. Nos travaux n’ont pas concerné l’incidence de l’incapacité en droit pénal, ni en droit civil de la responsabilité, ni les législations en matière de protection des personnes malades mentales.

Notre objectif a été de démontrer qu’ensuite de la distinction traditionnelle entre capacité de jouissance (ou personnalité) – dont dispose tout être humain – et capacité d’exercice (ou capacité juridique au sens strict) – laquelle peut connaître des restrictions –, le droit belge voit évoluer ce dernier concept de capacité ou d’incapacité d’exercice vers une notion de capacité de discernement, davantage attachée à la recherche d’un tel discernement effectif dans le chef de chaque personne dite « incapable » ou « vulnérable », à repérer si cette personne dispose d’un consentement libre et éclairé, parfois renforcé, à vérifier au-delà de son statut d’incapacité civile, si cette personne réputée vulnérable consent (ou a consenti) valablement à l’accomplissement d’un acte juridique eu égard à son aptitude en fait et non seulement en droit.

§2 Notre démonstration s’est déclinée en quatre parties.

La première a tâché de retracer l’évolution du concept de capacité ou d’incapacité du droit romain jusqu’au droit belge du XXème siècle hérité du Code civil de 1804, pour vérifier et développer plus généralement l’idée suivant laquelle l’incapacité se baserait sur trois autres concepts que sont la puissance, la protection et l’autonomie de la personne incapable.

Dans une seconde partie, nous avons démontré que dans la seconde moitié du XXème siècle et au début du XXIème siècle, le concept a continué d’évoluer sous l’impulsion du droit international et des principes en termes de libertés individuelles que celui-ci a développés, obligeant de s’attacher davantage à la situation concrète de l’individu vulnérable majeure comme mineure, plutôt qu’à envisager ces personnes comme des catégories abstraites.

Dans la troisième partie de nos travaux, nous nous sommes intéressé cette fois au régime de la sanction des actes accomplis par une personne vulnérable majeure comme mineure, ce qui nous a permis de valider notre démonstration « par le bas » ou « en aval » (sous l’angle de la sanction) après l’avoir fait « par le haut » ou « en amont » (sous l’angle du régime même de protection de la personne vulnérable).

Enfin, arrivé à ce stade de notre démonstration et conscient du fait que notre sujet de recherche revêt une dimension bioéthique, à la frontière entre la science juridique et la science médicale au sens large, nous nous sommes intéressé dans une quatrième et dernière partie de notre étude, à savoir non seulement dans quelle mesure cette dernière discipline connaissait la problématique des personnes dites incapables ou inaptes pour l’avoir étudiée, mais aussi comment elle pouvait apporter des réponses à cette problématique sur le plan juridique (déterminer le degré de discernement d’une personne vulnérable).

Les lignes qui suivent livrent un condensé des principales conclusions de chacune de ces quatre parties de notre raisonnement.

1ère partie – Aux premiers fondements de l’incapacité : le triptyque « puissance – protection – autonomie »

§3 Dans une première partie de notre étude, sans prétendre à une analyse historique du droit, nous avons tout d’abord procédé à une évocation du concept de capacité ou d’incapacité, à travers l’histoire, du droit romain au Code civil de 1804 et du début du XXème siècle, aux fins de décliner l’incapacité civile autour de trois autres notions qui sont à sa base, à savoir la puissance (de celui qui administre la personne et les biens de l’incapable), la protection (que doit conférer à l’incapable celui qui « gère » ce dernier, eu égard à sa vulnérabilité) et l’autonomie (que le droit reconnaît tout de même, à des degrés divers suivant les époques, à la personne incapable).

Nous avons ainsi poursuivi les réflexions d’Alain-Charles Van Gysel[^1] sur ces trois fondements de l’incapacité quant au statut des mineurs, pour l’étendre et en faire la démonstration en présence de toutes personnes considérées comme incapables, majeurs comme mineurs, aux différentes époques. [^1]:Van Gysel, A.-C., « Le fondement et la portée actuelle de l’incapacité du mineur », in Filiation, autorité parentale et modalités d’hébergement, Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 237 et s. ; Précis de droit de la famille, Limal, Anthemis, 2013, pp. 529-539.

§4 Le droit romain lie tout d’abord le concept d’incapacité (dite objective) à celui de puissance. Une personne n’est capable que pour autant qu’elle soit libre, autonome et détentrice de ce pouvoir de décider pour elle-même mais aussi pour les membres de sa famille. Les enfants soumis au pater familias sont incapables juridiquement, de même que la femme mariée, et ce afin de préserver le patrimoine familial, la famille elle-même, et à travers eux, la société romaine[^2]. [^2]: Pichonnaz, P., Les fondements romains du droit privé, Genève, L.G.D.J., Schulthess, 2008 ; Robaye, R., Le droit romain, Tome I, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2001 ; Schmidlin, B., Droit privé romain I – Origines et sources, Famille, Biens et Successions, Université de Genève – Bruylant, 2008 ;

Ensuite, en quelque sorte par la force des choses ou celle de la nature, le droit romain prévoit des formes d’incapacité dites subjectives car elles ne dépendent pas d’une conception sociale déterminée mais de l’aptitude physique ou mentale, de la maturité, du discernement d’une personne déterminée.

En cela, le droit romain reconnaît qu’il existe des cas dans lesquels bien que présumée capable objectivement, une personne peut être atteinte d’un trouble qui ne lui permet pas d’être capable subjectivement ; ou qu’en raison de la nécessaire évolution d’une personne en raison de son âge et du développement de ses capacités intellectuelles – indépendamment du fait qu’elle puisse ou doive rester sous la puissance d’un pater familias –, cette personne nécessite une protection (si le pater familias vient à décéder : tutelle ou curatelle) ou au contraire connaît une autonomie relative (par l’émancipation ou la mise à disposition d’un peculium c’est-à-dire un petit pécule reçu du pater familias que ce dernier autorise à gérer seul).

Néanmoins, la protection s’entend toujours d’un point de vue patrimonial mais aussi et surtout d’une manière bien plus large que la protection de la personne protégée prise isolément. C’est en effet toujours en vue de préserver le patrimoine de la famille et la situation financière et sociale de ses membres, qu’une personne incapable subjectivement nécessite une protection.

L’on constate donc qu’à côté d’une incapacité liée à l’idée de puissance, issue d’un ordre social établi, la société romaine avait dû développer une incapacité liée à un besoin de protection. L’autonomie était quant à elle liée non au concept d’incapacité ou de capacité elle-même, mais à la puissance détenue par les seules personnes considérées comme capables (sui iuris).

§5 A partir du Moyen-âge et sous l’Ancien régime, malgré la difficulté à la systématiser en une notion uniforme, dans la mesure où les règles sont différentes selon la coutume envisagée, l’on note que la capacité ou son contraire, l’incapacité, reste empreinte d’une conception patriarcale de la société où puissance paternelle et maritale restent concentrées entre les mêmes mains[^3]. L’idée de puissance, même si elle a tendance à diminuer en ce qui concerne les enfants devenus majeurs, reste très présente dans le concept même d’incapacité. La protection est censée provenir de cette hiérarchisation de la famille voire de la société toute entière. [^3]:Defacqz, Ancien droit belgique, tome I.

S’il existait une certaine forme de protection, elle n’existait qu’en raison du fait que sous l’ancien droit, comme sous l’époque romaine, seule la famille permettait d’en être assuré, compte tenu du caractère encore agraire de la société de l’époque. En dehors de la famille, du groupe, il n’y avait point de protection, même si la liberté pouvait en revanche apparaître. Celle-ci ne représentait guère un avantage si elle ne se complétait pas d’une réelle autonomie, patrimoniale notamment, permettant de subvenir à ses propres besoins.

Même si la problématique des personnes subjectivement incapables car atteintes d’un trouble physique ou mental, existe comme en droit romain, les solutions juridiques données sont également similaires à celles vues en droit romain, sans qu’un réel système juridique uniforme ne soit là aussi institué. L’idée d’autonomie est pratiquement absente, hormis lorsque dans certaines coutumes la puissance paternelle a été abolie pour les enfants devenus majeurs[^4] . [^4]:Loisel, Inst. Cout., livre Ier, XXXVVII, règle 55, cité par H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, tome I, 3ème édition, Bruxelles, Bruylant, 1962, n° 758, p. 885.

§6 L’évolution des régimes d’incapacité civile en droit belge, depuis l’adoption du Code civil en 1804 jusqu’à la fin du XXème siècle, est quant à elle essentiellement double.

En ce qui concerne les mineurs, l’idée de protection prend résolument le pas sur celle de puissance. Les termes « puissance paternelle », déjà remplacés par la doctrine par ceux d’ « autorité parentale »[^5] , le seront également ainsi consacrés dans la loi du 30 juin 1994 relative à l’autorité parentale. [^5]:Planiol et Ripert, Tome Ier, n° 299 ; Colin et Capitant, Tome Ier, n° 442.

La minorité est résolument devenue un régime d’incapacité des enfants en vue de leur apporter la protection nécessaire à leur correcte évolution, en suivant le rythme de leur apprentissage de la vie, au sein de leur famille, à mesure qu’ils grandissent. Elle n’est plus un « pouvoir de vie et de mort », un simple « droit de correction » de l’enfant par ses parents. Les prérogatives qui découlent de la puissance paternelle deviennent les simples corollaires des devoirs (voire les obligations) que les parents ont vis-à-vis de leurs enfants[^6]. [^6]:De Page H., Traité élémentaire de droit civil belge, Tome Ier, 3ème édition, Bruxelles, Bruylant, 1962, n° 754, p. 881.

L’émancipation du mineur traduit également dans la loi le besoin de protection nécessaire en dépit d’une autonomie plus large conférée à l’enfant mineur[^7]. Le régime de la tutelle des mineurs tend également dans le sens de cette évolution[^8] et ce régime a fait l’objet d’une réforme en même temps que celui de l’autorité parentale. Cette réforme marque plus précisément le renforcement du rôle du pouvoir judiciaire en matière d’autorité parentale et de tutelle des mineurs. [^7]: De Page H., Traité élémentaire de droit civil belge, Tome II, 4ème édition par J.-P. MASSON, Bruxelles, Bruylant, 1990, n° 1463, p. 1345. [^8]:Cass. , 25 mai 1888, Pas., 1888, I, 241 ; mais aussi Bruxelles, 25 avril 1887, Pas., 1887, II, 221 et Bruxelles, 26 juillet 1887, Pas., 1888, II, 177.

En ce qui concerne les personnes majeures, l’idée de puissance a complètement disparu. L’incapacité civile de la femme mariée – qui était exclusivement la conséquence de la puissance conférée au mari – a été abrogée par les lois successives des 20 juillet 1932, 30 avril 1958 puis du 14 juillet 1976 (en matière de régime matrimonial)[^9]. L’épouse ne pouvait plus être considérée comme sous la puissance de son mari. Elle n’avait même pas besoin d’une soi-disant protection de sa part, sur le plan patrimonial ou extrapatrimonial. [^9]:De Page H., Traité élémentaire de droit civil belge, Tome Ier, Bruxelles, Bruylant, 3ème édition, 1962, n° 723, p. 877

Malgré la multiplication des régimes d’incapacité civile, censés répondre chacun à la problématique des différentes incapacités rencontrées en fait, la tendance qui se dégage est également d’assurer la protection adéquate de la personne majeure incapable[^10], sans qu’apparaisse plus l’idée de puissance devant s’exercer sur ces personnes. Même dans le cas de la minorité dite prolongée, ou de la tutelle qui pouvait la remplacer, les parents ne disposaient pas de prérogatives sans limite. [^10]:Locré, Tome III, p. 477, n° 3.

L’adoption de la loi du 18 juillet 1991 sur l’administration provisoire des biens, même si elle se limitait à ceux-ci, démontre la volonté d’instaurer une incapacité civile « sur mesure ». Cela indique clairement que l’incapacité civile des majeurs était conçue sous un angle beaucoup plus protectionnel qu’auparavant, tout en tâchant de préserver l’autonomie résiduelle de la personne concernée, du moins dans son principe. Afin d’assurer cette protection, l’on constate également le renforcement du rôle du pouvoir judiciaire en matière d’incapacité des personnes majeures, dont l’exemple le plus important est le mécanisme d’autorisation judiciaire préalable à l’accomplissement d’un acte juridique, considérablement développé dans la loi sur l’administration provisoire des biens[^11]. [^11]: Delahaye Th., L’administration provisoire (art. 488bis C. civ.), Les Dossiers du J.T., Bruxelles, Larcier, 2008, 2ème édition.

L’évolution du concept d’incapacité civile se présente dès lors en un double renforcement : celui de l’idée de protection de la personne concernée d’une part et du rôle du pouvoir judiciaire d’autre part. La suite de notre étude a démontré que, à partir de la fin du XXème et du début du XXIème siècle, une troisième évolution sensible du concept d’incapacité est apparue : le renforcement de l’idée d’autonomie (2ème partie).

§7 Dans cette première partie, nous avons donc démontré – en poursuivant plus en détails les réflexions d’Alain-Charles Van Gysel – que la notion de capacité, ou son contraire, l’incapacité, repose depuis les origines de notre droit civil continental sur trois autres concepts que sont la puissance, la protection et l’autonomie. Ces trois éléments forment initialement le triptyque de la capacité civile.

Au fil du temps, l’idée de puissance s’est amenuisée, tandis que le besoin de protection s’est accentué. Ce sont surtout les idées issues du courant des Lumières et donnant lieu au développement des principes démocratiques d’égalité et de liberté, qui sont entrées en contrariété avec l’idée qu’il puisse y avoir des hommes sous l’autorité, sous la puissance d’autres hommes. Il a fallu attendre jusqu’au milieu du XXème siècle pour que cette égalité et la disparition du concept de puissance s’appliquent également entre hommes et femmes, notamment dans le mariage et la famille en général.

Il n’était plus concevable qu’il existe encore des incapacités dites objectives ou civiles, c’est-à-dire celles fondées non sur la nature mais sur des idéaux sociologiques d’une époque révolue. Ne restaient dès lors plus que les incapacités dites subjectives ou de fait, à savoir celles résultant de la « nature des choses », telles que le manque de développement des facultés physiques ou intellectuelles de l’individu ou le manque de maturité. Seules ces personnes requerraient une réelle protection de leur patrimoine mais également de leurs libertés sur le plan purement personnel.

L’incapacité devenait résolument une manière de protéger la personne considérée comme plus vulnérables et non aux fins de maintenir un ordre social déterminé en conférant voire en conservant la puissance d’un homme sur un autre homme ou une femme. Cependant, l’idée d’autorité reste présente en matière d’incapacité des mineurs. L’autorité qui subsiste en matière de minorité n’est en réalité que le corollaire du devoir de protection lié à cette incapacité et dont les représentants légaux du mineur sont responsables.

A la fin du XXème siècle, peuvent seules encore être considérées comme incapables, au sens juridique du terme, les personnes mineures et les personnes majeures dites vulnérables en raison d’un problème physique ou mental ou considérées comme prodigues. Ce sont les deux « catégories » d’incapacité générale d’exercice. Avec l’abolition de l’incapacité juridique de la femme mariée, le concept de puissance originellement ancré dans l’idée d’incapacité juridique, a disparu. Il a complètement disparu du régime d’incapacité des personnes majeures. Il tend de plus en plus à disparaître en matière de minorité, où il a été remplacé par l’idée d’autorité, elle-même fortement modifiée dans ce qu’elle pouvait avoir d’arbitraire.

2ème partie - Les personnes incapables au début de XXIème siècle, ou lorsque l’incapacité juridique est remplacée par la capacité de discernement

§8 Dans une deuxième partie de notre étude, l’on a constaté qu’à partir de la seconde moitié du XXème siècle, le droit belge ne connaît plus que des situations d’incapacités dites subjectives, liées en réalité à une inaptitude réelle de la personne, soit liée à l’âge ou la maturité (la minorité), soit à un état de santé physique ou plus souvent mentale déficient (les personnes majeures vulnérables).

Nous avons démontré qu’à la toute fin du XXème siècle et au début du XXIème siècle, le Code civil (et notre législation en général) a encore évolué pour répondre au besoin d’autonomie de la personne considérée comme incapable mais tout en devant composer, s’équilibrer avec le besoin tout aussi nécessaire de protection.

Avec François-Joseph Warlet[^12], l’on peut en effet considérer que l’objectif du régime d’incapacité civile est de protéger pas uniquement la personne elle-même mais aussi la capacité de la personne vulnérable, c’est-à-dire sa capacité résiduaire, son autonomie, qu’elle soit mineure ou majeure mais vulnérable. [^12]: En référence au titre de son ouvrage : Warlet, Fr.-J., La capacité protégée. Analyse de la loi du 17 mars 2013, Waterloo, Kluwer, 2014, 391 pages.

Loin de représenter des composantes antagonistes, la dimension de protection et celle d’autonomie de l’incapacité civile sont donc le soutien l’une de l’autre. La meilleure manière de protéger une personne vulnérable serait même de préserver voire de favoriser son autonomie, de telle sorte que cette autonomie ainsi préservée lui permette de mieux être protégée, et de se protéger elle-même. Telle semble être la ligne de mire, l’idéal à atteindre.

Nous avons dès lors fait le constat que plutôt que d’apparaître comme un régime d’incapacité à connotation de sanction, la protection des personnes vulnérables en raison de leur âge ou d’un trouble physique ou mental représente davantage une mesure d’accompagnement de la personne à protéger, en vue de préserver son autonomie personnelle dans toute la mesure du possible.

§9 Une loi du 17 mars 2013 réformant les régimes d’incapacité et instaurant un statut de protection conforme à la dignité humaine, a foncièrement changé le paradigme de l’incapacité juridique des majeurs pour respecter les principes de nécessité, de subsidiarité, de proportionnalité et de personnalisation issus du droit international, issus des différentes instruments internationaux en la matière : en particulier la convention de l’ONU du 13 décembre 2006 sur les droits des personnes handicapées[^13], mais aussi les recommandations du Comité des ministres du Conseil de l’Europe du 23 février 1999 concernant la protection juridique des personnes incapables[^14] et celle du 9 décembre 2009 concernant les procurations permanentes et les directives anticipées ayant trait à l’incapacité[^15]. [^13]:Convention internationale de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006. [^14]:Recommandation R(99)4 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur les principes concernant la protection juridique des personnes incapables, adoptée le 23 février 1999. [^15]:Recommandation CM/Rec(2009)11 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur les principes concernant les procurations permanentes et les directives anticipées ayant trait à l’incapacité, adoptée le 9 décembre 2009.

Plus que tout autre instrument international, cette dernière recommandation européenne est peut-être celle qui a le plus influencé le législateur belge lors de l’élaboration de la réforme du statut des incapacités, compte tenu des innovations qu’elle comporte dans ce domaine des procurations permanentes et des directives anticipées par rapport à notre ancienne législation relative à l’incapacité des majeurs.

Nous avons mis en évidence le fait que ces principes transparaissent dans toute la nouvelle loi du 17 mars 2013, ce qui nous a permis de démontrer plus particulièrement en droit belge que la notion de capacité et d’incapacité juridique des majeurs a évolué pour en fin de compte cesser d’exister au sens où nous la connaissions jusqu’à présent, en laissant la place à une appréciation plus concrète et au cas par cas du discernement suffisant ou non, de la présence ou non des facultés intellectuelles et volitives d’une personne déterminée, laquelle appréciation relève en définitive plus du consentement que de la capacité au sens juridique du terme.

L’idée est à présent que chaque personne majeure considérée comme vulnérable doit recevoir un régime de protection « sur mesure »[^16], adapté à son état de santé déficient, à son handicap. Ce faisant, la loi oblige, à tout stade de la protection (au niveau procédural puis tout au long de la vie de la personne majeure vulnérable) à prendre en compte son « aptitude de la volonté », son discernement suffisant ou non. [^16]:Vieujean E., « Et la personne ? », in L’administration provisoire — Voorlopig bewind, FRNB-KFBN (éd.), Bruxelles, Bruylant, 2004.

§10 L’innovation majeure de cette réforme est également d’avoir élaboré et institutionnalisé, pour la première fois en Belgique, un mode conventionnel de protection de l’incapacité, au travers de la protection extrajudiciaire par le biais du mandat (art. 490 C. civ.), démontrant là également que cette matière peut être régie par l’autonomie de la volonté, et ce au regard des principes de nécessité, de subsidiarité, de proportionnalité et de personnalisation[^17]. [^17]:Dans le rapport fait au nom de la commission de la justice de la Chambre, il est en effet précisé que « la protection extrajudiciaire doit, en tant que mesure informelle et plus légère, gagner progressivement en importance, de manière à ce que la procédure formelle, longue et (plus) radicale de la protection judiciaire devienne de plus en plus exceptionnelle » (Doc. Parl., Ch. repr., sess. ord. 2011-2012, n° 53-1009/010, p. 31).

Ces nouveaux principes sont véritablement novateurs et participent fortement à l’évolution du concept d’incapacité des personnes majeures vulnérables. L’incapacité qui relevait traditionnellement de l’état des personnes, lequel est d’ordre public et doit nécessairement passer par le filtre vérificateur du pouvoir judiciaire, échappe à ce dernier, du moins initialement, et donne lieu à la conclusion d’un contrat, le mandat. L’autonomie de la volonté prend ainsi de plus en plus de place dans le domaine du droit des personnes et celui des incapacités en particulier. L’incapacité pourtant d’ordre public se « privatise ».

Cette évolution est le reflet d’une modification du concept de capacité ou d’incapacité juridique. Celle-ci doit viser à apporter une réponse satisfaisante à l’état de vulnérabilité d’une personne déterminée. Cette dimension de protection de la personne vulnérable est d’ailleurs devenue le seul et unique rôle conféré à l’incapacité civile, outre celui tout aussi essentiel de préservation de l’autonomie individuelle. Cette institution qu’est l’incapacité n’existe et ne s’explique aujourd’hui qu’en raison de la valeur ajoutée qu’elle peut apporter à une personne en difficulté. Elle doit être au service de cette personne et l’accompagner. En cela, elle devient une mesure d’accompagnement.

Dès lors que l’incapacité n’existe plus que dans sa dimension fonctionnelle, au service et en vue d’assurer le bien-être de la personne concernée, il ne s’agit plus véritablement d’un état de la personne, lequel visait davantage à l’époque à préserver une forme d’ordre social établi. L’autonomie de la volonté – au moment où celle-ci peut encore être exprimée librement – peut dès lors moduler la capacité d’une personne, ou plutôt permettre de conférer à cette personne la protection qui lui est nécessaire mais suffisante, et proportionnée.

Elle permet de préserver l’autonomie et l’autodétermination qui sont des principes devenus essentiels dans notre société démocratique, y compris, voire surtout, en présence de personnes a priori considérées comme incapables, et ce afin de leur redonner une place à part entière dans la société et la vie juridique en particulier. C’est peut-être bien en raison de cette préservation de l’autonomie individuelle résiduelle que le mandat impliquant pourtant un mécanisme de représentation – récusé par le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU[^18] – se voit conférer une certaine préférence. Ce mécanisme « ne touche pas » à la capacité juridique en soi, même s’il permet en quelque sorte de la moduler en vue de la protéger. [^18]:Observation générale n° 1 (2014) du Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU du 19 mai 2014 (à tort selon nous car ce comité par du postulat que le mécanisme de la représentation contrevient toujours à la liberté et l’autonomie de la personne protégée, au motif que son représentant déciderait de tout pour elle sans prêter attention à ses souhaits ou son opinion, alors qu’il s’agit parfois du seul moyen d’assurer une correcte protection de cette personne à défaut pour elle de pouvoir même exprimer ses souhaits et opinion, mais qu’en outre le représentant ne dispose bien souvent pas des « pleins pouvoirs » : il doit associer la personne protégée à sa mission et tenir compte de ses souhaits et opinion, il fait l’objet de contrôles, notamment par le pouvoir judiciaire, etc.)

§11 En matière de protection judiciaire – par opposition à la protection extrajudiciaire par le mandat (cf. supra) –, lorsque le juge de paix est saisi d’une demande de mise sous protection d’une personne par hypothèse vulnérable, il doit minutieusement vérifier et se prononcer expressément sur la capacité ou l’incapacité de la personne en cause à poser les actes repris à la liste de l’article 492/1 § 1er et § 2 du Code civil. Pour mesurer la capacité ou l’incapacité d’une personne déterminée, il dispose de divers moyens mis à sa disposition par la loi, dont le certificat médical circonstancié joint à la requête, mais ce qu’il vérifiera sera finalement toujours le degré de discernement de la personne à protéger.

Il fera de même si une demande de levée de la mesure de protection lui est demandée ou tous les deux ans, lors de la vérification de l’adéquation des mesures de protection à la situation de la personne. Il en sera également ainsi au moment d’une demande d’autorisation à pouvoir faire une libéralité en vertu de l’article 905 du Code civil. C’est somme toute logique que le critère permettant de déclarer une personne incapable ou de lever par la suite cette incapacité soit le même dans les deux cas.

Le juge de paix examinera également le degré de capacité ou le discernement suffisant de la personne protégée qui demanderait à pouvoir se marier (art. 145/1 du Code civil), à pouvoir demander l’annulation de son mariage (art. 186 du Code civil), à pouvoir demander le divorce ou la séparation de corps (art. 231 et 311bis du Code civil), à pouvoir faire une déclaration de cohabitation légale ou faire cesser celle-ci (art. 1475 § 2 et 1476 § 2 du Code civil), à pouvoir conclure ou modifier un contrat de mariage (art. 1397/1 du Code civil) ou une convention (patrimoniale) de cohabitation légale (art. 1478 du Code civil), ou encore pour pouvoir reconnaître un enfant (art. 328 § 2 du Code civil).

Dans chacune de ces hypothèses, le juge de paix « apprécie la capacité de la personne protégée d'exprimer sa volonté ». Il s’agit bien toujours du même critère de l’aptitude de la personne à émettre un consentement valable. Elle doit disposer d’un consentement libre et éclairé, du discernement suffisant pour accomplir l’acte pour lequel elle sollicite l’autorisation du juge cantonal.

Dans le régime de l’avis, en matière d’adoption (art. 348-1, al. 2 du Code civil), ou de filiation (art. 329bis et 332quinquies du Code civil), le juge – qui n’est plus cette fois le juge de paix mais celui du tribunal de la famille, saisi de la question de fond en matière de filiation ou d’adoption – doit aussi examiner la capacité de discernement de la personne qui se trouve devant elle.

Le juge va devoir vérifier si la personne est capable d’exprimer sa volonté, sauf si elle a déjà été déclarée incapable de poser un tel acte en matière d’adoption ou de filiation par une ordonnance cantonale, auquel cas elle est présumée incapable. Dès lors, même en présence d’une personne non-expressément déclarée incapable de poser l’acte en cause, il est possible voire nécessaire dans certains cas, compte tenu de l’audition de la personne concernée, que le juge la considère comme incapable en fait, ou inapte, à ce moment de poser cet acte.

La vérification que le juge opérera porte à nouveau sur le degré de capacité, sur le consentement libre et éclairé, sur le discernement suffisant de la personne qu’il rencontre. La locution est en effet toujours la même : la « capacité d’exprimer sa volonté ». Ce n’est qu’à défaut d’un tel consentement suffisant que le juge pourra alors tenir compte ou non de l’opinion de la personne, suivant à nouveau le degré de capacité de la personne à exprimer une opinion valable, dont il faudrait ou non tenir compte, eu égard aux intérêts en présence.

Nous avons constaté qu’il est des cas où en présence d’une personne incapable, un tiers autre que son administrateur pourra poser l’acte envisagé à sa place. Il s’agit de la protection prévue par les articles 214 et 220 du Code civil pour les personnes mariées, ou 1477 du Code civil pour les cohabitants légaux : le conjoint ou cohabitant légal de la personne protégée accomplira seul l’acte en cause. Il s’agit aussi de la protection prévue en matière d’autorité parentale et de prérogatives relevant de celle-ci (art. 348-2, 348-3, 348-5, 348-6, 348-7, 353-8, 353-9, 375 et 389 du Code civil) : l’autre parent exercera seul cette autorité et les droits et devoirs qui en découlent.

Dans de tels cas, il appartiendra à nouveau au juge saisi de la contestation au fond, soit le juge de la famille, d’apprécier si l’un des époux, cohabitants légaux ou parents, est ou non « dans l’impossibilité ou l’incapacité d’exprimer sa volonté ». Cette appréciation devra se faire de manière minutieuse, pour vérifier au plus près la capacité effective de la personne concernée.

Cette capacité renvoie à la capacité de fait et non à la capacité de droit, puisque nous avons vu, d’une part que même en présence d’une personne non déclarée incapable par le juge de paix, le juge de la famille peut arriver à la conclusion que la personne en cause n’a pas la capacité d’exprimer sa volonté ; et d’autre part, que même en présence d’une personne déclarée incapable, les principes de subsidiarité, proportionnalité et nécessité imposent de permettre à une personne protégée d’agir seule, si sa situation le lui permet, si elle se trouve par exemple dans un intervalle de lucidité, afin de préserver au maximum son autonomie.

Vérifier si une personne déterminée est dans l’incapacité ou l’impossibilité d’exprimer sa volonté, revient à vérifier son « aptitude de la volonté », à analyser si son discernement est suffisant pour prendre telle décision importante, pour s’engager valablement dans un acte juridique.

Ce faisant, le paradigme de l’incapacité civile a résolument changé puisque ce qui compte ne sera pas tant le fait qu’une personne ait été déclarée incapable pour poser tel ou tel acte, mais de vérifier si au moment où l’accomplissement d’un acte se présente, cette personne dispose ou non de l’aptitude nécessaire pour ce faire, d’une capacité appréciée in concreto et donc en fait, de voir si elle dispose du discernement suffisant.

De même, lorsqu’une personne est déclarée incapable suivant une ordonnance du juge de paix, cela n’a pas pour effet que l’opinion de cette personne n’est pas prise en compte, bien au contraire. Elle doit pouvoir continuer à participer au processus décisionnel quant à sa personne mais aussi quant à ses biens, dans toute la mesure du possible, c’est-à-dire à nouveau en fonction de son degré de discernement.

Cette nécessité de prendre en compte les choix et l’opinion de la personne vulnérable, nonobstant son incapacité de droit, existait déjà dans d’autres législations où c’est à nouveau la capacité de fait de la personne qui importe finalement davantage que son incapacité de droit.

§12 Le concept de discernement qui fonde et détermine les contours de la capacité ou incapacité d’exercice civile, ainsi mis en évidence, se retrouve non seulement dans le régime de protection judiciaire ou extrajudiciaire, mais également dans le droit des libéralités où existe d’ailleurs de longue date la théorie du consentement renforcé, que nous avons retracée pour démontrer qu’elle-même est empreinte des notions nécessairement imbriquées (et donc naturellement souvent confondues) de capacité et de consentement[^19]. [^19]: H. DE PAGE, Op. cit., tome VIII, vol. 1, 2ème éd, Bruxelles, Bruylant, 1962, n° 81, p. 126-127, qui réprouve cette confusion et constate, sans pour autant y trouver une justification valable, que l’art. 901 C.civ. qui concerne incontestablement la volonté et non la capacité, est inséré sous un chapitre intitulé « De la capacité de disposer ou de recevoir par donations entre vifs ou par testament » ; Voy. aussi : Van Gysel A.-C., « Entre capacité et consentement: les libéralités faites par les personnes fragiles à la lumière des dernières modifications législatives » in Actualités de droit familial. Le point en 2003, Liège, CUP ; Reusens, F. « L’administration provisoire revue et corrigée : aperçu des nouvelles dispositions introduites par la loi du 3 mai 2003 », Rev. Not. b., 2005, p. 231.

Le discernement est aussi le critère repris dans la plupart des législations à caractère médical ou bioéthique (loi du 7 mai 2004 relative aux expérimentations sur la personne humaine, loi du 13 juin 1986 sur le prélèvement et la transplantation d’organes, loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie, loi du 22 août 2002 sur les droits du patient, etc.) où il importe de s’assurer du consentement éclairé du patient et de sa capacité de discernement en fait, nonobstant sa capacité ou incapacité de droit[^20]. [^20]: Gallus N., Bioéthique et droit, Limal, Anthemis, 2013 ; Genicot. G., « Tour d’horizon de quelques acquis et enjeux de droit médical et biomédical », in Nouveaux dialogues en droit médical, CUP, vol. 136, Liège, Anthemis, 2012.

En retraçant les mutations de ce critère au travers de ces différentes législations civiles et médicales, nous avons ainsi pu mettre en évidence l’évolution du concept d’incapacité, attaché dorénavant à celui de discernement (suffisant ou non), marquant ainsi l’essor de la dimension « autonomie » de l’incapacité, face à celle de « puissance », mais tout en devant composer avec le besoin de « protection », suivant le triptyque que nous avons retracé dans la première partie de notre étude.

§13 L’incapacité juridique liée à l’état de mineur d’âge connaît la même évolution au travers d’une reconnaissance grandissante (tant au regard de l’évolution de notre société qu’au regard de celle de l’âge d’un enfant) d’une capacité dite « résiduelle » du mineur, nonobstant son incapacité juridique d’exercice de principe. Alors que l’état de minorité et l’incapacité qui s’y rattache ont, à l’évidence, pour but la protection du mineur, l’on constate qu’un courant favorable à l’autonomie quasi complète du mineur dans certains domaines prend davantage d’importance. Tel est en particulier le cas en matière médicale[^21]. [^21]:Leleu Y.-H. et Genicot G., Droit médical, éd. De Boeck Université, 2001 ; Nottet A., « Le mineur en droit médical », in Nouveaux dialogues en droit médical, CUP, vol. 136, Liège, Anthemis, 2012 ; « Mineurs et droits personnels », R.T.D.F., 2010, page 25.

A côté de la réforme qu’ont connue l’autorité parentale et la tutelle des mineurs, au fil du temps, au gré de l’évolution sociale, éthique mais aussi économique, le droit positif a progressivement reconnu une capacité résiduelle au mineur, même non émancipé. Au-delà de l’abaissement de l’âge de la majorité à 18 ans, considérer qu’il existe des actes juridiques qu’un enfant mineur peut poser valablement seul ou que ses représentants légaux ne peuvent accomplir à sa place, contribue à conférer en fait une certaine capacité, fut-elle limitée, aux mineurs. Ce concept de capacité résiduelle n’a du reste cessé de croître avec le temps.

L’incapable mineur est une personne majeure capable « en devenir ». C’est pour cette raison que le droit lui reconnaît une capacité résiduelle et le pouvoir de poser certains actes juridiques dans les limites de cette capacité résiduelle. Ces derniers touchent souvent au déploiement de la personnalité du mineur de telle sorte qu’ils relèvent généralement des actes intimement liés à la personne, lesquels n’admettent pas la représentation.

Bien que générale, l’incapacité d’exercice des mineurs n’est pas absolue puisque même non émancipé – mais pour autant qu’il dispose du discernement –, l’enfant mineur se voit reconnaître une autonomie certes limitée mais qui tend à devenir plus importante au gré de l’évolution de notre société et donc de notre législation et de la jurisprudence qui l’appliquent, mais aussi à mesure que le mineur grandit et devient majeur. La loi et la jurisprudence ont ainsi créé des exceptions toujours plus nombreuses à l’incapacité de principe des mineurs. Citons comme exemple significatif, parmi tant d’autres, la loi du 28 février 2014 ayant étendu aux mineurs la loi sur l’euthanasie[^22] et l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 29 octobre 2015 ayant rejeté le recours en annulation dirigé contre cette loi[^23]. [^22]:M.B., 12 mars 2014, p. 21053. [^23]:C. const., 29 octobre 2015, n° 153/2015.

Cette capacité résiduelle du mineur s’étend également à mesure que ce dernier grandit et acquiert de l’expérience. En effet, « l’incapacité d’exercice, loin de constituer une quelconque sanction à l’égard des enfants, ne peut être perçue que comme une mesure de protection de leurs droits et intérêts. Elle ne fait que traduire la conception selon laquelle l’homme, par essence libre, ne le sera véritablement qu’après avoir accompli un processus d’éducation le préparant à être citoyen et à accéder à l’autonomie et la responsabilité »[^24]. [^24]:Burette P., « Réflexions sur la Convention internationale des droits de l’enfant », Rev. b., dr. intern., vol. 23, 1990, p. 57.

Cette idée de capacité résiduelle du mineur et son évolution vers davantage d’autonomie pour le mineur, se fonde sur l’idée que le mineur est un majeur « en devenir » et qu’il ne devient en réalité pas apte du jour au lendemain à accomplir tous les actes de la vie civile, comme le laisse penser l’article 488 du Code civil[^25] sur le plan juridique. La capacité d’exercice, à la différence de la capacité de jouissance ou personnalité doit être susceptible de degré. [^25]:« La majorité est fixée à dix-huit ans accomplis ; à cet âge, on est capable de tous les actes de la vie civile ».

La dimension « autonomie » que contient l’incapacité ou plutôt la capacité résiduelle de l’enfant mineur, s’est considérablement développée durant les dernières années du XXème et le début du XXIème siècle. La loi du 19 avril 2001 sur l’autorité parentale et la tutelle, a réformé ces deux institutions en veillant à réaliser une sorte de parallèle entre elles. Déjà, la loi du 30 juin 1994 sur l’exercice de l’autorité parentale avait remplacé la puissance paternelle elle-même progressivement conférée en fait aux deux parents, par la notion d’autorité parentale, plaçant en droit les deux parents sur pied d’égalité.

Le principe reste donc celui de l’incapacité d’exercice des enfants mineurs et son corollaire, l’autorité que confère la loi à leurs parents pour gouverner leur personne et administrer leurs biens dans leur intérêt. Tout être humain naît nécessairement incapable d’exercice puisqu’à sa naissance et durant sa petite enfance, il est en fait (et pas seulement en droit) effectivement incapable de poser tout acte juridique. Ses parents prennent les décisions qui s’imposent dans son intérêt. L’enfant mineur ne peut émettre à cet âge un consentement libre et éclairé. Il ne dispose pas du discernement suffisant. A l’origine, il ne sait même pas exprimer sa propre volonté.

A mesure qu’il grandit, l’enfant mineur acquiert des connaissances, de l’expérience, une maturité, se forge son opinion sur tel élément, dans telle situation, développe un raisonnement. Petit à petit, il devient doué de discernement[^26]. C’est ce qui explique que la capacité résiduelle du mineur s’étend progressivement et normalement parallèlement à l’acquisition de cette capacité de discernement. Cette capacité résiduelle ne correspond cependant pas un régime univoque, fut-il progressif, à cheval entre minorité et majorité. A cet égard, seul existe le régime de l’émancipation, phase transitoire possible mais non prévue automatiquement pour tout mineur, même s’il dispose du discernement suffisant. [^26]:De Boe C., « La place de l’enfant dans le procès civil », J.T., 2009, p. 489.

La capacité résiduelle du mineur, à la différence de l’émancipation, n’est pas un « régime ». L’émancipation seule reconnaît de manière juridique et certaine la capacité résiduelle du mineur, sa capacité de discernement, transformée du fait en droit. La capacité résiduelle du mineur, elle, est une construction jurisprudentielle et doctrinale reposant sur une série d’exceptions légales ou établies par la jurisprudence au principe de l’incapacité d’exercice des mineurs. « Loin de répondre à un régime unique, simple et global d’une ‘‘capacité résiduelle’’, les exceptions à l’incapacité du mineur sont donc complexes, nuancées et surtout différentes les unes des autres. Ces petites constructions législatives qui recherchent le meilleur équilibre pour chaque acte juridique règlementé, permettent une extension mesurée de la capacité du mineur »[^27]. [^27]:Nottet. A., « Mineurs et droits personnels », R.T.D.F., 2010, pp. 38-39.

Ces différentes exceptions s’expriment même de manière diverse au travers de la loi ou de la jurisprudence, quels que soient les domaines du droit observés. Parfois un âge est fixé numériquement (12 ans pour les droits extrapatrimoniaux ; 15 ou 16 ans pour les droits patrimoniaux). Dans d’autres situations, le praticien (juge ou médecin) doit se référer à un critère combinant l’âge (non déterminé numériquement) et la maturité de l’enfant mineur concerné.

Nous prônons une harmonisation du critère, notamment en matière médicale où les locutions sont très disparates. Cette harmonisation pourrait se réaliser sur la base de la loi du 22 août 2002 sur les droits du patient, laquelle est sans doute la plus aboutie et à laquelle la loi ouvrant l’euthanasie aux mineurs se réfère. En définitive, le critère permettant de reconnaître cette capacité résiduelle aux mineurs se réfère toujours à l’idée de discernement, d’aptitude du mineur à appréhender et comprendre le monde qui l’entoure. Chaque exception à l’incapacité d’exercice du mineur, répond à l’idée de discernement suffisant du mineur.

Cette capacité résiduelle ne peut cependant s’apprécier qu’au cas par cas et non de manière générale, et ce, même lorsque la loi fixe un âge pivot, inférieur à celui de la majorité évidemment, puisque bien souvent ce critère de l’âge même déterminé numériquement doit encore se combiner avec l’examen de la maturité de l’enfant, voire l’âge pivot défini par la loi repose lui-même en réalité sur une présomption de discernement qui peut être renversée si l’enfant mineur n’est en fait pas apte à appréhender la situation qu’il rencontre.

Nous avons donc mis en évidence que l’incapacité juridique liée à l’état de mineur d’âge connaît la même évolution au travers d’une reconnaissance grandissante (tant au regard de l’évolution de notre société qu’au regard de celle de l’âge d’un enfant) d’une capacité dite « résiduelle » du mineur, nonobstant son incapacité juridique d’exercice de principe. Alors que l’état de minorité et l’incapacité qui s’y rattache a, à l’évidence, pour but la protection du mineur, l’on constate qu’un courant favorable à l’autonomie quasi complète du mineur dans certains domaines prend davantage d’importance. Tel est en particulier le cas en matière médicale.

Le critère permettant alors de déterminer si le mineur dispose de cette capacité résiduelle sera également celui de son discernement suffisant, lié à l’âge et plus fondamentalement à sa maturité. C’est ce qui tend à rapprocher l’incapacité civile des mineurs et celle des personnes majeures vulnérables, même si la première doit conserver peut-être davantage que la seconde un objectif de protection et non uniquement d’autonomie.

§14 Nous avons alors proposé de définir ce concept de capacité de discernement comme étant l’aptitude d’une personne (mineure ou majeure) à déterminer elle-même ce qui correspond ou non à son intérêt patrimonial ou extrapatrimonial, se rapprochant alors plutôt en ce cas de la notion de bien-être ou de ce qui constitue pour cette personne sa dignité en tant qu’être humain.

Cette définition est résolument axée vers une appréciation au cas par cas, factuelle, tenant compte de la situation de chaque personne, eu égard aux principes de nécessité, de subsidiarité, de proportionnalité et de personnalisation. C’est une « notion-cadre » qui peut paraître sans contenu prédéfini, comme le concept d’intérêt de la personne vulnérable majeure ou mineure (intérêt de l’enfant) voire de dignité humaine (dans son acception holistique et/ou atomistique)[^28], mais qui résulte de la nécessité de s’attacher à la situation vécue en fait par chaque personne vulnérable (principe du « sur mesure »). [^28]:Fierens J., « La dignité humaine comme concept juridique », J.T., 2002, p. 577.

La preuve que l’incapacité a trait au discernement et que lui-même se détermine par rapport à la notion d’intérêt voire de bien-être ou de dignité humaine, est que non seulement une personne est réputée incapable ou vulnérable parce que l’on décide qu’elle n’est pas apte à apprécier ses intérêts en raison de son état de santé (les majeurs), ou que l’on répute qu’elle n’est pas apte à apprécier ses intérêts en raison de son âge ou de sa maturité (les mineurs) ; mais aussi cette personne se verra alors désigner un représentant légal (administrateur, parents, tuteur) qui aura pour mission première de veiller à ses intérêts à sa place, voire dans certains cas, le pouvoir judiciaire dispose également d’une compétence d’autorisation à l’accomplissement de certains actes importants mais aussi de contrôle de la mission des représentants légaux, au regard toujours de ce même critère de l’intérêt de la personne vulnérable majeure ou mineure.

La difficulté cependant avec cette notion d’intérêt est qu’autant elle cadre parfaitement en tant que critère sur le plan patrimonial, autant elle ne sied pas bien sur le plan des droits extrapatrimoniaux, raison pour laquelle nous nous référons dans ce cas plutôt au concept de bien-être ou de dignité.

L’on constate également que de manière générale, les régimes d’incapacité civile et les mécanismes qu’ils contiennent (assistance, représentation, légale ou conventionnelle), conviennent nettement mieux au domaine des droits patrimoniaux à la différence de celui de l’exercice des droits extrapatrimoniaux (lesquels excluent souvent toute possibilité d’assistance ou de représentation juridique)[^29], compte tenu de la reconnaissance finalement très récente (fin XXème – début du XXIème siècle) de ces droits extrapatrimoniaux de l’être humain, que le Code civil de 1804 n’avait à l’évidence pas vocation à réglementer, s’intéressant tout entier à l’aspect et aux conséquences patrimoniales du droit. [^29]:Fierens J. et Mathieu G., « Les droits de la personnalité des personnes mineurs ou vulnérables », Les droits de la personnalité, Acte du colloque de l’Association « Famille & Droit » de Louvain-la-Neuve le 30 novembre 2007, Bruxelles, Bruylant, 2009.

Ce constat apparaît d’autant mieux sous l’angle de la sanction des actes posés par une personne incapable ou vulnérable majeure ou mineure, ce que nous avons développé dans la troisième partie de notre étude. Il en est de même du lien existant entre discernement et intérêts, ou bien-être.

3ème partie – La sanction des actes posés par une personne incapable ou vulnérable, majeure ou mineure

§15 L’analyse que nous avons retracée dans cette troisième partie, de la sanction des actes patrimoniaux et extrapatrimoniaux d’une personne majeure considérée comme incapable/vulnérable, ou d’un mineur présumé incapable/vulnérable, nous a permis de mettre en évidence l’absence de régime univoque[^30], mais aussi que la seule manière de « sanctionner » correctement un acte posé par ces personnes est de veiller en même temps à leur protection. [^30]:Aughuet Ch., « Les sanctions applicables aux actes posés en méconnaissance de la mesure de protection », La protection des personnes vulnérables à la lumière de la loi du 17 mars 2013, Bruxelles, Bruylant, 2014.

Cela ne passe pas nécessairement par la sanction au sens d’annulation de l’acte en cause, mais plutôt par sa « survivance » éventuellement réaménagée, réajustée, pour respecter les intérêts de la personne vulnérable, patrimoniaux ou non-patrimoniaux, pour préserver son autonomie résiduelle, pour en définitive la protéger véritablement, de ses propres faiblesses et de ceux qui voudraient en tirer profit. Nous avons en effet démontré d’une part que le régime de sanction des actes posés par une personne majeure vulnérable ou mineur n’est (ne doit) bien souvent pas (être) la nullité pure et simple mais plutôt la réduction pour excès ou pour cause de lésion.

Nous avons ainsi rapproché la théorie de la lésion qualifiée en présence d’un majeur en principe capable[^31] avec la lésion qualifiée des mineurs[^32], mais aussi avec la théorie du consentement renforcé en matière de libéralités (cf. supra), et avons conclu en ce sens que, de la même manière qu’un acte posé par un mineur est réduit ou parfois annulé non pas tant parce qu’il est mineur mais dans la mesure seulement où il a été lésé, ce principe est tout autant valable pour une personne majeure vulnérable, incapable en droit ou seulement en fait. [^31]:Van Ommeslaghe P., De Page - Traité de droit civil belge, Tome II, Les obligations, vol. 1, Bruxelles, Bruylant, 2013, n° 170, p. 291 ; De Page H., Traité élémentaire de droit civil belge, Tome V, Livre IV, Les principaux contrats usuels (2ème partie), 2ème édition, Bruxelles, Bruylant, 1941 ; Romain J.-F., « Regain de la lésion qualifiée en droit des obligations », J.T., 1993, p. 749 ; De Page H., Le problème de la lésion dans les contrats, Bruxelles, Office de publicité, 1946. [^32]:De Page H., Traité élémentaire de droit civil belge, Tome II, 3ème édition, Bruxelles, Bruylant, 1964, p. 44, n° 23 ; Tome II, vol. 2, 4ème édition complétée et mise à jour par Masson J.-P., Bruxelles, Bruylant, 1990, p. 1138-1139, n° 1222.

Si l’acte posé par une personne majeure vulnérable ou mineure est réduit ou annulé, cela sera dû au fait qu’elle n’a pas correctement mesuré où résidait son intérêt en accomplissant cet acte, qu’elle n’avait pas le discernement suffisant pour s’en rendre compte, ce que le juge doit déterminer et ensuite rétablir.

Discernement et intérêt sont donc bien liés. En cela aussi, la sanction d’un acte posé par une personne vulnérable majeure ou mineure est (doit être) adaptée à l’aptitude ou inaptitude réelle de la personne concernée, répondre également au principe du « vêtement sur mesure » pour n’être non pas tant une sanction mais une protection de la capacité, une mesure d’accompagnement de la personne vulnérable.

Nous avons alors à nouveau démontré que cette sanction prévue dans le Code civil est adaptée aux actes patrimoniaux mais très peu aux actes extrapatrimoniaux pour lesquels la réduction est impraticable et l’annulation tout autant. Pensons à l’acte médical qui une fois accompli, ne peut être annulé ou répété (au sens juridique du terme) mais peut seulement donner lieu éventuellement à l’engagement de la responsabilité civile du praticien.

Le maintien d’un acte patrimonial ou extrapatrimonial posé par une personne vulnérable malgré son incapacité est surtout en complète contradiction avec la règle suivant laquelle tout acte juridique nécessite pour être valable une cause, un objet, le consentement et la capacité juridique de celui qui l’accomplit.

La capacité de droit fait par hypothèse défaut, de sorte que l’acte ne devrait pas être valable. Pourtant, il est maintenu, éventuellement réduit, de sorte que l’on peut se demander si cette dernière condition de validité de l’acte juridique qu’est la capacité de droit de son auteur a encore un sens dans notre droit positif.

Il n’y a plus réellement de personne « incapable » puisque ce qualificatif étant considéré de nos jours comme trop péjoratif dans le vocabulaire courant, il est remplacé par celui de personne « vulnérable ». D’ailleurs, un majeur peut être reconnu comme vulnérable, nonobstant l’absence de tout statut juridique d’incapacité ; et un mineur bien que réputé incapable juridiquement peut s’être valablement engagé, de telle sorte qu’il n’était pas réellement vulnérable, mais seulement présumé tel.

En réalité, si la personne n’est plus « incapable », mais « vulnérable », on assiste alors à une appréciation au cas par cas du consentement de cette personne. Sa capacité n’est plus appréciée au regard d’un régime juridique d’incapacité qui lui serait applicable, mais en fonction de la qualité de son consentement à un acte déterminé, de son « aptitude à vouloir », de son aptitude à exprimer une volonté, un consentement valable, à savoir libre et éclairé.

Le concept de capacité ou d’incapacité juridique a donc résolument changé et a été dépassé par celui de la capacité de fait, de l’aptitude. Seuls importent finalement le consentement et la qualité de celui-ci car ce consentement n’est pas seulement celui qui abstraitement traduirait le simple accord de la personne pour l’accomplissement de l’acte. Il s’agit d’un consentement qui peut, voire doit, être apprécié au regard de la situation de la personne qui l’exprime, de son aptitude ou son inaptitude à vouloir, à exprimer une volonté consciente, indépendante, autonome, libre et éclairée.

L’on serait tenté de dire que le consentement dépend de la capacité de la personne et que sa capacité dépend également de la qualité de son consentement. Ainsi « tout est dans tout », ce qui démontre l’imbrication de ces notions et dès lors le caractère artificiel de la distinction entre capacité et consentement que nous connaissons dans notre droit civil ; ou à tout le moins le statut de capacité ou d’incapacité juridique d’une personne déterminée n’est point le seul critère, puisqu’il faut tenir compte également de la qualité du consentement de la personne en cause, d’un consentement qui doit être caractérisé, de son discernement.

Ainsi la capacité juridique est ramenée à ce qui est à sa base, à ce qui en constitue en quelque sorte le fondement naturel, le discernement de la personne présumée vulnérable et donc considérée comme incapable. L’incapacité juridique ne serait alors plus qu’une sorte de régime de présomption : toute personne majeure est présumée capable en droit, sauf si elle est placée sous régime de protection suivant la loi du 17 mars 2013 ; en ce cas, elle est présumée incapable, ce qui ne l’empêche pas de poser certains actes lorsqu’elle dispose ou recouvre une certaine capacité de fait, un discernement suffisant. Le mineur est pour sa part présumée par principe incapable juridiquement pendant le temps de la minorité. Mais il peut également poser valablement un acte s’il dispose du discernement suffisant.

C’est véritablement au regard du régime des sanctions des actes posés par les personnes majeurs vulnérables ou mineures que l’on se rend compte encore davantage de toute la dimension protectionnelle de l’incapacité, de la reconnaissance d’une autonomie résiduelle, résiduaire, de toute personne fut-elle vulnérable ou incapable, mais surtout du dépassement de cette notion de capacité ou d’incapacité par celle de discernement, de capacité de fait, d’aptitude, et du lien évident qui existe entre discernement et préservation des intérêts au sens large de la personne en cause.

4ème partie – La notion de discernement en science médicale : son fonctionnement et son évaluation

§16 A ce stade de notre démonstration, afin de mieux appréhender le concept de discernement censé remplacer celui de capacité au sens juridique du terme, il nous a paru nécessaire de s’intéresser à l’acception de ce concept dans le domaine de la science médicale, puisque la question de savoir si une personne déterminée est apte, capable, dispose d’un consentement suffisamment libre et éclairé, du discernement suffisant, est très souvent renvoyée à un expert médical requis de rendre un avis ou une expertise au sens judiciaire du terme.

C’est à l’évidence le cas en présence d’une personne qui fait l’objet d’une demande de mise sous protection judiciaire puisque la loi du 17 mars 2013 – et avant celle-ci les anciens régimes d’incapacité des personnes majeures – requiert le dépôt d’un certificat médical à l’appui de la requête initiale ; mais également le dépôt d’un tel certificat dans les hypothèses de levée du régime de protection soit de manière générale, soit de manière ponctuelle et/ou temporaire, aux fins de permettre à la personne protégée de poser un acte dans un intervalle de lucidité – un tel intervalle doit alors être constaté et prouvé.

Rappelons que la personne majeure vulnérable est définie comme celle qui – hormis l’hypothèse de la prodigalité – « en raison de son état de santé, est totalement ou partiellement hors d'état d'assumer (elle)-même, comme il se doit, sans assistance ou autre mesure de protection, fût-ce temporairement, la gestion de ses intérêts patrimoniaux ou non patrimoniaux »[^33]. Cette référence au critère large de l’état de santé indique bien en elle-même que la situation d’incapacité, d’inaptitude, d’absence de discernement est liée à l’état de santé de la personne, éventuellement affecté d’un trouble lié à la maladie, au grand-âge, etc. [^33]:Art. 488/1 C. Civ.

Pour les mineurs en revanche, ce n’est pas l’état de santé qui est déterminant dans la mesure où l’incapacité juridique de principe des mineurs n’est en soi point liée à un quelconque état de santé déficient. C’est la maturité de l’enfant qui importe, lequel est lié à l’âge et au développement des facultés intellectuelles, affectives et volitives. Si un enfant peut manquer de maturité à un certain âge, il acquerra en principe celle-ci avec le temps. Il n’y a là aucune déficience quelconque mais seulement une évolution dans le développement des facultés de chaque enfant, propre à chacun d’eux.

Le discernement, le consentement libre et éclairé d’un mineur, n’est donc pas présent ou absent en fonction d’un quelconque état de santé déficient, mais il demeure lié au développement du cerveau de ce mineur, au fonctionnement de son métabolisme, et relève donc également de la science médicale dès qu’il s’agit de le déterminer.

Cela ne ressort nullement d’un quelconque texte légal qui obligerait de joindre un certificat médical ou de demander l’avis d’un expert médecin, aux fins de reconnaître une quelconque capacité ou un quelconque discernement dans le chef d’un mineur. Même la procédure d’émancipation d’un mineur ne requiert aucune expertise ou certificat médical aux fins de prouver que le mineur doit être émancipé en raison d’une maturité suffisante pour ne point demeurer totalement mineur jusqu’à ses 18 ans. Au contraire, la reconnaissance de l’existence d’une maturité suffisante, d’un consentement libre et éclairé, d’un discernement suffisant dans le chef d’un mineur – à la différence des majeurs à protéger – relève presque exclusivement d’une appréciation empirique effectuée par le juge en cas de litige.

Il convient cependant de relever qu’en matière de droits intiment liés à la personne, tels que les droits en tant que patient ou le droit de demander l’euthanasie, en présence d’un mineur comme d’une personne majeure mais éventuellement vulnérable, la détermination de l’existence ou au contraire de l’absence de consentement libre et éclairé du patient, de discernement suffisant dans le chef de ce dernier, est finalement laissée à l’appréciation du corps médical, relativement spécialisé dans le domaine justement de l’appréciation du discernement dans le chef du patient (psychiatre, pédo-psychiatre, neurologue, etc.), mais sans pour autant que cela fasse l’objet d’un certificat médical produit en justice, ni d’une expertise au sens judiciaire du terme, puisqu’il n’y a en ce cas pas de procédure judiciaire prévue.

C’est donc bien la preuve que tant en présence d’une personne majeure mais vulnérable que mineure, le concept de consentement libre et éclairé ou de discernement suffisant, relève dans une large mesure de la science médicale et des connaissances existant en ce domaine. Cela est logique puisque la capacité, le consentement libre et éclairé, le discernement relèvent davantage des faits et doivent être appréciés nécessairement en fait, puisque l’incapacité d’une personne majeure doit répondre aux principes de nécessité, de subsidiarité, de proportionnalité et de personnalisation, de la même manière que la capacité résiduelle d’un mineur – en principe incapable juridiquement – sera reconnue pour un mineur déterminé, dans une situation déterminée, au regard notamment d’un acte déterminé.

Arrivé à ce stade de notre analyse et constatant que les principes de nécessité, de subsidiarité, de proportionnalité et de personnalisation obligent à davantage s’attacher au discernement effectif d’une personne plutôt qu’à sa capacité ou son incapacité de droit, nous nous sommes intéressé dans la quatrième et dernière partie de notre étude, à ce que la science médicale au sens large sait du discernement, du fonctionnement humain chez l’adulte comme chez l’enfant, en matière de prise de décision. Dès lors, sans prétendre vouloir effectuer une analyse complète de la notion de discernement en science médicale, nous avons estimé primordial de terminer notre étude par un bref exposé des connaissances médicales actuelles en la matière.

Nous n’avons pas effectué un exposé exhaustif de la matière mais tenté seulement d’élaborer et de comprendre ce que la médecine a pu découvrir et connaît en matière de discernement, et ce, aux fins d’aider à mieux appréhender ce concept dans le domaine juridique puisque ce dernier s’en remet généralement à la science médicale en cette matière.

§17 Nous avons pu conclure de cet exposé relatif au discernement ou de la prise de décision en matière médicale que cette science est encore en train d’étudier ce processus et qu’elle est sans doute seulement au début des découvertes en la matière. Il est logique dès lors que le monde médical soit en quelque sorte « mal à l’aise » avec les impératifs que la législation entend lui imposer, notamment dans le cadre de la procédure de mise sous protection d’une personne majeure vulnérable[^34]. [^34]:Meire Ph., « Le déclin des compétences de la personne : aspects médicaux et psychiques », in La réforme du statut des incapables majeurs, Actes du colloque organisé le 29 avril 2014 à l’Université Catholique de Louvain, page 1 (de la contribution) ; Bouquey D., « Aspects médicaux du nouveau régime d’incapacité », Le nouveau régime belge de l’incapacité des majeurs : analyse et perspectives, Bruxelles, La Charte, 2014, pp. 241 et s.

Il est en effet difficile pour la science médicale de pouvoir apporter une réponse certaine et univoque en matière de capacité de discernement, d’aptitude à prendre une décision de manière générale, même pour une personne déterminée, lorsque déjà les outils permettant de déceler les déficits en termes de capacité à prendre une décision sont encore à l’état expérimental, puisque par définition les éléments de la recherche en ce domaine sont encore pour une bonne partie à l’état d’hypothèses.

Nous avons mis en évidence également que la finalité du droit et de la médecine n’est pas la même et que le législateur a tendance à l’oublier lorsqu’il croit nécessaire et justifié de s’en remettre à la science médicale comme si cela était une évidence, pour objectiver une règle ou un jugement en matière de capacité ou de discernement, et ce alors que la science médicale n’en est encore qu’au stade des premières découvertes.

La science médicale au sens large (psychologie, psychiatrie, neurologie, neuropsychologie, -psychiatrie, etc.), avec l’aide de l’imagerie neuro-médicale, a cependant déjà permis de situer le siège principal du processus de prise de décision au sein du cerveau humain, même s’il s’agit d’un groupe de zones en interactions diverses entre elles, et non d’une seule et unique zone aisément identifiable. L’on comprend donc que le processus de prise de décision soit complexe de par son fonctionnement et difficile à appréhender[^35]. Nous savons également aujourd’hui que les émotions participent au processus de prise de décision qui n’est donc pas purement rationnel, comme l’on pourrait l’imaginer de prime abord[^36]. [^35]: Allain Ph., « La prise de décision : aspects théoriques, neuro-anatomie et évaluation », Revue de Neuropsychologie, 2013/2, volume 5, page 71 ; Ernst M. et Paulus M.P., “Neurobiology of decision making : a selective review from a neurocognitive and clinical perspective”, Biol Psychiatry, 2005, 58, 597-604 ; Krain A.L., Wilson A.M., Arbuckle R. et. Al., “Distinct neural mechanisms of risk and ambiguity : a meta-analysis of decision making”, Neuroimage, 2006, 32: 477-84; Besnard J. et Ouerchefani R., « lobes frontaux et prise de décision sous ambiguïté et sous risque : données lésionnelles, psychiatriques et de neuro-imagerie fonctionnelle », Revue de neuropsychologie, 2013/2, volume 5, p. 86 et s. ; Jacus J.-P., Bayard S., Raffard S., Gely-Nargeot M.-C., « prise de décision dans le vieillissement normal et pathologique », Revue de Neuropsychologie, 2013/2, volume 5, p. 93 ; Roy A. et Lancelot C., « La prise de décision affective chez l’enfant », Revue de Neuropsychologie, 2013/2, volume 5, p. 107. [^36]:Damasio A.R., L’erreur de Descartes, La raison des émotions, Paris, éd. Odile Jacob, 1995.

De là à pouvoir cataloguer chaque pathologie comme étant un trouble qui affecte ou non la prise de décision, l’état de la science ne le permet assurément pas, et l’on peut s’interroger si une telle opération de catégorisation est possible voire souhaitable. Déterminer la capacité à prendre une décision et donc le discernement d’une personne doit selon nous rester une analyse empirique des capacités de cette personne considérée isolément, à un moment déterminé, en lien avec un acte ou groupe d’actes déterminés. Il convient, comme le veut d’ailleurs la loi en matière de capacité juridique, d’effectuer un travail « sur mesure », y compris au stade de la définition de l’aptitude à prendre une décision, de la détermination du discernement, dans la mesure où il s’agit d’une question de fait et non de droit.

En cela, le droit et la science médicale se rejoignent, mais il semble que le droit ait tendance à ignorer qu’en médecine également, le travail doit être fait « sur mesure », de telle sorte qu’il ne faut pas attendre de la science médicale qu’elle apporte des réponses univoques dans des situations pouvant varier considérablement d’un individu à l’autre, et même pour un individu déterminé, d’un moment à l’autre dans la vie de ce dernier.

Nous ne pensons donc pas qu’il soit possible ni souhaitable d’établir une « liste » des états de santé censés altérer gravement ou non la capacité ou le discernement d’une personne majeure comme mineure. Dans ce cas, établir avec un maximum de certitude un tel état de santé passe nécessairement par un examen clinique, une expertise médicale de la personne en cause, et ce dans la logique empirique qui doit présider à une telle analyse, une telle recherche.

Nous avons démontré dans les précédentes parties de notre étude que telle est à présent ce que requiert la loi, au regard des principes de nécessité, subsidiarité, proportionnalité et de personnalisation. Ce faisant, la loi ne fait que se conformer à une évidence que l’on pourrait qualifier de « naturelle », dès lors que la capacité, ou son contraire, l’incapacité, réside essentiellement en fait, et non plus en droit, qu’elle se fonde sur la situation « naturelle » d’une personne déterminée – et non plus un choix politique ou un ordre social établi.

A ce jour, l’incertitude demeure cependant dès lors que la loi devrait ainsi s’en remettre à l’expertise de la science médicale et que cette dernière n’est elle-même pas encore suffisamment au fait du fonctionnement du processus de prise de décision, ni de tous les états de santé qui peuvent avoir une influence sur ledit fonctionnement ou provoquer des dysfonctionnement à ce niveau, mais surtout qu’il n’existe pas encore ou que n’ont pas encore été développés suffisamment, les outils qui permettent, au niveau tant expérimental que clinique, de déceler les déficits de capacité à prendre une décision, singulièrement lorsque la prise de décision concerne un domaine non-patrimonial ou -économique[^37]. [^37]:Rogers R.D., Owen A.M., Middleton H.C., et Al., “Choosing between small, likely rewards and large, unlikely rewards activates inferior and orbital prefrontal cortex”, J. Neurosci, 1999, 19 : 9029-38; Brand M., Fujiwara E., Borsutzky S. et Al., “Decision-making deficits of Korsakoff patients in a new gambling task with explicit rules associations with executive functions”, Neuropsychology, 2005, 19 : 267-77; Bechara A., Damasio A.R. Et Damasio H., et Al., “Insensitivity to future consequences following damage to human prefrontal cortex”, Cognition, 1994, 50 : 7-15.

Il faut donc admettre qu’à ce stade, sans être complètement déconnecté de la dimension médicale qui s’attache à la détermination de la capacité de discernement d’une personne majeure ou mineure, cette détermination relève finalement plus d’une appréciation certes nécessairement empirique mais relativement peu fondée sur des bases scientifiques claires et précises. Pensons en effet au fait qu’un certificat médical dressé pour être déposé à l’appui d’une demande de mise sous protection d’une personne majeure, sera généralement établi par le médecin traitant généraliste, et peu souvent par un spécialiste, et que même en ce cas, il est peu probable que ce spécialiste se soit livré à la batterie de tests que sont les outils expérimentaux et/ou cliniques élaborés depuis la fin du XXème siècle par les neuropsychologues américains ou européens.

De même, ce sera généralement rarement (sinon jamais) une équipe pluridisciplinaire qui s’intéressera à la capacité de la personne concernée dans une telle procédure – tandis que les législations à caractère médical et éthique requièrent une telle collégialité pour poser un diagnostic concernant la capacité de discernement de la personne en cause.

En l’état actuel de la législation et de la science médicale, le juge amené à se prononcer par exemple sur la capacité d’une personne pour laquelle l’on demande une mise sous protection, s’en remettra donc souvent à l’avis ou l’expertise du médecin choisi ou désigné, voire corroborera les conclusions de ce dernier par la propre perception qu’il aura lui-même de l’état de santé de la personne et de l’influence qu’il imagine que cet état de santé peut avoir sur la capacité de discernement de cette personne, après avoir rencontré celle-ci.

Conclusion

§18 La capacité ou l’incapacité d’une personne majeure ou mineure se mesure à l’aune de son discernement c’est-à-dire de son aptitude en fait à apprécier ses intérêts patrimoniaux et son bien-être personnel[^38]. Le discernement apprécié en fait a même remplacé la capacité juridique abstraite. Cette appréciation en fait requiert une analyse rigoureuse de l’état de santé au sens large ou du degré de maturité de la personne concernée au regard des principes de nécessité, de subsidiarité, de proportionnalité et de personnalisation, et plus généralement au regard du respect des libertés qui sont à la base de nos démocraties modernes, ainsi qu’au regard de la dignité humaine. [^38]:On pourrait voire devrait même l’élargir aux intérêts ou au bien-être des personnes qui l’entourent dans la mesure où aucun être humain ne vit isolé du reste de la société. Mais tenons-nous en à ce stade à ses intérêts et son bien-être personnel (ce qui a fait dire à l’un des membres du jury de notre thèse que cette personne vulnérable paraissait bien égoïste).

Le droit s’en remet alors à la science médicale pour examiner in concreto ce discernement suffisant ou au contraire déficient. Mais dans aucune des situations rencontrées, cela n’assure à notre estime de la complète capacité de discernement de la personne en cause, tant nous avons vu que les connaissances en général, voire celles de chaque praticien du monde médical en particulier, sont encore peu importantes en ce domaine de la capacité à prendre une décision dans son intérêt au sens large.

Est-ce à dire alors que les personnes considérées comme incapables, les majeurs vulnérables en tous cas, le sont pour de mauvaises raisons, sur de mauvais fondements factuels ? Nous ne le pensons pas nécessairement. Seulement, il faut bien admettre alors que considérer une personne incapable ou inapte, dans sa vie quotidienne ou pour un acte déterminé, repose sur une appréciation qui sera toujours subjective, nonobstant les efforts pour objectiver un tel jugement. Si la science médicale ne peut à ce jour donner les outils nécessaires et infaillibles permettant de déterminer le discernement suffisant ou non d’une personne, au motif que cette science elle-même n’est qu’au début de ses découvertes en ce domaine, c’est en fin de compte « le bon sens commun » qui guidera le magistrat, le notaire, le médecin même, dans son appréciation.

Une telle subjectivité est-elle à craindre ? Nous ne le pensons pas non plus. Tout dépend de la manière d’appréhender cette notion. Toute appréciation repose sur une part de subjectivité. Ce n’est pas pour autant qu’elle est arbitraire, du moment qu’elle est motivée voire qu’une possibilité de recours existe pour donner lieu à une nouvelle appréciation. Les principes de nécessité, de subsidiarité, de proportionnalité et de personnalisation, recommandent de faire du « sur mesure ». Cela entraîne inévitablement de la subjectivité. C’est en réalité le droit positif qui impose des critères objectifs par souci de sécurité. Imposer le recours au certificat médical, s’en remettre à l’avis de la science médicale en est un exemple évident.

Cependant, la finalité de la science médicale et du droit, nous l’avons dit, n’est pas la même. Il faut donc admettre ne pas avoir de réponses univoques – du moins pour le moment – susceptibles d’être utilisées telles quelles pour répondre à une question juridique telle que la présence ou l’absence du discernement dans le chef d’une personne déterminée, au regard d’une situation ou d’un acte déterminés. Ce faisant, l’on ne perd pas en objectivité, l’on effectue un travail « sur mesure » où l’avis médical est un des principaux éléments permettant de rendre une décision au sens judiciaire du terme, mais il n’est pas pour autant le seul.

Face à une telle situation, nous avons alors conclu que la notion de capacité d’exercice redéfinie pour tenir compte de la capacité de discernement, de l’aptitude en fait de la personne, oblige à une analyse au cas par cas, empirique, tant de la science juridique que médicale et que l’une et l’autre ne peuvent même pour un seul cas, toujours apporter une réponse univoque quant à l’aptitude en fait, au discernement d’une personne majeure considérée comme vulnérable ou mineure et donc présumée vulnérable.

Chacun, qu’il soit juriste ou médecin, doit analyser la situation de concert, avec ses propres outils et en fin de compte aussi en fonction de son intime conviction de ce que la personne concernée peut ou non accomplir valablement, peut percevoir comme étant dans son intérêt ou en vue de son bien-être. Tel est finalement le propre de toute « notion-cadre », comme le sont les concepts de discernement, d’intérêt et de dignité humaine, lesquels se construisent et se déterminent au cas par cas, au regard de chaque situation rencontrée.

Thomas Van Halteren